Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY
ENTRE :
et HAMDA ANJUM
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Mme Shazia Rani a quitté le Pakistan pour venir au Canada avec ses deux enfants. Elle dit qu’elle s’est enfuie du Pakistan après que des militants sunnites eurent menacé et attaqué son mari et le reste de la famille, des chiites pieux. Son mari est un chiite bien connu dans leur communauté et le président de leur imam bargah.
[2] Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de Mme Rani parce qu’il n’a pas ajouté foi à son récit des faits. Mme Rani prétend que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants et de son milieu culturel et qu’elle a agi de manière inéquitable en émettant des hypothèses concernant les véritables raisons pour lesquelles elle est venue au Canada. J’ai examiné avec soin les prétentions de Mme Rani, mais je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la Commission. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
I. Questions en litige
1. La Commission a‑t‑elle émis des hypothèses au lieu de se limiter à apprécier les faits?
2. La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte des différences culturelles lorsqu’elle a évalué la vraisemblance du récit des faits donné par Mme Rani?
3. La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte d’éléments de preuve importants?
[3] Je peux annuler la décision de la Commission seulement si elle n’est pas étayée par la preuve dont la Commission disposait.
II. Analyse
A. La Commission a‑t‑elle émis des hypothèses au lieu de se limiter à apprécier les faits?
[4] Vers la fin de ses motifs, après avoir conclu qu’elle ne croyait pas le témoignage de Mme Rani, la Commission a émis des hypothèses au sujet de la véritable raison pour laquelle celle‑ci est venue au Canada. Selon elle, Mme Rani n’était pas motivée par la peur, mais « par le désir d’améliorer ses conditions de vie et celles de sa famille ». Elle a affirmé que, selon toute probabilité, le mari de Mme Rani n’était pas porté disparu au Pakistan comme cette dernière le prétendait, mais qu’il avait plutôt voyagé avec elle ou prévoyait la rejoindre bientôt.
[5] Ces déclarations ne sont certainement étayées par aucune preuve présentée à la Commission. Si elles avaient été faites dans le cadre de l’analyse du bien‑fondé de la demande de Mme Rani, elles auraient clairement pu faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Selon l’interprétation que j’en fais cependant, elles constituent des remarques non pertinentes ne concernant pas l’appréciation de la preuve. Les déclarations de la Commission étaient peut‑être gratuites, mais elles ne justifient pas que la décision soit annulée.
B. La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte des différences culturelles lorsqu’elle a évalué la vraisemblance du récit des faits donné par Mme Rani?
[6] Mme Rani a dit que des membres du Sepa‑e‑Sehaba (le SSP), un groupe de militants sunnites, ont fait irruption chez elle, ont tiré des coups de feu et ont menacé son mari. Ce dernier s’est enfui. Mme Rani est demeurée dans la maison avec ses enfants pendant encore trois semaines avant de déménager chez sa mère.
[7] La Commission s’est demandé pourquoi Mme Rani serait restée à la maison et aurait exposé les enfants à d’autres épreuves. Elle n’a pas ajouté foi au témoignage de Mme Rani selon lequel elle ne pouvait pas déménager tant qu’elle n’avait pas de nouvelles de son mari et n’avait pas obtenu sa permission. La Commission a conclu que « même [si elle] tient compte du niveau de scolarité de la demandeure d’asile et de la soumission culturelle de certaines femmes au Pakistan, […] la protection et la sécurité de ses enfants transcendent les différences culturelles […] ».
[8] La Commission a l’obligation d’apprécier la preuve dont elle dispose et de le faire en tenant compte du contexte social et culturel en cause. Elle doit également déterminer si un demandeur d’asile a établi une crainte fondée de persécution, à l’aide notamment d’une norme objective. En l’espèce, la Commission a conclu que la conduite de Mme Rani n’était pas compatible avec l’existence d’une véritable crainte du SSP car elle est demeurée au lieu de l’attaque avec ses enfants. La Commission a examiné sa prétention – le fait qu’elle ne pouvait pas déménager la famille sans avoir eu la bénédiction de son mari –, mais a conclu que, même si elle pouvait hésiter à prendre seule la décision de déménager, son hésitation aurait certainement dû passer après son désir de protéger ses enfants. Je ne décèle aucune erreur dans l’analyse de la preuve faite par la Commission.
C. La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte d’éléments de preuve importants?
[9] Mme Rani a produit des documents corroborant sa version des faits devant la Commission. Elle prétend que la Commission avait l’obligation d’évaluer explicitement ces documents avant de conclure que son récit n’était pas vraisemblable.
[10] Les principaux documents produits par Mme Rani sont des lettres de deux imam bargahs. Ces lettres résument brièvement les événements ayant mené au départ du Pakistan de Mme Rani. On ne sait pas avec certitude si les auteurs de ces lettres avaient une connaissance directe des faits ou s’ils ont simplement répété une version des faits qui leur avait été racontée. Dans les circonstances, je ne pense pas que ces documents soient importants au point où la Commission aurait dû les analyser et y faire référence expressément : Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL).
[11] Mme Rani prétend également que la Commission a omis de tenir compte de la preuve démontrant que son mari était le président de leur imam bargah. La Commission a souligné que la plupart des chiites pris pour cibles par le SSP sont des personnes en vue, ce que Mme Rani et ses enfants n’étaient pas. Elle n’a pas explicitement parlé de la possibilité qu’ils continuent à être pris pour cibles en tant que membres de la famille d’un chiite bien connu.
[12] Cette conclusion également apparaît vers la fin des motifs de la Commission, après que celle‑ci eut déjà conclu que les événements ayant mené au départ de Mme Rani ne s’étaient jamais produits. De plus, selon le propre témoignage de Mme Rani, son mari avait disparu et avait cessé tout contact avec elle. Il n’y avait aucune raison de penser que la famille continuerait à avoir un profil particulier qui la mettrait en danger si elle retournait au Pakistan. Je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en analysant la preuve.
[13] Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie ne m’a demandé de certifier une question de portée générale, et aucune question semblable n’est énoncée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑1113‑05
INTITULÉ : SHAZIA RANI ET AL.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 JANVIER 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 26 JANVIER 2006
COMPARUTIONS :
Karina Thompson POUR LES DEMANDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robert I. Blanshay POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Toronto (Ontario)