Date : 20040810
Dossier : IMM-5963-03
Référence : 2004 CF 1100
Toronto (Ontario), le 10 août 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
ALI ABBAS ULUSOY, FATMA ULUSOY, et EGEMEN ULUSOY
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs sont des Turcs alevis qui ont cherché à obtenir l'asile au Canada en raison de leur identité alevie, des opinions gauchistes des demandeurs adultes, et de leur association imputée avec des organisations gauchistes illégales. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté leurs demandes.
[2] La Commission a accepté l'identité alevie des demandeurs mais a conclu que les alevis, en général, ne font pas l'objet de persécution en Turquie. Elle a établi que la demanderesse (une diplômée universitaire qui travaille comme enseignante) n'avait pas réussi à démontrer un engagement auprès d'organisations gauchistes qui donnerait ouverture à une crainte fondée de persécution de la part de l'État turc. En ce qui concerne le demandeur, (un homme d'affaires), la SPR a conclu que, même s'il est membre de l'EMEP (une aile de gauche staliniste du Parti communiste révolutionnaire de la Turquie), son engagement ne donnerait pas ouverture à une crainte fondée de persécution. La Commission a tiré plusieurs conclusions sur l'invraisemblance et la crédibilité.
[3] Les demandeurs remettent en question plusieurs des conclusions de la Commission. Cependant, le point central de leur argumentation est que la SPR a tiré une conclusion fondamentalement erronée lorsqu'elle a décidé que leur profil était tel qu'ils ne feraient pas l'objet d'arrestation ou de détention. Malgré les observations habiles et bien articulées de l'avocat du défendeur, j'accorderai la demande.
[4] On peut dire que certaines des conclusions de la SPR ne sont pas manifestement déraisonnables. Toutefois, plusieurs des conclusions défavorables sur la crédibilité découlent de conclusions sur l'invraisemblance qui ne peuvent être soutenues par la preuve.
[5] La SPR a conclu que des personnes qui se trouvaient dans une situation comme celle des demandeurs ne faisaient pas l'objet d'arrestation ou de détention. Une preuve documentaire considérable a été présentée montrant que, lors de manifestations, il y des arrestations massives et que, une fois arrêtée, les chances qu'une personne soit perçue comme fautrice de troubles ne font qu'augmenter. Les forces de sécurité à prédominance de droite voient les alevis d'un oeil particulièrement suspect en raison de leur parti pris imputé pour la gauche. L'avocat du défendeur a eu le mérite de convenir du fait que les activistes s'exposent à un risque.
[6] Le problème est que la SPR paraît avoir complètement ignoré la preuve documentaire susmentionnée. Il est bien établi en droit que plus un document revêt de l'importance, plus une cour sera portée, si ce document est passé sous silence, à conclure au caractère erroné d'une conclusion de fait : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.). Selon la SPR, les événements décrits dans la preuve documentaire ignorée n'ont pas eu lieu. Ensuite, en se fondant sur cette conclusion, la SPR a établi que les expériences que les demandeurs prétendent avoir vécues n'étaient pas crédibles. En bref, la Commission a conclu à tort que les activistes ne couraient pas de risque. Les demandeurs, qui prétendaient s'exposer à un risque, n'étaient donc pas crédibles aux yeux de la Commission. Le résultat inévitable est que toutes les conclusions sur la crédibilité qui découlent de la décision erronée initiale sont remises en question.
[7] Je suis d'accord avec l'avocat du défendeur pour dire que les conclusions sur la crédibilité sont au coeur de la compétence de la Commission et qu'il est loisible à la Commission de tirer des conclusions fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison. Toutefois, les conclusions doivent être raisonnables : Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). On ne peut dire qu'une conclusion défavorable sur la crédibilité qui découle d'une conclusion erronée d'invraisemblance est raisonnable.
[8] Il est possible que dans l'analyse finale, comme l'a avancé l'avocat du défendeur, on conclura à l'absence de crédibilité chez les demandeurs. Si cela est le cas, il incombe néanmoins au décisionnaire d'expliquer les conclusions défavorables sur la crédibilité en des termes clairs et sans équivoque :Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).
[9] La demande sera accueillie et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire. Ni l'un ni l'autre des avocats n'a soulevé de question pour certification. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.
« Carolyn Layden-Stevenson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Raymond, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5963-03
INTITULÉ : ALI ABBAS ULUSOY, FATMA ULUSOY, et EGEMEN ULUSOY
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 10 AOÛT 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
DATE DES MOTIFS : LE 10 AOÛT 2004
COMPARUTIONS :
Michael Romoff POUR LES DEMANDEURS
Jamie Todd POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Makepeace Romoff POUR LES DEMANDEURS
Avocats
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040810
Dossier : IMM-5963-03
ENTRE :
ALI ABBAS ULUSOY, FATMA ULUSOY, EGEMEN ULUSOY
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE