Dossier : IMM-5300-01
Référence neutre : 2003 CFPI 167
Ottawa (Ontario), le 14 février 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER
ENTRE :
ERVIN ROLAND KOVACS et
SZIMONETTA KOVACS
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs, Ervin Roland Kovacs et Szimonetta Kovacs, sollicitent le contrôle judiciaire d'une mesure d'exclusion prise par un agent principal le 2 novembre 2001. Ils demandent l'annulation de la mesure d'exclusion et le renvoi de la question de la recevabilité de leur revendication du statut de réfugié à un autre agent.
[2] Les deux demandeurs sont citoyens de la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada le 2 novembre 2001, accompagnés de leur fils, un citoyen canadien né à Toronto en juin 2001. M. Kovacs a décrit leur intention au paragraphe 16 de son affidavit :
[traduction] Quand nous sommes arrivés à l'aéroport Pearson, nous avions l'intention d'entrer au Canada pour régler certaines affaires touchant notre fils né à Toronto. Nous voulions également consulter un avocat en ce qui avait trait à la possibilité d'obtenir un statut permanent au Canada. Nous savions que nous devions revendiquer le statut de réfugié, mais on ne nous a jamais donné la possibilité d'expliquer adéquatement notre situation : [...] parce qu'on ne nous a pas fourni les services d'un interprète.
Les demandeurs ont décrit leur connaissance de la langue anglaise comme étant une connaissance élémentaire. Elizabeth Godri, l'interprète qui a aidé M. Kovacs dans la préparation de son affidavit, a pour sa part parlé d'une connaissance rudimentaire en se servant de l'échelle suivante : « très bonne, correcte ou rudimentaire » .
[3] Pendant que les demandeurs attendaient à la section de l'Immigration à l'aéroport, leur oncle, Julius Flasko, un citoyen canadien, était sur place. Selon l'affidavit de M. Flasko, à deux reprises, il a dit à l'agent d'immigration que les demandeurs avaient besoin d'un interprète pour comprendre ce qui se passait et qu'ils voulaient revendiquer le statut de réfugié.
[4] Dans son affidavit, M. Kovacs répète que son oncle et lui ont demandé à l'agent d'immigration qu'il fournisse les services d'un interprète, mais qu'il ne l'a pas fait. Après que la mesure d'exclusion eut été prise (environ 25 minutes après la première conversation avec M. Flasko), M. Flasko a dit de nouveau à l'agent d'immigration que les demandeurs voulaient revendiquer le statut de réfugié et l'agent d'immigration lui a répondu que [traduction] « il était trop tard pour le faire parce qu'ils retournaient dans leur pays le soir même » . En effet, à ce moment-là, vu qu'une mesure d'exclusion avait été prise, le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, rendait irrecevable toute revendication du statut de réfugié par les demandeurs. La mesure d'exclusion était fondée sur l'alinéa 19(1)i) et sur le fait que les demandeurs eux-mêmes n'avaient pas informé l'agent examinateur de leur intention de revendiquer le statut de réfugié.
[5] Dans leur mémoire, les demandeurs soulèvent plusieurs questions, mais à l'audience les avocats ont convenu que la Cour devait se concentrer sur une seule question, savoir :
[traduction] La décision de l'agent principal est-elle nulle en raison de l'omission de fournir les services d'un interprète aux demandeurs au cours de l'entrevue au point d'entrée?
[6] Le défendeur a prétendu que l'équité procédurale et la justice naturelle exigent uniquement que des services d'interprétation soient offerts aux personnes qui ne parlent ni l'une ni l'autre langue officielle. Le défendeur a ajouté que, contrairement à ce qu'indiquent les éléments de preuve soumis par les demandeurs, dans les faits, les notes de l'agent d'immigration qui a fait subir une entrevue aux demandeurs montrent que ceux-ci parlaient couramment l'anglais. En outre, les notes ne font état d'aucune demande en vue d'obtenir les services d'un interprète ou de revendiquer le statut de réfugié.
[7] Le défendeur a décidé de contester la version des faits des demandeurs en déposant tout simplement un affidavit de Darlene Phillips, une assistante juridique au service du ministère de la Justice, affidavit auquel Mme Phillips a joint les notes de l'un des agents d'immigration qui a reçu les demandeurs en entrevue à leur arrivée. Dans son affidavit, Mme Phillips déclare que Martin Henderson, l'avocat du défendeur, l'a mise au courant de la situation, et qu'elle est convaincue qu'il a demandé à l'agent d'immigration de lui transmettre ses notes et qu'il s'agit là des notes transmises à M. Henderson.
[8] Bien qu'elles puissent être admissibles pour établir l'état d'esprit de l'agent d'immigration au moment de l'entrevue (pour établir par exemple que l'agent d'immigration n'a pas cru que les demandeurs avaient besoin d'un interprète), les notes de l'agent d'immigration ne sont pas admissibles en tant que preuve du contenu et ne peuvent être utilisées pour établir des faits controversés. Dans Chou c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 314 (QL), confirmée sur ce point par la Cour d'appel dans [2001] A.C.F. no 1524 (QL), la Cour a conclu que ce n'est que lorsque les notes de l'agent des visas sont accompagnées d'un affidavit de leur auteur qu'il faut leur accorder de l'importance. Cela a confirmé un courant jurisprudentiel qui a pris naissance avec l'arrêt Wang c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1991] 1 C.F. 165, de la Cour d'appel fédérale. Comme l'a dit le juge Reed au paragraphe 13 de la décision de la Section de première instance dans Chou : « En l'absence d'un affidavit d'un agent des visas attestant la véracité de ce qu'il a, dans ses notes, inscrit comme ce qui a été dit à l'entrevue, les notes n'ont pas de statut en tant que preuve » .
[9] Dans Tajgardoon c. Canada (M.C.I.), [2001] 1 C.F. 591 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier (maintenant juge à la Section d'appel) a également conclu que, pour que les notes du STIDI soient considérées comme une preuve des faits auxquels elles font référence, elles doivent être adoptées en tant que témoignage de l'agent des visas dans un affidavit de cet agent. Dans cette décision, le juge Pelletier a suivi l'approche principale retenue dans la trilogie d'arrêts de la Cour suprême du Canada sur la preuve par ouï-dire (R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, et R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740) et a conclu que les notes de l'agent des visas ne satisfaisaient pas aux exigences de nécessité et de fiabilité.
[10] Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer le même raisonnement en l'espèce.
[11] Dans les circonstances, la Cour doit trancher la requête des demandeurs en se fondant uniquement sur la preuve dont elle est saisie. Le fait qu'aucun des déposants n'a été contre-interrogé signifie qu'il existe des éléments de preuve non contredits (c.-à-d. les affidavits d'Ervin Kovacs, de Julius Flasko et d'Elizabeth Godri) indiquant que les demandeurs avaient effectivement besoin de l'aide d'un interprète, qu'ils avaient sollicité cette aide avant que la mesure d'exclusion ne soit prise et qu'ils avaient l'intention de revendiquer le statut de réfugié.
[12] L'omission de fournir les services d'un interprète à la demande des intéressés constitue un manquement à l'équité procédurale, ce qui rend nulle la décision de l'agent principal à moins qu'on ne conclue que cette décision était inéluctable (voir Yassine c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL). Je n'ai aucun motif de conclure que les services d'un interprète fournis avant que la mesure de renvoi ne soit prise n'auraient rien changé à la cause des demandeurs.
[13] Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La mesure d'exclusion est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour qu'il décide de la recevabilité de la revendication du statut de réfugié des demandeurs.
[14] On n'a pas demandé la certification d'une question grave.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La mesure d'exclusion est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour qu'il décide de la recevabilité de la revendication du statut de réfugié des demandeurs.
« Johanne Gauthier »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5300-01
INTITULÉ : ERVIN ROLAND KOVACS ET AL.
c.
M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 4 février 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : le juge Gauthier
DATE DES MOTIFS : le 14 février 2003
COMPARUTIONS :
Daniel M. Fine POUR LE DEMANDEUR
Param-Preet Singh POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel M. Fine POUR LE DEMANDEUR
4850, rue Yonge, bureau 1902
Toronto (Ontario) M2N 6K1
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ministère de la Justice
2 First Canadian Place
Bureau 2400, C.P. 36
Tour Exchange
Toronto (Ontario) M5X 1K6