Date : 20060620
Dossier : T‑722‑05
Référence : 2006 CF 787
Ottawa (Ontario), le 20 juin 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
KIM FORSTER
demanderesse
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et
L’AGENCE DU REVENU DU CANADA
défendeurs
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
1. Introduction
[1] Kim Forster, la demanderesse en l’espèce, est une employée de longue date de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). En mai 2003, elle a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) contre son employeur, alléguant que l’ARC avait fait preuve de discrimination à son endroit pour un motif de distinction illicite - la déficience - au cours de la période s’étendant de l’année 1998 au mois de février 2002.
[2] Après enquête, la Commission a décidé le 18 novembre 2004 de rejeter la plainte de la demanderesse en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi). C’est cette décision que la demanderesse conteste.
[3] La demanderesse n’était pas représentée à l’audience, mais elle a retenu les services d’un avocat pour établir son mémoire des faits et du droit.
2. Contexte
[4] La demanderesse est entrée au service de l’ARC en 1979, à l’âge de 22 ans. Tout porte à croire que son rendement au travail était satisfaisant et que la carrière qu’elle menait au sein de l’ARC progressait.
[5] En 1997, la demanderesse a commencé à éprouver des problèmes de santé en raison d’un certain nombre de problèmes personnels, découlant de responsabilités familiales stressantes, dont un litige dans le cadre duquel elle tentait d’obtenir de son ancien conjoint une pension alimentaire pour enfants. À l’époque, tous deux travaillaient au Centre fiscal de Surrey (le CTS).
[6] Au cours des mois d’hiver, la santé mentale de la demanderesse s’est détériorée. En juin 1998, on a diagnostiqué qu’elle souffrait de dépression clinique et d’un trouble anxieux connexe et, à la recommandation de son médecin, elle a pris un congé d’invalidité.
[7] Le médecin de la demanderesse a donné son accord à une réintégration progressive au travail en février 1999, mais il a recommandé que ce ne soit pas au poste qu’elle occupait auparavant au CTS. Elle a demandé d’être affectée à un autre secteur de travail au CTS afin d’avoir le moins de contacts possible avec son ancien conjoint. Cette demande a été refusée parce que l’on avait des inquiétudes au sujet du rendement de la demanderesse. Celle‑ci a demandé aussi en septembre 1999 une [traduction] « charge de travail spécialisée » convenant davantage à ses limites par rapport à un mode de fonctionnement multitâche. En novembre 1999, elle a été affectée à la filière des annulations de nouvelles cotisations. Même si le travail comportait moins de tâches multiples, la complexité des dossiers a représenté pour la demanderesse de nouveaux obstacles en raison de ses capacités cognitives amoindries et, en mars 2000, elle a pris de nouveau un congé d’invalidité.
[8] En juillet 2000, le psychiatre de la demanderesse a autorisé son retour progressif au travail, mais en recommandant qu’elle ne réintègre pas son poste antérieur. À cause des calendriers de congés de divers gestionnaires de l’ARC, et aussi parce que cette dernière avait demandé à Santé Canada d’évaluer l’aptitude au travail de la demanderesse, son retour au travail a été retardé.
[9] En octobre 2000, un médecin de Santé Canada, la Dre Neva Hilliard, a jugé que la demanderesse était apte à travailler avec certaines limites. En novembre 2000, la demanderesse, son représentant syndical et les gestionnaires de l’ARC ont rencontré la Dre Hilliard et Ruth Nicholson, ergothérapeute auprès de Santé Canada, pour discuter des recommandations de la Dre Hilliard concernant les limites de la demanderesse. La Dre Hilliard a recommandé ce qui suit :
a) que la demanderesse ne réintègre pas son poste d’attache au CTS;
b) que la demanderesse travaille dans un milieu où elle est capable de fixer le rythme de ses activités professionnelles afin d’éviter des échéances critiques restreintes;
c) que la demanderesse accomplisse des tâches précises plutôt que des tâches générales qui obligent à exécuter en même temps des activités variées et multiples;
d) que la demanderesse travaille dans un milieu qui restreint le nombre de perturbations, de distractions et de situations de conflit.
[10] À la réunion, l’ARC s’est engagée à fournir à la demanderesse un certain nombre de descriptions de tâches dans le but de trouver, à l’Agence, un poste qui correspondrait aux recommandations de la Dre Hilliard. La demanderesse a passé en revue les descriptions de tâches avec Mme Nicholson, et on lui a trouvé un poste d’agent chargé de l’observation des fiducies, au Bureau des services fiscaux de Burnaby‑Fraser (le BSFBF).
[11] La demanderesse a débuté en janvier 2001 sa nouvelle affectation à titre d’agente chargée de l’observation des fiducies au BSFBF. Durant les 13 mois qui ont suivi, elle a occupé trois postes différents à l’ARC.
[12] L’affectation de la demanderesse au BSFBF était censée prendre fin en août 2001. Cependant, le 21 juin 2001, le gestionnaire de cette division, Richard Day, a informé la demanderesse que son affectation au BSFBF était terminée. Le mois suivant, elle a été affectée à la Section des déclarations des entreprises. Là encore, ce placement a été infructueux et, le 13 décembre 2001, le travail qu’elle faisait dans cette section a pris fin. On a ensuite dit à la demanderesse de se présenter pour une autre affectation à un lieu de travail appelé « Omniplex ».
[13] Selon la demanderesse, les difficultés qu’elle a eues dans chacune de ces trois affectations étaient directement imputables au fait que l’ARC n’avait pas pris de mesures pour tenir compte de ses limites, telles que décrites par la Dre Hilliard. L’ARC soutient en revanche que les placements ont échoué à cause du piètre rendement de la demanderesse et parce que cette dernière avait laissé ses activités syndicales et ses affaires personnelles la distraire de sa formation et de son travail.
[14] À l’automne 2001, on a demandé de nouveau à Santé Canada d’évaluer l’aptitude au travail de la demanderesse. M. Owen Garrett, psychologue du travail, a été chargé de faire subir à la demanderesse un examen psychologique complet. Le 20 février 2002, Santé Canada a envoyé à l’ARC une lettre l’informant que M. Garrett avait déterminé que la demanderesse était inapte à travailler. M. Garrett a aussi déclaré que la demanderesse avait besoin de traitements immédiats et que son retour au travail dépendrait de son rétablissement et ferait l’objet d’un examen après 24 semaines.
[15] L’ARC a informé la demanderesse le 21 février 2002 qu’elle serait mise en congé de maladie sans rémunération, avec effet immédiat.
[16] Par la suite, en mai 2004, la demanderesse est retournée travailler à l’ARC, sans limites aucunes. Elle est toujours au service de l’ARC.
3. La plainte relative aux droits de la personne de la demanderesse
[17] Le 6 mai 2003, la demanderesse a porté plainte contre l’ARC, alléguant avoir été victime de discrimination et de harcèlement pour le motif de distinction illicite fondé sur la déficience. Plus précisément, elle allègue que l’ARC a fait preuve de discrimination à son endroit en négligeant de répondre à ses besoins et en la défavorisant en cours d’emploi, ce qui est contraire à l’article 7 de la Loi. Elle allègue également que l’ARC a négligé de lui procurer un lieu de travail exempt de harcèlement, contrairement à l’article 14 de la Loi. Enfin, elle allègue que l’ARC a fait preuve de discrimination à son endroit et à l’endroit d’autres employés en mettant en œuvre des lignes de conduite qui tendent à priver les employés souffrant d’une déficience mentale de mesures d’adaptation appropriées, ce qui est contraire à l’article 10 de la Loi.
[18] Dans sa plainte, la demanderesse relate une série de faits liés à son emploi auprès de l’ARC, plus précisément entre le mois de juin 1998, quand on a diagnostiqué qu’elle souffrait d’une dépression clinique, et le 22 février 2002, quand on a conclu qu’elle était inapte à travailler. La demanderesse fait également état de ses demandes de mesures d’adaptation ainsi que du défaut allégué de l’ARC de tenir convenablement compte de sa déficience.
[19] La demanderesse soutient qu’entre le mois de mars 1999, quand elle est revenue de son congé d’invalidité, et le mois de mars 2000, son superviseur a constamment fait pression sur elle au sujet de sa productivité et de son absentéisme. En outre, déclare‑t‑elle, sa demande officielle de mesures d’adaptation, c’est‑à‑dire une affectation à une filière spécialisée, a été refusée.
[20] La demanderesse allègue que, malgré que son psychiatre l’ait jugé apte à retourner au travail en juillet 2000, l’ARC a tardé à prendre les mesures nécessaires pour que l’on puisse répondre à ses besoins particuliers, ce qui lui aurait permis de revenir au travail. À cause de cela, elle n’a pas pu rentrer au travail avant le mois de janvier 2001.
[21] En ce qui concerne son poste au BSFBF, la demanderesse soutient que l’on a pas tenu compte de son état et qu’on l’a menacée de mettre fin à son emploi auprès de l’ARC. Plus précisément, elle soutient que l’ARC n’a pas répondu à ses besoins relativement à l’exécution de tâches multiples et que l’ARC a [traduction] « surveillé de manière excessive » son rendement professionnel ainsi que ses absences du travail. Elle déclare que la Section des déclarations d’entreprises était pour elle un lieu de travail chaotique, qu’on lui donnait des instructions ambiguës ou contradictoires et qu’elle était sans cesse surveillée. Elle soutient qu’entre les mois de septembre et de novembre 2001 divers incidents sont survenus à la Section des déclarations d’entreprises qui ont eu un effet préjudiciable sur sa santé mentale. Quant à son affectation à l’Omniplex, la demanderesse déclare qu’elle a été mutée à un lieu de travail différent, ce qui n’a fait qu’exacerber ses symptômes d’anxiété sociale.
[22] La demanderesse soutient de plus que ses placements ont échoué parce que l’ARC n’avait en place aucune politique procédurale pour aider les gestionnaires à savoir comment répondre aux besoins d’employés souffrant d’une déficience, ni aucun mécanisme procédural afin de procéder aux mutations rapides qui sont nécessaires pour répondre à des besoins d’adaptation. Elle allègue que l’ARC n’avait aucun mécanisme pour tenir les gestionnaires responsables de leur obligation de répondre aux besoins spéciaux des employés, pas plus qu’un mécanisme de recours interne pour les employés qui n’avaient pas le sentiment que l’on répondait convenablement à leurs besoins.
[23] Enfin, dans sa plainte, la demanderesse relate plusieurs incidents qu’elle semble considérer comme du harcèlement. L’un de ces derniers mettait en cause son ancien conjoint; les trois autres mettaient en cause des membres du personnel de supervision ou de direction de l’ARC.
4. La décision de la Commission
[24] Le 18 novembre 2004, la Commission a écrit à la demanderesse pour l’informer qu’elle avait décidé qu’il n’était pas justifié d’enquêter plus en détail sur sa plainte. Dans sa lettre, la Commission a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Avant de rendre leur décision, les membres de la Commission ont étudié le rapport qui vous a déjà été communiqué, de même que les observations présentées en réponse à ce document. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte pour les motifs suivants :
· la preuve montre que l’on a pris des mesures d’adaptation à l’endroit de la plaignante au travail;
· la preuve montre que l’on n’a pas traité différemment la plaignante à cause de sa déficience, si ce n’est qu’à des fins d’adaptation;
· La preuve ne confirme pas que la plaignante a été harcelée au travail.
5. La preuve présentée à la Commission
[25] Quand elle a rendu sa décision en vertu de l’article 44 de la Loi, la Commission avait en mains les documents suivants :
a) un sommaire de la plainte de la demanderesse et le formulaire de plainte;
b) le rapport de l’enquêteure;
c) les observations de la demanderesse en réponse au rapport, ainsi que sa réplique aux réponses de l’ARC;
d) la réponse de l’ARC au rapport de l’enquêteure ainsi qu’aux observations présentées par la demanderesse en réponse au rapport;
e) la chronologie de l’enquête menée par la Commission sur la plainte de la demanderesse.
Je vais maintenant résumer le rapport de l’enquêteure ainsi que les réponses que la demanderesse et l’ARC y ont données.
A. Le rapport de l’enquêteure
[26] Dans son rapport daté du 21 octobre 2004, l’enquêteure a commencé par résumer brièvement la plainte de la demanderesse. Elle a ensuite traité des allégations de discrimination de la demanderesse sous quatre rubriques, axée chacune sur des périodes particulières de l’emploi de la demanderesse auprès de l’ARC, après son premier congé d’invalidité. Les quatre périodes en question peuvent être décrites comme suit :
1) la réintroduction graduelle de la demanderesse à l’effectif de l’ARC à partir de février 1999 jusqu’au mois de mars 2000, lorsqu’elle est partie en congé d’invalidité;
2) la période commençant en octobre 2000, quand la Dre Hilliard a évalué la demanderesse, jusqu’au mois de juin 2001, quand son affectation au BSFBF a pris fin;
3) son placement à la Section des déclarations d’entreprises entre juillet et décembre 2001;
4) son transfert à l’Omniplex en janvier 2002, jusqu’à ce que l’on conclue qu’elle était inapte à travailler en février 2002.
[27] Sous chaque rubrique, l’enquêteure a évalué la prétention de la demanderesse que l’ARC n’avait pas répondu convenablement à ses besoins. L’enquêteure a exposé les allégations de la demanderesse concernant la période en question, la réponse de l’ARC à ces allégations, de même que la réfutation de la demanderesse. L’enquêteure a également fait référence aux actes de harcèlement allégués, à mesure qu’ils survenaient. Elle a résumé les entretiens qu’elle avait eus relativement à la période, y compris ses rencontres avec la demanderesse, le personnel de direction de l’ARC ayant pris part aux décisions concernant l’emploi de la demanderesse, ainsi que d’autres témoins importants. L’enquêteure a ensuite présenté son analyse, laquelle a consisté généralement à énoncer brièvement les allégations de la demanderesse et les conclusions connexes de l’enquête.
[28] Sous la cinquième rubrique, l’enquêteure a traité de l’allégation de la demanderesse selon laquelle l’ARC avait mis en œuvre une ligne directrice qui privait de mesures d’adaptation appropriées les employés souffrant d’une déficience mentale. Elle a résumé la plainte de la demanderesse et la réponse de l’ARC, en faisant expressément référence aux lignes directrices suivies par l’ARC en matière d’adaptation.
[29] Dans son analyse générale, l’enquêteure a conclu que la preuve étayait la conclusion que l’on avait répondu aux besoins de la demanderesse au travail et que cette dernière n’avait pas été traitée de façon différente en raison de sa déficience, si ce n’est que pour prendre des mesures d’adaptation. Elle a également conclu qu’il ressortait de la preuve que la demanderesse avait consacré plus de temps à [traduction] « d’autres » fonctions de nature non professionnelle, plutôt que de se concentrer sur les postes de travail spéciaux auxquels on l’affectait. Enfin, elle a conclu que la preuve ne confirmait pas que la demanderesse avait été harcelée au travail.
[30] L’enquêteure a recommandé à la Commission de rejeter la plainte de la demanderesse en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi.
B. Les réponses des parties au rapport
[31] Le rapport de l’enquêteure a été communiqué aux parties, qui ont ensuite été invitées à le commenter par écrit.
[32] L’ARC a répondu au rapport dans une lettre datée du 16 novembre 2004. Elle a déclaré qu’elle souscrivait au rapport de l’enquêteure dans son intégralité, à l’exception de quelques rectifications mineures.
[33] Après avoir obtenu une prorogation de délai, la demanderesse a transmis une réponse de neuf pages le 11 janvier 2005, dans laquelle elle a exposé de nouveau en détail ses allégations de traitement discriminatoire, de discrimination systémique et de harcèlement. Elle a reconnu que l’ARC avait pris un certain nombre de mesures d’adaptation à son endroit, mais elle a réitéré son allégation principale, à savoir que les mesures d’adaptation prises par l’ARC étaient insuffisantes car l’ARC n’avait pas demandé l’avis de spécialistes du travail pour déterminer comment répondre à ses besoins. Elle a ajouté que l’ARC avait négligé de composer avec elle tant qu’il n’en avait pas résulté pour l’ARC une contrainte excessive, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a prescrit dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin). En outre, elle a contesté les nombreuses affirmations de l’ARC et de ses représentants de même que les conclusions de l’enquêteure, disant que la preuve documentaire qu’elle avait fournie à la Commission contredisait ces affirmations et ces conclusions.
[34] Dans sa réfutation datée du 20 janvier 2005, l’ARC a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas évoqué de faits nouveaux, mais simplement réitéré des allégations et des arguments déjà soulevés. L’ARC a aussi laissé entendre que la demanderesse tentait de minimiser des faits qui lui étaient défavorables, notamment que le temps considérable qu’elle avait consacré à des activités syndicales [traduction] « avait fait complètement dérailler » les mesures d’adaptation qui avaient été prises.
[35] La demanderesse a présenté le 6 février 2005 une réplique à la réfutation de l’ARC, dans laquelle elle a déclaré que l’ARC avait omis de rectifier un certain nombre de malentendus et d’inexactitudes figurant dans le rapport de l’enquêteure. Elle a déclaré en outre que la Commission avait commis une erreur en faisant abstraction des éléments de preuve figurant dans le [traduction] « cartable » que la demanderesse avait joint à sa plainte initiale. À sa réfutation était joint un extrait de la vérification de la conformité de l’ARC à l’équité en matière d’emploi que la Commission avait effectuée en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44.
6. Les questions en litige
[36] Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a fait état d’erreurs à la fois procédurales et de fond de la part de la Commission. Toutefois, dans son mémoire ainsi qu’à l’audience, elle a axé sa contestation sur des erreurs que l’enquêteure aurait commises au cours de l’enquête. À mon avis, il est clair que la présente demande de contrôle judiciaire repose sur la justesse du rapport de l’enquêteure.
[37] Lorsque la Commission, dans sa décision, ne fournit pas de motifs étoffés et que l’on peut considérer qu’elle entérine les conclusions de l’enquêteur, on peut présumer que ce rapport constitue les motifs de la Commission : voir les arrêts Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA), à la page 903, et Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), au paragraphe 43. Dans les affaires de ce genre, la Cour fédérale a statué que si le rapport de l’enquêteur est défectueux, il s’ensuit que la décision de la Commission l’est aussi : voir Société Radio‑Canada (SRC) c. Canada (Commission des droits de la personne) (1993), F.T.R. 214 (1er inst.) (SRC), au paragraphe 53.
[38] L’unique question dont la Cour est saisie consiste à savoir si la Commission a manqué aux principes de l’équité procédurale en fondant sa décision sur un rapport d’enquête défectueux.
7. Le droit applicable
[39] Les dispositions applicables de la Loi sont jointes ci‑après, en tant qu’annexe « A ». Des dispositions législatives précises sont également incluses dans les présents motifs par souci de commodité ou de clarté. Voici un bref aperçu du cadre législatif de la Loi, ainsi que des principes juridiques qui se rapportent à la présente espèce.
A. La discrimination
[40] Comme il est indiqué à l’article 2 de la Loi, cette dernière a pour objet de protéger les individus contre les lignes directrices qui sont fondées sur un motif de distinction illicite, ce qui englobe la « déficience ». Selon l’article 25, une déficience désigne une « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue ».
[41] Les motifs de fond de la plainte relative aux droits de la personne de la demanderesse sont les articles 7, 10 et 14 de la Loi. L’article 7 interdit aux employeurs de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite. D’après l’article 10, le fait de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite « constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus ». L’article 14 interdit de harceler un individu pour un motif de distinction illicite. En ce qui concerne chacun de ces motifs, il incombe au plaignant d’établir, de façon suffisante jusqu’à preuve contraire, qu’il y a discrimination : voir l’arrêt Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558.
[42] Lorsqu’il est prouvé, de façon suffisante jusqu’à preuve contraire, qu’il y a eu discrimination au sens des article 7 ou 10, l’employeur dispose néanmoins d’une défense prévue à l’article 15 de la Loi. L’alinéa 15(1)a) dispose que les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences ayant trait à un emploi ne constituent pas un acte discriminatoire si cet acte découle d’exigences professionnelles justifiées (EPJ). L’employeur a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’acte en question est une EPJ. Pour ce faire, comme le prévoit le paragraphe 15(2), l’employeur doit démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins de l’employé en question lui imposeraient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.
B. Le rôle de la Commission
[43] La Loi habilite la Commission à analyser les plaintes relatives aux droits de la personne afin de déterminer s’il est justifié de mener une enquête approfondie. Pour aider la Commission à prendre cette décision, l’article 43 de la Loi lui permet de charger un enquêteur d’enquêter sur la plainte. Le paragraphe 44(1) exige que l’enquêteur présente un rapport à la Commission. Cette dernière doit ensuite donner suite au rapport de l’enquêteur. Si, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, la Commission juge qu’il est justifié de mener une enquête approfondie, elle peut, aux termes de l’alinéa 44(3)a), demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne d’ouvrir une enquête en application de l’article 49 de la Loi, ou alors de nommer un conciliateur en vertu de l’alinéa 47(1)b) de la Loi. Cependant, si la Commission juge qu’il n’est pas justifié de mener une telle enquête, elle n’a pas de pouvoir discrétionnaire et est tenue, en application de l’alinéa 44(3)b), de rejeter la plainte.
[44] Le rôle de la Commission est de décider si la preuve établit un fondement raisonnable qui justifierait que l’on examine plus en détail la plainte : voir l’arrêt SEPQA, précité, à la page 902, ainsi que l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 891 [également publié sous l’intitulé Bell c. Canada (Commission des droits de la personne)].
C. L’équité procédurale
[45] La jurisprudence établit, à titre de règle générale, que les organismes administratifs sont maîtres de leurs propres procédures dans la mesure où ces dernières respectent les principes de l’équité procédurale : voir l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113. Aucune « norme de contrôle » ne s’applique aux questions d’équité procédurale. Si la Commission enfreint les principes d’équité procédurale en faisant enquête sur une plainte relative aux droits de la personne, il faut alors annuler sa décision. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53 :
Selon l’arrêt SCFP [Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (ministre du Travail) [2003] 1 R.C.S. 539], la cour de révision doit, lorsqu’elle examine une décision contestée pour des motifs d’équité procédurale, isoler les actes ou omissions qui touchent à l’équité procédurale (paragraphe 100). La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation.
[46] Dans l’arrêt Sketchley, la Cour d’appel fédérale a examiné les facteurs permettant de déterminer la teneur de l’équité procédurale que la Cour suprême du Canada a énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans le contexte de l’examen préalable qu’effectue la Commission. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’obligation d’équité dont la Commission doit s’acquitter lorsqu’elle effectue une enquête a été décrite de manière appropriée par la Section de première instance de la Cour fédérale dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F 574 (1er inst.); décision confirmée par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.).
[47] Dans Slattery (page 598), le juge Marc Nadon a déclaré que l’équité procédurale exige implicitement que la Commission dispose « d’un fondement adéquat et juste pour évaluer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la constitution d’un tribunal ». Il a de plus déclaré que, pour qu’il existe un fondement juste, l’enquête menée sur la plainte doit satisfaire à deux conditions : la neutralité et la rigueur.
[48] Dans la présente espèce, même si la demanderesse allègue que l’enquête n’était pas neutre, rien dans la preuve n’indique que l’enquêteure s’est montrée partiale. En fin de compte, au cœur des allégations que la demanderesse formule dans la présente demande de contrôle judiciaire réside le fait que le travail de l’enquêteure et son rapport n’étaient pas rigoureux.
[49] Le juge Nadon poursuit au sujet de la nécessité que l’enquête de la Commission soit rigoureuse pour satisfaire à l’obligation d’équité procédurale dans Slattery, à la page 600 :
Pour déterminer le degré de rigueur de l’enquête qui doit correspondre aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l’intimé à l’égard de l’équité procédurale, et l’intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif.
Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l’égard des activités d’appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554. [Non souligné dans l’original.]
Essentiellement, le juge Nadon a conclu que, compte tenu de la latitude que le législateur a accordée à la Commission pour procéder à un examen préalable des plaintes relatives aux droits de la personne, la Cour ne devrait intervenir que dans les cas où l’enquête de la Commission est manifestement déficiente. Comme l’a statué le juge Marc Noël dans l’arrêt SRC, précité, au paragraphe 51, cela inclut les cas où le rapport d’enquête ne reflète pas une présentation juste et impartiale de tous les faits pertinents.
[50] Le juge Nadon a ensuite dit que lorsque l’on donne aux parties l’occasion de répondre au rapport d’enquête, la Cour ne devrait pas intervenir, sauf si elle juge que les réponses des parties ne pourront surmonter le préjudice causé par les omissions dans le rapport d’enquête.
Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.
8. Analyse
[51] Je traiterai en premier lieu de l’argument qu’ont invoqué les défendeurs au sujet des éléments de preuve qui sont soumis à juste titre à la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. En deuxième lieu, j’analyserai l’argument de la demanderesse selon lequel l’enquête menée sur ses allégations relatives aux articles 10 et 14 n’était pas rigoureuse. Enfin, j’examinerai la prétention de la demanderesse selon laquelle l’enquête menée sur sa plainte fondée sur l’article 7 était défectueuse.
A. La preuve soumise à la Cour
[52] À l’appui de son avis de demande, la demanderesse a signé le 26 mai 2005 un affidavit accompagné de 35 pièces. Dans cet affidavit, la demanderesse énumère les allégations constituant le fondement de ses plaintes relatives aux droits de la personne, en faisant référence aux pièces jointes. Parmi les pièces figurent le « cartable » de documents que la demanderesse a présenté avec sa plainte, lequel cartable inclut sa plainte « non officielle » de 36 pages, ainsi qu’une série de courriels, de notes versées au dossier et de procès‑verbaux de réunion liés à la période applicable pendant laquelle elle était au service de l’ARC. Le reste des pièces jointes à l’affidavit se compose principalement de documents établis au cours de l’enquête, dont les notes de l’enquêteure sur certains des entretiens qu’elle a menés. Tous les documents joints en tant que pièces ont été obtenus par la demanderesse à la suite de demandes présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1983, ch. A‑1. La Commission n’avait en mains aucun de ces documents quand elle a décidé de rejeter la plainte de la demanderesse, mais ils avaient été soumis à l’enquêteure.
[53] Les défendeurs s’opposent à ce que la Cour prenne en considération l’affidavit de la demanderesse et les pièces qui y sont jointes. Ils soutiennent que lorsque l’on contrôle une décision de la Commission, les seuls éléments de preuve admissibles sont ceux dont cette dernière disposait. Ils allèguent que la Cour ne peut pas prendre en considération de nouveaux éléments de preuve, tels que l’affidavit ou les pièces documentaires de la demanderesse qui avaient été soumis à l’enquêteure mais que la Commission n’a pas évalués au moment de rendre sa décision. Quoi qu’il en soit, ils soutiennent que la majeure partie de l’affidavit de la demanderesse est inadmissible car il contient des ouï‑dire, des arguments, des hypothèses et des affirmations conjecturelles.
[54] Je suis d’accord avec les défendeurs qu’il est en général bien établi que, dans une instance de contrôle judiciaire, la Cour ne peut prendre en compte que les éléments de preuve qui ont été présentés à l’office fédéral dont la décision fait l’objet du contrôle : voir, par exemple, Lemieche c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, Franz c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79, et Via Rail c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 1 C.F. 376 (1er inst.). Cependant, comme les défendeurs le reconnaissent, une exception s’applique lorsqu’il est allégué que l’office fédéral en question a enfreint les principes de l’équité procédurale : voir l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331. En résumé, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour ne peut pas prendre en considération de nouveaux éléments de preuve pour déterminer s’il convient de maintenir la décision de la Commission sur le fond, mais elle peut le faire pour déterminer si la Commission a enfreint les principes de l’équité procédurale en arrivant à la décision en question. Comme la question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire a trait à l’équité procédurale, il est loisible à la Cour d’examiner la preuve documentaire qui a été soumise à l’enquêteure mais non à la Commission.
B. Les plaintes fondées sur l’article 10 et l’article 14
[55] La demanderesse soutient que l’enquêteure a [traduction] « fait peu de cas » de son allégation selon laquelle les lignes directrices de l’ARC privent les employés souffrant d’une déficience mentale de mesures d’adaptation appropriées, ce qui est contraire à l’article 10 de la Loi, en ne faisant que résumer les observations de l’ARC. L’article 10 énonce ce qui suit :
10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale : a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;
[…] |
10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization (a) to establish or pursue a policy or practice, or
…
that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.
|
[56] À mon avis, l’argument de la demanderesse selon lequel était défectueuse l’enquête menée sur son allégation fondée sur l’article 10 n’est pas fondé. Comme le signalent les défendeurs, la demanderesse ne mentionne aucune ligne directrice mise en oeuvre par l’ARC à l’endroit des employés atteints d’une déficience mentale qui contreviendrait à l’article 10. La demanderesse soutient plutôt, essentiellement, que le [traduction] « manque » de lignes directrices constitue une violation prima facie de l’article 10. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’absence de lignes directrices tombe sous le coup de l’article 10, notamment parce que cette disposition traite de l’établissement ou de l’application d’une ligne directrice par l’employeur. En outre, la demanderesse n’a fait état d’aucun fait pertinent que l’enquêteure aurait passé sous silence. Il incombe à la demanderesse d’établir une preuve prima facie de discrimination, et je ne vois rien dans le dossier qui dénote que l’enquêteure n’a pas mené une enquête rigoureuse en se fondant sur les éléments de preuve qu’elle avait en mains relativement à l’allégation fondée sur l’article 10 de la demanderesse.
[57] En outre, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en ne tirant pas de conclusion, dans sa décision datée du 18 novembre 2004, sur la plainte de la demanderesse fondée sur l’article 10. À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ne formulant pas explicitement une conclusion à propos des allégations de la demanderesse qui reposent sur ce motif. La Commission ayant rejeté l’ensemble de la plainte relative aux droits de la personne de la demanderesse comme l’enquêteure l’avait recommandée, on peut considérer que la Commission a souscrit aux motifs donnés par l’enquêteure, qui avait conclu qu’il n’y avait pas lieu d’enquêter plus avant sur la plainte de la demanderesse fondée sur l’article 10.
[58] La demanderesse soutient également que l’enquête menée sur sa plainte fondée sur l’article 14 n’a pas été faite avec rigueur parce que l’enquêteure n’a pas analysé les [traduction] « cinq incidents particuliers » de harcèlement. En réponse, les défendeurs soutiennent qu’il est vrai que l’enquêteure n’a peut‑être pas fait référence de manière explicite à chaque allégation particulière, mais que rien ne prouve qu’elle n’a pas fait enquête sur les aspects fondamentaux de la plainte de harcèlement de la demanderesse. Les défendeurs disent que l’enquêteure n’est pas tenue de faire enquête sur [traduction] « la moindre allégation de discrimination », pas plus que de faire référence à [traduction] « chaque menu détail », ou de l’analyser, dans son rapport.
[59] Je ne suis pas convaincu que l’enquête était défectueuse en ce qui concerne la plainte de la demanderesse fondée sur l’article 14. L’enquêteure n’a pas inclus dans son rapport de rubrique distincte portant expressément sur les allégations de harcèlement de la demanderesse, mais rien n’indique que l’enquêteure a fait des omissions fondamentales au sujet des allégations de harcèlement de la demanderesse. L’enquêteure a fait état dans son rapport des allégations de harcèlement de la demanderesse; elle a aussi interrogé des personnes désignées par la demanderesse comme les auteurs du harcèlement et elle leur a fait part des allégations. En outre, à part affirmer que l’enquêteure n’a pas traité d’incidents de harcèlement particuliers, la demanderesse n’indique pas quelle « preuve manifestement importante » a été passée sous silence par l’enquêteure ainsi que dans le rapport d’enquête. En fin de compte, la demanderesse n’a pas établi qu’il y avait eu manquement aux principes d’équité procédurale à l’égard de sa plainte de harcèlement.
[60] En résumé, j’estime que l’enquêteure a fait preuve de rigueur dans son enquête sur les allégations formulées par la demanderesse à l’égard des articles 10 et 14 de la Loi. De ce fait, la Commission n’a pas commis d’erreur en se fondant sur le rapport de l’enquêteure pour ce qui est de ces deux motifs de la plainte de la demanderesse.
C. La plainte fondée sur l’article 7
[61] La demanderesse allègue que l’ARC a fait preuve de discrimination à son endroit en la défavorisant, contrairement à l’article 7 de la Loi, et en négligeant de répondre à ses besoins jusqu’à la contrainte excessive. L’article 7 énonce ce qui suit :
7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; b) de le défavoriser en cours d’emploi. |
7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly, (a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or (b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.
|
Comme je l’ai dit plus tôt, il incombe à la demanderesse d’établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7. Si la demanderesse y parvient, c’est à l’ARC qu’il revient alors d’établir une défense quelconque contre l’acte discriminatoire en question. Une telle justification figure à l’alinéa 15(1)a), qui prescrit qu’une ligne directrice n’est pas discriminatoire si elle tombe sous le coup d’une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Pour qu’une ligne directrice puisse être considérée comme une EPJ, l’employeur doit établir que les mesures destinées à répondre aux besoins de l’employé constitueraient, pour lui, une contrainte excessive : voir le paragraphe 15(2).
[62] Dans son mémoire, la demanderesse a fait état de la thèse suivante au sujet de l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 :
[traduction]
Une fois qu’une employée a établi une preuve prima facie qu’elle souffre d’une déficience mentale ou physique qui requiert des mesures d’adaptation au travail, il revient à l’employeur de démontrer qu’il a pris à l’égard de la déficience de l’employée des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive.
À l’audience, la position de la demanderesse a été essentiellement la suivante : quand la Dre Hilliard a conclu que la demanderesse avait, du fait de sa déficience, des limites pour lesquelles il était nécessaire de prendre des [traduction] « mesures d’adaptation » s’il fallait qu’elle puisse retourner au travail, une preuve prima facie de discrimination a été établie. Selon la demanderesse, il incombait alors à l’ARC de lui procurer les [traduction] « mesures d’adaptation » que la Dre Hilliard avait indiquées, à moins de pouvoir prouver que cela causerait à l’ARC une contrainte excessive.
[63] Utilisant cela comme point de départ, la demanderesse soutient que l’enquête menée sur sa plainte fondée sur l’article 7 était défectueuse parce que l’enquêteure n’a pas analysé si [traduction] « l’acte discriminatoire prima facie » de l’ARC satisfaisait aux exigences de la contrainte excessive dont il est question au paragraphe 15(2). La demanderesse prétend que l’enquêteure était tenue d’évaluer si l’ARC s’était acquittée de son fardeau de preuve en appliquant le cadre analytique exposé dans l’arrêt Meiorin, précité. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a statué que, pour pouvoir établir qu’une norme discriminatoire est une EPJ, l’employeur doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la ligne directrice satisfait aux trois critères suivants :
1) que l’employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
2) que l’employeur a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail, sans avoir l’intention de faire preuve de discrimination à l’égard du demandeur;
3) la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour que l’employeur réalise son but légitime. L’employeur doit démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
La demanderesse déclare qu’en ne faisant pas enquête sur la question de savoir si les mesures d’adaptation prises par l’ARC avaient causé à cette dernière une contrainte excessive, l’enquêteure a enfreint les principes de l’équité procédurale.
[64] Je suis d’accord avec la demanderesse que Meiorin établit le critère à appliquer pour déterminer si un employeur a démontré qu’une norme discriminatoire constitue une EPJ, mais, à mon avis, on ne peut retenir la prétention de la demanderesse selon laquelle l’enquêteure a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’appliquant pas ce critère juridique. Le critère formulé dans Meiorin part du principe que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination. Dans Meiorin, la plaignante s’était acquittée du fardeau qu’elle avait d’établir que la norme aérobique contestée avait pour effet de priver les femmes de possibilités d’emploi. Par contraste, dans la présente espèce, l’enquêteure a essentiellement conclu que toute différence de traitement de la part de l’ARC à l’égard de la demanderesse avait pour but de faciliter son retour au travail, et que tout traitement défavorable que la demanderesse pouvait avoir subi était dû à son propre comportement – c’est‑à‑dire, en exécutant mal son travail et en se concentrant sur ses activités syndicales au détriment de sa formation et de son travail. L’enquêteure n’a donc pas été convaincue que la preuve établissait un fondement raisonnable pour une preuve prima facie de discrimination, et elle n’a donc pas examiné ensuite si l’ARC avait pris, à l’égard de la demanderesse, des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive.
[65] La plainte de la demanderesse fondée sur l’article 7 s’articule autour d’une ligne de conduite entre l’ARC et la demanderesse – contrairement à la situation dont il est question dans Meiorin, où c’était une politique de l’employeur qui était en cause. Dans l’arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2003] 4 C.F. 580, 2003 CAF 133, le juge J.D. Denis Pelletier a traité de la façon d’appliquer l’analyse faite dans l’arrêt Meiorin à une ligne de conduite. Voici ce qu’il indique aux paragraphes 74 et 75 :
[74] Il existe une distinction évidente entre la présente espèce et l’affaire Meiorin; en effet, les rapports entre l’appelante et l’intimée ne sont pas dictés par une politique préexistante. Nous constatons plutôt une ligne de conduite selon laquelle les parties se fondaient sur une interprétation des droits et obligations qu’elles avaient respectivement. Cette interprétation peut trouver son origine dans les droits qui sont garantis ou dans les obligations qui sont imposées par la convention collective, le régime législatif régissant l’emploi dans la fonction publique, la législation en matière de droits de la personne, la législation en matière de santé et de sécurité au travail ou les politiques ministérielles. Il serait fort difficile d’extraire de cette matrice une politique cohérente distincte qu’il serait possible d’assujettir à une analyse méthodique comme dans l’arrêt Meiorin. Cela ne veut toutefois pas dire que l’analyse qui a été faite dans l’arrêt Meiorin n’est pas pertinente aux fins de la ligne de conduite à adopter. Mais cela donne à entendre que l’analyse peut avoir un point de départ différent.
[75] Dans l’arrêt Meiorin, la Cour a commencé son analyse en concluant que la politique en question faisait une distinction entre des personnes qui étaient touchées d’une façon préjudiciable pour un motif de distinction illicite. Lorsqu’il est question d’une ligne de conduite, la question la plus pertinente consiste à savoir si les rapports entre les parties, considérés dans leur ensemble, entraînent un traitement préjudiciable fondé sur un motif de distinction illicite. Si les rapports considérés dans leur ensemble ne révèlent aucun traitement préjudiciable, l’examen prend fin. S’il est démontré qu’il existe un traitement préjudiciable fondé sur un motif de distinction illicite, on procède à l’examen des trois questions dont l’analyse de la Cour suprême était composée [dans Meoirin].
À mon avis, l’arrêt Hutchinson est applicable dans les circonstances de l’espèce. Dans la présente affaire, comme dans Hutchinson, nous n’avons pas affaire à une politique préexistante, mais plutôt à une ligne de conduite. Il s’ensuit qu’avant d’appliquer l’analyse exposée dans l’arrêt Meoirin, la demanderesse doit d’abord établir à première vue que les mesures prises par l’ARC ont eu pour effet de la défavoriser du fait de sa déficience. Comme l’enquêteure n’a pas conclu que la demanderesse avait établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi, les principes de l’équité procédurale n’exigeaient pas qu’elle examine l’obligation de l’ARC de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive, comme le prescrivent l’article 15 de la Loi et le critère formulé dans l’arrêt Meoirin. Par conséquent, selon moi, l’enquête n’était pas défectueuse pour ce motif.
[66] Il reste à déterminer si l’enquête de la Commission sur les allégations de la demanderesse concernant l’existence d’une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 satisfait à l’exigence de la rigueur. Je vais maintenant examiner cette question.
[67] La demanderesse soutient que, pour deux raisons, l’enquête de la Commission n’a pas été menée avec rigueur, en ce sens que l’enquêteure n’a pas analysé convenablement s’il y avait un fondement raisonnable pour établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7. Premièrement, la demanderesse soutient que l’enquêteure a commis une erreur en concentrant son analyse sur le rendement de la demanderesse plutôt que sur les normes de rendement de l’ARC. Deuxièmement, elle soutient que l’enquêteure a omis d’analyser de quelque façon les dénis d’adaptation répétés de l’ARC. À l’audience, la demanderesse a fait état d’éléments de preuve documentaires figurant dans le « cartable » qu’elle avait présenté avec sa plainte et dont l’enquêteure n’a pas fait mention dans son rapport. Elle soutient que la preuve étaye sa prétention selon laquelle l’ARC a refusé de prendre des mesures d’adaptation à son égard.
[68] Les défendeurs soutiennent pour leur part que la référence que fait l’enquêteure au piètre rendement au travail de la demanderesse résulte d’un examen de la preuve, qui indique que la demanderesse n’a pas facilité son retour efficace au travail. Ils ajoutent que la demanderesse était tenue de prendre part aux mesures d’adaptation de l’ARC en [traduction] « agissant de manière coopérative et raisonnable ». À l’appui de leur prétention, ils citent l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, dans lequel la Cour suprême du Canada traite de l’obligation du plaignant d’arriver à un compromis approprié pour sa déficience. Aux pages 994 à 995, le juge John Sopinka de la Cour déclare ce qui suit :
Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.
[69] En ce qui concerne l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’enquêteure s’est concentrée à tort sur son rendement, je suis d’avis que cette dernière n’a pas commis d’erreur en examinant la preuve concernant le rendement professionnel et les absences du travail de la demanderesse, de même que ses activités syndicales. Aux termes de l’article 7 de la Loi, il était loisible à l’enquêteure d’examiner si la différence de traitement alléguée était attribuable à des motifs autres que la déficience de la demanderesse, comme son propre comportement, en négligeant d’accomplir les fonctions de son emploi. Il ressort clairement de l’arrêt Renaud, précité, qu’il faut prendre en considération la conduite du plaignant lorsque l’on recherche un accommodement. Cependant, comme le déclare de plus la Cour suprême au paragraphe 44 de cette décision : « […] l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise ». Il s’ensuit donc que l’enquêteure, dans le cadre d’une enquête, doit aussi veiller à examiner les efforts, si efforts il y avait, que l’ARC a faits pour faciliter le retour au travail de la demanderesse.
[70] Au sujet de la seconde affirmation de la demanderesse selon laquelle l’enquêteure a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, la question que doit trancher la Cour n’est pas de savoir si une preuve prima facie a été établie, mais plutôt si l’enquêteure, dans son rapport, a fourni à la Commission un fondement adéquat et équitable pour déterminer s’il était justifié de faire une enquête plus détaillée sur la plainte de la demanderesse fondée sur l’article 7. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le rapport d’enquête est lacunaire.
[71] Même si, dans son rapport, l’enquêteure examine en détail les observations et les réponses des deux parties et résume les entretiens qu’elle a eus avec des personnes concernées, elle ne fait pas référence à la preuve figurant dans les pièces documentaires que la demanderesse a fournies – le « cartable » de documents. À mon avis, ces pièces documentaires contiennent des faits pertinents qu’il aurait fallu porter à l’attention de la Commission.
[72] Il est utile de passer en revue les circonstances qui ont mené à la création de certains documents figurant dans le cartable que la demanderesse a présenté, ainsi que le contenu de ces documents, afin de mieux en saisir l’importance potentielle. À la réunion de novembre 2000, la Dre Hilliard de Santé Canada a rencontré des membres de la direction de l’ARC ainsi que la demanderesse et son représentant en vue de discuter de l’aptitude au travail de cette dernière. Selon le procès‑verbal de cette réunion, la Dre Hilliard a déclaré que la demanderesse était apte à travailler, avec certaines limites en raison de sa déficience. La Dre Hilliard a exposé aussi quelles étaient ses recommandations pour faciliter le retour au travail efficace de la demanderesse. L’une des limites mentionnées par la Dre Hilliard était la difficulté qu’avait la demanderesse à accomplir des tâches multiples. La Dre Hilliard a recommandé que la demanderesse soit chargée de tâches précises plutôt que de tâches générales comportant des activités variées et multiples. Comme je l’ai indiqué plus tôt, l’ARC a accepté de prendre un certain nombre de mesures pour aider la demanderesse à revenir au travail. Le premier poste auquel elle a été affectée après la réunion avec la Dre Hilliard se trouvait au BSFBF. En fin de compte, cependant, cette affectation n’a pas été couronnée de succès.
[73] Dans son rapport, l’enquêteure fait état de l’affirmation de la demanderesse selon laquelle ses problèmes étaient dus au fait que l’ARC n’avait pas pris de mesures d’adaptation à son égard, y compris le refus de cette dernière de [traduction] « regrouper » les tâches liées au travail d’observation des fiducies afin de tenir compte des limites qu’elle avait en ce qui concerne les tâches multiples. L’enquêteure mentionne aussi la réponse de l’ARC, laquelle indique essentiellement que les problèmes découlaient du fait que la demanderesse ne s’était pas concentrée sur sa formation et sur son travail; elle s’était laissée plutôt distraire par ses activités syndicales et s’était absentée à maintes reprises du travail. À mon avis, il était juste que l’enquêteure consigne les positions respectives des parties. Cependant, son rapport est lacunaire en ce sens qu’elle ne fait référence à aucun des éléments de preuve documentaires indiquant que les gestionnaires de l’ARC, au BSFBF, savaient que le travail multitâches était un problème pour la demanderesse avant qu’elle débute l’affectation, et qu’ils étaient néanmoins peu disposés à modifier la description de tâches relative au travail d’observation des fiducies pour tenir compte des limites de la demanderesse. Je soulignerai plus loin certains des faits pertinents relevés dans les pièces documentaires dont, selon moi, l’enquêteure aurait dû traiter expressément dans son rapport pour que l’enquête satisfasse à l’exigence de la rigueur.
[74] Parmi les pièces documentaires figurent les procès‑verbaux de plusieurs réunions tenues entre la demanderesse et son personnel de surveillance au BSFBF, après que l’on a commencé à avoir des inquiétudes au sujet du rendement de la demanderesse. À la réunion du 9 mai 2001, Richard Day, le gestionnaire du BSFBF, au moment d’expliquer ce qui avait amené la demanderesse à venir travailler au BSFBF, a déclaré, selon ce qui est indiqué, qu’il avait remarqué que la demanderesse avait des problèmes avec le travail multitâches et qu’il avait senti dès le début que le travail au BSFBF n’était probablement pas celui qui correspondait le mieux à la demanderesse. Le procès‑verbal tenu par Gloria Perger, conseillère en relations de travail à l’ARC, indique que M. Day a ajouté qu’il pensait que le superviseur de la demanderesse s’entretiendrait de ses préoccupations avec un gestionnaire supérieur, à l’ARC, mais qu’il n’a rien entendu d’autre sur l’affaire.
[75] Dans un courriel transmis le 11 mai 2001, M. Day énumère les efforts qu’a faits la direction du BSFBF pour répondre aux besoins de la demanderesse, mais il indique que le BSFBF [traduction] « n’était pas d’accord pour adapter, réduire ou regrouper les exigences ou les tâches relatives au poste afin de tenir compte du peu d’aptitudes de Kim au travail multitâches ou de ses problèmes de concentration ». Il a ajouté qu’il avait anticipé des problèmes au départ et avait tenté de suggérer d’autres options.
[76] Par ailleurs, à une réunion tenue le 23 mai 2001, il y a une autre indication que l’ARC n’était pas disposée, dès le retour de la demanderesse au travail en janvier 2001, à prendre les mesures recommandées pour compenser l’une des limites que la Dre Hilliard avait relevées, soit la difficulté que présentait le travail multitâche. Voici ce qu’on peut lire dans le procès‑verbal de la réunion, que Mme Perger a écrit :
[traduction]
Richard indique que, selon ce qu’il avait compris, Kim était là pour faire un nouveau travail, pour essayer d’apprendre le travail afin de déterminer si celui‑ci lui correspondait mieux que celui qu’elle avait au CTS. On n’a jamais laissé entendre à Richard que le travail allait changer de quelque façon. Le Recouvrement devait prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une personne qui avait des besoins spéciaux et qui devait travailler dans un milieu différent. Un programme a été établi pour travailler avec Kim et perfectionner cette dernière. Les renseignements que l’on avait sur les besoins spéciaux de cette dernière étaient fondés uniquement sur les notes que Kim avait fournies. Quand on a demandé de plus amples renseignements à l’ancien superviseur, on a dit à Richard que ces notes pouvaient être préjudiciables. Richard déclare que certaines préoccupations au sujet du travail multitâches ont été relevées assez facilement.
[…]
Richard déclare que son supérieur lui a dit clairement que la direction ne changera pas le poste et que si c’est cela qui est nécessaire, Kim devra retourner voir son gestionnaire d’attache et revenir avec un plan. Changer de travail n’était pas, selon la direction, le motif de l’affectation de Kim. [Non souligné dans l’original.]
À la même réunion, Lynda Feilden, la chef d’équipe qui supervisait la demanderesse, a aussi confirmé qu’elle savait que la Dre Hilliard avait indiqué que le travail multitâches était un problème pour la demanderesse et que [traduction] « une partie importante du travail [d’observation des fiducies] comportait plusieurs tâches ». Mme Feilden a déclaré de plus qu’elle avait compris au départ que l’on demandait au BSFBF [traduction] « de prendre des mesures d’adaptation, en ce sens que nous devions former Kim pour qu’elle devienne une agente d’observation des fiducies parfaitement qualifiée ».
[77] Comme je l’ai dit plus tôt, l’affectation au BSFBF a été le premier placement de la demanderesse après que la Dre Hilliard eu fait part au personnel de direction de l’ARC de ce qu’il fallait faire pour que la demanderesse puisse revenir avec succès au travail, et l’ARC s’était engagée à essayer de réintégrer la demanderesse au travail. À mon avis, la preuve concernant les intentions et les décisions des gestionnaires de l’ARC en réponse aux limites relevées par la Dre Hilliard, surtout en ce qui concerne le travail multitâches, était manifestement cruciale pour déterminer si la « ligne de conduite » entre l’ARC et la demanderesse avait défavorisé cette dernière du fait de sa déficience. Dans ce contexte, l’enquêteure aurait dû enquêter davantage sur cette preuve, et, dans son rapport, faire part à la Commission de ces faits pertinents. On ne sait pas trop si l’enquêteure a même fait part de la preuve figurant dans les procès‑verbaux et les courriels aux gestionnaires de l’ARC lorsqu’elle les a interrogés, car les notes concernant les entretiens que l’enquêteure a eus avec M. Day et Mme Feilden ne se trouvent pas dans le dossier qui a été soumis à la Cour. En outre, on n’a porté à l’attention de la Cour aucune preuve indiquant pourquoi l’ARC ne voulait pas, ou ne pouvait pas, modifier les exigences du poste pour tenir compte de l’inaptitude de la demanderesse à accomplir un travail multitâches.
[78] On ne peut pas dire que l’enquêteure, en omettant de commenter ce que je considère comme une « preuve manifestement importante », a procuré à la Commission un fondement juste et convenable pour se prononcer sur la plainte de la demanderesse fondée sur l’article 7. Bien que cette dernière ait eu la possibilité de présenter des observations écrites en réponse au rapport d’enquête, et qu’elle ait fait mention de l’omission d’éléments de preuve documentaires, je suis d’avis que les faits pertinents qu’on a passés sous silence étaient de nature si fondamentale que la possibilité qu’avait la demanderesse de répondre ne pouvait pas compenser le préjudice potentiel causé par l’omission de ces faits dans le rapport d’enquête. J’estime donc que l’enquête portant sur la plainte de la demanderesse fondée sur l’article 7 ne satisfaisait pas aux exigences de l’équité procédurale.
9. Conclusion
[79] En conclusion, je suis d’avis que l’enquête menée sur les plaintes de la demanderesse fondées sur les articles 10 et 14 a été rigoureuse. Je conclus par contre, pour ce qui est de la plainte fondée sur l’article 7 de la Loi, que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en fondant sa décision sur une enquête non rigoureuse et sur un rapport d’enquête défectueux. Il y a eu manquement aux principes de l’équité procédurale, et il convient donc d’annuler la décision. En définitive, l’affaire sera renvoyée à la Commission afin qu’elle mène une enquête plus poussée.
[80] À l’audition de la présente affaire, la demanderesse a renoncé à toute réclamation qu’elle pouvait avoir en matière de dépens. De ce fait, aucuns dépens ne seront adjugés.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. La décision de la Commission datée du 18 novembre 2004 est annulée.
3. L’affaire est renvoyée à la Commission canadienne des droits de la personne pour qu’elle procède à une enquête plus poussée et rende une décision, conformément aux motifs qui précèdent.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
ANNEXE « A »
LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE |
CANADIAN HUMAN RIGHTS ACT |
L.R., 1985, ch. H‑6
|
R.S. 1985, c. H‑6
|
OBJET |
PURPOSE |
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.
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2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.
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MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE |
PROHIBITED GROUNDS |
3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience. |
3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted. |
(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.
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(2) Where the ground of discrimination is pregnancy or child‑birth, the discrimination shall be deemed to be on the ground of sex.
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ACTES DISCRIMINATOIRES |
DICRIMINATORY PRACTICES
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Emploi |
Employment |
7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : |
7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly, |
a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; |
(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or |
b) de le défavoriser en cours d’emploi.
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(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.
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Lignes de conduites discriminatoires |
Discriminatory Policy and Practices |
10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale : a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite; b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.
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10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization (a) to establish or pursue a policy or practice, or (b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment, that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.
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Harcèlement |
Harassment |
14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu : a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public; b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements; c) en matière d’emploi. |
14. (1) It is a discriminatory practice, (a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public, (b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or (c) in matters related to employment, to harass an individual on a prohibited ground of discrimination. |
(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.
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(2) Without limiting the generality of subsection (1), sexual harassment shall, for the purposes of that subsection, be deemed to be harassment on a prohibited ground of discrimination.
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Exceptions |
Exceptions |
15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires : |
15. (1) It is not a discriminatory practice if |
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; |
(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement; |
[…] |
… |
(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.
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(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.
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ENQUÊTE |
INVESTIGATION |
43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteure », d’enquêter sur une plainte. |
43. (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an "investigator", to investigate a complaint. |
(2) L’enquêteure doit respecter la procédure d’enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4). |
(2) An investigator shall investigate a complaint in a manner authorized by regulations made pursuant to subsection (4). |
[…]
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…
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44. (1) L’enquêteure présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête. |
44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation. |
(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas : a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts; b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale. |
(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied (a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or (b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act, it shall refer the complainant to the appropriate authority. |
(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission : |
(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission |
a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue : |
(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied |
(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié, |
(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and |
(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e); |
(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or |
b) rejette la plainte, si elle est convaincue : |
(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied |
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié, |
(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or |
(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e). |
(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e). |
(4) Après réception du rapport, la Commission : |
(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission |
a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3); |
(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and |
b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3). |
(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3). |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : KIM FORSTER
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (C.‑B.)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 MARS 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : LE 20 JUIN 2006
COMPARUTIONS :
Ward Bansley POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kim Forster (pour son propre compte) DEMANDERESSE
Surrey (C.‑B.)
John H. Sims, c.r. POUR LES DÉFENDEURS
Sous‑procureur général du Canada