Dossier : T-784-19
Référence : 2019 CF 1473
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2019
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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LA FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA,
ÉQUITERRE et WILDERNESS COMMITTEE
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SYNGENTA CANADA INC.
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défendeurs
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et
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CROPLIFE CANADA
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intervenante
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La présente décision se rapporte à une requête des demandeurs déposée le 30 octobre 2019, par laquelle ils réclament la radiation de certains passages du mémoire des faits et du droit [le mémoire] de l’intervenante, CropLife Canada [CropLife], et de certains documents du recueil de jurisprudence et de doctrine [le recueil]. CropLife a obtenu l’autorisation d’intervenir dans la présente demande de contrôle judiciaire suivant une ordonnance rendue par la protonotaire Tabib le 4 octobre 2019 [l’ordonnance d’intervention].
[2]
Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la requête est accueillie en partie. Je conviens avec les demandeurs que des parties du mémoire des faits et du droit de l’intervenante vont au-delà des modalités au titre desquelles l’intervention a été autorisée dans l’ordonnance d’intervention, du fait que ces parties : a) s’appuient sur de nouveaux éléments de preuve inclus dans le recueil de jurisprudence et de doctrine de l’intervenante et mentionnés dans les notes en bas de page du mémoire; et b) incluent des arguments que CropLife n’a pas obtenu l’autorisation de faire valoir. Mon ordonnance radie cette preuve du recueil et des notes en bas de page et radie les paragraphes du mémoire avançant les arguments qui dépassent la portée de l’ordonnance d’intervention.
[3]
Je ne radie pas les paragraphes du mémoire qui font référence à la radiation de la preuve. Je ne radie pas non plus les autres paragraphes qui, selon les demandeurs, ne sont étayés par aucune preuve ou représentent une tentative de CropLife de témoigner au moyen du mémoire. Les parties peuvent faire valoir ces points lors de l’audition de la demande, lorsque la Cour bénéficiera de l’ensemble du dossier de la demande.
II.
Contexte
[4]
Les demandeurs sont la Fondation David Suzuki, Les Ami(e)s de la Terre Canada, Équiterre et le Wilderness Committee. Ce sont toutes des organisations non gouvernementales vouées à la défense de l’environnement.
[5]
Dans la demande de contrôle judiciaire qui sous-tend la requête, les demandeurs contestent une décision de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire [ARLA] datée du 11 avril 2019 [la décision] de modifier certaines homologations du produit antiparasitaire thiaméthoxame à la suite d’une réévaluation effectuée en vertu de l’article 16 de la Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, c 28 [la Loi]. Plus précisément, les demandeurs contestent la partie de la décision qui retarde de deux ans la mise en œuvre de ces modifications. Ils demandent une ordonnance annulant un tel délai, en déclarant que l’ARLA n’a pas compétence pour imposer un tel délai et que la pratique de l’ARLA d’imposer un tel délai, conformément à sa Politique sur la révocation de l’homologation et la modification de l’étiquette à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial [la Politique de l’ARLA] est ultra vires de la Loi. C’est moi qui instruis la demande, et cette instruction est fixée au 5 et 6 décembre 2019.
[6]
Les défendeurs sont le ministre de la Santé, qui est responsable de la Loi et a délégué cette responsabilité à l’ARLA, et Syngenta Canada Inc., le titulaire d’homologation du thiaméthoxame. L’intervenante, CropLife, est une association commerciale qui représente les concepteurs, les fabricants et les distributeurs de produits de phytologie.
[7]
Les demandeurs se sont opposés sans succès à la requête en intervention de CropLife. Toutes les parties ont demandé l’autorisation de déposer des observations en réponse, ce que la Cour a refusé dans l’ordonnance d’intervention. À la suite du prononcé de l’ordonnance d’intervention, CropLife a déposé son mémoire exposant les arguments qu’elle entend présenter à l’audition de cette demande, accompagné de son recueil. Les demandeurs ont ensuite déposé la présente requête, en vue de faire radier des passages du mémoire et du recueil au motif qu’ils dépassent les conditions de l’ordonnance d’intervention à trois égards. Les demandeurs soutiennent que le mémoire de CropLife :
contient des énoncés de fait qui ne sont pas étayés par des éléments de preuve versés au dossier devant la Cour, ce qui représente une tentative de témoigner au moyen du mémoire et de s’appuyer indûment sur des documents extrinsèques;
contient des arguments sur des questions pour lesquelles elle n’a pas obtenu l’autorisation d’intervenir;
soulève de nouvelles questions qui n’ont été soulevées par aucune des parties.
[8]
Les demandeurs avaient initialement déposé leur requête qui devait être présentée lors de la séance générale à Toronto le 5 novembre 2019. Après avoir reçu les documents relatifs à la requête, CropLife s’est opposée à une audition de la requête à cette date pour plusieurs motifs, notamment l’indisponibilité de l’avocat, la durée probable de la requête et la position de CropLife selon laquelle la requête devrait être instruite à l’audition principale de la demande. J’ai convoqué une conférence de gestion de cas le 1er novembre 2019 et j’ai fixé l’audition de la requête à une séance spéciale le 15 novembre 2019, date à laquelle toutes les parties seraient disponibles. Les avocats des défendeurs ont assisté à l’audition, mais n’ont pas présenté d’observations.
[9]
J’explique l’historique de procédure de la requête parce que CropLife soutient qu’il vaudrait mieux examiner les préoccupations soulevées par les demandeurs au sujet du mémoire et du recueil de CropLife lors de l’audition de la demande. Lors de l’audition de la requête, les parties ont convenu, par souci de temps et d’efficacité, que j’examinerais cet argument et rendrais une décision à cet égard dans le cadre de ma décision globale sur la requête, plutôt que de me prononcer sur cet argument à titre préliminaire, et d’examiner ensuite d’autres questions soulevées dans la requête seulement si je devais écarter cet argument. Par conséquent, même si la requête des demandeurs a été instruite, la question de savoir si les préoccupations fondamentales de ces derniers au sujet des documents déposés par CropLife doivent être traitées dans cette décision, ou dans le cadre de l’audition principale de la requête, est toujours en litige.
III.
Les questions à trancher
[10]
Compte tenu des arguments respectifs des parties, les questions soulevées par la présente requête sont les suivantes :
La Cour a-t-elle le pouvoir de radier des parties du mémoire et du recueil de CropLife?
Les questions soulevées dans la requête sont-elles frappées par le principe de l’autorité de la chose jugée?
Serait-il préférable d’examiner les questions soulevées dans la requête lors de l’audition de la demande?
Faudrait-il radier des parties du mémoire et du recueil au motif qu’elles dépassent les conditions de l’ordonnance d’intervention?
IV.
Analyse
A.
La Cour a-t-elle le pouvoir de radier des passages du mémoire et du recueil?
[11]
CropLife allègue que les dispositions précises des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], invoquées par les demandeurs à l’appui de leur requête ne confèrent pas à la Cour le pouvoir de radier des passages d’un mémoire des faits et du droit, surtout dans le contexte d’une demande plutôt que d’une action. Bien que les demandeurs présentent des arguments en réponse à ces observations, leur position principale est que la Cour a la compétence inhérente d’accorder le redressement qu’ils demandent. Je n’ai pas besoin d’aborder les arguments respectifs des parties sur les dispositions des Règles en question, car je suis d’accord avec la position principale des demandeurs selon laquelle la Cour a la compétence inhérente nécessaire.
[12]
Dans l’un des cas de jurisprudence cités par CropLife, Première Nation d’ermineskin c Canada (Procureur général), 2006 CAF 423 [Ermineskin], la Cour d’appel fédérale a examiné une requête sollicitant la radiation de parties du mémoire des faits et du droit de l’appelant en appel, parce qu’elles invoquaient un motif d’appel qui ne figurait pas dans l’avis d’appel de l’appelant. Comme en l’espèce, l’appelant avait soutenu qu’aucune disposition de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, ne permettait la présentation d’une requête en radiation d’un mémoire des faits et du droit. L’appelant reconnaissait la compétence inhérente de la Cour lui permettant de radier un mémoire, mais soutenait qu’elle devait exercer cette compétence avec parcimonie.
[13]
CropLife s’appuie sur l’arrêt Ermineskin, et en particulier sur l’énoncé du juge en chef Richard au paragraphe 14 selon lequel il n’était pas disposé à rendre une ordonnance qui aurait une portée aussi large que celle que réclame que l’intimé, ni à biffer des références à la preuve sous forme de documents ou de rapports, car il est préférable de soulever ces objections devant la Cour au moment de l’instruction de l’appel. J’examinerai cette partie du raisonnement de l’arrêt Ermineskin plus loin dans l’analyse. Toutefois, CropLife souligne également la déclaration suivante du juge en chef Richard au paragraphe 12, que je considère comme importante pour la question de compétence :
12 La Cour d’appel ne devrait pas être invitée à intervenir à cette étape de l’instance, sauf pour faire respecter une disposition législative ou réglementaire applicable, les règles de la Cour ou toute ordonnance qui aurait pu être rendue dans l’affaire.
[14]
La Cour a ensuite radié un paragraphe du mémoire de l’appelant qui avançait le motif d’appel contesté. Pour en arriver à ce résultat, la Cour a fait remarquer que l’appelant avait auparavant présenté une requête visant à modifier son avis d’appel pour ajouter ce motif. Cette requête a été rejetée. Le juge en chef Richard a donc conclu qu’il était approprié de radier le paragraphe pertinent du mémoire de l’appelant, parce qu’il contrevenait à une ordonnance de la Cour portant sur ses motifs d’appel.
[15]
À mon avis, l’arrêt Ermineskin représente l’autorité selon laquelle les cours fédérales ont la compétence inhérente de radier des passages d’un mémoire des faits et du droit en appel pour faire respecter une ordonnance du tribunal. Cette compétence est invoquée dans la présente requête, selon laquelle les demandeurs sollicitent un redressement de la Cour pour radier des passages du mémoire de CropLife afin de faire respecter l’ordonnance d’intervention.
B.
Les questions soulevées dans la requête sont-elles frappées par le principe de l’autorité de la chose jugée?
[16]
CropLife est d’avis que les questions soulevées dans la présente requête sont frappées par le principe de l’autorité de la chose jugée, parce qu’elles ont déjà été tranchées par l’ordonnance d’intervention. CropLife affirme que la protonotaire Tabib a accueilli la requête en autorisation d’intervenir de CropLife sans aucune restriction et que la présente requête représente une tentative des demandeurs de remettre en litige la requête en intervention.
[17]
Les paragraphes clés de l’ordonnance d’intervention autorisent CropLife à intervenir en vertu de l’article 109 des Règles, à déposer un mémoire des faits et du droit et à présenter des observations de vive voix au moment de l’audition de la demande. Ils prévoient également qu’aucuns dépens ne seront adjugés à CropLife ou à son encontre, quelle que soit l’issue de cette instance, et modifient l’intitulé de la cause pour y ajouter CropLife à titre d’intervenante. Aucun de ces paragraphes n’impose expressément de restrictions au rôle de CropLife à titre d’intervenante.
[18]
Toutefois, il ressort clairement du raisonnement de la protonotaire Tabib que l’objet de l’ordonnance d’intervention était d’accorder à CropLife l’autorisation d’intervenir selon les conditions qu’elle avait demandées dans sa requête en intervention. Même en l’absence d’un tel raisonnement, j’aurais de la difficulté à accepter qu’une ordonnance accordant le statut d’intervenant soit interprétée comme permettant une intervention selon des conditions plus larges que celles demandées par l’intervenant proposé. Toutefois, selon le raisonnement exposé dans l’ordonnance d’intervention en l’espèce, cette limite était tout à fait claire. La protonotaire a fait remarquer que le dossier de requête de CropLife indiquait avec précision les questions qu’elle entendait aborder et la position qu’elle adopterait à l’égard de ces questions; elle a également exprimé que ces questions n’élargissaient pas la portée des questions soulevées par la demande, à la satisfaction de la Cour, et a déclaré que l’inclusion de CropLife comme intervenante selon les conditions que propose CropLife est bien délimitée.
[19]
L’argument de CropLife selon lequel la présente requête est frappée par le principe de l’autorité de la chose jugée, ou que les demandeurs ont tenté d’imposer des restrictions à une intervention qui auparavant n’en comportait aucune, ne m’apparaît donc nullement fondé. La présente requête soulève plutôt la question de savoir si le mémoire et le recueil de CropLife dépassent les conditions selon lesquelles elle a demandé et obtenu l’autorisation d’intervenir.
C.
Serait-il préférable d’examiner les questions soulevées par la requête lors de l’audition de la demande?
[20]
CropLife soutient que la jurisprudence applicable a toujours reconnu que les requêtes interlocutoires devraient constituer l’exception dans les demandes. Les demandes se veulent des processus sommaires, et il est habituellement inutile, coûteux et redondant que les requêtes, y compris les requêtes en radiation, soient instruites à titre interlocutoire avant l’audition d’une demande. Je suis d’accord avec l’explication de CropLife de ces principes, qui sont appuyés par les précédents qu’elle cite (voir Canada (Justice) c Khadr, 2008 CSC 29 [Khadr], aux par. 10, 13 et 17; Ermineskin, au par. 14; AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 487 [AstraZeneca], au par. 12). La question que doit examiner la Cour est de savoir si la requête présente des circonstances qui, compte tenu des précédents applicables, justifient une dérogation à la pratique habituelle.
[21]
À mon avis, le contenu de l’ordonnance d’intervention est pertinent pour les besoins de l’analyse en l’espèce. Comme CropLife le fait remarquer, pendant la requête en intervention, les demandeurs et les défendeurs ont demandé l’autorisation de présenter des observations en réponse aux observations de CropLife, dans le cas où l’intervention serait autorisée. La protonotaire Tabib n’était pas convaincue qu’une telle autorisation était nécessaire, concluant que le délai prévu pour l’audition de la demande devrait être suffisant pour permettre aux demandeurs et aux défendeurs d’aborder, au besoin, les arguments que CropLife peut présenter dans son mémoire des faits et du droit. Toutefois, l’analyse de la protonotaire à l’égard de ce point se termine par le paragraphe suivant :
[traduction]
Dans le cas où le mémoire des faits et du droit de CropLife, une fois signifié, soulèverait de nouvelles questions complexes qui justifieraient une réponse écrite avant l’audition, les parties sont, comme toujours, libres de demander un redressement approprié au juge de l’audience.
[22]
Ce paragraphe de l’ordonnance d’intervention prévoit la possibilité qu’une partie présente une requête interlocutoire avant l’audience principale afin d’obtenir la possibilité de déposer d’autres documents écrits avant l’audience. La présente requête des demandeurs peut être qualifiée en partie de requête de cette nature. Dans le cas où la Cour ne radierait pas les passages contestés du mémoire et du recueil de CropLife, la requête vise à obtenir une mesure de redressement subsidiaire autorisant les demandeurs à déposer des documents supplémentaires et un mémoire en réplique. Cet aspect de la requête milite en faveur de l’examen de la requête, du moins en partie, avant l’audience principale, car il serait manifestement impossible pour la Cour d’accorder cette mesure de redressement subsidiaire si la requête n’est pas examinée avant cette audience.
[23]
Une telle approche est également conforme à la jurisprudence. Dans l’arrêt AstraZeneca, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’on peut faire exception à la pratique habituelle lorsque la partie requérante subirait un préjudice si on laissait au juge des faits le soin de trancher cette question. Selon le raisonnement de la Cour, si la question de l’admissibilité de la preuve contestée était laissée entre les mains du juge de l’audience principale dans cette affaire, la partie requérante subirait un préjudice en se présentant à l’audience sans savoir si cette preuve figure dans le dossier et sans pouvoir y répondre. À mon avis, cette analyse s’applique à la demande des demandeurs visant la radiation de certains documents que CropLife a inclus dans son recueil et ses notes en bas de page. Ces documents comprennent les documents d’orientation de l’ARLA et les commentaires présentés par CropLife à l’ARLA pendant la consultation publique relative à la décision.
[24]
Toutefois, j’ai également tenu compte du raisonnement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khadr, où les appelants cherchaient à faire radier des parties des mémoires de l’intimé et des intervenantes, en faisant valoir l’absence de fondement factuel suffisant étayant les arguments y figurant. La Cour suprême a rejeté cette requête, en partie en raison du fait qu’une requête en vue de produire de nouveaux éléments de preuve était en instance, mais également en s’appuyant sur l’analyse qui suit (au par. 10) :
10 La prétendue absence de fondement factuel étayant ces arguments ne constitue pas un motif de radiation des paragraphes des mémoires. Les appelants peuvent faire valoir dans l’appel principal que les arguments contestés de l’intimé et des intervenants doivent être rejetés faute de fondement factuel suffisant.
[25]
Je conclus que je devrais procéder à l’examen de la requête des demandeurs sur le fond, mais je reviendrai sur les principes découlant des cas de jurisprudence précités pour déterminer si certaines parties du redressement demandé devraient être laissées à l’audition de la demande.
D.
Faudrait-il radier des parties du mémoire et du recueil au motif qu’elles dépassent les conditions de l’ordonnance d’intervention?
[26]
Tel qu’il est indiqué précédemment, les demandeurs cherchent à faire radier des parties du mémoire et du recueil au motif qu’elles dépassent les conditions de l’ordonnance d’intervention à trois égards différents. Je reprendrai séparément chacun de ces éléments.
(1)
Énoncés de fait non étayés par la preuve au dossier
[27]
Les demandeurs soutiennent que le mémoire de CropLife contient des énoncés de fait non étayés par la preuve au dossier de la Cour, ce qui représente une tentative de témoigner au moyen du mémoire et de s’appuyer indûment sur les documents d’orientation de l’ARLA figurant dans le recueil, ainsi que les commentaires présentés par CropLife dont il est fait mention à la note en bas de page 30 du mémoire. Les demandeurs mettent surtout l’accent sur le rôle des documents d’orientation de l’ARLA, lesquels comprennent cinq documents promulgués par l’ARLA entre 2003 et 2019. CropLife décrit ces documents comme présentant la demande qu’un titulaire d’homologation doit remplir et soumettre après la réception d’une décision de réévaluation, la norme de service de l’ARLA quant au traitement d’une telle demande, la façon dont l’ARLA traite la demande, ainsi que le processus pour soumettre et examiner les changements à apporter à une étiquette de produit approuvée.
[28]
CropLife souhaite s’appuyer sur ces documents pour étayer sa position dans la demande principale selon laquelle, si la Loi était interprétée comme le soutiennent les demandeurs, et donc d’une manière qui restreint le pouvoir de l’ARLA de retarder la mise en œuvre d’une modification, cette interprétation aurait de graves conséquences pratiques défavorables pour les membres de CropLife, les producteurs agricoles et les autres utilisateurs de produits antiparasitaires. CropLife soutiendra que le processus de mise en œuvre des modifications est complexe et exige beaucoup de temps, et que des résultats absurdes s’ensuivront si l’ARLA n’est pas en mesure de retarder la mise en œuvre pour permettre à ce processus de suivre son cours. CropLife présente les documents d’orientation, qui fournissent des précisions sur le processus de mise en œuvre, et sont essentiels pour fournir à la Cour un tableau complet des répercussions pratiques des différentes interprétations de la Loi.
[29]
À titre préliminaire, je constate que l’avocat de CropLife a mentionné lors de l’audition de la présente requête que l’un des documents d’orientation (Directive d’homologation DIR2017-01, intitulée « Politique sur la gestion des demandes d’homologation », datée du 8 mars 2017, que l’on retrouve à l’onglet 15 du recueil) est mentionné dans la politique de l’ARLA qui est contestée, en partie, dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. Par conséquent, l’avocat des demandeurs a indiqué qu’il retirait son objection au fait que CropLife s’appuie sur ce document d’orientation particulier.
[30]
En ce qui concerne les quatre autres documents d’orientation (onglets 13, 14, 19 et 20 du recueil) et les commentaires présentés par CropLife (note de bas de page 30 du mémoire), les demandeurs soutiennent que l’inclusion de ces documents par CropLife constitue une tentative inappropriée d’ajouter une preuve au dossier de la Cour. Autrement dit, les documents ne sont pas appuyés par un affidavit et ne respectent pas l’ordonnance d’intervention, qui n’autorisait pas CropLife à déposer des éléments de preuve.
[31]
La position de CropLife en réponse est que la Cour devrait prendre connaissance d’office de ces politiques. Elle soutient que les documents d’orientation constituent des faits législatifs, c’est-à-dire des faits qui établissent l’objet et le contexte de la législation. CropLife fait remarquer qu’un fait législatif est habituellement admis en preuve au moyen de la connaissance d’office, ce qui exige que les faits soient à ce point notoires ou exempts de controverse qu’il ne soit pas nécessaire d’en faire la preuve (voir Public School Boards’ Association of Alberta c Alberta (Procureur général), 2000 CSC 2 [School Boards’ Association], au par. 5). Elle affirme également que les conditions d’admissibilité en preuve des faits législatifs sont moins strictes que celles des faits en litige, qui concernent directement les parties au litige (voir Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086, p. 1099).
[32]
CropLife s’appuie notamment sur la récente décision Robinson c Canada (Procureur général), 2019 CF 876 [Robinson], aux paragraphes 52 à 54, dans laquelle le juge Gascon a pris connaissance d’office d’une politique d’émission des permis pour la pêche sous-tendant une décision dont le demandeur sollicitait le contrôle judiciaire. Toutefois, comme le soulignent les demandeurs, le juge Gascon a mentionné l’explication donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Edw. Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 [Edw. Leahy], au paragraphe 143, selon laquelle les tribunaux ne peuvent normalement pas admettre d’office les politiques ou les documents explicatifs. En fait, si ces politiques, documents ou lignes directrices administratives s’avèrent pertinents, ils doivent plutôt être traités de la même façon que les autres faits et devront normalement être identifiés et joints en annexe à l’affidavit produit à l’appui pour que la Cour puisse les examiner. Le juge Gascon a ensuite examiné les circonstances dans lesquelles le tribunal peut admettre d’office les faits. En tenant compte de ces principes, du fait que la politique pertinente et son contenu n’ont pas été contestés dans cette affaire particulière et de l’accord exprimé par les avocats des deux parties selon lequel la Cour pouvait prendre connaissance d’office de la politique, le juge Gascon était convaincu qu’il pouvait le faire.
[33]
Les demandeurs soutiennent qu’il est possible d’effectuer une distinction entre la décision Robinson et les faits en l’espèce, et je suis d’accord avec eux. De manière plus importante, les circonstances diffèrent parce que les demandeurs s’opposent à ce que la Cour prenne connaissance d’office des documents de politique sur lesquels CropLife souhaite s’appuyer. En l’absence de l’accord entre les parties, accord qui sous-tendait la décision rendue dans Robinson, je considère l’arrêt Edw. Leahy comme étant le jugement le plus pertinent en l’espèce.
[34]
Les demandeurs font également valoir l’explication donnée par la Cour suprême dans l’arrêt School Boards’ Association selon laquelle on ne peut, sous le couvert d’un fait législatif, saisir le tribunal d’un élément de preuve controversé, au détriment de la partie adverse, sans permettre convenablement à cette dernière d’en contester la véracité. Les demandeurs font valoir que l’une des politiques sur lesquelles CropLife souhaite s’appuyer porte la mention [traduction] « Archivée »
, ce qui donne à penser qu’elle pourrait ne plus être à jour. Ils soutiennent qu’à cette étape de l’instance, ils n’auraient pas la possibilité de contester la véracité des éléments de preuve que représentent les politiques ni d’y répondre.
[35]
Je juge que ces arguments sont convaincants. Bien que je ne comprenne pas que les demandeurs soutiennent que les documents d’orientation contestés ne sont pas des copies exactes de politiques qui existent ou ont existé à un moment donné, les demandeurs n’ont pas la possibilité de contester le caractère actuel des politiques ni d’examiner ou de présenter d’autres éléments de preuve se rattachant aux faits que CropLife souhaite établir au moyen des politiques, c’est-à-dire le processus de mise en œuvre de modifications à la suite d’une réévaluation effectuée en vertu de la Loi.
[36]
On peut soutenir que les demandeurs pourraient se voir accorder une telle possibilité grâce à la mesure de redressement subsidiaire qu’ils ont proposée dans cette requête, si la Cour refusait de radier les politiques du recueil et donnait plutôt aux demandeurs la possibilité de rassembler et de présenter des éléments de preuve en réponse, éventuellement avec un ajournement des dates d’audience imminentes, au besoin. Toutefois, un tel résultat ne serait pas conforme aux conditions selon lesquelles CropLife a demandé et obtenu le statut d’intervenante.
[37]
Si la Loi devait être interprétée comme le soutiennent les demandeurs, il ne fait aucun doute que CropLife aurait le droit de présenter des arguments quant aux conséquences pratiques défavorables pour les membres de CropLife, les producteurs agricoles et les autres utilisateurs de produits antiparasitaires. Sa requête en intervention soulevait expressément ce point comme l’un des sujets sur lesquels elle proposait de présenter des observations. Toutefois, ses observations écrites à l’appui de cette requête indiquaient aussi expressément qu’aucune preuve supplémentaire ne serait déposée. Dans l’ordonnance d’intervention, la protonotaire Tabib a mentionné ce qui suit au sujet du rôle de la preuve dans l’intervention de CropLife :
[traduction]
[...] La capacité de CropLife à présenter des observations sur les effets pratiques d’une interprétation particulière de la Loi pourrait être limitée par l’absence d’un dossier de preuve; toutefois, la Cour ne doute pas que l’expertise et l’expérience de CropLife relativement à la loi en cause lui permettent de présenter des observations utiles sur l’incidence et les effets éventuels d’une interprétation donnée de la Loi qui pourraient faire la lumière sur l’objet législatif, sans devoir présenter des éléments de preuve ou introduire de façon irrégulière des documents extrinsèques sous le couvert de la présentation d’un recueil de jurisprudence et de doctrine.
[Non souligné dans l’original.]
[38]
Le renvoi par la protonotaire au fait de ne pas introduire de façon irrégulière des documents extrinsèques sous le couvert de la présentation d’un recueil de jurisprudence et de doctrine est conforme au point exprimé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zaric c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 36 : des jugements récents donnent à penser que les parties qui présentent des requêtes en intervention devraient être déboutées lorsqu’elles entendent ajouter au dossier de preuve des éléments de preuve controversés en introduisant subrepticement des documents étrangers sous le couvert d’observations dans leurs mémoires ou sous le couvert de « sources »
dans leurs recueils de jurisprudence et de doctrine, ou encore en faisant des assertions factuelles dans l’espoir que le tribunal en prendra irrégulièrement connaissance d’office (au par. 14).
[39]
Il est clair que l’ordonnance d’intervention ne permet pas à CropLife d’élargir le dossier de preuve. L’ajout des quatre documents d’orientation de l’ARLA qui sont toujours en litige et des commentaires présentés par CropLife représenterait un tel élargissement. Pour en revenir à l’arrêt Ermineskin, j’attire l’attention sur l’argument de CropLife selon lequel, dans ce jugement, la Cour a refusé de radier du mémoire des appelants des renvois à la preuve sous forme de documents ou de rapports, préférant laisser ces objections à l’audition de l’appel. Toutefois, la Cour a radié du mémoire la partie nécessaire pour faire respecter une ordonnance antérieure de la Cour. À mon avis, le raisonnement dans l’arrêt Ermineskin appuie la conclusion selon laquelle la Cour devrait radier les quatre politiques du recueil de CropLife.
[40]
En arrivant à cette conclusion, j’ai eu égard à la position de CropLife selon laquelle la radiation de ces documents la priverait de la possibilité de présenter des observations qu’elle avait été autorisée à présenter quant à l’effet pratique de restreindre la capacité de l’ARLA de retarder la mise en œuvre d’une modification. Toutefois, il n’y a pas de contradiction entre ma conclusion et l’ordonnance d’intervention, car la protonotaire Tabib a expressément souligné la possibilité que ces observations soient limitées par l’absence d’un dossier de preuve. En outre, j’attire l’attention sur l’observation de CropLife dans le contexte de la présente requête, selon laquelle les déclarations contenues dans son mémoire, que les demandeurs cherchent à faire radier conjointement avec les quatre politiques dans le recueil, découlent dans l’ensemble de la Loi elle-même et des règlements pris en application de celle-ci. CropLife affirme que, même si certaines de ces déclarations font mention des quatre politiques figurant dans les notes en bas de page, il ne s’agit là que d’exemples, et les déclarations ne dépendent pas de ces politiques. Si CropLife peut appuyer ses observations relatives aux effets pratiques de l’interprétation législative invoquée par les demandeurs, en se fondant sur la Loi et les règlements, elle ne sera pas indûment gênée par la radiation des politiques.
[41]
Cela m’amène à la question de savoir s’il y a lieu de radier les paragraphes du mémoire qui, selon les demandeurs, contiennent des déclarations factuelles non étayées par des éléments de preuve dans le dossier dont la Cour est saisie. Il s’agit des paragraphes 18 à 20, 25 et 26, ainsi que de certains passages des paragraphes 28, 30, 33 et 34. Conformément au raisonnement dans l’arrêt Khadr, je refuse d’accorder cette mesure de redressement à titre interlocutoire. Conformément aux observations de CropLife sur la requête, certains de ces paragraphes font mention non seulement des quatre documents d’orientation et des commentaires présentés, mais également de la Loi, des règlements et de la politique de l’ARLA, lesquels font partie du dossier et sont au cœur de cette demande, ainsi que de la Politique sur la gestion des demandes d’homologation, dont l’inclusion ne suscite plus l’opposition des demandeurs. Les demandeurs pourront toujours faire valoir lors de l’audition de la demande que les éléments de preuve dans le dossier étayant les observations de CropLife sont insuffisants. Toutefois, il est préférable que la Cour prenne une telle décision une fois qu’elle bénéficiera de l’ensemble du dossier, suivant l’audition de la demande.
[42]
En ce qui concerne tout particulièrement les paragraphes 28, 30, 33 et 34, je constate que les passages contestés de ces paragraphes ne s’appuient pas sur les quatre documents d’orientation; les demandeurs soutiennent plutôt que ces déclarations ne sont étayées par aucune preuve, ou qu’elles représentent une tentative de CropLife de témoigner au moyen du mémoire. CropLife ne peut manifestement pas témoigner au moyen de son mémoire. Si les déclarations contestées dans le mémoire sont qualifiées à juste titre de tentatives de témoignage, elles ne seront pas prises en compte dans la décision relative à la demande. À l’instar des paragraphes précités, à mon avis, il est préférable de laisser au juge de l’audience le soin d’évaluer, en bénéficiant de l’ensemble du dossier, si les déclarations contestées représentent une tentative inappropriée de témoigner, par opposition à des arguments et, dans ce dernier cas, si les arguments reposent sur un fondement factuel nécessaire.
[43]
Pour conclure au sujet de cet élément de la requête, mon ordonnance radiera du recueil les quatre documents d’orientation en litige, ainsi que les mentions de ces politiques et les observations présentées des notes en bas de page du mémoire. Toutefois, je ne radierai pas les paragraphes ou les passages de paragraphes contestés du mémoire. Étant donné que les demandeurs n’ont eu gain de cause qu’en partie pour cet aspect de leur requête, j’ai examiné s’il était approprié d’accorder la mesure de redressement subsidiaire qu’ils demandent, c’est-à-dire l’autorisation de déposer des documents supplémentaires et un mémoire en réplique. Je refuse d’accorder cette mesure de redressement. Il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve auxquels les demandeurs doivent répondre et, en adoptant le même raisonnement que celui dans l’ordonnance d’intervention, l’audience sur le bien-fondé de la demande donnera aux demandeurs une occasion suffisante de répondre aux paragraphes du mémoire que j’ai refusé de radier.
(2)
Arguments sur des questions pour lesquelles CropLife n’a pas obtenu l’autorisation d’intervenir
[44]
Sous cette rubrique, les demandeurs cherchent à faire radier les paragraphes 39 et 40, 46 à 50, 51 (en partie) et 52 à 57 du mémoire de CropLife. Dans ces paragraphes, CropLife avance des arguments selon lesquels l’ARLA a le pouvoir implicite, en vertu de la Loi, d’établir des échéanciers de mise en œuvre des modifications à la suite d’une réévaluation, notamment des arguments sur la façon dont certaines dispositions de la Loi appuient cette interprétation. Les demandeurs soutiennent que la requête en intervention de CropLife ne visait pas à obtenir l’autorisation de présenter des arguments de cette nature et que ces arguments dépassent donc les conditions de l’ordonnance d’intervention. Ils indiquent que l’avis de requête de CropLife demandait l’autorisation de présenter des observations sur les trois sujets suivants seulement :
a) les conséquences pratiques très réelles et graves pour les membres de CropLife, les producteurs agricoles et les autres utilisateurs de produits antiparasitaires de l’adoption d’une vision étroite du pouvoir de l’ARLA de retarder la mise en œuvre des modifications, ainsi que les résultats absurdes et les contradictions irréconciliables entre la Loi et ses règlements qui s’ensuivraient;
b) la nécessité de définir les notions de
« risque »
et de« préjudice »
au par. 2(2) de la Loi d’une manière restrictive et conforme à l’esprit et à l’objet de la Loi pour éviter les conséquences pratiques susmentionnées;c) l’expertise de l’ARLA et la retenue dont il faut faire preuve à l’égard de son interprétation de la Loi, de sa loi constitutive et de son évaluation du risque dans un cas donné.
[45]
CropLife répond que la Cour ne doit pas se limiter à son avis de requête, et qu’elle doit tenir compte à la fois de ses observations écrites relatives à la requête et de l’ordonnance d’intervention elle-même, pour comprendre les conditions selon lesquelles l’autorisation lui a été accordée. En ce qui concerne le premier sujet mentionné dans son avis de requête, je constate qu’il existe peu de différence de fond entre les observations prévues de CropLife exprimées dans son avis de requête et celles exprimées dans ses observations écrites sur la requête. Elle fait également mention du passage suivant de l’ordonnance d’intervention (énoncé précédemment dans les présents motifs, mais maintenant avec différent passage souligné) :
[traduction]
[...] La capacité de CropLife à présenter des observations sur les effets pratiques d’une interprétation particulière de la Loi pourrait être limitée par l’absence d’un dossier de preuve; toutefois, la Cour ne doute pas que l’expertise et l’expérience de CropLife relativement à la loi en cause lui permettent de présenter des observations utiles sur l’incidence et les effets éventuels d’une interprétation donnée de la Loi qui pourraient faire la lumière sur l’objet législatif, sans devoir présenter des éléments de preuve ou introduire de façon irrégulière des documents extrinsèques sous le couvert de la présentation d’un recueil de jurisprudence et de doctrine.
[Non souligné dans l’original.]
[46]
CropLife soutient qu’il est évident qu’elle a demandé et obtenu l’autorisation de traiter des interprétations législatives proposées par les parties, notamment de présenter des observations à l’appui d’autres interprétations permettant d’éviter les résultats absurdes qui, à son avis, découleraient de l’interprétation proposée par les demandeurs. Je conclus que ni le dossier de requête de CropLife ni l’ordonnance d’intervention n’appuient cette conclusion. Ni l’un ni l’autre ne prévoit la présentation d’observations par CropLife, relativement au premier sujet décrit ci-dessus, sur la façon dont les dispositions de la Loi devraient être interprétées de manière à appuyer un pouvoir implicite de l’ARLA d’établir des échéanciers de mise en œuvre des modifications. Elle a plutôt obtenu l’autorisation de présenter des observations relatives à l’incidence d’une interprétation donnée de la Loi sur ses membres et les autres participants de l’industrie. Il ne s’ensuit pas qu’elle a le droit de présenter des observations sur la façon dont les dispositions de la Loi appuient une interprétation en particulier.
[47]
CropLife s’appuie également sur le troisième sujet relativement auquel elle a demandé (et obtenu) l’autorisation de présenter des observations. Elle fait valoir que ses observations écrites relatives à ce sujet quant à la requête en intervention expliquaient ses intentions de la façon suivante :
[traduction]
20 CropLife et ses membres sont tenus de traiter régulièrement avec l’ARLA et sont particulièrement bien placés pour témoigner de leur expertise en matière d’évaluation des risques et d’interprétation de la loi constitutive. L’industrie des produits antiparasitaires compte sur l’ARLA pour obtenir des directives claires et uniformes sur l’interprétation et l’application de la Loi et de ses règlements. Si les tribunaux sont autorisés à intervenir régulièrement dans l’exercice des pouvoirs de l’ARLA, cela minera le mandat que la loi confère à l’ARLA et entraînera l’application imprévisible de la Loi, d’une manière contraire à ses objets. En tant que représentante de l’ensemble de l’industrie de la lutte antiparasitaire, CropLife possède une connaissance spécialisée de la Loi et peut témoigner de la façon dont son libellé, son contexte et son objet affirment l’expertise de l’ARLA pour ce qui est de trancher des questions de fait et de droit.
[Non souligné dans l’original.]
[48]
Bien que cette observation fasse mention de l’intention de traiter du [traduction] « libellé, du contexte et de l’objet »
de la Loi, elle se rapporte à l’argument de CropLife quant à l’expertise de l’ARLA et à la retenue dont il faudrait ainsi faire preuve à l’égard de l’interprétation de la Loi par l’ARLA. Elle ne fait pas mention d’une intention de présenter des arguments, en se fondant sur le libellé de la Loi, pour appuyer une interprétation en particulier de la Loi.
[49]
CropLife renvoie la Cour à la déclaration de la Cour suprême dans l’arrêt Khadr selon laquelle les intervenants doivent avoir une certaine marge de manœuvre pour aborder les arguments de droit sous un angle différent de celui des parties, compte tenu de leur obligation de présenter un point de vue nouveau et différent (au par. 18). Bien que je souscrive à ce principe, la conclusion dans l’arrêt Khadr selon laquelle les intervenantes ne soulevaient pas de nouvelles questions reposait sur l’analyse de la Cour portant que les arguments invoqués par les intervenantes étaient ceux qu’elles avaient dit avoir l’intention de plaider lorsqu’elles avaient demandé l’autorisation d’intervenir. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
[50]
Je souscris à la position des demandeurs selon laquelle les passages contestés du mémoire font valoir des arguments qui dépassent la portée de l’autorisation accordée à CropLife aux termes de l’ordonnance d’intervention. Conformément au raisonnement dans l’arrêt Ermineskin, j’estime qu’il convient de radier ces paragraphes du mémoire.
(3)
Nouvelles questions qui n’ont pas été soulevées par les parties
[51]
Enfin, les demandeurs cherchent à faire radier les paragraphes 60 à 63 et 64 (en partie) du mémoire de CropLife. Dans ces paragraphes, CropLife avance des arguments selon lesquels l’ARLA a le pouvoir explicite en vertu de la Loi d’établir des échéanciers de mise en œuvre des modifications à la suite d’une réévaluation, en s’appuyant sur une interprétation particulière du paragraphe 21(3) de la Loi. Il ne s’agit pas d’un argument qui a avancé par l’un ou l’autre des défendeurs à l’appui de la décision.
[52]
Lors de l’audience, les parties ont exprimé leurs positions respectives sur la question de savoir si l’interprétation du paragraphe 21(3) proposée par CropLife représente une nouvelle question ou simplement un nouvel argument relatif à une question qui a déjà été soulevée par les autres parties. En l’espèce, rien ne dépend de cette qualification. Même s’il convient davantage de décrire l’interprétation du paragraphe 21(3) proposée par CropLife d’argument relatif à une question existante, celle-ci ne fait pas partie des sujets pour lesquels CropLife a demandé et obtenu l’autorisation d’intervenir. À l’instar des autres paragraphes qui font valoir des arguments en dehors de la portée de l’autorisation d’intervenir accordée à CropLife, je juge qu’il convient de radier ces paragraphes du mémoire.
V.
Les dépens
[53]
L’ordonnance d’intervention prévoit qu’aucuns dépens ne seront adjugés à CropLife ou contre elle, quelle que soit l’issue de cette instance. Toutefois, lors de l’audition de la présente requête, les demandeurs et CropLife ont chacun adopté la position selon laquelle la requête ne relève pas de la portée de l’ordonnance d’intervention en ce qui concerne les dépens et que, s’ils obtenaient gain de cause quant à la requête, une adjudication des dépens en leur faveur était appropriée. Toutefois, chacune des parties a également demandé une autre occasion de présenter des observations sur les dépens avant que des dépens ne soient adjugés à leur encontre. Mon ordonnance accordera à chacune des parties un court délai pour présenter de brèves observations écrites sur les dépens.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-784-19
LA COUR ORDONNE :
La requête des demandeurs est accueillie en partie.
Les documents se trouvant aux onglets 13, 14, 19 et 20 du recueil de jurisprudence et de doctrine de l’intervenante déposé à l’appui de cette demande de contrôle judiciaire sont par les présentes radiés. Les renvois à ces documents dans les notes de bas de page du mémoire des faits et du droit de l’intervenante déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce sont également radiés.
Les éléments suivants sont radiés du mémoire des faits et du droit de l’intervenante déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce :
la note de bas de page 30;
les paragraphes 39 et 40, 46 à 50, 52 à 57 et 60 à 63;
au paragraphe 51, les mots [traduction]
« Une distinction semblable devrait être faite entre la date d’entrée en vigueur de la modification et le pouvoir d’imposer une période de transition pour l’étiquetage et les autres exigences découlant des modifications. Le fait de ne pas faire cette distinction non seulement n’est pas conforme à l’esprit général de la Loi, mais donne également lieu à des résultats absurdes. »
;au paragraphe 64, les mots [traduction]
« Le paragraphe 21(3) ne vise que la question de savoir si le report de la date d’entrée en vigueur des modifications présenterait en soi des risques pour la santé et l’environnement. »
Les demandeurs doivent signifier et déposer des observations écrites sur les dépens liés à la présente requête, d’une longueur maximale de deux pages, dans les deux jours suivant la date de la présente ordonnance. L’intervenante signifie et dépose des observations écrites sur les dépens liés à la présente requête, d’une longueur maximale de deux pages, dans les deux jours suivant la signification des observations des demandeurs.
« Richard F. Southcott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 5e jour de janvier 2020
Maxime Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-784-19
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INTITULÉ :
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FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ÉQUITERRE et WILDERNESS COMMITTEE c LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SYNGENTA CANADA et CROPLIFE CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 NOVEMBRE 2019
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE SOUTHCOTT
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 20 NOVEMBRE 2019
|
COMPARUTIONS :
Robert Wright
Sue Tan
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POUR LES DEMANDEURS
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Andrea Bourke
Karen Lovell
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POUR LES DÉFENDEURS
(Représentant le ministre de la Santé)
|
John P. Brown
Stephanie Sugar
Leah Ostler
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POUR LES DÉFENDEURS
(Représentant Syngenta Canada Inc.)
|
Benedict Wray
|
POUR L’INTERVENANTE
(Représentant CropLife Canada)
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ecojustice
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDEURS
(Représentant le ministre de la Santé)
|
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDEURS
(Représentant Syngenta Canada Inc.)
|
Norton Rose Fulbright
Ottawa (Ontario)
|
POUR L’INTERVENANTE
(Représentant CropLife Canada)
|