Date : 20021128
Dossier: IMM-5505-00
Référence neutre : 2002 CFPI 1223
Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2002
En présence de: Monsieur le juge Blais
ENTRE
RADHA RANI SHARMA
demanderesse
-et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale visant le contrôle judiciaire de la décision datée du 11 septembre 2000, par laquelle l'agente des visas Mona Z. Fahmy [l'agente des visas] de l'ambassade du Canada au Caire, en Égypte, a refusé d'accorder à la demanderesse le statut de résident permanent au Canada.
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LES FAITS
[2] La demanderesse, née le 20 septembre 1955, est citoyenne de l'Inde. Elle est mariée et mère de trois enfants. Elle a présenté la demande en tant que demanderesse principale, vu que son époux et elle remplissaient les conditions nécessaires.
[3] Le 22 août 2000, la demanderesse a rencontré l'agente des visas en entrevue à l'ambassade du Canada au Caire, en Égypte. La demanderesse a modifié le statut de ses personnes à charge pour qu'elles l'accompagnent. Au cours de l'entrevue, l'agente des visas a inscrit des notes dans le dossier informatisé de la demanderesse [notes STIDI] tout en l'interrogeant sur son expérience de travail et son niveau d'études.
[4] En juin 1971, elle a terminé un baccalauréat en arts de l'Université Gorakhpur. En juin 1973, la demanderesse a terminé une maîtrise ès arts en psychologie puis, en 1979, un doctorat en psychologie, tous deux de l'Universitéhindoue Banaras à Vanarasi.
[5] Comme l'atteste son formulaire de Demande de résidence permanente au Canada [formulaire de demande], la demanderesse travaille actuellement comme professeur à l'école de gestion FORE. Lors de l'entrevue, elle a modifié son formulaire de demande pour ajouter qu'elle occupait actuellement le poste de psychologue au centre médical RM mais, contrairement à ses autres expériences de travail, elle ne pouvait l'étayer par une lettre de référence. Son travail
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consistait autrement à occuper essentiellement les postes de chargé de cours, de lecteur et de professeur. La demanderesse a travaillépendant un an et demi au Centre de formation des enfants ayant une déficience mentale, le seul autre poste de psychologue qu'elle a occupé. Cependant, sa lettre de référence indique qu'elle a été embauchée comme professeur et le mot « psychologue » semble avoir été ajouté dans une autre police de caractères. Selon la demanderesse, cela s'explique par le fait que le directeur voulait initialement qu'elle travaille uniquement comme professeur, mais elle a insisté pour qu'il insère le mot « psychologue » .
[6] Selon l'agente des visas, compte tenu des normes établies dans la Classification nationale des professions, la demanderesse ne pouvait prétendre au statut de psychologue [CNP 4151.0], ni à celui d'agente de programmes, recherchiste et experte-conseil en politiques de l'enseignement [CNP 4166.0] puisqu'elle ne satisfaisait pas aux conditions d'accès; la demanderesse ne pouvait prétendre non plus au statut de conseillère familiale, conseillère matrimoniale et personnel assimilé [CNP 4153.0] puisqu'elle n'avait à son actif aucune expérience relativement à ces fonctions.
[7] Le paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration ne permet pas à l'agent des visas de délivrer un visa d'immigrant aux candidats, dans la catégorie dans laquelle ceux-ci ont présenté leur demande, qui n'ont reçu aucun point d'appréciation au titre du facteur professionnel. Comme l'agente des visas n'a pu lui décerner de point d'appréciation au titre du facteur
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professionnel, la demanderesse a été avisée par une lettre datée du 11 septembre 2000 que sa demande de résidence permanente au Canada avait été rejetée.
QUESTION EN LITIGE
[8] L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions d'accès habituellement exigées dans la description de la CNP?
ANALYSE Norme de contrôle
[9] Il est d'abord et avant tout nécessaire de déterminer la norme de contrôle applicable à la
décision d'un agent des visas. Dans l'arrêt To c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1996]
A.C.F. n º 696 (C.A.F.), la Cour a déclaré
[par 2] La demande d'entrée au Canada de l'appelant à titre d' « entrepreneur » immigrant originaire de Hong Kong a donné lieu à une décision discrétionnaire de la part de l'agente d'immigration, décision qui devait être prise en fonction de critères précisés dans la loi. L'appelant avait l'intention d'établir une entreprise au Canada. Le fait qu'il était « en mesure » de le faire était l'un des critères applicables.
[par 3] En l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas convaincue que l'appelant avait soit le sens des affaires soit les ressources pécuniaires personnelles nécessaires pour établir une entreprise au pays. Nous sommes d'accord avec le juge en chef adjoint Jerome qu'il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autre, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge Mclntyre déclare ce qui suit au nom de la Cour:
C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé
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par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
[10] Notre Cour a statué que la décision prise par l'agente des visas était de nature discrétionnaire. La question de savoir si la demanderesse avait les diplômes et l'expérience requis pour la profession qu'elle demande à exercer est factuelle. Le fait que la Cour puisse être arrivée à une conclusion différente au vu de la preuve ne lui permet pas de modifier à la légère une décision discrétionnaire. Il semblerait donc que la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent des visas soit celle de la décision manifestement déraisonnable.
L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions d'accès habituellement exigées dans la description de la CNP?
[111 Oui, l'agente des visas a commis une erreur en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions d'accès habituellement exigées dans la description de la CNP.
Expérience de travail
[12] Le facteur 4 de l'annexe 1 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
[Annexe 1 ] prévoit
Des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada dans la profession
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a) à l'égard de laquelle le requérant satisfait aux conditions d'accès, pour le Canada, établies dans la Classification nationale des professions;
b) pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions, dont les fonctions essentielles;
c) que le requérant est prêt à exercer au Canada.
[13] Tel qu'il appert de son affidavit et des notes STIDI, l'agente des visas a conclu que la demanderesse n'avait pas rempli les exigences en matière d'études et de formation pour la profession de psychologue, puisqu'elle n'a pas effectué un stage d'expérience pratique supervisé habituellement exigé par la CNP, pas plus qu'elle n'a rempli les exigences en matière d'études et de formation pour la profession de recherchiste et d'experte-conseil en politiques de l'enseignement, puisqu'elle ne détenait pas le brevet d'enseignement, lui aussi habituellement exigé par la CNP.
[14] L'agente des visas aurait dû se demander s'il existait d'importants facteurs susceptibles, en toute probabilité, de permettre à la demanderesse de surmonter l'obstacle de n'avoir rempli
aucune des exigences habituelles.
[15] Dans l'affaire Karathanos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l Immigration), (1999),3 Imm. L.R. (3d) 106, (1999) 176 F.T.R. 296, [1999] A.C.F. n º 1528, madame le juge Sharlow a déterminé que des conditions d'accès « habituellement exigée[s] » ne signifiaient pas qu'elles étaient exigées. L'affaire Chaudhary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
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l'Immigration), (2000) 6 Imm. L.R. (3 d) 114, (2000) 192 F.T.R. 127, a subséquemment confirmé cette interprétation
[par. 23] Dans la décisionXiao c. Canada (MCI) (13 décembre 1999), IMM-1845-991 (C.F. lre inst.), cette Cour a statué ce qui suit
En l'espèce, la demanderesse a perdu des points au titre de la qualification et de l'expérience professionnelles, et non au titre des études. Il est vrai que les termes « habituellement exigé » dénotent une condition impérative au chapitre des études, mais il n'en est rien lorsqu'il s'agit des conditions d'accès à la profession au sens de la jurisprudence et de la CNP.
L'agent des visas a interprété les termes « habituellement exigé » comme signifiant une condition impérative et en a conclu que la demanderesse n'avait pas fait d'études supérieures dans une discipline connexe, en quoi il a eu tort.
[par. 24] L'agente des visas a commis une erreur en considérant que les conditions d'accès à la profession étaient obligatoires alors que la CNP dit qu'elles ne le sont pas.
[non souligné dans l'original]
[16] Quant au stage d'expérience pratique supervisé, la demanderesse a indiqué au paragraphe 21 de son affidavit que le travail qu'elle a effectué sous la supervision d'un psychologue principal dans le cadre de sa maîtrise et de son doctorat satisfaisait effectivement à l'exigence relative à la profession de psychologue.
[17] En ce quia trait au brevet d'enseignement de la province d'emploi, j'estime qu'il devrait être facile pour la demanderesse de l'obtenir en raison de son expérience d'enseignement considérable à titre de professeur et de chargé de cours.
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[18] Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, je suis d'avis que l'agente des visas a commis une erreur en concluant que la demanderesse ne remplissait ni les conditions d'accès de la profession de psychologue, ni celles de la profession de recherchiste et d'experte-conseil en politiques de l'enseignement. Compte tenu de la preuve dont je dispose, je conclus que la décision de l'agente des visas était manifestement déraisonnable.
ORDONNANCE
[1] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen à la lumière des présents motifs.
[2] Aucun avocat n'a soumis de question à certifier.
Pierre Blais
Juge
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5505-00
INTITULÉ : Radha Rani Sharma c. MCI
DATE DE L'AUDIENCE : Le 14 novembre 2002
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Blais
DATE DES MOTIFS : Le 28 novembre 2002
COMPARUTIONS
M. Max Chaudhary Pour la demanderesse
M. Robert Bafaro Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Mme Rose Legagneur
Worldwide Immigration Consultancy Services 7025, chemin Tomken
Bureau 231 Mississauga (Ontario) L5S 1R6
Pour la demanderesse
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada Ministère de la Justice
130, rue King ouest Bureau 3400, casier 36 Toronto (Ontario) M5X 1K6
Pour le défendeur