Date : 20031126
Dossier : IMM-3884-01
Référence : 2003 CF 1389
Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE
ENTRE :
AMIR HOSSEIN KOJOURI
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision en date du 18 juin 2001 dans laquelle un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à Londres (Angleterre) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur.
[2] Le demandeur sollicite :
1. un bref de certiorari cassant la décision de l'agent des visas;
2. un bref de mandamus enjoignant au défendeur d'examiner et de traiter la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur conformément aux dispositions de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, c'est-à-dire :
a) de demander à un autre bureau des visas ou à un autre agent des visas, ou aux deux à la fois, d'apprécier à nouveau le demandeur suivant les facteurs « expérience » , « facteur professionnel » , « personnalité » et « connaissance de l'anglais » ;
b) si la demande du demandeur suscite des réserves chez le défendeur, de faire part des réserves en question au demandeur afin de lui donner la possibilité de les dissiper;
3. les dépens de la présente demande;
4. toute autre mesure de réparation que la Cour estime juste et équitable dans les circonstances.
Contexte
[3] Le demandeur est un citoyen iranien. Le 30 janvier 2000, l'ambassade du Canada a reçu la demande de résidence permanente au Canada qu'il a présentée en tant que demandeur indépendant envisageant d'exercer la profession de perfusionniste cardio-vasculaire. Le demandeur est un médecin.
[4] Le 10 juin 2001, le demandeur a participé à une entrevue.
[5] L'agent des visas a rejeté la demande du demandeur dans une lettre en date du 18 juin 2001. La lettre en question contenait le passage suivant :
[traduction] [...] Vous avez été apprécié en fonction des conditions d'accès à la profession suivante : perfusionniste cardio-vasculaire, CNP 3214.2. Vous trouverez ci-dessous les points d'appréciation qui vous ont été attribués pour chacun des critères de sélection :
Âge 10
Facteur professionnel 0
Études et formation 15
Expérience 0
Emploi réservé ou profession désignée 0
Facteur démographique 8
Études 16
Connaissance de l'anglais 6
Connaissance du français 0
Personnalité 6
TOTAL 61
Le nombre de points d'appréciation qui vous ont été attribués à la suite de l'entrevue est insuffisant pour vous permettre d'obtenir le statut d'immigrant au Canada, un parent aidé devant obtenir au moins 65 points d'appréciation en application de l'alinéa 10(1)b) du Règlement sur l'immigration de 1978.
[...]
[6] C'est cette décision de l'agent des visas que vise la présente demande de contrôle judiciaire.
Les prétentions du demandeur
[7] Le demandeur fait valoir que si l'agent des visas doutait de l'authenticité des documents qui avaient été mis à sa disposition, il aurait dû demander des renseignements supplémentaires à leur auteur. Le demandeur soutient que l'agent des visas s'était fait une idée sur la validité des documents malgré que le fait qu'il connaissait mal les documents iraniens. Il affirme que l'agent aurait dû envoyer les documents à l'ambassade du Canada à Téhéran, pour qu'elle puisse en vérifier l'authenticité.
[8] Le demandeur fait valoir que l'agent des visas a omis de prendre en considération l'ensemble de sa formation lorsqu'il l'a évalué en fonction des conditions d'accès à la profession de perfusionniste cardio-vasculaire établies dans la CNP. Selon le demandeur, il va de soi qu'un médecin possède des connaissances équivalentes ou supérieures à celles d'une personne ayant une formation en soins infirmiers, formation que doit posséder un perfusionniste cardio-vasculaire selon la catégorie 3214 de la CNP. Le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur en ne lui attribuant aucun point relativement au facteur « expérience » .
[9] Le demandeur soutient que l'agent des visas aurait dû lui faire part des préoccupations qu'il avait au sujet des répercussions que les changements survenus sur le marché du travail avaient pu avoir sur son offre d'emploi, et ce, pour lui donner la possibilité d'y répondre et de les dissiper.
Les prétentions du défendeur
[10] Le défendeur soutient que l'agent des visas pouvait raisonnablement rejeter la demande de résidence permanente du demandeur. Il affirme que l'agent des visas n'était pas convaincu que le demandeur avait accompli les fonctions d'un perfusionniste cardio-vasculaire en raison de plusieurs éléments, y compris du fait que le demandeur n'avait pas fourni de relevés de notes attestant qu'il avait suivi la formation nécessaire, ainsi que du fait que les lettres de recommandation faisant état des fonctions qu'il avait remplies reprenaient textuellement la description contenue dans la CNP. Le défendeur soutient donc que l'agent des visas pouvait raisonnablement avoir des doutes au sujet l'authenticité des lettres et, partant, sur la formation et l'expérience de travail du demandeur. Le défendeur fait valoir que dans les circonstances, l'agent des visas n'était pas tenu de se renseigner davantage étant donné qu'il avait informé le demandeur qu'il avait des réserves quant à sa formation et à son expérience, et qu'il avait donné au demandeur la possibilité de répondre à ces réserves.
[11] Le défendeur affirme que le fait que le demandeur soit médecin n'implique pas nécessairement qu'il satisfait aux conditions d'accès aux différentes professions du domaine médical qui sont établies dans la CNP. Il soutient que l'agent des visas pouvait raisonnablement n'attribuer aucun point au facteur « expérience » parce qu'il n'était pas convaincu que le demandeur satisfaisait aux conditions d'accès à la profession de perfusionniste cardio-vasculaire ou qu'il avait accompli une partie importante des fonctions principales énumérées à la catégorie 3214 de la CNP.
[12] Le défendeur affirme que l'agent des visas pouvait raisonnablement demander au demandeur de lui fournir des documents comme l'offre d'emploi, et ce, afin de déterminer s'il y existait des faits nouveaux ou des offres d'emploi plus récentes. Il fait valoir que la décision de l'agent des visas n'était pas fondée sur la situation sur le marché du travail, mais que l'agent s'est plutôt servi de la lettre pour apprécier le demandeur suivant les facteurs « personnalité » et « emploi réservé » .
Les questions en litige
[13] Le demandeur résume les questions en litige de la façon suivante :
1. L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en omettant de demander des renseignements supplémentaires à l'auteur des documents qui lui avaient été présentés et dont il doutait de l'authenticité?
2. L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en omettant d'évaluer l'ensemble de la formation du demandeur en fonction des conditions d'accès à la profession de perfusionniste cardio-vasculaire établies dans la CNP?
3. L'agent des visas a-t-il omis d'observer le principe de l'équité procédurale et commis une erreur de droit en privant le demandeur de la possibilité de dissiper les préoccupations qu'il avait au sujet de l'incidence que les changements qui s'étaient produits sur le marché du travail avaient pu avoir sur l'offre d'emploi du demandeur?
[14] Le défendeur résume ainsi la question en litige :
1. L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit ou de fait, ou a-t-il omis d'observer le principe de l'équité procédurale?
Dispositions légales et réglementaires applicables
[15] Le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, précitée, énonce :
8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.
|
8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person. |
[16] Les paragraphes pertinents du Règlement sur l'immigration, précité, édictent :
8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint : |
8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant |
a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;
[...] |
(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;
. . . |
(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à-vis de ce facteur.
[...] |
(2) A visa officer shall award to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in Column I of Schedule I the appropriate number of units of assessment for each factor in accordance with the criteria set out in Column II thereof opposite that factor, but he shall not award for any factor more units of assessment than the maximum number set out in Column III thereof opposite that factor.
. . . |
10. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (1.2) et de l'article 11, lorsqu'un parent aidé présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge qui l'accompagnent si les conditions suivantes sont réunies :
[...] |
10. (1) Subject to subsections (1.1) and (1.2) and section 11, where an assisted relative makes an application for an immigrant visa, a visa officer may issue an immigrant visa to the assisted relative and accompanying dependants of the assisted relative if
. . . |
b) dans le cas du parent aidé qui entend résider au Canada ailleurs qu'au Québec, sur la base de l'appréciation visée à l'article 8, le parent aidé obtient au moins 65 points d'appréciation;
|
(b) in the case of an assisted relative who intends to reside in a place other than the Province of Quebec, on the basis of an assessment made in accordance with section 8, the assisted relative is awarded at least 65 units of assessment; and |
Analyse et décision
[17] Première question
L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en omettant de demander des renseignements supplémentaires à l'auteur des documents qui lui avaient été présentés et dont il doutait de l'authenticité?
Le demandeur a fourni trois lettres pour démontrer qu'il possédait la formation et l'expérience de travail nécessaires pour exercer la profession de perfusionniste cardio-vasculaire :
1. Une lettre datée du 31 mai 2001, écrite sur du papier à en-tête de la Shiraz University of Medical Sciences (la version traduite de la lettre figure à la page 35 du dossier du tribunal), attestant que le demandeur a exercé les fonctions de perfusionniste cardio-vasculaire. La lettre reprend textuellement toutes les fonctions d'un perfusionniste cardio-vasculaire énumérées à la catégorie 3214 de la CNP. La lettre qui a été présentée était une traduction de la lettre originale, rédigée en persan.
2. Une lettre datée du 3 juin 2001 (qui figure à la page 37 du dossier du tribunal), écrite sur du papier à en-tête de DENA Medical Group, attestant que le demandeur a assumé les fonctions de perfusionniste cardio-vasculaire à l'hôpital.
3. Une lettre non datée écrite sur du papier à en-tête de la faculté de chirurgie de la Shiraz University Medical School (qui figure à la page 109 du dossier du tribunal), attestant que le demandeur a suivi une formation clinique en perfusion cardio-vasculaire d'une durée d'un an à l'hôpital Faghihy. On y énonce que le demandeur a réussi aux examens théoriques et cliniques, et qu'il est en mesure d'effectuer diverses tâches dans la salle d'opération pour chirurgies du coeur. La lettre reprend mot pour mot les fonctions d'un perfusionniste cardio-vasculaire énumérées à la catégorie 3214 de la CNP.
[18] L'agent des visas était préoccupé par le fait que deux des lettres fournies par le demandeur reprenaient textuellement les fonctions énumérées à la catégorie 3214 de la CNP (perfusionniste cardio-vasculaire). Il a par conséquent conclu que ces documents n'étaient pas dignes de foi, et qu'il en était de même des renseignements touchant la formation et l'expérience de travail du demandeur. Même s'il est vrai que l'agent des visas a exprimé quelques réserves au sujet de la formation et de l'expérience du demandeur lors de l'entrevue, il n'a ni donné au demandeur la possibilité de répondre aux réserves particulières qu'il avait concernant l'authenticité des lettres, ni essayé d'obtenir des renseignements additionnels pour déterminer si les lettres étaient authentiques. Le contre-interrogatoire de l'agent des visas a permis de démontrer qu'il n'était pas sûr si le cachet de certification ne visait que la traduction. La question de la certification de l'authenticité des lettres aurait dû faire l'objet d'une vérification.
[19] Je suis d'avis que l'agent des visas a commis des erreurs susceptibles de contrôle en omettant d'obtenir des renseignements supplémentaires et en omettant d'informer le demandeur des doutes qui l'ont amené à conclure que les documents n'étaient pas dignes de foi. Ceci est compatible avec la décision Huyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1267 (C.F 1re inst.), 2001 CFPI 904, dans laquelle le juge Lemieux a dit ce qui suit au paragraphe 5 :
De plus, l'agente des visas a rejeté un élément de preuve documentaire établissant que la demanderesse avait travaillé comme cuisinière dans un restaurant du Vietnam, parce que l'attestation n'était pas sur papier à en-tête et qu'elle était manuscrite. Je conclus que le rejet d'un élément de preuve documentaire pour ces seules raisons, sans autre vérification, est déraisonnable.
Eu égard aux circonstances de la présente affaire, les erreurs en question constituent un manquement à l'obligation de l'agent des visas d'agir avec équité envers le demandeur.
[20] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.
[21] Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé concernant cette question, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur les autres questions soulevées dans la présente demande.
[22] Le demandeur a proposé la question suivante comme question grave de portée générale suivante aux fins de certification :
[traduction] Les moyens énumérés dans la Classification nationale des professions constituent-ils la seule façon de satisfaire à une condition d'accès à la profession obligatoire établie dans la Classification nationale des professions?
Je ne suis pas disposé à certifier cette question parce que je ne crois pas qu'il s'agit d'une question grave de portée générale ayant un effet déterminant sur la présente demande. Je tiens à signaler que la Cour a refusé de certifier des questions semblables dans le passé.
ORDONNANCE
[23] LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.
_ John A. O'Keefe _
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 26 novembre 2003
Traduction certifiée conforme
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3884-01
INTITULÉ : AMIR HOSSEIN KOJOURI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 29 MAI 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET
ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE 26 NOVEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
M. Max Chaudhary POUR LE DEMANDEUR
Angela Marinos POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Max Chaudhary POUR LE DEMANDEUR
North York (Ontario)
Morris Rosenberg, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada