Dossier : T‑1782‑17
Référence : 2019 CF 1599
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2019
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
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MARTIN JAMES MERRILL STOVER
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demandeur
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et
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MINISTRE DU REVENU NATIONAL
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Le demandeur, M. Stover, a demandé au ministre de lui faire bénéficier des dispositions d’allègement pour les contribuables relativement au paiement des intérêts accumulés sur ses dettes fiscales impayées des années d’imposition 2005 et 2006 en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la Loi]. Le délégué du ministre a rejeté la demande dans une décision datée du 19 octobre 2017, au terme d’un examen de deuxième niveau. Le demandeur a demandé que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
II.
Contexte
[3]
Le demandeur travaille depuis 1986 à titre de planificateur financier agréé en Ontario. Pendant un certain nombre d’années, il a exploité une société de personnes avec un autre planificateur financier qui agissait également à titre de propriétaire des locaux où ils menaient leurs activités. Le demandeur affirme qu’il a dissous la société en 2007, en raison d’un conflit avec son associé. À cette époque, le demandeur et son épouse se sont séparés et ont fini par mettre fin à leur mariage.
[4]
En avril 2008, un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a communiqué avec le demandeur. Le vérificateur a demandé au demandeur de fournir des documents justificatifs pour prouver les dépenses de commission déduites pour les années d’imposition 2005 et 2006. Le demandeur déclare qu’il a informé le vérificateur qu’il ne pouvait pas fournir de documents à l’appui des demandes de déduction, parce que son associé en affaires avait détruit les dossiers de la société de personnes pour se venger après la dissolution de la société de personnes. Comme son associé était le propriétaire, il a empêché le demandeur d’accéder aux lieux pour prendre les dossiers. L’ex‑épouse du demandeur a également retenu la correspondance et le courrier qui lui étaient adressés, et elle a détruit les documents relatifs à ces années d’imposition.
[5]
En novembre 2008, le vérificateur a posté une lettre informant le demandeur qu’il n’avait fourni aucune preuve pour établir les dépenses déduites, et que l’ARC allait rejeter les dépenses de commission et établir une nouvelle cotisation à l’égard du demandeur pour les années d’imposition 2005 et 2006. Ainsi, le revenu imposable total du demandeur en 2005 et en 2006 a été augmenté d’environ 154 500 $.
[6]
Le demandeur déclare qu’il a pris connaissance des nouvelles cotisations en février 2009, après que le vérificateur l’a appelé pour lui demander un paiement d’environ 60 000 $. Le 2 février 2010, le demandeur a signifié au ministre un avis d’opposition [l’opposition] concernant les nouvelles cotisations.
[7]
Le 24 février 2012, le ministre a enregistré un privilège fiscal d’environ 118 600 $ sur le domicile du demandeur.
[8]
En avril 2012, le demandeur a présenté à la Cour canadienne de l’impôt [la CCI] une demande de prorogation du délai pour signifier une opposition. Le 26 février 2013, la CCI a accueilli la demande et a jugé que l’opposition, signifiée antérieurement le 2 février 2010, était un avis d’opposition valide.
[9]
En janvier 2014, le ministre a demandé au demandeur de fournir des renseignements à l’appui des dépenses de commission qu’il avait déduites. En fin de compte, le 27 mars 2014, le ministre a rejeté l’opposition et confirmé les nouvelles cotisations, parce que le demandeur n’avait pas fourni de renseignements ou de documents à l’appui pour prouver les dépenses de commission qu’il avait déduites.
[10]
En juillet 2014, le demandeur a interjeté appel des nouvelles cotisations auprès de la CCI, qui a accordé une prorogation de délai jusqu’en décembre 2014. En fin de compte, le demandeur s’est désisté de l’appel en décembre 2015.
[11]
Le 22 décembre 2016, le ministre a reçu la demande du demandeur pour l’allègement de l’intérêt dû sur la dette fiscale impayée, demande fondée sur des difficultés financières et la maladie.
[12]
En janvier 2017, le ministre a exonéré le demandeur des intérêts courus du 1er octobre 2013 au 31 octobre 2013 en raison des retards causés par l’ARC pendant le processus d’opposition suivant l’ordonnance de la CCI. Toutefois, le ministre a refusé d’accorder un autre allègement fondé sur les difficultés et la maladie alléguées par le demandeur.
III.
Décision d’appel de deuxième niveau
[13]
En mai 2017, le ministre a reçu un appel de deuxième niveau présenté par le demandeur, en vue d’un allègement d’environ 57 000 $ en intérêts accumulés relativement à ses dettes pour les années d’imposition 2005 et 2006. Dans ses observations adressées au ministre, le demandeur a invoqué des circonstances exceptionnelles, des mesures prises par l’ARC et des difficultés financières pour appuyer sa demande d’allègement.
[14]
Premièrement, le demandeur a fait valoir qu’il ne pouvait pas fournir les documents que l’ARC avait demandés en 2008, parce que son épouse et son associé en affaires les avaient détruits en 2007. Le demandeur a déclaré que ses efforts pour récupérer les documents relatifs aux dépenses s’étaient révélés vains.
[15]
Deuxièmement, le demandeur a fait valoir qu’il souffrait de maladie mentale en raison de difficultés dans sa vie professionnelle et conjugale, y compris l’aliénation de son fils unique après que son épouse l’eut enlevé. Il a déclaré qu’il avait développé une dépendance à l’alcool et aux médicaments d’ordonnance et qu’il avait succombé à une dépression clinique.
[16]
Troisièmement, le demandeur a fait référence à des mesures prises par l’ARC pour appuyer sa demande d’allègement. Il a fait remarquer que l’ARC avait enregistré un privilège contre son domicile après son opposition aux nouvelles cotisations. Le demandeur fait également remarquer le retard que l’ARC a pris entre la décision de la CCI de février 2013 et la décision rejetant son opposition en mars 2014. Le demandeur a ensuite souligné que le désistement de son appel contre la décision de l’ARC de rejeter l’opposition a été fait par erreur par l’avocat qui le représentait à ce moment‑là.
[17]
Quatrièmement, le demandeur a déclaré que le privilège que l’ARC avait enregistré en février 2012, alors que son opposition était en suspens, lui avait causé des difficultés financières, parce qu’il limitait sa capacité de réhypothéquer sa maison ou d’obtenir autrement du financement auprès d’institutions financières.
[18]
Le 4 octobre 2017, un agent du Centre d’allègement pour les contribuables a rédigé un rapport recommandant que le ministre rejette l’appel de deuxième niveau du demandeur.
[19]
Le 19 octobre 2017, le délégué du ministre a rejeté l’appel du demandeur, conformément à la recommandation de l’agent.
[20]
Après un résumé des observations du demandeur, il était souligné dans le rapport qu’au 4 octobre 2017, le demandeur avait un solde à payer du principal d’environ 46 500 $, qui continuait d’accumuler des intérêts. Il était également mentionné dans le rapport que le demandeur devait environ 57 600 $ en intérêts après qu’il a été tenu compte de l’allègement accordé au premier niveau (arriéré d’octobre 2013).
[21]
Le rapport traitait d’abord de la conformité du demandeur à titre de contribuable entre 2001 et 2016, c’est‑à‑dire qu’il avait produit une déclaration en retard une fois et remis un paiement en retard pour 14 périodes d’imposition. Il était souligné dans le rapport que le demandeur avait fait l’objet de multiples avis de paiement de dettes fiscales impayées et qu’il avait déjà omis 2 500 $ de gains en capital dans une déclaration de revenus. Toutefois, il était également mentionné dans le rapport que le demandeur avait fait de multiples paiements volontaires pour l’année d’imposition 2005 et que des paiements de saisie‑arrêt avaient été imputés, tandis que le demandeur avait fait un paiement volontaire pour l’année d’imposition 2006.
[22]
En réponse aux observations du demandeur, il est mentionné ce qui suit dans le rapport :
[traduction]
l’agent n’a pas été en mesure de déterminer si les difficultés conjugales du demandeur l’avaient empêché de produire ses déclarations de revenus de 2005 et de 2006 à temps, étant donné que ces déclarations devaient être présentées avant qu’il ne soit officiellement séparé;
le demandeur n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable pour s’assurer qu’il suivait les procédures de déclaration appropriées et n’a pas démontré que des circonstances indépendantes de sa volonté l’avaient empêché de satisfaire aux exigences de la loi;
les mesures prises par l’ARC n’ont pas causé de retards ou d’erreurs indus ni n’ont empêché le demandeur de régler le solde dû;
le demandeur n’a pas déposé d’opposition avant le 26 mars 2013. L’opposition du demandeur a été confiée à un agent des appels le 18 novembre 2013;
l’agent a fait référence à un rapport d’un psychologue clinicien, daté de septembre 2008, qui indique que le psychologue a rencontré le demandeur de mai 2005 à juin 2006. L’agent ne pouvait pas confirmer que le demandeur n’avait pas été en mesure de produire les déclarations de 2005 et de 2006 avec exactitude et à temps du fait de son état de santé.
[23]
Il est ensuite mentionné dans le rapport que, du point de vue de l’ARC, les difficultés financières correspondent à une incapacité prolongée de subvenir à ses besoins fondamentaux, comme la nourriture, les vêtements, le logement et les éléments non essentiels raisonnables. La capacité de payer d’un particulier est déterminée au moyen de facteurs tels que le revenu du ménage, les frais de subsistance de base et la capacité de contracter un emprunt. Selon la conclusion du rapport, les intérêts ne causent pas de difficultés financières excessives, et le demandeur n’a pas établi son incapacité de payer pour les raisons suivantes :
[traduction]
les renseignements financiers du demandeur démontrent qu’il a une valeur nette positive et un excédent mensuel de revenus;
le demandeur a respecté ses engagements envers d’autres créanciers, mais n’a pas respecté son engagement à payer ses impôts;
le demandeur dépense plus de 400 $ par mois pour des vêtements, des soins personnels, des loisirs, des divertissements et des repas au restaurant, ce qui dépasse le montant des intérêts imputés chaque mois sur la dette fiscale impayée.
IV.
Questions en litige et norme de contrôle
[24]
L’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi sera contrôlé par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Northview Apartments Ltd c Canada (Procureur général), 2009 CF 74, aux par. 9 et 10; Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au par. 20 [Stemijon]).
[25]
La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : le ministre a‑t‑il exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi?
V.
Observations et analyse
[26]
Le demandeur soutient que le ministre n’a pas tenu compte des circonstances suivantes :
l’associé en affaires du demandeur a détruit ses dossiers financiers et commerciaux, et l’a empêché d’accéder aux locaux de l’entreprise, ce qui, fait‑il valoir, était une circonstance exceptionnelle indépendante de sa volonté (paragraphe 25 de la circulaire d’information 1C07‑1R1 [les lignes directrices]);
l’éclatement de la famille du demandeur, la destruction des dossiers par son épouse et l’enlèvement de son fils;
la maladie mentale du demandeur et sa dépendance aux médicaments et à l’alcool qui ont eu une incidence sur son état émotionnel et mental;
l’ARC a assigné son dossier à des agents de recouvrement, a enregistré un privilège contre son domicile, malgré l’avis d’opposition du demandeur, et a accusé des retards déraisonnables dans la transmission de son dossier;
pendant la procédure d’opposition, l’ARC a utilisé des méthodes comptables inappropriées et a commis une erreur en refusant d’accepter des reçus comparables;
dans sa décision, le ministre a mis l’accent sur la production de déclarations de revenus et la capacité financière. Toutefois, les déclarations de revenus de 2005 et de 2006 ont été produites à temps et les montants exigibles (à l’exception des dépenses refusées) ont été payés à temps.
[27]
Le défendeur fait d’abord valoir que le paragraphe 220(3.1) de la Loi vise à donner le pouvoir discrétionnaire de renoncer à des intérêts et à des pénalités lorsqu’un contribuable a omis de se conformer à la Loi en raison de circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté, mais n’a pas pour but de réduire ou de régler arbitrairement les dettes fiscales des contribuables (en se référant aux lignes directrices).
[28]
Le défendeur soutient que le ministre a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas renoncer aux intérêts en souffrance à la lumière de la preuve dont il disposait. Le défendeur fait valoir que le ministre a dûment tenu compte de la dissolution non amicale de la société de personnes du demandeur, de la rupture de son mariage et des observations au sujet de son état de santé. Le ministre a raisonnablement tenu compte de ces facteurs et a conclu qu’il n’était pas en mesure de confirmer si ceux‑ci avaient empêché le demandeur de produire ses déclarations avec exactitude et à temps.
[29]
Le défendeur soutient en outre que l’analyse du ministre concernant les difficultés financières et la capacité de payer était raisonnable. Le ministre s’est raisonnablement demandé si le paiement des intérêts accumulés causerait au demandeur [traduction] « une incapacité prolongée de subvenir à ses besoins fondamentaux, comme la nourriture, les vêtements, le logement et les éléments non essentiels raisonnables »
, en plus de tenir compte du revenu du demandeur, de ses frais de subsistance de base et de sa capacité d’emprunt, en se fondant sur l’information financière dont il disposait.
[30]
Enfin, le défendeur soutient que l’ARC n’a commis aucune erreur qui aurait empêché le demandeur de régler le solde de sa dette fiscale et que la conclusion du ministre, selon laquelle il n’y a eu aucune erreur ni aucun retard, est raisonnable. De l’avis du défendeur, le demandeur allègue une erreur dans l’appréciation et l’évaluation de son dossier qui ne peut être invoquée comme motif pour obtenir un allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, puisque la Cour fédérale n’a pas compétence pour annuler ou examiner les cotisations fiscales (citant la décision Jus d’Or Inc c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2007 CF 754, au par. 8).
[31]
Selon le défendeur, les lignes directrices ne font référence qu’aux erreurs suivantes de l’ARC : 1) les retards de traitement ou les erreurs de traitement pour le public; 2) les erreurs dans la documentation mise à la disposition du public; 3) les renseignements inexacts ou les retards dans la communication de renseignements au contribuable; 4) les retards excessifs pour régler une opposition ou un appel ou pour faire une vérification. De l’avis du défendeur, le ministre a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas soulevé de telles erreurs.
VI.
Analyse
A.
Principes généraux
[32]
Le paragraphe 220(3.1) de la Loi confère au ministre le vaste pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités et aux intérêts payables par ailleurs au titre de la Loi ou de les annuler :
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[33]
Je reconnais que les lignes directrices peuvent servir de guide utile pour éclairer l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, puisqu’elles énumèrent certaines circonstances pouvant justifier la renonciation aux intérêts (notamment aux par. 23 et 25 des lignes directrices). Toutefois, le paragraphe 220(3.1) de la Loi est beaucoup plus large que les lignes directrices, qui, en fin de compte, ne sont pas exhaustives et ne peuvent limiter l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre (Stemijon, aux par. 24 et 25).
[34]
Le demandeur ne fait pas valoir que le ministre a porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur les lignes directrices. D’après ses motifs, le ministre ne semblait pas limiter son vaste pouvoir discrétionnaire au contenu des lignes directrices. Le ministre a plutôt examiné les arguments soulevés par le demandeur pour déterminer si un allègement était justifié et il semblait comprendre la nature ainsi que la portée de son pouvoir discrétionnaire (3563537 Canada inc c Agence du revenu du Canada, 2012 CF 1290, aux par. 62 à 65).
B.
Difficultés financières et état de santé
[35]
Je conclus que le ministre n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son appréciation des difficultés financières que le demandeur avait soulevées pour appuyer sa demande d’allègement. Le ministre a examiné la preuve dont il disposait et a conclu que le demandeur avait une valeur nette et une rentrée de fonds positives, qu’il avait été en mesure de s’acquitter de ses engagements envers d’autres créanciers et qu’il avait affecté une plus grande proportion de son revenu à des achats discrétionnaires que le montant de revenu demandé chaque mois. Il était loisible au ministre de tirer ces conclusions en particulier (Hauser c Canada (Agence du revenu du Canada), 2007 CF 113, au par. 20). De plus, bien que les difficultés financières ne soient pas synonymes d’« impossibilité financière »
, le ministre ne semble pas avoir tenu le demandeur à cette norme élevée. Ainsi, les conclusions du ministre étaient justifiées, transparentes et intelligibles. Elles ne justifient pas l’intervention de la Cour (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au par. 47).
[36]
J’arrive à la même conclusion en ce qui concerne les observations du demandeur au sujet de sa santé mentale. Il était raisonnable pour le ministre de conclure que la preuve dont il disposait n’appuyait pas l’affirmation du demandeur selon laquelle son état mental l’empêchait de s’acquitter de ses obligations au titre de la Loi. Je reconnais que la maladie mentale, y compris la dépression clinique, peut être une circonstance justifiant une renonciation aux intérêts, et le défaut du ministre de tenir compte d’un tel facteur peut équivaloir à une erreur susceptible de contrôle (McLeod (Succession) c Canada (Revenu national), 2007 CF 1111, aux par. 24 à 34; Laflamme c Canada (Revenu national), 2008 CF 1403, aux par. 16 et 35 à 40; Cayer c Agence du revenu du Canada, 2009 CF 1195, aux par. 10, 18 et 56; Holmes c Canada (Procureur général), 2010 CF 809, aux par. 3, 7 et 23 à 32; Yachimec c Canada (Revenu national), 2010 CF 1333, aux par. 36 et 47).
[37]
Toutefois, il incombe au demandeur de démontrer qu’un problème de santé l’aurait empêché de respecter ses obligations fiscales. Cela signifie que la preuve doit établir un lien de causalité entre l’état de santé du demandeur et son manquement à ses obligations fiscales (Williamson c Canada (Procureur général), 2011 CF 383, aux par. 28 à 30; Lemerise c Canada (Procureur général), 2010 CF 116, au par. 23; Pylatuik c Canada (Procureur général), 2016 CF 1394, au par. 40; Succession Dort c Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 1201, au par. 23 [Succession Dort]).
[38]
Comme le ministre l’a souligné, la preuve du demandeur à cet égard se limitait à une lettre rédigée par un psychologue clinicien en septembre 2008. Dans cette lettre, le psychologue déclarait que le demandeur avait été son patient entre le 31 mai 2005 et juin 2006, et qu’il avait recommencé les séances en mai 2008. La lettre ne mentionne pas que le demandeur a souffert de maladie mentale ou physique ou qu’il a eu des problèmes de dépendance à quelque moment que ce soit. La lettre souligne plutôt que le demandeur était bouleversé du fait de ne pas voir son fils et qu’il a réagi en [traduction] « consommant trop d’alcool, à quelques occasions, seul à la maison »
. La lettre conclut en mentionnant que le demandeur [traduction] « est demeuré stable. Il continue d’être productif au travail et positif à l’égard de son avenir, tant sur le plan personnel que professionnel. »
[39]
Contrairement aux affaires dans lesquelles la Cour a conclu que la décision du ministre de refuser de renoncer aux intérêts était déraisonnable lorsque le contribuable alléguait avoir une maladie mentale, le demandeur n’a pas fourni de preuve médicale qu’il avait reçu un diagnostic de maladie mentale depuis que le solde était demeuré impayé ou à tout autre moment. Ainsi, le dossier appuie la conclusion du ministre selon laquelle la maladie n’a pas empêché le demandeur de se conformer à son obligation de payer l’impôt en souffrance.
C.
Destruction des documents financiers
[40]
Le demandeur a fait valoir qu’il y avait des circonstances indépendantes de sa volonté qui l’empêchaient de fournir au vérificateur des éléments de preuve pour justifier ses déductions d’entreprise. Le demandeur a fait valoir que ces documents avaient été détruits par son associé et son épouse en 2007, avant la vérification de l’ARC et la demande de documents en avril 2008. Dans sa demande pour bénéficier des dispositions d’allègement pour les contribuables, le demandeur a déclaré qu’il avait informé le vérificateur de l’ARC de ces circonstances.
[41]
Je reconnais que le ministre n’a pas mentionné ce facteur dans son analyse, sauf pour résumer les arguments du demandeur au début de sa décision. Le ministre a souligné que les déclarations de 2005 et de 2006 avaient été produites à temps, qu’une lettre de l’ARC d’avril 2008 demandait des documents au demandeur pour appuyer les dépenses qu’il avait déduites, et que le ministre avait établi de nouvelles cotisations à l’égard du demandeur en 2008, pour refuser les dépenses, à la suite du fait qu’il n’avait pas reçu les documents. Le ministre a ajouté que le demandeur [traduction] « n’a[vait] pas fait preuve de la diligence raisonnable attendue d’un contribuable pour s’assurer que les procédures de déclaration appropriées [étaient] suivies. L’observation avancée n’a pas démontré qu’il y avait des circonstances indépendantes de sa volonté qui l’empêchaient de se conformer aux exigences de la loi. »
[42]
Toutefois, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’observation du demandeur à cet égard revient en fin de compte à contester le bien‑fondé des cotisations fiscales liées aux années d’imposition 2005 et 2006. La Cour ne peut réviser ou annuler une cotisation fiscale, parce que l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi sur les Cours fédérales] prévoit un autre droit d’appel à la CCI; un contribuable ne doit donc pas utiliser les dispositions d’allègement pour faire une attaque collatérale contre les cotisations fiscales (Al‑Quq c Canada (Procureur général), 2018 CF 574, paragraphes 19, 20 et 30 à 32; Zaki c Canada (Revenu national), 2018 CF 928, au par. 20; Parmar c Canada (Procureur général), 2018 CF 912, aux par. 50 à 53). Ainsi, la décision du ministre de ne pas traiter de cette observation au sujet de la destruction de documents financiers était raisonnable. Avant d’expliquer pourquoi il en est ainsi, les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250, au sujet de ce qui peut être dûment examiné par la présente cour dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, sont pertinents en l’espèce. Le paragraphe 90 se lit ainsi :
Dans certains cas, une mesure discrétionnaire prévue ailleurs dans la [Loi] peut donner lieu à un recours approprié et efficace. Par exemple, suivant le paragraphe 220(3.1) de la [Loi], le contribuable peut obtenir une mesure fondée sur l’équité à l’égard des pénalités et intérêts qui, compte tenu des circonstances, sont inéquitables. Dans certaines circonstances, cette mesure peut pallier la conduite fautive ayant donné lieu à la cotisation (un retard excessif dans l’établissement de la cotisation peut donner lieu à un allègement fondé sur l’équité). Il est vrai que le ministre qui a établi la cotisation décide aussi s’il y a lieu de faire droit à la demande d’allègement fondée sur l’équité en application de l’article 220, mais les critères sur lesquels reposent les deux décisions sont différents. La décision du ministre prise en vertu de l’article 220 est susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale selon les principes du droit administratif. Si le ministre aborde la question de l’allègement pour raison d’équité en ayant l’esprit fermé ou prend une décision qui, quant au fond et à la procédure, est inacceptable en droit administratif, sa décision peut être annulée (le ministre doit avoir l’esprit ouvert et ne peut pas entraver son pouvoir discrétionnaire).
[Renvois omis.]
[43]
Je reconnais, comme le demandeur le souligne, que les lignes directrices, aux paragraphes 25, 35 et 36, envisagent la possibilité que des erreurs commises par des tiers ou des circonstances exceptionnelles puissent justifier la renonciation à des intérêts. Bien qu’ils ne soient pas contraignants, ces paragraphes des lignes directrices semblent effectivement tenir compte de certaines circonstances dans lesquelles le ministre peut accorder un allègement du paiement des intérêts sur les dettes fiscales accumulées : « [l]es circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi »
(lignes directrices, au par. 25; voir aussi la décision LaFramboise c Canada (Agence du revenu du Canada), 2008 CF 196, aux par. 3, 9 et 10, portant sur une affaire dans laquelle le ministre a omis de façon déraisonnable de considérer que le défaut du contribuable de produire sa déclaration à temps et de payer une dette fiscale en souffrance était attribuable à la destruction totale de sa maison et de ses dossiers financiers dans un incendie de maison; voir aussi la décision 3563537 Canada inc c Agence du revenu du Canada, 2012 CF 1290, aux par. 72 à 78, portant sur une affaire dans laquelle le ministre a déraisonnablement omis de considérer que la fraude commise par un planificateur financier avait empêché la contribuable de produire sa déclaration à temps).
[44]
En d’autres termes, dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision relative à l’allègement pour les contribuables, la Cour peut dûment tenir compte du fait que le ministre n’a pas traité d’éléments de preuve ou d’observations selon lesquels un contribuable ne pouvait pas produire une déclaration à temps, payer du tout la dette en souffrance ou se conformer à d’autres obligations au titre de la Loi, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Toutefois, le problème en l’espèce est que la destruction malheureuse des dossiers financiers du demandeur n’a pas retardé la production de ses déclarations, et ne l’a pas empêché de payer la dette fiscale ni de remplir ses obligations une fois qu’il a fait l’objet de nouvelles cotisations en 2008.
[45]
L’observation du demandeur découle plutôt de la source des nouvelles cotisations (il a fait l’objet de nouvelles cotisations, parce qu’il ne pouvait pas fournir de documents à l’appui, en raison d’incidents qui, selon lui, étaient indépendants de sa volonté). Le demandeur s’est opposé à ces nouvelles cotisations, il a interjeté appel à leur égard devant la CCI et il a fini par se désister de son appel (apparemment en raison d’une erreur commise par son avocat). Bien que ces circonstances soient malheureuses, la CCI avait compétence pour corriger ces nouvelles cotisations afin qu’elles reflètent la véritable dette fiscale du demandeur, en s’appuyant sur d’autres éléments de preuve crédibles relativement aux dépenses réclamées comme déductions (Amiripour c La Reine, 2015 CCI 187, aux par. 14 à 18). À défaut d’une décision de la CCI rectifiant ces cotisations, ou d’une décision favorable après le dépôt d’un avis d’opposition, les nouvelles cotisations en cause sont présumées valides (Frank Arthur Investments Inc c Canada (Revenu national), 2014 CF 336, au par. 42). L’argument du demandeur en l’espèce semble supposer que la nouvelle cotisation existante est erronée, ce qui est au cœur de la compétence de la CCI (Kerry (Canada) Inc c Canada (Procureur général), 2019 CF 377, au par. 34).
[46]
Dans le cadre d’une demande de bénéficier des dispositions d’allègement pour les contribuables, le ministre agit à titre de tribunal fédéral et ne doit pas se poser la question de savoir si les cotisations reflètent ou non les véritables dettes fiscales du demandeur (leur exactitude), et la Cour ne peut pas contrôler la décision du ministre pour ce motif (article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales). Pour ces motifs, je conclus que le ministre n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en refusant d’examiner les observations du demandeur au sujet de la source de sa dette fiscale en souffrance.
D.
Retard indu de l’ARC pendant le processus d’établissement des cotisations
[47]
Le demandeur a soulevé une observation qui, en soi, mérite d’annuler la décision du ministre, à savoir les retards causés par l’ARC dans le traitement du dossier du demandeur pendant le processus d’opposition.
[48]
Dans les observations qu’il a présentées au ministre pour demander un allègement du paiement des intérêts, le demandeur a fait référence à des retards imputables à l’ARC, à savoir le fait qu’elle n’a pas traité son opposition. Bien que l’ordonnance du 26 février 2013 de la CCI, qui faisait également partie du dossier dont disposait le ministre, n’ait pas été appuyée par des motifs, il est évident que le demandeur a signifié une opposition au ministre le 2 février 2010. L’ordonnance de la CCI prévoit ce qui suit :
[traduction]
1. la demande de prorogation du délai pour déposer un avis d’opposition pour les années d’imposition 2005 et 2006 du demandeur est accueillie;
2. le délai au cours duquel cet avis d’opposition à l’égard des années d’imposition 2005 et 2006 peut être signifié est prorogé jusqu’à la date de la présente ordonnance, et l’avis d’opposition du requérant signifié au ministre du Revenu national le 2 février 2010 est réputé être un avis d’opposition valide.
[Non souligné dans l’original.]
[49]
Normalement, conformément au sous‑alinéa 165(1)a)(ii) de la Loi, le contribuable doit s’opposer à une cotisation dans les 90 jours suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation. En l’espèce, l’avis de cotisation avait été envoyé le 24 novembre 2008. Le demandeur avait donc jusqu’à la fin de février 2009 pour s’opposer. Toutefois, le demandeur a signifié son opposition près d’un an après le délai prévu par la Loi. Cela dit, l’article 166.1 de la Loi donne aux contribuables le droit de demander au ministre de proroger le délai pour signifier une opposition. Selon l’alinéa 166.1(7)a) de la Loi, le ministre ne peut examiner les demandes présentées qu’au cours de l’année suivant la date limite pour s’opposer prévue au paragraphe 165(1) de la Loi (c.‑à‑d. 15 mois après l’envoi de l’avis de cotisation). En l’espèce, le demandeur a déposé son opposition quelques semaines avant la date limite pour demander une prorogation du délai.
[50]
Bien que le dossier ne contienne pas de renseignements indiquant que le demandeur a explicitement demandé une prorogation du délai ou qu’il a fourni au ministre les raisons pour lesquelles il demandait une prorogation du délai, les avis d’opposition déposés après le délai de 90 jours pour s’opposer, mais à l’intérieur du délai de prorogation, ont été interprétés comme des demandes implicites de prorogation du délai (Melanson c La Reine, 2011 CCI 569, au par. 14; 1682320 Ontario Limited c La Reine, 2013 CCI 126, aux par. 11 à 17; Haight c The Queen, 2000 DTC 2571, aux par. 26 à 30; Fagbemi c The Queen, 2005 DTC 955, aux par. 6 à 8).
[51]
Selon le paragraphe 166.1(5) de la Loi, lorsqu’une demande de prorogation du délai a été déposée avant la date limite, « le ministre, avec diligence, l’examine et y fait droit ou la rejette. Dès lors, il avise le contribuable de sa décision par écrit. »
[52]
En l’espèce, le ministre n’a pas traité l’opposition du demandeur avec diligence. Il est plutôt demeuré passif pendant deux ans et a finalement pris des mesures d’exécution contre le demandeur en enregistrant un privilège contre son domicile le 24 février 2012. Par la suite, le demandeur a intenté un recours auprès de la CCI en avril 2012.
[53]
Le ministre n’était pas tenu de proroger le délai après que le demandeur a déposé une opposition tardive, mais il devait quand même prendre une décision avec diligence. Le défaut du ministre de le faire a manifestement entraîné des retards, puisque le demandeur croyait que le processus d’opposition était en cours au 2 février 2010. Si le ministre avait agi avec la diligence nécessaire, le processus d’opposition et d’appel du demandeur, qui a finalement commencé en février 2013, aurait de toute évidence pris fin beaucoup plus tôt. Cela aurait eu une incidence sur les intérêts courus. Dans les lignes directrices, le ministre reconnaît lui‑même qu’il peut y avoir une renonciation aux intérêts ou une annulation de ceux‑ci s’ils « découlent principalement d’actions de l’ARC »
, y compris d’« erreurs de traitement »
et de « retards excessifs pour régler une opposition ou un appel ou pour faire une vérification »
(au par. 26).
[54]
Lorsque le ministre ne tient pas compte des retards ministériels dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, y compris le défaut de traiter un avis d’opposition avec diligence, l’intervention de la Cour est justifiée, puisque ces éléments sont très pertinents quant à la question de l’allègement pour les contribuables (Hillier c Canada (Procureur général), 2001 CAF 197, aux par. 24 à 26; Succession Dort, aux par. 14 à 21; Cole c Canada (Procureur général), 2005 CF 1445, aux par. 33 à 35). C’est le cas en l’espèce. L’analyse par le ministre des retards imputables à l’ARC se limite à ceux survenus entre l’ordonnance du 26 février 2013 de la CCI et l’assignation du dossier du demandeur à un agent des appels en novembre 2013, et, par conséquent, à la suite de cet examen initial, le ministre a annulé les intérêts pour un mois au cours de cette période (octobre 2013) pour tenir compte du retard. Toutefois, le ministre n’a fait aucun commentaire au sujet des retards survenus entre la date à laquelle le demandeur a déposé l’opposition en 2010 et l’ordonnance de la CCI en 2013, si ce n’est qu’il a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Un examen du compte n’a révélé aucune erreur ni aucun retard excessif du fait des actions de l’ARC ».
[55]
Le demandeur avait toujours un solde impayé lorsque ce retard a été causé par l’ARC, jusqu’à ce que le ministre rende la décision faisant l’objet du contrôle, mais cela ne signifie pas que le demandeur n’aurait pas droit à l’annulation des intérêts accumulés en raison de ces retards (Lalonde c Agence du revenu du Canada, 2010 CF 531, au par. 52).
VII.
Conclusion
[56]
Je conclus que la décision du ministre est déraisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. La décision du délégué du ministre est annulée et doit être renvoyée à un autre délégué pour qu’il rende une nouvelle décision sur le droit du demandeur à un allègement des intérêts accumulés en raison, seulement, des retards causés par l’ARC.
JUGEMENT dans le dossier no T‑1782‑17
LA COUR STATUE que :
la demande de contrôle judiciaire est accueillie;
l’affaire est renvoyée à un autre délégué pour qu’il rende une nouvelle décision sur le droit du demandeur à un allègement des intérêts, seulement en ce qui concerne les retards causés par l’ARC;
le demandeur a droit aux dépens.
« Paul Favel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour de janvier 2020
Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1782‑17
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INTITULÉ :
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MARTIN JAMES MERRILL STOVER c MINISTRE DU REVENU NATIONAL
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 29 AVRIL 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FAVEL
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 13 DÉCEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Lou Vadala
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POUR LE DEMANDEUR
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Vincent Bourgeois
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lou Vadala Professional Corporation
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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