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                                                                                                                              Date : 20040628

                                                                                                                  Dossier : IMM-9091-03

                                                                                                              Référence : 2004 CF 890

ENTRE :

                                                                   ALI ISACKO

                                                                                                                                        demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 16 octobre 2003, dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur ntait pas un réfugié au sens de la Convention ou une « personne à protéger » tel que ces expressions sont définies respectivement aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi).

[2]         Ali Isacko (le demandeur) est un citoyen de la République centrafricaine (la CF) qui prétend craindre la persécution en raison de sa nationalité et des opinions politiques qui lui sont imputées. Le demandeur prétend également être une « personne à protéger » .


[3]         La Commission a conclu que le demandeur ntait pas un réfugié au sens de la Convention ou une « personne à protéger » ; en effet, selon la Commission, il stait opéré en CF un changement dans les circonstances qui avait modifié la situation qui donnait lieu à la crainte de persécution du demandeur. La commission a également conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il existait des « raisons impérieuses » pour l'empêcher de rentrer en CF.

[4]         Le demandeur plaide que les conclusions de la Commission relativement aux circonstances modifiées en CF ont été tirées sans qu'une appréciation ait été faite de sa situation particulière et que la conclusion de la Commission concernant l'absence de « raisons impérieuses » est déraisonnable. D'autre part, le défendeur prétend que la Cour n'a aucune raison d'intervenir dans la présente affaire parce que la décision était raisonnable et fondée sur les faits et sur la jurisprudence de la Cour.

[5]         Selon l'alinéa 108(1)e) de la Loi, une demande d'asile sera rejetée si les motifs pour lesquels la personne a demandé l'asile ont cessé d'exister. La question de savoir s'il y a eu un changement suffisamment important dans les circonstances dans le pays d'origine pour écarter une crainte fondée de persécution du demandeur au moment où il a fui son pays est une question de fait qui doit être tranchée par la Commission (voir Stoyanov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 N.R. 394 (C.A.F.)). La seule question qui doit être examinée dans un cas où les circonstances ont changé est la question de fait de savoir s'il existe une crainte fondée de persécution au moment de l'audition de la demande; de plus, chaque cas est un cas d'espèce (Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.)).


[6]         Dans la présente affaire, le demandeur prétend craindre la persécution en raison des liens allégués de son père avec la tentative de coup dtat survenue le 28 mai 2001 et avec le régime de l'ex-président Kolingba. Le demandeur a avancé que ses parents manquaient toujours à l'appel et qu'il craignait dtre arrêté en raison de son lien avec son père et en raison de ses origines ethniques yakoma; selon lui, les Yakomas sont de façon générale associés à la tentative de coup dtat dont l'ex-président Kolingba était l'instigateur. La Commission a conclu que, selon la preuve documentaire, la grande majorité des réfugiés d'origine yakoma qui avaient fui la CF après la tentative de coup dtat étaient revenus de leur propre chef depuis la nomination de François Bozizé comme président. De plus, la Commission a mentionné que, selon la preuve documentaire, une amnistie générale avait été accordée à toutes les personnes qui avaient été accusées dtre liées à la tentative de coup dtat. Par conséquent, la Commission a conclu qu'il y avait eu des changements importants dans les circonstances en CF au point que la crainte de persécution du demandeur avait été écartée. Ces changements sont très pertinents en ce qui concerne la prétention du demandeur puisque la preuve démontre que les circonstances en CF ont changé à un tel point qu'un grand nombre de personnes dans la même situation que le demandeur peuvent rentrer chez eux en CF en toute sécurité.


[7]         Le paragraphe 108(4) prévoit que lorsque qu'il y a des « raisons impérieuses » tenant à des persécutions antérieures qui justifient le refus du demandeur de se réclamer de la protection du pays qu'il a quitté, alors l'alinéa 108(1)e) ne s'applique pas, même si le demandeur n'a plus de raison de craindre la persécution à l'avenir (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.)). Le paragraphe 108(4) est très semblable au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et par conséquent, la jurisprudence qui s'est formée relativement au paragraphe 2(3) de l'ancienne loi peut nous guider pour l'interprétation du paragraphe 108(4) de la Loi. La seule différence entre l'ancienne et la nouvelle version des dispositions relatives aux « raisons impérieuses » est que le paragraphe 108(4) précise que les « raisons impérieuses » peuvent tenir à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines alors que le paragraphe 2(3) se limite à la persécution antérieure.

[8]         La question de savoir s'il existe des « raisons impérieuses » dans un cas donné est une question de fait (Rasanayagam c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1080 (C.F. 1re inst.) (QL)). C'est la Commission, avec son expertise et son expérience, qui est la mieux placée pour évaluer si le demandeur est visé par le champ d'application de la disposition concernant les « raisons impérieuses » (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 630 (C.F.1re inst.) (QL)). Toutefois, la Cour a reconnu que la disposition concernant les « raisons impérieuses » constitue une exception à la règle générale relative à la perte d'asile énoncée à l'alinéa 108(1)e) et qu'elle ne s'applique qu une petite minorité de demandeurs d'asile. Dans la décision Hassan, précitée, le juge Rothstein a mentionné ce qui suit au paragraphe 11 :

[...] le paragraphe 2(3) ne s'applique qu une petite minorité de requérants actuels, c'est-à -dire de requérants appartenant à une catégorie spéciale et restreinte et pouvant démontrer qu'ils ont été persécutés de manière si épouvantable que cela seul constitue une raison impérieuse de ne pas les renvoyer dans le pays où ils ont subi cette persécution. Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même lventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.

[9]         Lorsqu'elle apprécie si la nature de la persécution, de la torture, des traitements ou peines antérieurs donne lieu à des « raisons impérieuses » , la Commission « est tenue de prendre en considération le degré d'atrocité des actes dont [le demandeur] a été la victime ainsi que les répercussions de ces actes sur son état physique et mental, puis de juger si ces facteurs constituent en soi une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine » (Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 251 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[10]       Dans la présente affaire, la Commission a tenu compte du fait que le demandeur n'avait que 17 ans lorsque les militaires ont emmené ses parents. Toutefois, la Commission a également noté le fait que le demandeur ntait pas lui-même visé et qu'il n'avait pas démontré qu'il avait des raisons valides de craindre la persécution. De plus, la Commission a tenu compte du fait que le demandeur n'avait pas démontré qu'il avait souffert d'un traumatisme psychologique en raison de l'arrestation de ses parents, lequel constituerait une raison impérieuse pour ne pas rentrer en CF. Par conséquent, le demandeur n'a pas démontré que la persécution subie antérieurement avait laissédes séquelles psychologiques permanentes du niveau requis pour l'application du paragraphe 108(4) de la Loi. Même si le demandeur a dit avoir subi un traumatisme en raison des événements en question, cette affirmation n'a été étayée par aucun élément de preuve présenté à la Commission, que ce soit par le demandeur lui-même ou par un témoin expert. Par conséquent, malgré la présentation habile faite par l'avocat du demandeur, je conclus que le demandeur n'a pas démontré qu'il est compris dans la classe très restreinte de demandeurs d'asile décrite au paragraphe 108(4) de la Loi; la conclusion de la Commission sur ce point ntait pas manifestement déraisonnable.

[11]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                  « Yvon Pinard »          

                                                                                                                                                    Juge                     

Ottawa (Ontario)

Le 28 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-9091-03

INTITULÉ:                                                     ALI ISACKO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 27 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 JUIN 2004

COMPARUTIONS:

Michael Crane                                                POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michael Crane                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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