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Date : 20191216


Dossier : T-522-19

Référence : 2019 CF 1609

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

KONSTANTINOS XANTHOPOULOS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Les présents motifs concernent trois requêtes écrites présentées par les parties en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS 98-106 (les Règles), peu de temps avant l’instruction de la demande qui devait avoir lieu les 11 et 12 décembre 2019.

I.  Vue d’ensemble

[2]  L’instance au principal est une demande de contrôle judiciaire présentée par un demandeur non représenté par avocat, Konstantinos Xanthopoulos, contre les défendeurs, le procureur général du Canada, le ministre de la Sécurité publique de la Protection civile [le ministre], au nom de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], et le commissaire de la GRC [le commissaire]. Avec le consentement des parties, la Cour modifie l’intitulé de la cause de façon à ce que le ministre et le commissaire n’y figurent plus comme parties à l’instance, puisque le seul défendeur légitime est le procureur général du Canada [le défendeur].

[3]  Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision en date du 21 mars 2019 par laquelle le comité de déontologie de la GRC [le comité de déontologie] lui a donné l’ordre de démissionner de la Gendarmerie et a recommandé que, faute par lui de s’exécuter dans les 14 jours suivants, il soit congédié de la Gendarmerie en vertu de l’alinéa 45(4)b) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 [la Loi].

[4]  Après avoir reçu signification du dossier du demandeur, le défendeur a déposé un mémoire des faits et du droit, le 26 juillet 2019. À titre d’exception préliminaire, le défendeur soutient que la demande devrait être rejetée parce qu’elle est prématurée, le demandeur n’ayant pas exercé l’autre recours valable qui lui était ouvert, en l’occurrence le droit d’appel que lui confère la Loi et ses règlements d’application.

[5]  Le 5 septembre 2019, une ordonnance a été rendue pour fixer la date d’instruction de la demande.

II.  Requêtes interlocutoires présentées par les parties

[6]  Le 19 novembre 2019, le défendeur a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance radiant l’avis de demande, sans autorisation de modification, et rejetant la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est prématurée. Au lieu de signifier et de déposer un dossier de requête en réponse, le demandeur a produit, le 3 décembre 2019, une requête distincte dans laquelle il réclamait la communication de documents dont il affirmait avoir besoin pour être en mesure de répondre à la requête du défendeur. La requête a été reçue par le greffe, mais son dépôt a été suspendu en attendant des directives de la Cour.

[7]  Le 9 décembre 2019, le demandeur a présenté une deuxième requête dans laquelle il sollicitait l’autorisation d’être représenté à l’audience par un non-juriste, le caporal Ryan Letnes. Le greffe a accepté le dépôt de la requête sans demander de directives à la Cour.

[8]  À l’audience du 11 décembre 2019, après quelques échanges entre le demandeur et l’avocat du défendeur, les parties ont convenu de procéder de la façon suivante.

[9]  Premièrement, la requête en communication de documents du demandeur sera acceptée en vue de son dépôt.

[10]  Deuxièmement, l’identité de la femme avec laquelle le demandeur aurait eu une conduite déshonorante (allégation n2 de la décision du comité de déontologie) sera gardée confidentielle dans toute décision que rendra notre Cour.

[11]  Troisièmement, la requête présentée par le demandeur en vue d’être représenté par un membre de la GRC devra être instruite en premier, suivie de la requête en communication de documents du demandeur, puis de la requête en radiation du défendeur.

A.  Requête présentée par le demandeur en vue d’être représenté

[12]  Le demandeur sollicite, en vertu de l’article 3 des Règles, une ordonnance lui permettant d’être représenté par le caporal Letnes à l’audience. Le défendeur conteste cette requête.

[13]  À l’appui de sa requête, le demandeur a souscrit un affidavit dans lequel il invoque trois raisons qui l’empêchent d’agir en son nom personnel.

[14]  Il invoque en premier lieu son incapacité médicale. Il affirme qu’il a reçu en mai 2018 un diagnostic de trouble d’adaptation grave accompagné de problèmes d’anxiété et d’une gastrite causée par le stress. Le demandeur affirme qu’il est incapable de faire face aux problèmes de la vie courante ou au stress. Son médecin traitant lui a conseillé d’éviter tous les principaux facteurs de stress [traduction] « surtout ceux liés à la GRC ». Il a joint à son affidavit une copie de la lettre rédigée en ce sens, le 31 mai 2018, par le docteur Sean Petrovic.

[15]  La deuxième raison qu’il fait valoir est son indigence. Le demandeur affirme qu’il n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat parce que [traduction] « [son] nom a été retiré de la liste de paye ».

[16]  La troisième raison qu’il avance est sa faible connaissance de l’anglais. Le demandeur déclare que sa langue maternelle est le grec, qui est la seule langue qu’il parle couramment. Il affirme qu’en raison de son fort accent grec, il a du mal à exprimer clairement en anglais des politiques ou des énoncés juridiques.

[17]  Le demandeur invoque également l’affidavit du caporal Letnes, par qui il souhaite être représenté. Le caporal Letnes affirme qu’il est membre de la GRC depuis le 2 octobre 2000 et qu’il est présentement en congé de maladie. Le caporal Letnes explique qu’il a aidé le demandeur à s’y retrouver dans la procédure à suivre pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il soutient qu’il a acquis une vaste expérience dans le domaine judiciaire, notamment dans la conduite de procès, l’interrogatoire de témoins et la présentation d’observations orales dans des instances relatives à l’application de lois provinciales. Il affirme être un expert en matière d’enquêtes internes sur des questions de déontologie.

[18]  En règle générale, quiconque comparaît devant les Cours fédérales doit agir seul ou se faire représenter par un avocat (article 119 des Règles). Dans les arrêts Erdmann c Canada, 2001 CAF 138, et Scheuneman c Canada (Procureur général), 2003 CAF 439, la Cour d’appel fédérale a évoqué la possibilité que la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire inhérent de permettre à des non juristes de représenter des parties lorsque les intérêts de la justice le commandent. Il n’en demeure pas moins qu’il doit exister des circonstances inhabituelles ou exceptionnelles pour que notre Cour puisse exercer un pouvoir discrétionnaire résiduel. J’estime qu’il n’existe pas de telles circonstances dans le cas qui nous occupe.

[19]  Bien que je reconnaisse que le demandeur peut avoir souffert de troubles psychologiques et physiques causés par le stress en mai 2018 et que la maladie a pu l’empêcher de se présenter au travail chaque jour, je ne dispose d’aucune preuve médicale à jour démontrant que le demandeur est incapable de présenter des observations en son propre nom à une audience de notre Cour.

[20]  En tout état de cause, même si le demandeur était effectivement incapable d’agir seul pour des raisons d’ordre médical, il n’a pas réussi à démontrer la raison pour laquelle la seule solution de rechange consiste à engager un non juriste pour le représenter. Le demandeur affirme sans ambages qu’il n’a pas les moyens de se payer un avocat parce que son nom [traduction] « a été retiré de la liste de paye ». Il n’a toutefois soumis aucun renseignement sur sa situation financière, comme ses actifs, ses passifs ou ses autres sources de revenus, ou sur sa capacité d’obtenir de l’aide financière sous forme de prêt ou d’aide volontaire de la part de sa famille ou de ses amis.

[21]  Par ailleurs, l’argument du demandeur selon lequel il ne peut pas s’exprimer clairement en anglais n’est tout simplement pas fondé. Il faudrait être crédule pour imaginer qu’un membre de la GRC, qui a selon toute vraisemblance suivi une formation échelonnée sur un certain nombre d’années avant d’être admis au sein de la GRC, serait incapable de s’exprimer dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du pays. Je constate par ailleurs qu’il n’a eu aucune difficulté à s’exprimer en anglais à l’audience.

[22]  De plus, les intérêts de la justice ne militent pas en faveur du demandeur, compte tenu de la production tardive de sa requête. Il n’a pas expliqué pourquoi il avait attendu jusqu’à quelques jours avant l’audience avant de soulever la question de sa représentation en justice.

[23]  Enfin, je me suis également demandé s’il y avait lieu en l’espèce d’accorder au caporal Letnes l’autorisation de représenter le demandeur même s’il n’est pas juriste. À mon avis, il n’y a pas lieu de le faire.

[24]  Bien que le caporal Letnes puisse s’y connaître très bien en ce qui concerne les affaires criminelles et les enquêtes déontologiques internes, il semble qu’il ait acquis son expérience exclusivement à l’occasion des procédures disciplinaires et des instances en contrôle judiciaire auxquelles il a participé à titre personnel (dossiers de la Cour nos T-343-19 et T-642-19). Ces affaires sont bien différentes de celle du demandeur et elles portaient sur des questions et problèmes en milieu de travail au sein de la GRC qui étaient bien différents.

[25]  Je me demande également si la situation personnelle du caporal Letnes ne joue pas sur son aptitude à agir de façon impartiale et dans l’intérêt du demandeur. On peut à juste titre craindre que le caporal Letnes se serve du cas du demandeur pour faire avancer son propre dossier.

[26]  De plus, je ne suis pas convaincu que le caporal Letnes saisit bien la nature du contrôle judiciaire ou qu’il comprend la procédure à suivre. Le caporal Letnes affirme dans son affidavit qu’il a aidé le requérant à s’y retrouver dans le processus de contrôle judiciaire. Il a probablement participé à la rédaction de l’avis de demande qui, à première vue, ne reconnaît pas la compétence limitée qu’a notre Cour pour accorder une réparation dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[27]  Dans ses conclusions, le demandeur sollicite une ordonnance déclarant illégal l’ordre donné par le comité de déontologie. Or, au lieu de solliciter une ordonnance annulant la décision du comité de déontologie et lui renvoyant l’affaire pour réexamen, le demandeur sollicite une ordonnance enjoignant à la GRC de le réintégrer dans ses rangs. La Cour ne peut accorder ce type de réparation lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire.

[28]  De plus, parmi les moyens qu’il invoque au soutien de sa demande dans son avis de demande, le demandeur affirme que le droit d’appel que lui confère les Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014-289, ne constitue pas un recours subsidiaire valable au contrôle judiciaire. Le demandeur n’a toutefois présenté aucune preuve tendant à démontrer que son droit d’appel légal auprès du commissaire était inadéquat.

[29]  Le caporal Letnes n’est pas un avocat et il n’a donc pas le droit de plaider devant les tribunaux supérieurs canadiens à quelque titre que ce soit. Comme la juge Jocelyne Gagné (maintenant juge en chef adjointe) l’a déclaré dans la décision Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669, par. 11, notre Cour devrait éviter d’encourager la pratique illégale du droit.

[30]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la participation du caporal Letnes en tant que représentant du demandeur n’aiderait probablement pas la Cour à trancher les questions soulevées dans la présente demande et qu’elle risque fort de nuire au demandeur. La requête en désignation d’un représentant présentée par le demandeur est par conséquent rejetée. Le demandeur doit se charger lui-même de la conduite de l’instance ou engager un avocat.

B.  Requête en communication de documents du demandeur et requête en radiation du défendeur

[31]  Le demandeur affirme qu’il n’est pas en mesure de bien répondre à la requête en radiation du défendeur sans les éléments de preuve qu’il réclame dans sa requête en communication de documents. Il affirme également que les mêmes éléments de preuve sont nécessaires pour pouvoir répondre à l’argument du défendeur suivant lequel la demande de contrôle judiciaire est prématurée.

[32]  Dans sa lettre du 3 décembre 2019, l’avocate du défendeur explique que ce dernier ne s’opposera pas à ce que l’instruction de la demande contrôle judiciaire soit ajournée afin de permettre au demandeur de faire les démarches nécessaires pour être représenté par un avocat en l’espèce. À l’audience, l’avocate a déclaré que le défendeur n’était pas disposé à répondre à la requête en communication de documents, car cette requête avait été signifiée tardivement et que la Cour venait à peine de la recevoir et ne l’avait pas encore déposée.

[33]  Les parties ont finalement convenu que l’instruction de la demande contrôle judiciaire devait être ajournée jusqu’à ce que la Cour ait tranché les deux requêtes interlocutoires en suspens.


ORDONNANCE dans le dossier T-1282-19

LA COUR :

  1. REJETTE la requête en autorisation présentée par le demandeur en vue d’être représenté par le caporal Letnes;

  2. MODIFIE avec effet immédiat l’intitulé de la cause, de façon à ce que le ministre de la Sécurité publique, au nom de la Gendarmerie royale du Canada, et le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada n’y figurent plus à titre de défendeurs;

  3. ACCEPTE la requête en communication de documents du demandeur en vue de son dépôt. Le délai de la signification et du dépôt du dossier de requête en réponse commencera à courir le 11 décembre 2019. La requête sera renvoyée à un juge pour décision après l’expiration des délais fixés à l’article 369 des Règles.

  4. ORDONNE au demandeur de signifier et de déposer un dossier de requête en réponse à la requête en radiation du défendeur dans les 14 jours de la date de réception de tout document dont la Cour aura ordonné la communication ou du rejet de sa requête en communication de documents. Le soussigné demeure saisi de la requête en radiation du défendeur.

  5. AJOURNE l’instruction de la demande de contrôle judiciaire à une date que la Cour fixera, au besoin, après avoir tranché la requête en communication du demandeur et la requête en radiation du défendeur;

  6. DÉCLARE que la question des dépens afférents à la requête en représentation du demandeur sera examinée une fois que la requête en radiation du défendeur aura été tranchée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-522-19

INTITULÉ :

KONSTANTINOS XANTHOPOULOS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 décembre 2019

Ordonnance et motifs :

Le juge Lafrenière

DATE DES MOTIFS:

Le 16 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Konstantinos Xanthopoulos

LE demandeur, pour son propre compte

Suzanne Pereira

Courtenay Landsiedel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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