Date : 20191217
Dossier : IMM‑3617‑19
Référence : 2019 CF 1624
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Vancouver (Colombie‑Britannique), le 17 décembre 2019
En présence de monsieur le juge Lafrenière
ENTRE :
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SANJIV KUMAR MUTNEJA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, Sanjiv Kumar Mutneja, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] rendue le 10 mai 2019 [la décision] selon laquelle son mariage avec Anjali Mutneja n’était pas authentique, au titre du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
II.
Les faits
[3]
Le demandeur est un citoyen canadien né le 31 décembre 1971. Il a déjà été marié et a deux enfants issus de son premier mariage.
[4]
Mme Anjali Mutneja est une citoyenne indienne, les deux le 31 mars 1987. Elle a déjà été mariée deux fois et elle a un enfant issu de son deuxième mariage.
[5]
Le demandeur et Mme Mutneja ont communiqué pour la première fois en mai 2012 et se sont rencontrés en octobre 2012.
[6]
Ils se sont mariés en juin 2014, et leur fils est né en mars 2015.
[7]
Le demandeur a présenté une demande de parrainage de Mme Mutneja afin qu’elle obtienne la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. Toutefois, la demande de parrainage a été refusée, car l’agent des visas a conclu que le mariage du couple n’était pas authentique.
A.
La décision de la SAI
[8]
Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent des visas auprès de la SAI.
[9]
Le 10 mai 2019, après avoir tenu une audience, la SAI a conclu que M. Mutneja n’avait pas été en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage avec Mme Mutneja était authentique.
[10]
La SAI a conclu que le témoignage du couple était incohérent et qu’il présentait des contradictions considérables auxquels la SAI ne pouvait s’attendre de la part d’un couple authentique ayant entretenu les rapports et communications allégués.
[11]
La SAI a souligné que le couple n’était pas bien assorti sur le plan de l’âge. Le demandeur a près de 15 ans de plus que Mme Mutneja. La SAI a conclu que, même si la différence d’âge n’était pas déterminante en soi, dans le contexte des autres préoccupations soulevées, ce facteur revêtait plus d’importance.
[12]
La SAI a conclu que, bien que le demandeur et Mme Mutneja aient fourni des éléments de preuve relativement cohérents, quoique vagues, concernant leurs projets d’avenir ensemble au Canada, ils n’ont présenté aucun élément de preuve quant à l’avenir de leur relation si l’appel était rejeté.
[13]
La SAI a indiqué qu’il a fallu beaucoup de temps pour examiner la preuve relative à l’enfant du couple. La SAI a reconnu que la preuve crédible d’un enfant issu de la relation constitue généralement un indice d’une relation authentique, mais que ce facteur n’est pas déterminant quant à l’authenticité de la relation. La SAI a conclu que la naissance d’un enfant ne l’emportait pas sur les nombreuses préoccupations soulevées par les éléments de preuve présentés.
III.
Analyse
[14]
La seule question à trancher consiste à établir si la décision de la SAI est déraisonnable. Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du raisonnement de la SAI et ne pas intervenir, sauf s’il peut être démontré que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 372 NR 1, au par. 47).
[15]
Malgré le respect dû aux décisions concernant l’authenticité d’un mariage, je suis convaincu que la SAI a commis une erreur en concluant que le mariage du demandeur n’est pas authentique, et ce, pour trois raisons.
[16]
Premièrement, bien que la SAI ait eu le droit de soupeser la preuve et d’en tirer des conclusions raisonnables, la preuve doit raisonnablement appuyer les conclusions tirées. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
[17]
Dans sa décision, la SAI a souligné des contradictions entre le témoignage de Mme Mutneja, sa première entrevue avec l’agent des visas et une enquête sur le terrain menée lors du traitement de la demande de parrainage.
[18]
À titre d’exemple, Mme Mutneja a témoigné devant la SAI qu’elle s’était séparée de son deuxième époux parce qu’ils se querellaient souvent et que sa belle‑mère d’alors lui causait des problèmes. La SAI a conclu que Mme Mutneja s’était contredite, soulignant que, lors de son entrevue avec l’agent des visas, elle a déclaré qu’elle s’était séparée de son deuxième époux parce qu’il n’avait pas d’emploi rémunéré, qu’il se méfiait d’elle et qu’il profitait de l’argent de ses parents à elle. Selon moi, il ne s’agit pas d’une contradiction. En fait, son témoignage semble concorder avec la déclaration subséquente qu’elle a faite à l’agent des visas selon laquelle [traduction] « ils se disputaient beaucoup à cause de l’argent »
.
[19]
La SAI a également conclu que le témoignage de Mme Mutneja selon lequel elle avait présenté le demandeur à ses voisins a été contredit par une enquête sur le terrain qui a révélé qu’aucun d’entre eux n’avait jamais rencontré son époux et qu’ils ne le connaissaient pas. La SAI a conclu que peu d’éléments de preuve pouvant expliquer cette incohérence ont été présentés. Quoi qu’il en soit, Mme Mutneja n’était pas en mesure d’expliquer pourquoi ses voisins ont réagi ainsi. Elle a déclaré que ses voisins n’avaient peut‑être pas saisi l’identité de l’enquêteur et la raison de sa venue. Elle a également émis l’hypothèse d’après laquelle les questions concernant son mariage passé et actuel ont peut‑être été considérées comme tabous par certains et que d’autres étaient peut‑être en désaccord sur ses choix de vie.
[20]
Deuxièmement, la SAI s’est concentrée sur des incohérences mineures dans la preuve du couple et a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité qui ne sont pas étayées par la preuve. À titre d’exemple, la SAI a conclu qu’aucun élément de preuve présenté ne démontrait comment la relation pourrait durer si l’appel était rejeté. Or, Mme Mutneja a effectivement été interrogée à ce sujet. Elle a déclaré que, même s’il n’y avait pas de plans concrets, elle s’attendait à ce que le demandeur continue de faire l’aller‑retour en Inde pour vivre avec elle. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’authenticité de leur mariage ne s’en trouverait aucunement atteinte si leur demande était rejetée et qu’ils devaient entretenir un mariage à distance.
[21]
Troisièmement, et surtout, je conclus que la SAI n’a pas tenu compte des principes juridiques applicables à un enfant issu du mariage. Dans la décision Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, le juge Robert Barnes a écrit aux paragraphes 6 et 8 que la naissance d’un enfant devrait normalement dissiper toute préoccupation persistante quant à l’authenticité d’un mariage et constitue une présomption de preuve en faveur de l’authenticité.
[6] Lorsque la Commission se penche sur l’authenticité d’un mariage en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, elle doit faire preuve d’une grande prudence parce que les conséquences d’une erreur seraient catastrophiques pour la famille. Cela s’avère particulièrement évident lorsque la famille compte un enfant né de la relation. La tâche de la Commission n’est pas aisée, car il peut être difficile d’évaluer l’authenticité des relations personnelles de l’extérieur. Des comportements qui peuvent sembler suspects de prime abord peuvent avoir une explication ou une interprétation simple. […] La naissance subséquente d’un enfant devrait normalement dissiper toute préoccupation de ce genre. […]
[8] […] dans l’évaluation de la légitimité du mariage, il faut accorder un poids considérable à la naissance d’un enfant. Lorsqu’il n’y a pas de doute sur la paternité, il serait raisonnable d’adopter une présomption favorable à l’authenticité du mariage en cause. Il y a de nombreuses raisons d’accorder une grande importance à un tel événement, notamment l’improbabilité que les parties à un faux mariage s’imposent les responsabilités à vie associées au fait d’élever un enfant. Cette considération s’avère d’autant plus significative dans une situation comme la présente, où les parents sont des gens de moyens très modestes.
[22]
Bien que la naissance d’un enfant ne constitue pas une preuve concluante de l’authenticité d’une relation, la SAI était tenue de soupeser le fait que le demandeur et Mme Mutneja ont un enfant ensemble et d’accorder un poids considérable à ce facteur. Pourtant, la décision ne révèle aucune analyse de ce facteur. La SAI affirme catégoriquement que [traduction] « la naissance d’un enfant ne l’emporte pas sur les nombreuses préoccupations soulevées par les éléments de preuve présentés »
. Le défaut d’expliquer pourquoi ce facteur important a été éclipsé par des facteurs défavorables porte à conclure que ce facteur n’a pas été dûment pris en compte.
[23]
Ce constat est particulièrement préoccupant compte tenu d’un certain nombre de facteurs favorables présentés par le demandeur, y compris le fait que le couple a pris le temps de se connaître pendant une période d’environ 18 mois à deux ans avant leur mariage; que leur relation a commencé en 2012; que leur conduite lors de leur première rencontre, lors de leurs fiançailles, lors de leur mariage ainsi qu’après leur mariage s’apparentait à celle d’un couple marié; qu’ils connaissent la famille de l’autre, ont des contacts avec la famille de l’autre et ont passé du temps avec le fils du demandeur issu de son premier mariage; qu’ils sont en contact et communiquent par téléphone de façon soutenue et se sont rendu visite à neuf reprises pendant de longues périodes; qu’ils connaissent le quotidien de l’autre au moyen de leurs communications fréquentes; et que le demandeur appuie financièrement Mme Mutneja et leur enfant.
IV.
Conclusion
[24]
Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas d’avis que la décision de la SAI est intelligible et transparente ou qu’elle appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3617‑19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision de la Section d’appel de l’immigration dans la présente affaire est annulée.
L’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen.
Aucune question n’est certifiée.
« Roger R. Lafrenière »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 8e jour de janvier 2020.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3617‑19
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INTITULÉ :
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SANJIV KUMAR MUTNEJA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 16 DÉCEMBRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE Lafrenière
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 17 DÉCEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Rubina Sidhu
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POUR LE DEMANDEUR
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Helen Park
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Joomratty Law Corporation
Avocats
Surrey (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (C.‑B.)
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POUR LE DÉFENDEUR
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