Date : 20040317
Dossier : IMM-1585-03
Référence : 2004 CF 414
Toronto (Ontario), le 17 mars 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
EKATERINA GUEORGUIEVA GARMENOVA
(également appelée Ekaterina Garmenova)
DIMITAR TODOROV GARMENOV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR).
[2] La CISR a estimé que les deux demandeurs (Garmenova est la demanderesse; Garmenov est le demandeur) ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, notamment parce qu'elle n'a pas cru le demandeur Garmenov.
[3] Les demandeurs soulèvent dans cette affaire plusieurs points, mais il est possible de disposer de leur demande en s'en tenant aux questions de crédibilité qui concernent le demandeur Garmenov. Vu la manière dont il est disposé de cette demande et puisque cette demande est renvoyée à la CISR, aucune décision ne sera rendue sur les autres points de fait ou de droit.
LES FAITS
[4] Les demandeurs sont des Bulgares de souche macédonienne, mariés l'un à l'autre, et parents d'une fille de 12 ans. La demanderesse était la revendicatrice principale.
[5] Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié en alléguant leurs origines macédoniennes et le rôle politique du demandeur au sein du OMO Illinden, une organisation vouée à la défense des droits de la minorité macédonienne en Bulgarie.
[6] Les demandeurs affirment d'abord que les Macédoniens sont en Bulgarie une minorité persécutée et que le demandeur en particulier avait été victime de persécution, y compris de passages à tabac et de violences physiques aux mains des autorités bulgares, et cela en raison de ses opinions politiques.
POINT LITIGIEUX
[7] Le point essentiel est celui de savoir si les conclusions de la CISR touchant la crédibilité du demandeur, ainsi que ses constatations censées fonder lesdites conclusions, sont manifestement déraisonnables.
ANALYSE
[8] Le défendeur dit que, malgré certaines erreurs de fait commises dans la décision de la CISR, il existe des constatations légitimes qui suffisent à appuyer la décision de la CISR. Ces constatations sont les rapports sur la situation qui a cours dans le pays, le retour des demandeurs en Bulgarie et leur peu d'empressement à revendiquer le statut de réfugié.
[9] Cependant, je crois que les erreurs commises sont importantes; elles entachent le fond même de la conclusion de la CISR touchant la crédibilité du demandeur. La décision de la CISR ne saurait être épargnée grâce aux autres conclusions exactes qu'elle peut renfermer.
[10] Je suis d'avis que la CISR n'a pas motivé suffisamment sa décision et n'a pas dit pourquoi elle ne croyait pas le demandeur, ainsi que l'y obligeait le jugement Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991) 15 Imm. L.R. (2d) 199.
[11] Sans doute peut-on considérer comme des coquilles ou des points de détail plusieurs des erreurs présentes dans la décision de la CISR, par exemple le fait de confondre des événements se rapportant tantôt au demandeur tantôt à la demanderesse ou le fait de confondre l'organisation politique macédonienne avec le parti politique formé par cette organisation. Il n'en demeure pas moins cependant que leur effet cumulatif donne à penser que la CISR a été peu rigoureuse dans l'exposé de ses motifs ou a mal apprécié les faits.
[12] Pour arriver à sa conclusion sur la crédibilité du demandeur, la CISR a correctement décrit le processus qui l'oblige à considérer non seulement chacun des faits qui suscitent chez elle un doute, mais aussi le poids cumulatif de tous ces faits. Ce processus a pour objet d'éviter l'examen microscopique d'une revendication et de faire en sorte que la Commission considère l'ensemble des faits dans leur contexte.
[13] La CISR a énuméré ses doutes sur la crédibilité du demandeur, puis a tiré la conclusion suivante :
[traduction] Je reconnais qu'aucun des doutes soulevés ici à propos de la crédibilité ne suffit à lui seul à refuser la revendication. Cependant, à mon avis, l'effet cumulatif de tous les doutes suscités est tel que je ne dispose pas de preuves crédibles et dignes de foi qui soient suffisantes pour me permettre de conclure que les revendicateurs sont des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger.
[14] Les parties s'accordent pour dire qu'au moins trois erreurs de fait ont été commises dans l'évaluation de la crédibilité :
a) la CISR a jugé à tort que la preuve se rapportant au passeport du demandeur l'autorisait à conclure qu'il n'était pas la cible des autorités bulgares;
b) la CISR a estimé que le demandeur avait inventé une histoire à propos de sa propre arrestation survenue en août 2000, alors que l'arrestation décrite était celle du père du demandeur; et
c) en dépit d'éléments de preuve confirmant une série d'arrestations allant de 1998 à la fin de 2001, la CISR a rejeté sans motifs la preuve de l'arrestation du demandeur survenue en juillet 2001.
[15] Chacun de ces événements est d'une grande importance pour les affirmations des demandeurs relatives à l'attitude et aux actions des autorités bulgares à leur endroit en particulier, à l'endroit des Macédoniens en général, et à l'endroit de ceux qui plus généralement sont hostiles aux lignes de conduite du gouvernement bulgare.
[16] La CISR peut réfuter la présomption de crédibilité dont bénéficie un revendicateur (voir l'affaire Adu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 114).
[17] Cependant, pour cela, la CISR doit analyser les faits et expliquer les raisons qu'elle a de rejeter un témoignage produit sous serment (voir l'arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.).
[18] La CISR ne s'est pas acquittée de ces obligations. Elle a commis des erreurs sujettes à révision, soit en appréciant les faits d'une manière manifestement inexacte, soit en négligeant de tenir compte de faits pertinents.
[19] Pour ces motifs, cette demande doit être accordée et la décision de la CISR doit être annulée.
[20] Les parties s'accordent pour dire qu'il n'y a aucune question à certifier.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Cette demande de contrôle judiciaire est accordée;
2. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 21 février 2003 est annulée;
3. L'affaire est renvoyée à la CISR pour instruction par une nouvelle formation.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1585-03
INTITULÉ : EKATERINA GUEORGUIEVA GARMENOVA
DIMITAR TODOROV GARMENOV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 25 FÉVRIER 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 17 MARS 2004
COMPARUTIONS :
Helen Turner pour les demandeurs
Gordon Lee pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Helen Turner pour les demandeurs
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040317
Dossier : IMM-1585-03
ENTRE :
EKATERINA GUEORGUIEVA GARMENOVA
DIMITAR TODOROV GARMENOV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE