Ottawa (Ontario), le 17 mai 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE
ENTRE :
Partie demanderesse
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Une suspension des renvois vers un pays (qui est une protection provisoire ou un moratoire décrétée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) est une mesure administrative gouvernementale pour s'assurer que la vie des individus envisagée ne serait pas mise en péril dans des circonstances temporaires et généralisées.
Par contre, statuer sur une demande d'asile d'une façon permanente est une responsabilité quasi-judiciaire qui découle du mandat de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
PROCÉDURE JUDICIAIRE
[2] La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiéss (Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 15 septembre 2004. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur ne satisfait pas _ la définition de « réfugié au sens de la Convention » _ l'article 96 ni _ celle de « personne _ protéger » au paragraphe 97(1) de la Loi.
FAITS
[3] Citoyen de la République démocratique du Congo (RDC), le demandeur, M. Banza Kalumba, de l'ethnie hema aurait été témoin des massacres perpétrés par l'ethnie lendu. Il aurait fui dans la montagne en juin 1999. En revenant dans son village, il aurait découvert que ses parents avaient été massacrés. Suite à ces événements, il se serait déplacé à Drodro. En mai 2002, il aurait été arrêté et amené dans un camp lendu appelé Kilomoto. Il aurait été traité comme un esclave. Un mois plus tard, il aurait réussi à s'enfuir au village de Nyaramba. Le 24 février 2004, des lendus auraient attaqué le village de Nyaramba. M. Kalumba aurait réussi à fuir vers l'Ouganda. Après avoir rencontré M. Kiamatalé, celui-ci l'aurait aidé en lui présentant Mme Christine, une passeure, qui lui aurait fourni un faux passeport français. M. Kalumba aurait quitté l'Ouganda le 29 février 2004, serait arrivé au Canada le 1er mars 2004 et aurait demandé l'asile le lendemain.
DÉCISION CONTESTÉE
[4] La Commission, même si elle avait des doutes quant à l'itinéraire pris par M. Kalumba pour venir au Canada, a conclu que celui-ci était crédible. Cependant, après avoir analysé l'ensemble de la preuve soumise et la situation de M. Kalumba, elle a conclu que ce dernier avait une possibilité de refuge interne à Lubumbashi ou à Kinshasa. La Commission a donc conclu que M. Kalumba n'était pas un réfugié ni une personne à protéger.
QUESTIONS EN LITIGE
[5] 1. La Commission a-t-elle erré de façon manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge interne en RDC?
2. La Commission a-t-elle erré en omettant de considérer le paragraphe 108(4) de la Loi, à savoir que le demandeur avait des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection de son pays?
ANALYSE
1. La Commission a-t-elle erré de façon manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge interne en RDC?
[6] La question de savoir si une possibilité de refuge interne existe est une question de faits. Les questions purement factuelles décidées par la Commission pour parvenir à la décision attaquée, incluant la question de savoir s'il existe une possibilité de refuge interne pour un demandeur dans son pays, sont contrôlables selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1, Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2,Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3). D'ailleurs, c'est le demandeur qui a le fardeau de démontrer qu'il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre partie du pays (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4).
[7] En l'espèce, M. Kalumba n'a pas satisfait à ce fardeau. Les incidents de persécution se sont tous déroulés dans le village de Bunia et dans les villages avoisinants et étaient donc de nature locale.
[8] Invité par la Commission à expliquer pourquoi il avait quitté Lubumbashi (où il a mentionné avoir vécu de 1970 à 1997 et où il a étudié et même travaillé de 1993 à 1997 comme commerçant) pour retourner dans son village de Bunia, M. Kalumba a tout simplement dit qu'il voulait retrouver ses parents et il a témoigné ne jamais avoir eu de problème à Lubumbashi. M. Kalumba a cependant témoigné qu'il ne pouvait pas vivre à Lubumbashi car il n'est pas en sécurité et qu'il est persécuté moralement. À ce sujet, la Commission lui a demandé s'il avait eu des problèmes avec les autorités et M. Kalumba a répondu négativement.
[9] Questionné par la Commission s'il pouvait vivre à Kinshasa, toujours en RDC, M. Kalumba a répondu que les mêmes problèmes régionalistes font en sorte qu'il se sent moins en sécurité dans un endroit comme Kinshasa. Par contre, M. Kalumba a avoué ne jamais avoir essayé d'y aller au motif que c'était trop loin, à environ 2000 km de son village de Bunia.
[10] Ces raisons retenues par la Commission au soutien de sa conclusion d'une possibilité de refuge interne en RDC ne sont aucunement contestées devant cette Cour. En effet, M. Kalumba ne conteste pas les parties de son témoignage concernant les raisons pour lesquelles il n'a pas essayé d'aller s'installer à Kinshasa et le fait qu'il n'a jamais eu de problèmes avec les autorités de son pays lorsqu'il a vécu à Lubumbashi pendant 27 ans. M. Kalumba n'a pas fait de démarches, suite aux événements de persécution, pour déménager dans une ville où il était susceptible de trouver une certaine sécurité. La Commission n'a donc pas erré.
[11] M. Kalumba soumet que l'application du refuge interne pour la RDC n'est pas raisonnable compte tenu de la suspension temporaire des renvois vers la RDC décrétée par le Canada.
[12] La Cour convient avec le défendeur qu'il s'agit de deux notions complètement distinctes. La Loi prévoit une protection provisoirement offerte pour un ressortissant étranger par les autorités canadiennes et l'obtention de l'asile au Canada, qui constitue quant à lui un statut légal.
[13] En l'espèce, il s'agissait non pas de décider si M. Kalumba devait bénéficier de la suspension temporaire des renvois vers la RDC (qui est une protection provisoire) décrétée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (Ministre), mais bien de déterminer si la demande d'asile pouvait être accordée à M. Kalumba.
230. (1) The Minister may impose a stay on removal orders with respect to a country or a place if the circumstances in that country or place pose a |
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230. (1) Le ministre peut imposer un sursis aux mesures de renvoi vers un pays ou un lieu donné si la situation dans ce pays ou ce lieu expose l'ensemble de |
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[14] L'article 230 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés5 (Règlement) traite des sursis temporaires aux mesures de renvoi vers un pays donné, que le Ministre peut imposer :
la population civile à un risque généralisé qui découle : |
a) soit de l'existence d'un conflit armé dans le pays ou le lieu;
b) soit d'un désastre environnemental qui entraîne la perturbation importante et momentanée des conditions de vie;
c) soit d'une circonstance temporaire et généralisée.
(2) Le ministre peut révoquer le sursis si la situation n'expose plus l'ensemble de la population civile à un risque généralisé.
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generalized risk to the entire civilian population as a result of |
(a) an armed conflict within the country or place;
(b) an environmental disaster resulting in a substantial temporary disruption of living conditions; or
(c) any situation that is temporary and generalized.
(2) The Minister may cancel the stay if the circumstances referred to in subsection (1) no longer pose a generalized risk to the entire civilian population.
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[15] On constate clairement du paragraphe 230 (1) du Règlement que le Ministre peut imposer un tel sursis aux mesures de renvois vers un pays donné si la situation dans ce pays expose l'ensemble de la population civile à un risque généralisé qui découle de situations précises prévues à ce paragraphe. L'article 230 ne fait aucunement référence à la définition de réfugié ni à celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. La décision négative de la Commission portant sur la demande d'asile ne constitue pas une mesure de renvoi prévue à l'article 230 du Règlement. La Commission n'a pas erré en ne considérant pas, dans le cadre d'une demande d'asile, la suspension temporaire des renvois vers la RDC.
[16] Par la mécanique de la Loi et du Règlement, M. Kalumba, peu importe la décision négative relativement à sa demande d'asile, pourra bénéficier du sursis temporaire aux renvois décrété par le Ministre à l'égard de la RDC en raison du risque généralisé pour l'ensemble de la population civile de ce pays décrété par le Ministre pour les raisons précisées au paragraphe 230(1) du Règlement. Le paragraphe 230(2) du Règlement prévoit que le Ministre peut révoquer le sursis temporaire des mesures de renvoi si la situation dans le pays désigné n'expose plus l'ensemble de la population civile à un risque généralisé. Ainsi, le sursis aux mesures de renvoi vers la RDC serait levé et le Ministre pourrait entamer les procédures pour ordonner des mesures de renvoi face aux demandeurs d'asile déboutés originaire de ce pays. Dans ce cas, un demandeur qui a été débouté de sa demande d'asile pourrait éventuellement faire l'objet d'une mesure de renvoi en raison du fait qu'il ne rencontre pas la définition de réfugié ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.
2. La Commission a-t-elle erré en omettant de considérer le paragraphe 108(4) de la Loi, à savoir que le demandeur avait des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection de son pays?
[17] M. Kalumba soutient avoir des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection de son pays aux termes du paragraphe 108(4) de la Loi et il reproche à la Commission de ne pas avoir considéré l'application à son dossier de cette disposition législative. L'article 108 de la Loi prévoit ce qui suit :
108. (1) Est rejetée la demande d'asile et le demandeur n'a pas qualitéde réfugiéou de personne à protéger dans tel des cas suivants : |
[¼]
e) les raisons qui lui ont fait demander l'asile n'existent plus.
(2) L'asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).
(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d'asile.
(4) L'alinéa (1)e) ne s'applique pas si le demandeur prouve qu'il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'il a quittéou hors duquel il est demeuré. (La Cour souligne.)
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108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances: |
[¼]
(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.
(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).
(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.
(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment. (Emphasis added.)
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[18] De par le libellé de l'article, la Commission doit d'abord conclure qu'une personne se serait vue conférer le statut de réfugié n'eut été des changements de circonstances survenus dans le pays avant de considérer l'application du paragraphe 108(4) de la Loi. En l'espèce, la Commission a conclu que M. Kalumba disposait d'une possibilité de refuge interne dans son pays d'origine et par conséquent, elle a donc conclu que M. Kalumba n'avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.
[19] En second lieu, il n'est nullement question dans les motifs de la Commission d'un quelconque changement de circonstances en RDC et qui aurait pour effet d'enlever tout fondement à sa crainte de persécution. Il n'y avait donc pas lieu pour la Commission de procéder à une analyse des « raisons impérieuses » en vertu du paragraphe 108(4) de la Loi.
[20] Ce principe a été énoncé par la Cour d'appel fédérale dans Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)6, qui traitait des paragraphes 2(2) et 2(3) de l'ancienne Loi sur l'immigration7 (maintenant l'article 108 de la Loi) :
Il est évident, comme le laisse entendre l'appelant, que les paragraphes 2(2) et 2(3) de la Loi sur l'immigrationtraitent de la perte du statut de réfugiéau sens de la Convention, en raison notamment du changement d'un fait pertinent survenu dans le pays dont le réfugiéa la nationalité. Toutefois, ces dispositions ne changent en rien le critère utilisépour déterminer initialement le statut d'un revendicateur. Il est de droit constant que pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention au sens accordé à cette expression par la Loi sur l'immigration, il faut respecter, à la fois, un critère de subjectivité et d'objectivité. On doit « craindre avec raison d'être persécuté » . On ne peut en arriver à la possibilitéde perdre son statut de réfugiéau sens de la Convention, c'est-à -dire que les paragraphes 2(2) et 2(3) ne peuvent s'appliquer, que si l'on est tout d'abord visépar la définition de la loi au paragraphe 2(1). (La Cour souligne)
[21] Dans l'affaire Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)8, cette Cour a réitéré ce principe clairement établi par la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale :
La première erreur alléguée est que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'exception des "raisons impérieuses" prévue à l'article 108 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Cet argument repose essentiellement sur le fait que, dans la même décision, la SPR a conclu que, parce que le fils et la bru de Mme Brovina ont obtenu l'asile, ils n'allaient pas retourner en Albanie, et que les raisons pour lesquelles Mme Brovina avait été persécutée en Albanie seraient donc éliminées. Puisque les motifs pour lesquels Mme Brovina avait quitté l'Albanie avaient cessé d'exister -- en raison de la décision de la Commission elle-même -- la Commission aurait dû se prononcer sur l'existence ou non de raisons impérieuses pour lesquelles elle ne devait pas être renvoyée en Albanie.
Le problème que pose cet argument est que la SPR n'a pas conclu que Mme Brovina a été victime de persécution dans le passé. Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d'abord conclure qu'il existait une demande valide du statut de réfugié(ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cesséd'exister (en raison d'un changement de la situation dans le pays). C'est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l'ancien pays était à ce point épouvantable que l'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l'État. (La Cour souligne)
[22] Le paragraphe 108(4) de la Loi ne trouve pas application en l'espèce et la Commission n'avait pas à étudier cette question.
CONCLUSION
[23] Pour ces motifs, la Cour répond par la négative aux deux questions en litige. Par conséquent, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que
1. La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
2. Aucune question n'est certifiée.
Juge
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 10 MAI 2005
ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS DE
L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE 17 MAI 2005
COMPARUTIONS:
Me Eveline Fiset POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Isabelle Brochu POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me EVELINE FISET POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
JOHN H. SIMS C.R. POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
1L.C. 2001, c. 27.
1 2003 CF 954, [2003] A.CF. no 1217 (QL) au paragraphe 4.
2 [1994] A.C.F. no 2018 (QL) aux paragraphes 25-26.
3 2003 CFPI 673, [2003] A.C.F. no 878 (QL) aux paragraphes 57-59.
4 [2000] A.C.F. no 2118 (C.A.F.) (QL) aux paragraphes 10-11.
5 DORS/2002-227.
6 A-831-90, 22 octobre 1992 (C.A.F.).
7 L.R.C. 1985, c. I-2.
8 [2004] A.C.F. 771 (C.F.) (QL), 2004 CF 635 aux paragraphes 4-5.