Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                              Date : 20040331

                                                                                                                  Dossier : IMM-5147-03

                                                                                                              Référence : 2004 CF 505

Montréal (Québec) le 31 mars 2004

Présent :        L'HONORABLE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                               BÉBÉNSOMBO

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Le juge Harrington

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, relativement à une décision de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal), rendue le 18 juin 2003, selon laquelle le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


CONTEXTE FACTUEL

[2]                Depuis janvier 2002, le demandeur travaillait comme bagagiste à l'aéroport international de N'djili, République Démocratique du Congo, où il transportait les bagages des voyageurs du stationnement jusqu'à l'enregistrement des voyageurs.

[3]                Le 10 juin 2002, il a transporté deux valises d'une femme qui s'est arrêtée au poste de contrôle des services de sécurité où ils ont découvert que ses deux valises étaient remplies de billets de banque de francs congolais. Elle fut arrêtée relativement au trafic des francs congolais dans les territoires occupés par les rebelles. Cette forme de commerce est strictement interdite depuis 1998 par Laurent Kabila, mais ce trafic était comme une propriété privée des Shabiens du régime Kabila. Les Shabiens faisait le même type de trafic.

[4]                Après que cette dame ait été prise par les services de sécurité, le demandeur a parlé avec ses collègues en dénonçant cette injustice, car ce système favorisait les Shabiens au détriment des autres citoyens du pays. Le demandeur a parlé ouvertement et il est certain que les services de sécurité l'ont entendu.


[5]                Vers 19 heures le même jour, le patron du demandeur l'a appelé dans son bureau et trois hommes l'ont arrêté, frappé et l'ont amené en véhicule à l'emplacement d'une usine qui ne fonctionnait pas. Le demandeur a été accueilli par deux autres individus qui l'ont placé dans une pièce d'environ 3 m x 3 m. Le demandeur indique que ces hommes appartenaient aux services secrets du régime Kabila et, selon eux, le demandeur faisait du dénigrement des Shabiens et du régime en place. Le demandeur été insulté à plusieurs reprises et mis sur une pelouse.

[6]                Le 11 juin 2002, après avoir payé une somme de 400 $ US au gardien qui était en service, le demandeur, avec l'aide du gardien, est sorti par une petite porte en arrière, vers 23 heures. Il est demeuré chez son frère et après un mois dans la ville de Brazzaville, le 13 juillet 2002, il est venu au Canada où il a immédiatement demandé le statut de réfugié.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                Le tribunal trouve que le demandeur n'est pas crédible. Le tribunal écrit qu'il trouve invraisemblable que le demandeur ait omis de mentionner, lors de son interrogatoire avec l'agent d'immigration, le fait qu'il ait été arrêté et détenu pendant deux jours, soit les 10 et 11 juin 2002, par des agents des services secrets de Kabila. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur fait aussi état qu'il se serait enfuit de son lieu de détention et serait recherché par les autorités de son pays, tandis que dans les notes inscrites au système de traitement informatisé des documents d'immigration (STIDI) par l'agent d'immigration, le demandeur ne fait aucunement état de sa détention de deux jours ni de son évasion ou même qu'il est recherché par les autorités. Sa crédibilité est la seule raison pour laquelle le tribunal a rejeté sa demande.


QUESTION EN LITIGE

[8]                La seule question en litige est de déterminer si la décision rendue par le tribunal en est une qui justifierait l'intervention de la Cour.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[9]                 Le demandeur soumet qu'il est manifestement déraisonnable d'avoir rejeté la demande d'asile pour une seule raison, sans évaluer le risque qu'il court s'il est renvoyé dans son pays. Le tribunal n'a pas tenu compte des explications rendues par le demandeur à l'effet qu'il comprenait les mots « détention » et « arrêté » dans les questions de l'agent d'immigration comme étant une arrestation officielle d'un système carcéral. Il explique qu'il n'a jamais été incarcéré, ni arrêté avec mandat ou amenéà un poste de police. Le demandeur a expliqué qu'il avait été victime d'un « enlèvement » ou d'une « séquestration » et qu'il ne considérait pas l'incident comme une arrestation. Alors, il a répondu « non » à la question de l'agent d'immigration à savoir si le demandeur avait été arrêté ou détenu dans le passé par les autorités du Congo. Le demandeur prétend que le tribunal n'a relevé aucune autre contradiction ou invraisemblance dans sa demande d'asile et il est donc exagéré d'avoir rejeté toute la demande pour un seul point problématique.


PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[10]            Le défendeur soumet que de telles déclarations au point d'entrée du demandeur sont incohérentes au témoignage écrit, et ce, à l'égard de points aussi cruciaux que ceux en l'espèce. Ils sont suffisants pour entacher la crédibilité générale du demandeur et faire rejeter sa demande d'asile pour ce seul motif.

[11]            Contrairement aux prétentions du demandeur, le défendeur soutient que selon la jurisprudence, une telle divergence entre la déclaration au point d'entrée et le FRP est suffisante à elle seule pour rejeter une demande d'asile.

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[12]       Dans l'arrêt Ismaeli c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1995] A.C.F. no. 573, le juge Cullen s'explique sur la retenue judiciaire dont la Cour doit faire preuve lorsqu'il s'agit de réviser une décision purement factuelle reposant sur la crédibilité.


En bref, il est clair que la cour de révision devrait refuser de modifier les décisions qui portent sur la crédibilité ou sur la vraisemblance, pourvu que ces décisions reposent régulièrement sur la preuve, ne méconnaissent pas la preuve, ou sont étayées par les éléments de preuve.

L'obligation du requérant de réfuter les conclusions de la Commission est une lourde obligation. Le requérant doit être à même de prouver que les conclusions formulées étaient des conclusions tirées de façon abusive ou arbitraire ou étaient si déraisonnables que la Cour doit annuler la décision.

[13]            Il est important de noter la qualité des renseignements qu'a oublié de mentionner le demandeur à l'agent d'immigration. Il s'agit des éléments clés et centraux de sa demande d'asile. Par exemple, le fait qu'il ait été détenu pendant deux jours, soit les 10 et 11 juin 2002, par des agents de sécurité des services secrets de Kabila et aussi le fait qu'il se soit enfuit de son lieu de détention et serait recherché par les autorités de son pays sont importants. Comment est-ce que le demandeur qui revendique le statut de réfugié peut oublier de mentionner ces informations importantes à l'agent d'immigration dès son entrée au Canada. Le tribunal a bien fait de questionner la véracité de ces informations.

[14]            Le juge Lemieux, dans l'affaire Neame c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no. 378, a écrit le commentaire suivant sur le manquement du demandeur de mentionner des éléments essentiels à l'agent d'immigration :

Il est vrai que le tribunal conclut au manque de crédibilité de la demanderesse uniquement sur l'existence de la fausse déclaration qu'elle a faite à l'agent d'immigration au point d'entrée. Toutefois, tel que l'avait fait le juge Teitelbaum dans l'affaire Jumriany c. Canada, (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1997] A.C.F. no. 683dans des circonstances identiques, j'estime que le tribunal n'a commis aucune erreur lorsqu'il a tiré, à l'égard de la crédibilitéde la demanderesse, une conclusion défavorable fondée uniquement sur la fausse déclaration qu'elle a faite à l'agent d'immigration. En effet, tel que je l'ai mentionnéprécédemment, cette fausse déclaration portait sur un point essentiel de la revendication de la demanderesse et les explications de celle-ci au sujet de son mensonge étaient peu convaincantes selon le tribunal.


[15]            Ainsi, le demandeur a été jugé non crédible sur des éléments fondamentaux de sa demande d'asile, soit son arrestation, sa détention et le fait qu'il soit la cible des autorités du régime de Kabila. Le juge Pinard s'est exprimé sur l'absence de crédibilité sur un élément fondamental de la revendication :

Vu la preuve au dossier, on ne m'a pas convaincu que cette appréciation de la crédibilité du requérant ne s'est pas formée adéquatement...En conséquence la perception que le requérant n'était pas crédible sur un élément fondamental de sa revendication équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existait aucun élément crédible suffisant pour justifier la revendication du statut de réfugié en cause: Tsafack c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] A.C.F. no. 506.

[16]            Le demandeur souligne qu'il a cherché à répondre au tribunal à cette question de manquement, en disant qu'il comprenait les mots « détention » et « arrêté » dans les questions de l'agent d'immigration comme étant une arrestation officielle d'un système carcéral. Le demandeur a expliqué qu'il était victime d'un « enlèvement » ou d'une « séquestration » et qu'il ne considérait pas l'incident comme une arrestation ou une détention. Alors, il a répondu « non » à la question de l'agent d'immigration à savoir si le demandeur avait été arrêté ou détenu par les autorités du Congo.


[17]            Par contre, après avoir lu le procès-verbal de l'audience, il est clair que le demandeur savait que les mots « arrêté » et « détenu » avaient la même signification dans ce contexte que les mots « enlèvement » ou « séquestration » . Or, en répondant aux questions d'un membre du tribunal pendant son procès, le demandeur a répondu ceci :

Q:            Et vous avez été arrêté par qui ?

R:            Par trois (3) hommes des forces de sécurité du régime Kabila.

...

Q:            Est-ce vous avez été déjà arrêté ou détenu par une police ou les autorités militaires d'un pays ?

...

R:            C'est un enlèvement peut-être.

...

R: Enlèvement, mais OK, détention.

[non-souligné dans l'original]

[18]            De plus, le demandeur a écrit dans la pièce « A » de son affidavit qu'il avait été arrêté par trois hommes qui appartenaient aux services secrets du régime Kabila. Il écrit :

...j'ai vu trois monsieurs habillés en civil qui m'ont directement arrêté, ligoté, frappé...j'ai vu environ une vingtaine d'homme en civil...

...Ces hommes appartenaient aux services secrets du régime Kabila.

[19]            Pour tous ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que le tribunal a rendu une décision manifestement déraisonnable.

[20]            Malgré la possibilité qui leur a été donnée, les parties n'ont pas demandé la certification d'une question grave de portée générale et la Cour ne certifiera aucune question.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                             « Sean Harrington »                  

juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5147-03

INTITULÉ :                                                    BÉBÉ NSOMBO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 23 MARS 2004

MOTIFS L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 31 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Me Michelle Langelier                                       POUR LE DEMANDEUR

Me Marie-Claude Paquette                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michelle Langelier                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur Général du Canada

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.