Date : 20191218
Dossier : IMM‑4081‑18
Référence : 2019 CF 1620
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2019
En présence de monsieur le juge Pentney
ENTRE :
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SHIPING HUANG (alias SHI PING HUANG)
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur, Shiping Huang (aussi appelé Shi Ping Huang), sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a confirmé le rejet de sa demande visant à parrainer son fils afin que celui‑ci obtienne la résidence permanente au Canada. La décision de la SAI découle de son interprétation du terme « enfant à charge »
dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], laquelle l’a amenée à conclure que le fils du demandeur ne pouvait être considéré comme un enfant à charge puisqu’il n’avait pas bénéficié du soutien de ses parents de façon continue depuis l’âge de 22 ans. En effet, pendant une certaine période de temps, il a vécu avec sa grand‑mère et sa tante et a été soutenu par celles‑ci, sans obtenir de soutien de ses parents. La SAI a conclu que la définition d’« enfant à charge »
exige l’existence d’un soutien ininterrompu de la part des parents; elle a donc rejeté la demande de parrainage.
[2]
Le demandeur soutient que l’interprétation de la SAI est déraisonnable, parce qu’elle ne permet pas de donner effet à l’objet de la disposition au regard de l’ensemble des objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 21 [la LIPR], et qu’elle entraîne des conséquences injustes, comme en l’espèce.
[3]
Pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
I.
Le contexte
[4]
Les faits de la présente affaire sont simples et les parties ne les remettent pas en question. Le demandeur et son épouse sont entrés au Canada à titre de visiteurs en avril 2006. Le mois suivant, ils ont présenté des demandes d’asile parce qu’ils craignaient de retourner en Chine. Celles‑ci ont été accueillies et, en novembre 2007, ils ont obtenu la résidence permanente au Canada.
[5]
Le demandeur et son épouse ont un fils, lequel est né en Chine en janvier 1982. En décembre 2004, à l’âge de 21 ans, celui‑ci est entré au Canada au moyen d’un visa d’étudiant. À ce moment‑là, ses parents lui apportaient un soutien financier. En octobre 2006, il a abandonné son programme d’études et, le mois suivant, il est retourné en Chine, sans en informer ses parents.
[6]
De novembre 2006 à 2011, le fils du demandeur a demeuré avec sa grand‑mère, qui subvenait à ses besoins essentiels, et il bénéficiait aussi du soutien financier de sa tante. Après avoir reçu un diagnostic de schizophrénie en mars 2013, il a été hospitalisé plusieurs fois pour obtenir des soins. Il est incapable de travailler ou de subvenir à ses besoins.
[7]
En 2011, le demandeur a rendu visite à son fils en Chine et, depuis lors, il lui fournit un soutien financier. En octobre 2013, il a présenté une demande en vue de parrainer son fils dans la catégorie du regroupement familial. Sa demande a été refusée en novembre 2013, pour des motifs qui ne sont pas liés à l’affaire dont est saisie la Cour en l’espèce. En février 2016, la SAI a annulé cette décision et renvoyé l’affaire pour réexamen. La demande de parrainage a été refusée une seconde fois le 31 juillet 2018 et c’est cette décision qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
La question en litige et la norme de contrôle
[8]
Dans la présente affaire, la seule question à trancher est celle de savoir s’il était déraisonnable que la SAI conclue que le sous‑alinéa 2b)(ii) de la définition d’« enfant à charge »
énoncée dans le Règlement exige l’existence d’un soutien financier continu, ininterrompu et substantiel depuis l’âge de 22 ans.
[9]
La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Shomali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1, au par. 12). La Cour suprême du Canada a récemment réitéré que l’interprétation donnée par un tribunal spécialisé à sa loi constitutive (aux termes de laquelle il est appelé à rendre justice) est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [CCDP]). Voici ce que la Cour suprême explique au paragraphe 55 de cet arrêt :
[55] Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.
III.
Analyse
[10]
La présente affaire fait intervenir la définition d’« enfant à charge »
énoncée dans le Règlement :
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[11]
L’alinéa 117(1)b) du Règlement prévoit qu’un étranger ayant qualité d’« enfant à charge »
appartient à la catégorie du regroupement familial. Dans le cas du demandeur, la conclusion selon laquelle son fils ne correspondait pas à cette définition était donc fatale à sa demande de parrainage.
[12]
La décision de la SAI repose sur deux conclusions principales. Premièrement, au regard de la preuve, la SAI a jugé que le fils du demandeur avait été financièrement dépendant de ses parents avant de quitter le Canada de façon subite en novembre 2006. Toutefois, la preuve n’établissait pas que le soutien financier des parents s’était poursuivi entre 2007 et 2011. La SAI n’a pas retenu les explications du demandeur concernant son omission de fournir des documents financiers à l’appui pour les années 2007 à 2011; elle a conclu que le fils du demandeur avait été financièrement dépendant de sa grand‑mère et de sa tante durant cette période, et non de ses parents.
[13]
Deuxièmement, la SAI a conclu que la notion d’« enfant à charge »
exigeait l’existence d’une dépendance continue depuis l’âge de 22 ans, sans interruption. Elle s’est fondée sur la décision de la Cour dans l’affaire Gilani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1522 [Gilani]. Au paragraphe 18 de sa décision, la SAI a conclu que la décision Gilani établissait que « la continuité de la dépendance de l’enfant à l’égard de l’un ou l’autre de ses parents doit être ininterrompue. Une interruption de cette dépendance équivaut à l’exclusion du demandeur de la catégorie du regroupement familial »
.
[14]
En fin de compte, la SAI a jugé que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau qui consistait à démontrer que son fils avait été financièrement dépendant de ses parents depuis l’âge de 22 ans, et elle a donc rejeté la demande de parrainage.
[15]
Le demandeur prétend que la SAI a commis une erreur en introduisant dans la définition d’« enfant à charge »
une exigence de continuité ininterrompue en ce qui a trait à la période de soutien financier. Selon lui, l’élément central de la définition se rapporte à une dépendance financière substantielle, et non à un soutien financier continu et ininterrompu. Il prétend que la SAI a commis une erreur en se fondant sur la décision Gilani, car, dans cette décision, la mention à « la condition relative au soutien financier est présentée […] comme continue »
(au par. 11) est purement incidente, et elle ne devrait pas être considérée comme déterminante puisque la Cour n’avait pas bénéficié d’arguments complets sur ce point. Le demandeur soutient que la continuité de la dépendance financière n’était pas une question en litige dans Gilani et qu’elle n’a pas été examinée en tant que telle : l’affaire portait plutôt sur la question de savoir si l’état physique ou mental qui sous‑tendait la dépendance devait avoir existé depuis que l’enfant avait atteint l’âge de 22 ans.
[16]
Le demandeur fait valoir que l’interprétation de la SAI ne saurait découler du sens ordinaire des mots de la disposition ou d’une interprétation téléologique de la loi. Selon lui, le fait d’exiger une continuité sans interruption à l’égard du soutien irait à l’encontre de l’objectif de regroupement familial énoncé à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, en plus d’introduire dans la définition d’« enfant à charge »
une contrainte que le législateur n’a pas prévue. Il fait aussi remarquer que, par le passé, dans le contexte analogue des enfants à charge inscrits à un établissement d’enseignement, le législateur avait expressément prévu l’exigence selon laquelle l’enfant « n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire […] et de fréquenter celui‑ci »
(version de la division 2b)(ii)(A) du Règlement en vigueur entre le 20 juin et le 31 juillet 2014).
[17]
Par surcroît, le demandeur soutient que la Cour devrait rejeter l’interprétation donnée par la SAI, car elle entraîne des conséquences injustes et sévères, comme en l’espèce. Selon lui, il ne fait aucun doute que la situation de son fils répond aux autres exigences de la définition : celui‑ci est incapable de travailler, il était financièrement dépendant de ses parents avant d’atteindre l’âge de 22 ans, et il a continué d’être financièrement dépendant d’eux depuis cet âge. Le demandeur est d’avis qu’une simple interruption dans la relation de dépendance ne devrait pas empêcher son fils de venir rejoindre ses parents au Canada. Ce serait contraire à l’objet réparateur de la disposition, qui consiste à reconnaître l’existence de situations de dépendance considérable sur de longues périodes, sans égard à l’âge de la personne.
[18]
Le demandeur soutient que l’interprétation de la SAI découle du sens donné à l’expression « à compter du moment »
dans la disposition – et il mentionne que le segment clé du sous‑alinéa 2b)(ii) de la définition d’« enfant à charge »
prévoit qu’il faut démontrer que l’enfant « n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans »
. Les définitions dans les dictionnaires indiquent que l’expression « à compter du moment »
a plus d’un sens. Le demandeur soutient que ce mot, au sous‑alinéa 2b)(ii) de la définition d’« enfant à charge »
, devrait être interprété comme signifiant que l’enfant a dépendu, pour l’essentiel, du soutien financier du parent au cours d’une période commençant avant l’âge de 22 ans et se poursuivant jusqu’à aujourd’hui. Une telle interprétation n’emporte aucune exigence de continuité à l’égard de la dépendance et il ne devrait pas en aller autrement selon lui.
[19]
Le demandeur prétend par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire, lors d’un contrôle judiciaire, d’établir que la situation de l’enfant correspond à cette définition; il suffit de démontrer que la décision défavorable découle d’une interprétation erronée du droit et que le résultat aurait été différent si l’erreur d’interprétation n’avait pas été commise.
[20]
Pour sa part, le défendeur soutient que la SAI a donné une interprétation raisonnable à la disposition et qu’il était légitime de suivre la décision Gilani, car, dans cette décision, l’interprétation donnée par la Cour à la disposition n’avait pas un caractère incident. Selon le défendeur, l’interprétation de la Cour s’harmonisait avec l’objet que le législateur avait prévu en employant un libellé précis pour cette disposition. Qui plus est, cette interprétation est étayée par le libellé de la version française de la disposition, où les mots « n’a pas cessé de dépendre »
se traduiraient selon lui par « has not ceased to depend »
. Il ne fait donc aucun doute que le législateur prévoyait une exigence de continuité sans interruption. D’ailleurs, les définitions de dictionnaires appuient l’interprétation de la SAI, puisque la définition pertinente de l’expression « à compter du moment »
fait nécessairement appel à la notion de continuité.
[21]
Avant de poursuivre mon analyse, j’estime qu’il est utile de rappeler qu’il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Les parties ne contestent pas les conclusions de fait tirées par la SAI, lesquelles sont bien étayées par la preuve. En fait, leurs arguments portaient exclusivement sur la question juridique concernant l’interprétation à donner à la définition d’« enfant à charge »
.
[22]
Comme je l’ai indiqué plus haut, la Cour suprême du Canada a récemment réitéré la manière dont il convient d’aborder le contrôle judiciaire lorsqu’il s’agit d’une interprétation donnée par un tribunal administratif à sa loi constitutive : la déférence est de mise puisque « le décideur […] est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi »
(CCDP, au par. 55). Dans le cas qui nous occupe, il faut éviter un contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte en effectuant l’analyse interprétative habituelle, pour ensuite comparer le résultat avec l’analyse de la SAI. Comme nous le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt CCDP, la norme de la décision raisonnable se fonde sur l’idée que, dans bien des cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire peut donner lieu à une gamme d’issues raisonnables. La question que la Cour doit trancher en l’espèce est donc celle de savoir si la décision de la SAI se situe à l’extérieur de la gamme d’issues raisonnables en raison de la façon dont elle a interprété le droit et appliqué celui‑ci aux faits.
[23]
Pour les motifs exposés ci‑après, je ne suis pas convaincu que la SAI a interprété la définition d’« enfant à charge »
de façon déraisonnable.
[24]
Tout d’abord, la SAI n’a pas commis d’erreur en se fondant sur la décision Gilani rendue par la Cour. Selon moi, le simple fait que les parties à l’audience ont débattu la question de savoir si les conclusions de la Cour dans Gilani étaient incidentes ou non indique que l’analyse de la SAI était raisonnable. D’ailleurs, il n’est ni nécessaire ni approprié pour moi de décider si l’interprétation de la disposition dans cette affaire était incidente ou non. Du reste, la SAI n’a pas commis d’erreur en concluant que l’affaire Gilani se rapportait à une situation factuelle plutôt similaire à celle du demandeur en l’espèce, ni en concluant que la Cour y avait expressément interprété la disposition en litige dans la présente affaire.
[25]
Lors du contrôle judiciaire dans Gilani, le juge Frederick E. Gibson a décrit la décision contestée de la façon suivante, au paragraphe 3 :
En conséquence, selon mon interprétation, le rejet de la demande de Mansur tient à l’omission de prouver que celui‑ci souffrait de schizophrénie depuis l’âge de vingt‑deux ans, de prouver qu’il est socialement dépendant de ses parents depuis qu’il a cet âge, c’est‑à‑dire qu’il a vécu continuellement chez eux, et de prouver qu’il dépend, pour l’essentiel, du soutien financier de ses parents depuis qu’il a atteint cet âge.
[26]
Ensuite, après avoir reproduit les parties pertinentes de la définition d’« enfant à charge »
énoncée dans le Règlement, le juge Gibson a résumé ce qu’exige la disposition : les demandeurs doivent établir que l’enfant à charge est âgé d’au moins 22 ans, qu’il a était dépendant, pour l’essentiel, du soutien financier de ses parents avant d’avoir atteint l’âge de 22 ans, et qu’il ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental (par. 5).
[27]
Au regard des faits, le juge Gibson a conclu que l’enfant répondait au premier critère, soit l’âge (il avait presque 60 ans au moment pertinent). Quant au deuxième critère, le juge Gibson était convaincu « que Mansur dépend[ait], pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents depuis l’âge de vingt‑deux ans »
(par. 7). La question centrale portait donc sur l’interprétation de l’agent selon laquelle l’état physique ou mental causant la dépendance devait avoir existé en tout temps depuis que l’enfant avait 22 ans et avoir fait l’objet d’un diagnostic avant qu’il n’atteigne cet âge.
[28]
Dans son analyse relative à cette question, le juge Gibson a mentionné la formulation précise de la disposition, au paragraphe 9 de ses motifs :
Une lecture attentive du sous‑alinéa b)(iii) [aujourd’hui b)(ii)] de la définition d’« enfant à charge » montre qu’un demandeur doit établir qu’[...]« il n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans » et qu’il « ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental ». Il ne semble pas contesté que Mansur souffre en ce moment, et assurément depuis la date de sa demande, d’une schizophrénie débilitante. (Souligné dans l’original.)
[29]
Le juge Gibson a fait ressortir les différences dans la formulation de cette disposition et celle du sous‑alinéa b)(ii) en vigueur à l’époque, notamment dans la version anglaise, qui prévoyait que l’enfant devait ne pas avoir cessé de dépendre (« has depended ») du soutien financier de ses parents et être (« has been ») étudiant depuis l’âge de 22 ans.
[30]
Le juge Gibson a conclu son analyse textuelle et contextuelle en formulant le passage suivant, sur lequel s’est appuyée la SAI en l’espèce :
[11] Dans la version anglaise de la disposition précitée, l’expression « has depended » implique nécessairement que la situation se poursuit depuis l’âge de vingt‑deux ans tant pour le soutien financier que pour le statut d’étudiant. Cette formulation contraste nettement avec celle du sous‑alinéa b)(iii) [aujourd’hui b)(ii)], visé en l’espèce, où la condition relative au soutien financier est présentée dans les deux langues comme continue depuis l’âge de vingt‑deux ans, mais où le verbe traduisant l’incapacité de subvenir aux besoins du fait de l’état physique ou mental est conjugué au présent, ce qui indique que cette dernière condition ne vaut qu’au moment où le critère est appliqué. Il ne fait aucun doute à mon avis que, si le gouverneur en conseil avait voulu que les deux dispositions soient interprétées de la même manière, elles auraient été formulées de manière analogue dans les versions française et anglaise. (Non souligné dans l’original.)
[31]
Qu’il s’agisse exactement ou non d’une remarque incidente, il s’agissait néanmoins d’une conclusion précise tirée par un juge de la Cour dans une décision faisant intervenir l’interprétation de la disposition du Règlement dont il est question en l’espèce, et ce, dans un contexte factuel plutôt similaire. Il n’était donc pas déraisonnable pour la SAI de s’appuyer sur cette décision pour étayer son interprétation des termes de la disposition.
[32]
Cette conclusion me semble d’ailleurs aller de soi au regard de la version française de la disposition, qui, comme l’a fait remarquer à bon droit le défendeur, exige que l’enfant « n’a[it] pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents, depuis le moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans ». Sur le plan juridique, la version française d’une loi possède la même valeur que la version anglaise (Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl.), art. 13). Lorsqu’il y a divergence entre les deux versions, les tribunaux ont recours à une démarche d’interprétation législative à deux étapes (R c
Daoust, 2004 CSC 6, aux par. 26‑30). D’abord, il faut tenter de dégager le sens commun aux deux versions. Ensuite, il faut vérifier si ce sens commun est conforme à l’intention législative qui sous‑tend la disposition. (Voir Pierre‑André Côté, en collaboration avec Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd. (Montréal (Qc), Éditions Thémis, 2009), aux p. 371‑378).
[33]
En l’espèce, le sens qui est commun aux deux versions est celui exigeant l’existence d’un soutien financier continu et interrompu. Je ne peux souscrire à l’argument du demandeur selon lequel cette interprétation ne traduit pas l’intention du législateur.
[34]
Naturellement, toute situation de dépendance peut être continue et ininterrompue ou irrégulière et épisodique. Cela dit, il n’est pas déraisonnable de conclure que l’intention du législateur était d’élargir la définition ordinaire du terme « enfant à charge »
dans des circonstances précises et limitées, où la situation de l’enfant est telle que celui‑ci ne parviendra pas à l’indépendance que nous associons normalement avec l’âge adulte. Il convient aussi de mentionner qu’il existe des dispositions s’appliquant au parrainage de membres de la famille d’âge adulte, ce qui signifie que la distinction entre un enfant à charge et un membre de la famille d’âge adulte existe par ailleurs dans le contexte global du régime législatif.
[35]
En l’espèce, la SAI s’est appuyée sur une décision pertinente rendue par la Cour et son interprétation donnée à la disposition était raisonnable. Bien qu’il puisse exister d’autres interprétations raisonnables, cela en soi n’est pas suffisant pour justifier l’intervention judiciaire lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[36]
Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de la certification et j’estime que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑4081‑18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
« William F. Pentney »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 2e jour de janvier 2019
Caroline Tardif, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑4081‑18
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INTITULÉ :
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SHIPING HUANG (alias SHI PING HUANG) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 20 février 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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Le juge PENTNEY
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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Le 18 décembre 2019
|
COMPARUTIONS :
Dov Maierovitz
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POUR LE DEMANDEUR
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Meva Motwani
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
EME Professional Corp.
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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