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Date : 20060127

Dossier : IMM-6689-03

Référence : 2005 CF 299

ENTRE :

                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L=IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                               RONALD GOMES

                                                                                                                                             défendeur

                     MOTIFS MODIFIÉS DE L=ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O=KEEFE

[1]                Le ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d=appel de l=immigration de la Commission de l=immigration et du statut de réfugié (la Commission) de considérer que le temps passé en détention par Ronald Gomes (le défendeur) avant qu=une peine lui soit infligée ne faisait pas partie de l=emprisonnement servant à déterminer s=il y avait interdiction de territoire pour grande criminalité suivant le paragraphe 64(2) de la Loi sur l=immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).


Le contexte

[2]                Le défendeur est un citoyen du Guyana qui est devenu résident permanent du Canada le 23 juillet 1987.

[3]                Le défendeur a été déclaré coupable de voies de fait graves le 16 octobre 2001. Le mandat d=incarcération délivré par la cour se lit comme suit :

[TRADUCTION] Et il a été décidé que le délinquant devait être emprisonné dans ledit établissement pendant un an, en plus du temps qu=il a déjà passé en détention et pour lequel 32 mois lui sont crédités.

[4]                Par suite de cette déclaration de culpabilité, une enquête a eu lieu devant la Section de l=immigration de la Commission afin de déterminer si le défendeur devait être renvoyé du Canada. La Section de l=immigration a jugé que le défendeur était visé à l=alinéa 36(1)a) de la LIPR et a pris une mesure d=expulsion contre lui le 16 septembre 2002. Le défendeur a porté cette mesure en appel auprès de la Section d=appel.

[5]                La question préliminaire suivante a été soulevée devant la Commission : le défendeur avait-il un droit d=appel à la Commission compte tenu des paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR? Ces dispositions prévoient ce qui suit :

64. (1) L=appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l=étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l=étranger, son répondant.


(2) L=interdiction de territoire pour grande criminalité vise l=infraction punie au Canada par un emprisonnement d=au moins deux ans.

[6]                Si la peine du défendeur était formée de la période de détention préalable au procès et de l=emprisonnement d=un an, aucun appel ne pouvait être interjeté. Par contre, si sa peine était seulement l=emprisonnement d=un an, il avait un droit d=appel parce qu=il n=était pas visé par la définition de grande criminalité.

[7]                Après avoir examiné les prétentions des parties, la Commission a décidé que la détention présentencielle ne faisait pas partie de la peine d=emprisonnement infligée au défendeur. Ce dernier avait donc un droit d=appel à la Commission.

[8]                C=est cette décision qui fait l=objet du présent contrôle judiciaire.

La question en litige

[9]                La Commission a-t-elle commis une erreur de droit et une erreur dans l=exercice de sa compétence lorsqu=elle a conclu que le défendeur n=avait pas été condamné à un emprisonnement d=au moins deux ans malgré les 32 mois (deux ans et huit mois) qui lui avaient été crédités et l=emprisonnement d=un an infligé par la juge de la cour provinciale, et qu=il n=avait donc pas perdu son droit d=appel régi par les paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR?


Les dispositions légales pertinentes

[10]            Les paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR prévoient ce qui suit :

64. (1) L=appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l=étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l=étranger, son répondant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

(2) L=interdiction de territoire pour grande criminalité vise l=infraction punie au Canada par un emprisonnement d=au moins deux ans.

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

[11]            Les paragraphes 719(1) et (3) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, prévoient ce qui suit :

719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

[...]

719. (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.

. . .

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d=une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l=infraction.

(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence.


Analyse et décision

[12]            La juge Mossip a mentionné ce qui suit lorsqu=elle a infligé la peine au défendeur (dossier du tribunal, aux pages 70 et 71) :

[TRADUCTION]

CRÉDIT POUR LA DÉTENTION PRÉALABLE À LA DÉCISION

[56]      Je ne suis pas convaincue que M. Gomes a subi un préjudice particulier à cause des circonstances de sa détention avant le procès. Même si je considère que tout ce que M. Gomes a dit à son avocat est vrai, la Cour suprême a écrit, dans R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, aux pages 479 et 480, que c=est pour tenir compte de problèmes courants comme le manque de counselling ou de formation, la dureté de la détention attribuable à l=absence de programmes et le fait qu=aucun des mécanismes de remise ne s=applique à ce * temps mort + que la politique consistant à compter en double le temps passé en détention avant le procès existe. La Cour suprême a écrit également que le crédit ne peut pas et ne doit pas être déterminé à l=aide d=une formule rigide et qu=il est préférable de laisser cette question à la discrétion du juge qui détermine la peine. Il n=y a rien dans les circonstances décrites par M. Gomes qui me convainc de multiplier par trois le temps qu=il a passé en détention avant son procès, comme l=avocat de la défense le demande. Je reconnais que les conditions dans lesquelles M. Gomes a vécu à Maplehurst pendant sept mois - il aurait été placé dans une cellule pour deux personnes avec deux autres détenus, où il dormait sur le plancher, la tête près de la toilette - justifient qu=un crédit plus grand soit accordé en l=espèce pour la détention présentencielle. Je suis disposée à considérer que M. Gomes a passé 32 mois en détention, au lieu des 28 mois qui seraient crédités si le rapport de 2 pour 1 était utilisé.

DÉCISION

[57]      À mon avis, une peine d=emprisonnement additionnelle d=un an permet d=atteindre les objectifs fondamentaux de l=infliction de la peine qui sont décrits aux présentes et est proportionnée à la gravité de l=infraction commise par M. Gomes et à son degré de responsabilité. Si l=on tient compte du crédit décrit ci-dessus, la peine équivaut donc, dans les faits, à une peine de près de quatre ans. J=estime que, parmi les facteurs énumérés précédemment, c=est la dissuasion générale qui est le plus important et c=est elle qui doit être prise en compte pour déterminer la peine qu=il convient d=infliger à M. Gomes. En outre, ce dernier a commis une infraction très grave qui exige une période additionnelle d=incarcération pour qu=il en comprenne bien les conséquences. Aussi, une condamnation avec sursis ne conviendrait pas car une telle peine ne refléterait pas la gravité de ce qui est arrivé, ne traduirait pas correctement l=aversion de la collectivité à l=égard de la violence familiale ou ne tiendrait pas suffisamment compte des principes de dissuasion particulière et générale.


[13]            Il ressort de la décision de la juge qui a infligé la peine que le défendeur a passé 14 mois en détention présentencielle pour lesquels il a obtenu un crédit de 32 mois. En infligeant une peine d=emprisonnement additionnelle d=un an, la juge a tenu compte de ce crédit qu=elle lui a donné. Elle a déclaré que, dans les faits, la peine équivalait à une peine de près de quatre ans.

[14]            Il est évident que, si l=on considère que la détention présentencielle fait partie de la peine du défendeur, son emprisonnement sera d=au moins deux ans et qu=il n=aura aucun droit d=appel à la Section d=appel suivant le paragraphe 64(1) de la LIPR.

[15]            La définition de grande criminalité figurant au paragraphe 64(2) de la LIPR parle d=une infraction punie au Canada par un emprisonnement de deux ans. Cette disposition ne parle pas d=une peine d=au moins deux ans, mais d=un emprisonnement d=au moins deux ans.

[16]            Le défendeur a fait valoir que le paragraphe 719(1) du Code criminel, précité, prévoit que la peine commence au moment où elle est infligée et que la seule peine qui lui a été infligée est un emprisonnement d=un an. Il aurait donc toujours un droit d=appel à la Section d=appel. Or, je ne crois pas que le paragraphe 719(1) du Code criminel, précité, aide la cause du défendeur, car il parle d=une peine alors que le paragraphe 64(2) de la LIPR parle d=un emprisonnement d=au moins deux ans. Le paragraphe 64(2) ne parle pas d=une peine d=emprisonnement de deux ans.

[17]            Dans R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, la Cour suprême du Canada a statué que la détention présentencielle est réputée faire partie de la peine. La juge Arbour a écrit ce qui suit aux pages 477 et 478 :

En conséquence, bien que la détention avant le procès ne se veuille pas une sanction lorsqu=elle est infligée, elle est, de fait, réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant, par l=application du par. 719(3).

[18]            Dans Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l=Immigration), [2004] A.C.F. no 63, le juge Pinard a affirmé ce qui suit aux paragraphes 13 et 15 :

À mon avis, la SAI a commis une erreur lorsqu=elle a omis de prendre en considération les objets de la LIPR et les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. La SAI a également omis de tenir compte des circonstances qui entourent la détermination des peines.

[...]

En adoptant l=article 64 de la LIPR, le législateur a voulu établir une norme objective de criminalité au regard de laquelle un résident permanent perd son droit d=appel. On peut présumer que le législateur était au courant du fait que, conformément à l=article 719 du Code criminel, la période de détention présentencielle est prise en considération lors de la détermination des peines. Appliquer l=article 64 de la LIPR en faisant abstraction de la période de détention présentencielle lorsque cette période a été expressément prise en compte dans la détermination de la peine serait contraire à l=intention qu=avait le législateur lors de l=adoption de cet l=article.

[19]            À mon avis, la juge qui a infligé la peine au défendeur a considéré que la détention présentencielle faisait partie de la peine. Aussi, je suis d=avis qu=un emprisonnement d=au moins deux ans a été infligé au défendeur : la détention présentencielle de 14 mois pour laquelle il a eu droit à un crédit de 32 mois et la peine d=un an qui lui a été infligée par la juge.

[20]            La Commission n=a pas tenu compte de la détention présentencielle du défendeur pour décider si le paragraphe 64(2) de la LIPR s=appliquait.

[21]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l=affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

[22]            Chaque partie dispose d=une semaine à compter de la date de la présente décision pour me soumettre des questions graves de portée générale. Chacune aura ensuite trois jours additionnels pour présenter ses observations sur les questions soumises par la partie adverse, le cas échéant.

                                        ORDONNANCE

[23]            LA COUR ORDONNE :

1.          que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l=affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

                                                                           _ John A. O=Keefe _              

                                                                                                     Juge                           

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 2006

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-6689-03

INTITULÉ :                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L=IMMIGRATION

c.

RONALD GOMES

LIEU DE L=AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L=AUDIENCE :                                   LE 22 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L=ORDONNANCE :                      LE JUGE O=KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                           LE 27 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Amina Riaz                                                                POUR LE DEMANDEUR

Dhaman Kissoon                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Kissoon & Associates                                               POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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