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Date : 20191217


Dossier : IMM-2749-19

Référence : 2019 CF 1608

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

GEORGE YANKSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  George Yankson est un citoyen du Ghana qui a demandé l’asile au Canada sur le fondement de son orientation homosexuelle. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande d’asile parce qu’elle n’a pas cru à son homosexualité. La Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté l’appel du demandeur. Ce dernier sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[2]  Le demandeur affirme qu’il a toujours été attiré par les hommes, mais qu’il ne s’est pas laissé aller à ses sentiments parce que l’homosexualité est interdite et illégale au Ghana. Il déclare avoir eu sa première expérience sexuelle en novembre 2013, à l’âge de 18 ans. Son partenaire est mort dans un accident de la route, peu après le début de leur relation. Il a commencé à entretenir une relation avec un autre partenaire peu de temps après, et cette relation s’est poursuivie pendant un certain temps. En mars 2014, des gens à l’école du demandeur ont découvert la relation qu’il entretenait avec son partenaire, et le demandeur a été forcé de fuir. La mère du demandeur a été informée de ce qui s’était passé, et le demandeur a été obligé de quitter l’école.

[3]  Le demandeur affirme avoir subi du harcèlement et de mauvais traitements par des gens de sa collectivité en raison de son orientation sexuelle. Il est finalement parti rendre visite à sa grand-mère dans une autre ville, mais pendant son séjour là-bas, cette dernière l’a surpris avec son partenaire et lui a ordonné de partir. Il est retourné habiter chez sa mère. Le demandeur affirme qu’en raison de son orientation sexuelle, les gens étaient hostiles à l’endroit de sa mère et que cette dernière, qui tenait une boulangerie, a ainsi perdu des clients, avant de finalement devoir cesser ses activités.

[4]   Le demandeur affirme avoir été attaqué par un voisin, qui lui a brûlé le bras avec un fer chaud. Il a alors pris la décision de fuir le Ghana. Avec l’aide d’un agent, il a obtenu un visa d’étudiant en mars 2016 et est entré au Canada au début du mois de mai 2016. À son arrivée, il a déposé une demande d’asile.

[5]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que son témoignage manquait de crédibilité et que très peu de poids devait être accordé aux éléments de preuve à l’appui qu’il avait présentés. La SPR a constaté la présence de divergences importantes dans le témoignage du demandeur concernant la durée de sa première relation et a estimé que son témoignage contredisait les renseignements contenus dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Elle a en outre conclu que son incapacité à indiquer le nom complet, la date de naissance ou l’adresse de son deuxième partenaire, en réponse aux questions qui lui ont été posées lors de sa deuxième entrevue au point d’entrée, a également miné sa crédibilité.

[6]  Les éléments de preuve à l’appui produits par le demandeur comprennent des lettres de sa mère et de son cousin au Ghana, ainsi qu’une lettre d’un ami au Canada et des renseignements indiquant qu’il a assisté à des réunions de groupes communautaires à l’intention de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) au Canada. La SPR a écarté ces éléments de preuve parce qu’ils n’étaient pas présentés dans des documents établis sous serment, que les auteurs n’étaient pas disponibles pour témoigner et que les renseignements concernant sa participation à des activités de la communauté LGBT au Canada ne prouvaient en rien son orientation sexuelle.

[7]  La SPR a par conséquent conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il était homosexuel et a rejeté sa demande d’asile. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAR.

[8]  La SAR a rejeté l’appel au motif que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait jamais eu de relations homosexuelles au Ghana. Elle a conclu que l’incapacité du demandeur à fournir le nom de famille ou la date de naissance de son deuxième partenaire à l’agent au point d’entrée minait effectivement sa crédibilité, tout comme les contradictions relevées concernant le moment où cette relation a pris fin. La SAR s’est référée aux Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives sur l’OSIGEG) et a constaté que le malaise éprouvé en présence de figures d’autorité et la crainte d’être rejeté pouvaient vraisemblablement avoir une incidence sur la réticence d’un demandeur d’asile à divulguer son orientation sexuelle.

[9]  Toutefois, se fondant sur les faits de l’espèce, la SAR a conclu que le demandeur avait expliqué de façon assez détaillée sa peur d’être renvoyé au Ghana, qui tient au fait qu’il doit de l’argent à certaines personnes et qu’il n’a pas les fonds nécessaires pour les rembourser. Ce n’est qu’à la fin de sa deuxième entrevue que le demandeur a fait référence à son orientation sexuelle. En outre, lorsque le processus entourant le dépôt d’une demande d’asile lui a été expliqué, le demandeur a dit craindre de ne pas pouvoir retourner au Ghana pour rendre visite à sa famille.

[10]  Sur ce fondement, la SAR a conclu ce qui suit, au paragraphe 14 :

[traduction]
Bien que je reconnaisse que sa déclaration tardive au sujet de son orientation sexuelle peut être attribuable au malaise qu’il ressent en présence des agents, l’explication la plus simple me semble plus crédible : le [demandeur] disait la vérité lorsqu’il a été interrogé, au départ, au sujet de ce qu’il craint. Cette explication concorde également avec son désir de retourner au Ghana pour rendre visite à sa famille, une fois qu’il aura gagné un peu d’argent pour rembourser ses prêteurs, puisque cet argent ne lui assurerait aucune protection, si ce qu’il craignait vraiment était la violence envers les homosexuels.

[11]  La SAR a également conclu que le témoignage du demandeur concernant sa première relation homosexuelle était vague et contradictoire et que, combiné aux autres faiblesses de sa preuve, il minait sa crédibilité. La SAR a rejeté l’argument selon lequel la SPR a manqué à l’équité procédurale en accordant peu de poids aux documents à l’appui déposés par le demandeur sans l’en aviser ni lui donner la possibilité de répondre. Elle a conclu que la SPR a suivi la procédure d’appréciation de la preuve habituelle et qu’elle n’a fait qu’appliquer le principe juridique bien connu selon lequel les documents sous serment et les témoignages en personne doivent se voir accorder plus de poids que les lettres non solennelles. La SAR a examiné ces éléments de preuve et confirmé que peu de poids devait leur être accordé pour ce qui est de prouver l’orientation sexuelle du demandeur.

[12]  S’appuyant sur son examen des éléments de preuve, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il est homosexuel ou qu’il est perçu comme tel et a donc rejeté sa demande d’asile.

[13]  Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision, affirmant que la SAR a commis une erreur puisqu’elle : (i) n’a pas correctement suivi les Directives sur l’OSIGEG; (ii) a manqué aux principes d’équité procédurale en exigeant des affidavits sous serment et des témoignages en personne; (iii) a mal interprété la preuve à l’égard de points cruciaux.

[14]  La norme de contrôle applicable aux première et troisième questions est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, par. 35. La question de l’équité procédurale est évaluée d’une manière qui s’apparente à la norme de la décision correcte, mais en fin de compte, la cour de révision doit déterminer si la procédure était équitable et raisonnable dans les circonstances : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54.

[15]  La question clé dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable est résumée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, [2016] 2 RCS 80 :

[18] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit.  Le raisonnement doit démontrer « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Le résultat concret et les motifs, examinés ensemble, doivent servir à démontrer que le résultat appartient aux issues possibles (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Nerre-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Si l’insuffisance des motifs d’un tribunal administratif ne justifie pas à elle seule le contrôle judiciaire, il faut néanmoins que les motifs « expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (Newfoundland Nurses, par. 18, citant Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, par. 163 (le juge Evans, dissident), inf. par 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572).

[16]  Autrement dit, dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme déférente de la décision raisonnable, la Cour doit notamment déterminer si le processus et la décision indiquent que le décideur a réellement « analysé » la preuve, en appliquant le critère juridique approprié. La norme ne commande pas la perfection. Il faut se rappeler que le législateur a confié au décideur administratif la tâche de réaliser une enquête initiale sur les faits. Il faut faire preuve de retenue à l’égard du décideur, particulièrement dans un contexte où l’enquête est principalement factuelle, où la question relève du champ d’expertise du décideur et où une plus grande exposition aux subtilités de la preuve ou une meilleure connaissance du contexte des politiques peut procurer un avantage.

[17]  Si le raisonnement du décideur peut être compris, et s’il démontre que ce type d’analyse a eu lieu, la décision sera généralement jugée raisonnable : voir Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431. Le défaut du décideur de renvoyer à chacun des éléments de preuve examinés ou de mentionner une étape particulière dans la séquence d’analyse ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[18]  Par ailleurs, une cour de révision ne peut faire abstraction des motifs effectivement fournis. Une décision ne peut pas être confirmée sur le fondement de ce qu’elle aurait pu ou aurait dû comporter si, pour ce faire, il faut écarter ou ignorer le raisonnement qui a effectivement exposé dans la décision. Comme l’a affirmé la juge en chef McLachlin, qui siégeait alors à la Cour suprême, dans l’arrêt Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6, au paragraphe 24 : « Autrement dit, bien qu’une cour de révision puisse compléter les motifs donnés au soutien d’une décision administrative, elle ne peut faire abstraction des motifs effectivement fournis ou les remplacer. Les motifs additionnels doivent compléter et non supplanter l’analyse de l’organisme administratif. »

[19]  En l’espèce, j’estime que la décision de la SAR est déraisonnable, dans la mesure où à de nombreux endroits, ses motifs se rapportent principalement à des éléments de preuve microscopiques, indirectement pertinents ou inexacts. Je conclus que des motifs raisonnables auraient pu fonder la SAR à écarter le témoignage du demandeur et les documents présentés, mais les motifs qu’elle donne à l’appui de ses conclusions quant à la crédibilité ne reposent aucunement sur ceux-ci. La décision est déraisonnable et doit être renvoyée pour nouvel examen.

[20]  Le demandeur fait valoir que la SAR n’a respecté ni la lettre ni l’esprit des Directives sur l’OSIGEG dans son appréciation de l’ensemble de la preuve. La SAR mentionne les Directives et semble les appliquer dans le cadre de son évaluation de la crédibilité des déclarations du demandeur au point d’entrée, mais pas en ce qui concerne les autres éléments de preuve, ce qui n’est pas raisonnable. 

[21]  Les Directives ne sont pas contraignantes, mais elles doivent être appliquées par les décideurs, qui doivent justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant. Cette exigence est énoncée explicitement dans l’introduction des Directives ainsi que dans la jurisprudence : voir l’analyse dans McKenzie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 555, par. 44-46. En l’espèce, la SAR cite les Directives et explique ensuite comment elle les applique dans le cadre de son examen des contradictions et des difficultés liées à la preuve présentée par le demandeur au point d’entrée.

[22]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’il est difficile de déterminer comment la SAR a appliqué les Directives dans le cadre de son évaluation des autres éléments de preuve, si tant est qu’elle l’ait fait. Cependant, il ne s’agit pas là, en soi, d’un motif suffisant pour infirmer la décision.

[23]  Le demandeur signale un certain nombre de cas où la SAR a effectué une analyse microscopique d’un détail particulier pour fonder ses conclusions négatives quant à la crédibilité ou à la valeur probante de l’information.

[24]  La SAR a conclu que le demandeur a présenté des éléments de preuve contradictoires au sujet des écoles qu’il a fréquentées, soulignant que dans la demande de visa d’étudiant et le formulaire FDA qu’il a déposés, le demandeur a déclaré avoir fréquenté une école donnée, alors qu’au point d’entrée, il a fourni le nom d’une autre école. Lors de l’audience devant la SPR, il a de nouveau donné le nom de l’école figurant dans sa demande de visa d’étudiant, bien qu’il ait admis au point d’entrée que sa demande de visa était frauduleuse. La SAR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il était fatigué et stressé lorsqu’il a fourni les mauvais renseignements au point d’entrée. Elle conclut plutôt ce qui suit, au paragraphe 15 :

[traduction]
Encore une fois, une explication simple me paraît plus crédible : le [demandeur] a dit la vérité lorsqu’il a été interrogé pour la première fois au point d’entrée au sujet de ses études. À mon avis, la preuve semble indiquer que ce récit concernant son orientation sexuelle a été inventé. Comme l’exposé circonstancié dans le formulaire FDA reposait sur le fait que le [demandeur] a fréquenté un pensionnat, ce dernier a repris les noms des écoles donnés dans la demande de visa frauduleuse, contredisant ainsi sa première déclaration spontanée au point d’entrée.

[25]  Le demandeur soutient que ce raisonnement est erroné, étant donné que l’exposé circonstancié de sa demande d’asile n’est en aucune façon lié à sa fréquentation d’un pensionnat. Il a eu sa première relation sexuelle au domicile de son partenaire, et bien que son deuxième partenaire et lui aient été surpris en train d’avoir des rapports sexuels à proximité de leur école, cela ne s’est pas produit dans une résidence ou un établissement associé à un pensionnat. Les raisons pour lesquelles la SAR a conclu à la lumière de cet élément de preuve que l’exposé circonstancié [traduction] « reposait sur » le fait qu’il a fréquenté un pensionnat ne sont pas claires, et il ne s’agit pas d’un fondement raisonnable ou rationnel pour conclure que la preuve qu’il a présentée manque de crédibilité. 

[26]  La SAR a accordé peu de poids à la lettre de l’ami du demandeur au Canada, car elle a conclu que cette lettre [traduction] « fait état de ce que croit cette personne, mais ne provient pas d’un partenaire qui aurait une idée plus fiable de l’orientation sexuelle du [demandeur]. Si cet ami avait été appelé à témoigner, la SPR aurait pu vérifier sur quoi s’appuyait son opinion » (par. 21). Le demandeur soutient que cette conclusion est en contradiction directe avec les Directives sur l’OSIGEG, étant donné que la SAR n’est pas sensible au fait qu’il peut être difficile, voire impossible, pour une personne d’obtenir des preuves de ses partenaires sexuels et qu’elle exige, en fait, un témoignage de vive voix au lieu d’évaluer les preuves écrites à l’appui de la demande d’asile. Rien n’indique que la SAR ait réellement analysé le contenu de la lettre; elle semble plutôt avoir tiré des conclusions en s’appuyant sur des questions de forme.

[27]  Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux lettres de son cousin, de son oncle et de l’épouse de cet oncle. La SAR a rejeté la lettre du cousin en affirmant ce qui suit au paragraphe 22 :

[traduction]
Je conclus que cette lettre n’est pas crédible et mine encore plus la crédibilité du [demandeur], puisqu’il y est fait référence à plusieurs reprises à ses deux sœurs cadettes, ce qui contredit l’information contenue dans le formulaire FDA du [demandeur], qui y mentionne ses trois sœurs cadettes, toutes âgées de moins de 15 ans, issues du mariage de ses parents. J’estime qu’un véritable membre de la famille saurait combien de sœurs a le [demandeur], et je conclus que cette lettre a été fabriquée de toutes pièces pour appuyer une fausse demande d’asile.

[28]  Le demandeur fait valoir qu’il s’agit d’une analyse microscopique d’un point non pertinent. Le nombre de sœurs qu’a le demandeur est sans rapport avec sa plainte. Dans le formulaire FDA auquel la SAR renvoie, il est indiqué que sa troisième sœur porte un nom de famille différent. Il n’est pas raisonnable de la part de la SAR de rejeter complètement la lettre sur ce fondement, sans en analyser le contenu réel, le contexte dans lequel elle a été rédigée ou tout autre élément pouvant affecter sa valeur probante. Il s’agit là d’un autre exemple où la SAR s’est appuyée sur un point non pertinent pour mettre en doute la crédibilité du demandeur et lui prêter des intentions frauduleuses.

[29]  En outre, le demandeur fait remarquer que la SAR n’a accordé aucun poids aux lettres fournies par son oncle ou l’épouse de ce dernier parce qu’elle a constaté que cet oncle a aidé le demandeur à remplir le formulaire FDA original et a signé le formulaire pour indiquer en avoir interprété le contenu pour le demandeur. Comme le demandeur a contredit cette affirmation dans son témoignage, la SAR a conclu, au paragraphe 23, qu’aucun poids ne devait être accordé à la lettre de cet oncle, étant donné que [traduction] « l’allégation selon laquelle cette personne a elle-même signé une fausse déclaration au sujet de l’interprétation faite du formulaire FDA et a incité le [demandeur] à signer une fausse déclaration met en doute sa crédibilité ».

[30]  Le demandeur attire l’attention sur un certain nombre de déclarations incorrectes ou inexactes dans le formulaire FDA original et soutient que cela démontre clairement que même si son oncle a fait de son mieux pour l’aider à remplir le formulaire, il a manifestement commis certaines erreurs. Il est déraisonnable de la part de la SAR de s’appuyer sur l’une de ces erreurs pour ensuite conclure que cela démontre les intentions frauduleuses du demandeur et de son oncle.

[31]  Le demandeur souligne que la SAR n’a pas mentionné la lettre de sa mère, malgré la connaissance directe qu’a cette dernière des principaux événements qui ont amené le demandeur à fuir le Ghana et à demander l’asile.

[32]  Enfin, le demandeur soutient que la SAR a manqué à l’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de ses préoccupations et d’examiner de façon raisonnable son argument selon lequel la SPR n’a pas tenu compte des principaux éléments de preuve contenus dans les lettres parce que celles-ci n’ont pas été rédigées sous serment.

[33]  Le défendeur soutient que la SAR a conclu de façon raisonnable que la SPR n’a pas commis d’erreur en appliquant les règles générales de la preuve et en préférant les témoignages sous serment aux lettres non solennelles, et les témoignages de vive voix aux documents écrits.

[34]  Le défendeur soutient que la décision et le résultat doivent être considérés comme un tout et que l’évaluation de la crédibilité par la SAR commande une grande déférence. En l’espèce, le dossier contient amplement d’éléments de preuve à l’appui de la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible, ce qui inclut les contradictions et les omissions fondamentales relevées dans son exposé circonstancié au point d’entrée. Le demandeur a présenté des preuves contradictoires concernant la durée de sa première relation et n’a pas fourni de renseignements généraux au sujet de son deuxième partenaire. En outre, le demandeur s’est contredit au sujet de la date à laquelle sa plus récente relation a pris fin. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que ces omissions et ces contradictions, qui touchent au cœur même de la demande d’asile, ont miné la crédibilité du demandeur : Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547, par. 20.

[35]  En outre, le défendeur soutient que les divergences dans la preuve du demandeur au sujet de l’école qu’il a fréquentée sont importantes. Le demandeur a affirmé qu’il fréquentait la même école que son deuxième partenaire, qu’ils ont été surpris en train d’avoir des rapports sexuels à cette école et qu’il a ensuite été expulsé. La preuve concernant l’école qu’il a fréquentée s’avère, de ce fait, pertinente, et la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que les contradictions relevées minaient la crédibilité du demandeur.

[36]  Il était à la fois raisonnable et approprié de la part de la SAR d’examiner la crédibilité et la fiabilité des éléments de preuve documentaires, vu ses conclusions antérieures quant à la crédibilité du demandeur, et il est clair, d’après la décision, que la SAR a soigneusement examiné la preuve dans son intégralité. Les détails sur lesquels le demandeur attire l’attention se rapportent, en fait, au soin avec lequel la SAR a examiné ces éléments de preuve. Il n’incombe pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve.

[37]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la décision de la SAR est déraisonnable, étant donné que plusieurs conclusions importantes relatives à la preuve sont fondées sur une analyse microscopique d’aspects précis et particuliers de cette preuve, et que rien n’indique que la SAR a procédé à une analyse ou à une appréciation de la preuve sur le fond. Pour reprendre les termes de la Cour suprême, il n’appartient pas à la Cour de faire abstraction des mots effectivement employés par la SAR pour expliquer ses conclusions ni de les remplacer.

[38]  Il n’est pas nécessaire d’examiner chaque cas en détail; quelques exemples suffiront pour illustrer ce point. La SAR a rejeté la lettre de soutien du cousin parce que ce dernier y fait référence aux deux sœurs du demandeur, contredisant ainsi la preuve qui indique que le demandeur en a trois. Comme le fait remarquer le demandeur, le nombre de sœurs qu’il a est sans rapport avec sa demande d’asile, et sa troisième sœur porte un nom de famille différent, ce qui peut expliquer pourquoi son cousin n’a pas parlé d’elle. On ne comprend pas pour le reste pourquoi ce motif justifie le rejet de la lettre du cousin. La SAR précise que, dans sa lettre, le cousin dit avoir des soupçons au sujet de l’orientation sexuelle du demandeur et rapporte ce que lui a dit la mère de ce dernier, mais ces éléments ne sont pas mentionnés comme motifs à l’appui de la conclusion de la SAR. Au lieu de cela, la SAR explique sa conclusion quant à la crédibilité en renvoyant uniquement au nombre de sœurs. Cela n’indique pas que la SAR a effectivement examiné les éléments de preuve sur le fond, avant d’en évaluer la crédibilité ou la valeur probante.

[39]  La SAR a fait une analyse semblable de la lettre de l’oncle du demandeur. S’appuyant sur le formulaire FDA que le demandeur a rempli précédemment avec l’aide de son oncle, elle constate que le demandeur a contredit la déclaration figurant dans ce formulaire selon laquelle il s’en est fait traduire le contenu, puis conclut que cela met en doute la crédibilité de son oncle, au point de n’accorder aucun poids à sa lettre. Encore une fois, il ne s’agit pas d’une analyse de la lettre sur le fond ni du contexte dans lequel elle a été rédigée; il s’agit plutôt d’une analyse microscopique d’un aspect de la preuve, sans aucune explication quant à la façon dont les autres erreurs évidentes dans le formulaire FDA original ont été analysées.

[40]   Je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel la preuve du demandeur comporte des omissions et des contradictions importantes qui permettraient de mettre légitimement en doute sa crédibilité. Toutefois, cela ne libère pas la SAR de son obligation d’examiner le reste de la preuve sur le fond et de démontrer qu’elle l’a analysée et examinée de façon raisonnable. La décision de la SAR présente des lacunes à cet égard quant à plusieurs aspects essentiels, tel qu’il a été démontré ci-dessus.

[41]  En conclusion, il est important de prendre du recul et de se rappeler l’approche appropriée, résumée précédemment, lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le contrôle judiciaire d’une décision de la SAR ne doit pas être une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la Cour est plutôt tenue d’examiner les motifs et l’issue de l’affaire afin de déterminer s’ils démontrent que la décision appartient aux issues raisonnables. Ce processus commande la déférence. Le législateur a confié la tâche d’examiner et d’évaluer les éléments de preuve à la SPR, puis à la SAR. Il n’appartient pas à la Cour de leur usurper ce rôle. La norme n’est pas celle de la perfection, mais plutôt de la raisonnabilité.

[42]  En l’espèce, le dossier de la preuve contient de nombreux éléments qui auraient pu étayer la conclusion de la SAR quant au bien-fondé de la demande d’asile. Toutefois, pour les raisons expliquées précédemment, j’estime qu’il est tout simplement impossible d’ignorer l’explication donnée par la SAR pour justifier son raisonnement à plusieurs endroits clés de son analyse.

[43]  Il n’est pas clair si la SAR a appliqué ou non les Directives sur l’OSIGEG lors de son examen de l’ensemble de la preuve. On ne sait pas trop non plus si elle a analysé ou non le fond d’une bonne partie de la preuve puisque son explication pour douter de la crédibilité du demandeur, de son cousin et de son oncle repose sur une analyse microscopique de détails secondaires plutôt que sur la teneur ou le contexte global de la preuve. La lettre de la mère du demandeur, qui fournit une preuve plus directe, n’est pas mentionnée.

[44]  Je conclus que même si j’arrive à suivre la chaîne de raisonnement de la SAR, il semble qu’à plusieurs endroits clés, elle ait fondé ses conclusions déterminantes sur des détails mineurs ou sans grande pertinence, sans analyser la teneur des éléments de preuve ou le contexte dans lequel ils ont été présentés. 

[45]  Le raisonnement suivi ne démontre pas « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel », comme il est exigé dans l’arrêt Dunsmuir [voir également l’analyse dans Jakutavicius c Canada (Procureur général), 2011 CF 311, par. 31].

[46]  Pour les motifs exposés, je conclus que la décision est déraisonnable. Vu ma conclusion sur cette question, il ne m’est pas nécessaire d’examiner en détail l’argument de l’équité procédurale.

[47]  Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire. La décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvel examen.

[48]  Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2749-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen;

  4. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de janvier 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2749-19

INTITULÉ :

GEORGE YANKSON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 17 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Monique Ann Ashamalla

 

POUR LE DEMANDEUR

Margerita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ashamalla LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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