Date : 19981102
Dossier : IMM-3470-97
ENTRE
MOHAMMAD REZA SHOJAIE ASANJAN,
demandeur,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE MULDOON
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision (T96-01018), rendue le 21 juillet 1997 par la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon les termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [ci-après : la Loi]. L'autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire a été accordée le 27 juillet 1998.
Les faits
[2] Le demandeur, Mohammad Reza Shojaie Asanjan, est un citoyen iranien âgé de 39 ans. À son arrivée à Vancouver, le 9 décembre 1995, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Il craint d'être persécuté en Iran en raison de ses opinions politiques.
[3] Dans son formulaire de renseignements personnels (dossier du demandeur [DD], p. 29 et 31), le demandeur fait l'historique des événements qui l'ont amené à demander l'asile au Canada. Il est utile de rappeler le récit du demandeur en détail car le tribunal a rejeté certaines allégations faites au soutien de la revendication, au motif qu'elles étaient contradictoires et qu'elles étaient incompatibles avec des éléments de la preuve documentaire externe.
[4] Le père du demandeur était un homme d'affaires prospère qui exploitait une grande entreprise de pièces d'automobiles à Téhéran. Il avait plusieurs femmes et de nombreux enfants. Au fil des ans, il a fait participer ses fils dans son entreprise. Il appuyait le régime du Shah et y a contribué financièrement; il a aussi aidé les Kurdes en leur vendant des pièces d'automobiles au prix coûtant ou en les leur donnant. Après la révolution ayant mené au renversement du Shah, le père du demandeur a été arrêté plusieurs fois et détenu pour des périodes allant jusqu'à un mois. Il a été battu et interrogé relativement au soutien qu'il apportait au Shah. Il est finalement décédé en 1987 à la suite d'une détention de six mois. L'un des demi-frères du demandeur est également décédé en détention peu de temps après la mort de leur père.
[5] Le demandeur a ouvert sa propre entreprise de pièces d'automobiles, suivant en cela les traces de son père, notamment quant aux opérations avantageuses avec les Kurdes. La demeure du demandeur a été fouillée à plusieurs reprises; il a été arrêté à trois occasions et il a été interrogé relativement aux activités de son père et de son demi-frère. En 1992, deux de ses demi-frères ont été arrêtés, dont l'un, Mostafa, s'est finalement rendu au Canada où il a fait une demande de statut de réfugié.
[6] Le demandeur consacrait plusieurs heures chaque semaine à un club de karaté, où il travaillait à titre d'entraîneur adjoint. En avril 1995, il s'est lié d'amitié avec un étudiant [TRADUCTION] « bien rasé et agréable » , et il a commencé à lui confier les problèmes qu'avait causé à sa famille le régime actuel. Le demandeur croit que cela a conduit au fait que deux agents Pasdaran aient tenté de l'arrêter. Il a réussi à échapper à son arrestation en portant un coup de karaté bien placé à un des agents et, profitant de la mêlée subséquente, en se sauvant par des allées sinueuses jusqu'à ce qu'il soit en lieu sûr.
[7] Le demandeur s'est caché pendant les six ou sept mois suivants, louant divers chalets dans le lieu de villégiature de Chalous, situé au bord de la mer Caspienne. Sa famille lui a appris que sa résidence avait été fouillée et qu'elle était probablement sous surveillance. Il avait également reçu deux citations à comparaître, l'une relativement au départ du pays de son demi-frère Mostafa et l'autre relativement aux activités anti-gouvernementales présumées du demandeur. Sa famille a fait appel à un passeur pour le faire sortir du pays.
La décision du tribunal
[8] Dans sa détermination défavorable, le tribunal a conclu :
[TRADUCTION]
Le tribunal a des motifs valables pour douter de la véracité des allégations faites à l'appui de la revendication et les rejeter en raison des contradictions internes décelées dans la preuve du revendicateur, de celles révélées à la lumière d'autres
éléments de preuve et des manquements à la vraisemblance. Les contradictions
peuvent être prises en considération au moment de l'évaluation de la crédibilité ou de la véracité de la preuve.
Les allégations en question ne satisfont pas au véritable critère de véracité du récit d'un témoin, c'est-à-dire qu'il soit conforme avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et informée reconnaîtrait d'emblée comme raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.
(DD, motifs de la décision, p. 8 et 9)
[9] Le tribunal a jugé douteuse l'existence des citations à comparaître :
[TRADUCTION]
Ses explications relativement à la façon dont il les a reçues et à l'endroit où il les a reçues étaient évasives et contradictoires. À un moment donné, elles avaient été laissées dans la cour; ensuite, elles avaient été remises aux voisins; et, enfin, elles avaient été envoyées à sa résidence « personnelle » . Le tribunal n'a jamais été en mesure de déterminer la façon dont il les avait reçues. Pis encore, à l'occasion de son témoignage, lorsque le revendicateur a donné son adresse « personnelle » , où il aurait reçu ces deux citations à comparaître, il a donné des noms de rue et des numéros d'appartement différents, et son explication en ce domaine était très évasive. Non seulement les explications du revendicateur se contredisaient-elles, mais, en plus, son récit relatif à la façon dont il a pu en conserver la possession jusqu'au Canada n'était pas vraisemblable. Il a témoigné qu'il avait apporté ces citations avec lui de l'Iran en les transportant dans sa valise. Étant donné qu'il prétendait avoir quitté l'Iran illégalement avec l'aide d'un passeur, à partir de l'aéroport Mehradad, il nous semble qu'il aurait couru un risque important, soit que ces citations soient découvertes en sa possession à l'occasion d'une des nombreuses vérifications. Ce qui est encore plus bizarre, c'est qu'il prétendait avoir suivi les instructions du passeur de détruire son passeport iranien authentique, alors qu'il n'a pas suivi ses instructions de ne pas apporter les citations, parce que si elles avaient été découvertes, cela aurait signifié sa détention certaine en Iran.
(DD, motifs de la décision, p. 9)
[10] Le tribunal a également jugé peu vraisemblable le témoignage du demandeur selon lequel il n'avait pas révélé à son demi-frère les motifs de son départ de l'Iran, bien qu'il soit demeuré avec lui pendant environ un mois après son arrivée au Canada. Mostafa a témoigné qu'il ne se souvenait pas qu'on lui ait dit que le demandeur avait reçu une citation à comparaître pour l'avoir aidé à quitter l'Iran.
[11] Enfin, le tribunal a jugé que le témoignage du demandeur relativement à son départ de l'Iran à partir de l'aéroport Mehradad à Téhéran était contredit par la preuve documentaire portant sur les procédures établies. Le tribunal a conclu qu'il n'était pas vraisemblable que le demandeur ait quitté le pays avec un passeport à son nom, étant donné son rapport d'arrestation, et s'il est vrai que les autorités désiraient l'appréhender. Quant aux inspections préalables au départ, le tribunal a estimé le témoignage du demandeur contradictoire et évasif.
L'argumentation du demandeur
[12] Le demandeur soutient que le tribunal a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire tirée sans tenir compte des éléments dont disposait. En particulier, le demandeur avance qu'en mettant en doute l'authenticité des citations à comparaître et la possibilité pour le demandeur de quitter l'Iran en utilisant son propre nom, le tribunal a mal interprété la preuve relativement à la façon dont le demandeur avait reçu ces citations et à l'endroit où il les avait reçues. Le tribunal a mal interprété la preuve concernant le témoignage du demandeur à l'égard de l'adresse de sa résidence. Le demandeur prétend également que le tribunal a mal interprété son témoignage quant à la façon dont il avait réussi à franchir les contrôles de sécurité à l'aéroport.
[13] Le demandeur affirme que le tribunal a interprété erronément la preuve portant sur la nature de sa relation avec son demi-frère Mostafa lorsqu'il a conclu que leur relation paraissait « maintenant tendue » , malgré la preuve selon laquelle ils n'ont jamais été proches. De plus, le demandeur n'a jamais témoigné qu'il avait aidé Mostafa à quitter le pays ou même qu'il connaissait des détails à ce sujet. La conclusion du tribunal selon laquelle les frères partageaient des confidences concernant leurs problèmes est déraisonnable compte tenu de leur passé.
[14] Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur en s'appuyant sur un rapport de 1993 pour établir quelles étaient les procédures à l'aéroport de Téhéran en 1995, à l'époque de son départ. Cependant, bien que ces procédures n'aient pas été modifiées de façon importante au cours de ces deux années, le demandeur soutient que son témoignage était conforme à la preuve documentaire.
[15] Le demandeur conteste la conclusion du tribunal selon laquelle il n'était pas vraisemblable qu'il ait pris un risque de cette ampleur lorsqu'il a apporté les citations avec lui lors de son départ. Il a témoigné qu'il avait accepté de courir ce risque afin de disposer de documents pour pouvoir justifier sa revendication du statut de réfugié. De même, le demandeur fait valoir qu'étant donné qu'il avait engagé un passeur pour le faire sortir du pays, il est vraisemblable qu'il ait utilisé son propre nom sur ses documents de voyage, le passeur ayant pris à l'avance les dispositions nécessaires pour lui faciliter le passage à l'aéroport.
[16] Enfin, le demandeur prétend que le tribunal a omis de se pencher sur l'importance des citations à comparaître. Celles-ci démontrent qu'il était recherché par les autorités pour des raisons politiques. Le tribunal a accepté les documents en soi, ne s'interrogeant que sur la façon dont le demandeur les avait reçus.
L'argumentation du défendeur
[17] Essentiellement, le défendeur prétend que le tribunal était justifié de tirer des conclusions à l'égard de la crédibilité du demandeur, et que ces conclusions s'appuient sur des motifs détaillés qui exposent plusieurs contradictions et défauts de vraisemblances du témoignage. De plus, l'appréciation défavorable du comportement du demandeur lors de son témoignage est inattaquable en l'absence d'iniquité.
La question en litige
[18] Le tribunal a-t-il commis une erreur en rendant une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?
Analyse
[19] Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, la SSR se voit accorder un grand degré de retenue à l'égard des conclusions relatives à la crédibilité. La cour qui procède à l'examen de la demande de contrôle judiciaire ne peut modifier des conclusions de cette nature, sauf si elle estime qu'elles sont abusives, arbitraires ou tirées sans tenir compte de la preuve dont le tribunal est saisi. Le tribunal est le mieux placé pour tirer des conclusions à l'égard du comportement du demandeur, de sa crédibilité et de sa fiabilité dans son ensemble.
[20] Dans Tshimanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-389-95 (le 9 novembre 1995), la Cour a examiné la question des conclusions relatives à la crédibilité et a énoncé, aux paragraphes 16 à 19 et au paragraphe 24, les principes suivants :
Il est parfaitement acceptable qu'un tribunal trouve qu'un requérant n'est pas digne de foi à cause d'invraisemblances relevées dans son témoignage. Voir par exemple : Aguebor c. Canada (MEI) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), Kioreskou c. Canada (MCI) IMM-1860-94, 22 mars 1995 (C.F. 1re inst.), [1995] A.C.F. no 457. Toutefois, lorsque le tribunal conclut à un manque de crédibilité en se fondant sur des inférences, il faut que la preuve permette d'étayer ces dernières. Il doit être raisonnablement loisible au tribunal de tirer ces inférences en s'appuyant sur la preuve du requérant. Frimpong c. Canada (MEI) (1989), 99 N.R. 164 (C.A.F.), Ahortor c. Canada (MEI) (1993), 65 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.), 21 Imm.L.R. (2d) 39, et Quintero c. Canada (MCI) (1995), 90 F.T.R. 251 (C.F. 1re inst.).
Lorsque les inférences du tribunal reposent sur ce qui semble être le « bon sens » ou des idées rationnelles sur la façon dont on peut s'attendre que le régime gouvernemental d'un autre pays agisse ou réagisse dans un contexte donné, le tribunal se trouve dans l'obligation, par souci d'équité, de fournir au requérant la possibilité de répliquer aux inférences en question. Nkrumah c. Canada (MEI) (1993), 65 F.T.R. 313 (C.F. 1re inst.), 20 Imm.L.R. (2d) 246.
Le tribunal doit tenir compte de la totalité des éléments de preuve qui lui sont soumis lorsqu'il évalue la question de la crédibilité. Il ne peut tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité tout en faisant abstraction des éléments que présente le demandeur pour expliquer des incohérences apparentes. Owusu-Ansah c. Canada (MEI) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.), 8 Imm.L.R. (2d) 106, et Frimpong c. Canada (MEI) (1989), 99 N.R. 164 (C.A.F.).
Lorsque le tribunal, en tirant des conclusions de fait, interprète erronément les éléments de preuve qui lui sont soumis ou en fait abstraction, et se fonde sur ces conclusions pour rendre une décision défavorable au sujet de la crédibilité, la décision en question sera annulée. Toro c. Canada (MEI), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.), Rezaei c. Canada (MEI) (24 janvier 1992), A-855-90 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 40, Lai c. Canada (MEI) (6 octobre 1992), A-484-91 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 906, et Ioda c. Canada (MEI) (1993), 65 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.), 21 Imm.L.R. (2d) 294.
*** *** ***
Lorsque le tribunal, surtout dans les cas où la décision repose sur une évaluation de la crédibilité, disposait d'éléments de preuve étayant son évaluation défavorable de la crédibilité, que ses conclusions sont raisonnables par rapport à
la preuve soumise et que des inférences raisonnables sont tirées de cette preuve, alors la Cour ne devrait pas modifier la décision du tribunal, même si elle ne serait peut-être pas arrivée à la même conclusion. Muhammed c. Canada (MEI) (1993), 67 F.T.R. 152 (C.F. 1re inst.), Ankrah c. MEI (16 mars 1993), T-1986-92 (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 385, Oduro c. MEI (1993), 66 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.), Castro c. MEI, précité, Houssein c. Canada (MEI), une décision récente de la Section de première instance de la Cour fédérale, et Rajaratnam c. MEI (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.)
[21] Dans Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302, le juge Heald, de la Cour d'appel fédérale, a dit que lorsqu'un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. Dans Djama c. Canada (MEI) (A-738-90, 5 juin 1992), il a été jugé que le tribunal commettrait une erreur s'il se laisser obnubiler par les détails du témoignage du revendicateur au point d'en oublier l'essentiel des faits sur lesquels la revendication est fondée.
[22] Dans ses motifs, le tribunal a clairement dit qu'il doutait du témoignage du demandeur. En particulier, il a conclu à l'existence de contradictions internes, d'une preuve documentaire contradictoire et à des manquements à la vraisemblance. Le tribunal a souligné que le demandeur a eu l'occasion de fournir des explications sur les contradictions et sur les manquements à la vraisemblance, mais que ce dernier n'avait pas convaincu le tribunal.
[23] Le tribunal a jugé les citations à comparaître « douteuses » . Il a affirmé que le demandeur était évasif et qu'il s'était contredit en tentant d'expliquer comment il les avait reçues. Le tribunal a dit que le demandeur avait témoigné qu'elles étaient dans sa cour, chez son voisin et qu'elles avaient été envoyées à sa résidence « personnelle » . Cela ne peut évidemment pas être le cas. La lecture des notes sténographiques, toutefois, montre les choses sous un autre jour :
[TRADUCTION]
Q.Où avez-vous reçu les deux citations à comparaître?
R.Ces deux citations ont été envoyées à notre maison et, par l'intermédiaire des voisins, ils les ont données à ma famille.
Q.Quand vous dites « notre maison » , qu'est-ce que vous voulez dire? La maison de qui?
R.Ces deux mandats ont été envoyés à ma propre résidence personnelle, dans laquelle je vivais. Ils ont été envoyés là.
Q.Alors, comment, y avait-il quelqu'un d'autre qui vivait dans la maison à l'exception de vous-même?
R.Non. Je vivais seul.
Q.Alors, comment quelqu'un pouvait-il avoir accès à ces papiers dans votre maison?
R.En Iran, les maisons n'ont pas de boîte aux lettres comme au Canada. Quand ils livrent le courrier, ils le lancent dans la cour ou ils le remettent aux voisins.
(DD, notes sténographiques, p. 164)
Il ressort de cet échange avec l'avocat que ce que le demandeur a dit, c'est que les citations à comparaître ont été envoyées à sa maison, mais que, comme il n'était pas chez lui, elles ont été remises à ses voisins qui, pour leur part, les ont transmises à sa famille. Il est vrai qu'un témoignage rendu avec l'aide d'un interprète peut parfois être difficile à saisir, mais il n'en demeure pas moins que la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur était évasif et qu'il se contredisait apparaît comme non fondée à la lumière des notes sténographiques.
[24] Le tribunal a également jugé le demandeur « très évasif » lorsqu'il lui a été demandé par le président du tribunal de donner son adresse personnelle à Téhéran. La lecture des notes sténographiques est, encore une fois, très révélatrice :
[TRADUCTION]
Q.À quelle adresse viviez-vous à l'époque?
R.Mirdamdad (inaudible). * * * rue Zafar * * * Et là, il y avait une petite rue, dont j'ai oublié le nom (inaudible), et le numéro civique était le 42 et le numéro d'appartement était, je pense, le 2. Le numéro civique était le 41 et le numéro d'appartement était le 2. Cela fait un an et demi, un an et quelque chose, et je ne me souviens pas de l'adresse exacte.
Q.Pendant combien de temps avez-vous vécu là?
R.Pendant environ un an et demi.
(DD, notes sténographiques, p. 164 et 165)
Encore une fois, les notes sténographiques ne paraissent pas appuyer la conclusion tirée par le tribunal. En effet, les citations à comparaître elles-mêmes (pièce C-2) indiquent que l'adresse du demandeur est : « Avenue Mirdamad, Voie Shams Tabrizi, no 41 » . Le demandeur n'apparaît s'être trompé que relativement au nom de la voie; il est exagéré de qualifier cela de « très évasif » .
[25] Enfin, le tribunal trouve « bizarre » que le demandeur ait commis une action aussi risquée que celle d'emporter en douce, dans sa valise, les citations à comparaître hors de l'Iran, étant donné les graves conséquences qu'aurait entraîné la découverte de ces documents. Encore une fois, cette conclusion ne paraît pas raisonnable à la lumière de l'explication du demandeur selon laquelle il croyait que ces documents l'aideraient à fonder sa revendication du statut de réfugié.
[26] Le tribunal a qualifié la relation entre le demandeur et Mostafa de « maintenant tendue » , sous-entendant par là qu'il en avait été autrement auparavant. Cela n'est pas conforme au témoignage de Mostafa, selon lequel le contraire est vrai :
[TRADUCTION]
Q.Avez-vous des contacts maintenant, au Canada, avec votre demi-frère?
R.Oui, parce qu'ici, naturellement, nous n'avons pas de membres de notre parenté. Nous avons plus de contacts et de relations qu'en Iran.
(DD, notes sténographiques, p. 158)
Le demandeur a confirmé cela dans une certaine mesure dans son témoignage, lorsqu'il a affirmé que lui et ses demi-frères n'ont jamais été proches en Iran (p. 160).
[27] Le tribunal a dit qu'il était évident que le demandeur n'avait pas aidé Mostafa à quitter l'Iran, et que cela apparaissait encore plus clairement du fait qu'il avait été incapable de dire avec précision au tribunal quand son demi-frère avait quitté l'Iran (DD, motifs de la décision, p. 7). Ici, le tribunal semble se méprendre : le demandeur n'a jamais prétendu avoir aidé Mostafa, mais seulement que le gouvernement avait l'impression qu'il l'avait fait, d'où les citations à comparaître. Vu la nature limitée de leur relation - ce qu'aucun des deux demi-frères n'a nié - il serait déraisonnable de conclure qu'ils se seraient échangé des secrets dès l'arrivée du demandeur au Canada.
[28] Le tribunal a dit qu'il accordait plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du demandeur à l'égard de la procédure de départ à l'aéroport Mehradad à Téhéran. Il est bien établi qu'un tribunal peut choisir d'attribuer plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage fait sous serment, dans la mesure où il indique clairement et sans équivoque pourquoi il le fait : Aligolian c. Canada (MCI) IMM-3684-96 (22 avril 1997) (C.F. 1re inst.), Okyere-Akosah c. Canada (MEI), A-92-91 (6 mai 1991) (C.A.F.), et Hilo c. Canada (MEI), A-260-90 (15 mars 1991) (C.A.F.). Il faut cependant souligner que le demandeur s'est opposé à ce qu'on utilise un rapport de 1993 pour juger de ses actions en 1995. En dépit de cette opposition, les notes sténographiques révèlent que le témoignage du demandeur est conforme, dans ses grandes lignes, à ce rapport, si l'on tient compte des impondérables de la traduction. Le tribunal de la SSR aurait au moins dû être conscient, voire même bien comprendre l'importance, de la preuve relative au choix du guichet fait par un voyageur et au rôle joué par le colonel à l'aéroport, lesquels, pris ensemble, minimisaient le risque couru par le demandeur.
Conclusion
[29] En rendant sa décision, le tribunal s'est fondé en grande partie sur ses conclusions relatives aux citations à comparaître « douteuses » . Le tribunal s'est aussi fondé sur sa mauvaise perception de la nature de la relation du demandeur avec son demi-frère. Ces conclusions ne sont toutefois pas soutenues par la preuve, si on lit correctement les notes sténographiques de l'audition. Elles constituent plutôt des erreurs dans l'interprétation de la preuve. Lorsque des éléments de preuve mal interprétés jouent un rôle déterminant dans les conclusions tirées par le tribunal, la cour qui exerce le contrôle judiciaire peut annuler la décision : Owusu-Ansah v. Canada (MEI) (1990), 8 Imm.L.R. (2d) 106 (C.A.F.) et Zalzali v. Canada (MEI) (1992), 14 Imm.L.R. (2d) 81 (C.A.F.). La décision de la SSR (dossier no T96-01018) est annulée, et la revendication du statut de réfugié faite par le demandeur est renvoyée à la SSR pour réexamen et nouvelle décision par un tribunal de la SSR différemment constitué. Si le demandeur et/ou son demi-frère Mostafa sont appelés à témoigner devant le nouveau tribunal, celui-ci devra prendre connaissance des présents motifs avant l'audition; et le tribunal serait bien avisé de se renseigner sur la relation entre les demi-frères de mères différentes dans le cadre de mariages polygames. Il faudrait aussi tenir compte du fait que le demi-frère n'a même pas mentionné le demandeur comme membre de sa parenté.
F.C. Muldoon
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 2 novembre 1998
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-3470-97
INTITULÉ DE LA CAUSE : Mohammad Reza Shojaie Asanjan c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 22 octobre 1998
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON
EN DATE DU : 2 novembre 1998
COMPARUTIONS
M. Isak Grushka pour le demandeur
M. Stephen Gold pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. Isak Grushka
Toronto (Ontario) pour le demandeur
M. Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada pour le défendeur