Dossier : IMM-2300-19
Référence : 2019 CF 1551
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2019
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
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NILUFAR SULTANA,
MOHAMMED KAIYUM,
KARIMA KAIYUM ET
JUBAIR KAIYUM
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 27 février 2019 (la décision), par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par les demandeurs.
[2]
Les demandeurs sont une famille de citoyens du Bangladesh composée d’une femme (la demanderesse principale), de son époux (le codemandeur) et de leurs deux enfants mineurs. Le codemandeur allègue qu’il a été harcelé et attaqué en 1993 par une personne du nom de Sultan Shiekh (M. Shiekh), vice‑président d’un club de cricket, et ses partisans, après qu’il ait formulé une plainte publique relativement aux activités illégales de M. Shiekh.
[3]
En 1993, les demandeurs ont présenté une demande d’asile aux États‑Unis, dont l’issue est inconnue. Ils sont retournés au Bangladesh en janvier 2006 pour rendre visite au père malade du codemandeur. Ils ont regagné les États‑Unis en mars 2006 et sont ensuite entrés au Canada en août 2017. La demande des demandeurs a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), et leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée.
I.
La décision
[4]
Dans leur demande d’ERAR, les demandeurs ont invoqué l’existence d’un nouveau risque fondé principalement sur une nouvelle preuve d’un faux dossier présenté contre le codemandeur en juin 2018. Un élément clé de la nouvelle preuve (DCT, aux p. 67-68) était un document intitulé [traduction] « Le document du 15 septembre 2018 »
qui figure en annexe aux présents motifs, accompagné de sa traduction française.
[5]
Voici un extrait important de la décision. Les passages soulignés ont eu un effet préjudiciable majeur sur la demande des demandeurs :
[TRADUCTION]
Comme je l’ai mentionné précédemment, je souligne que les demandeurs ont produit une copie du mandat d’arrêt concernant un « faux dossier » présenté contre le demandeur en juin 2018. Je relève quelques points relatifs à ce document ainsi qu’à d’autres documents qui ont été présentés relativement au plus récent « faux dossier » déposé contre M. KAIYUM. Premièrement, comme l’indique le rapport BGD105614.E de la CISR, bien que l’accusé et/ou son représentant légal « puissent obtenir une copie de l’ordonnance [autorisant] la délivrance d’un mandat d’arrêt », l’accusé ou son avocat ne peut obtenir une copie du mandat d’arrêt lui‑même. Il ressort des observations que l’avocat des demandeurs au Bangladesh, Anis AHMED, affirme qu’il a pu obtenir des documents de la police et du tribunal, y compris des mandats d’arrêt. Je conclus que les demandeurs n’ont fourni aucune explication quant à la façon dont leur représentant légal dans leur pays d’origine aurait pu obtenir des copies des mandats d’arrêt concernant le demandeur, alors que la preuve documentaire indique que seule la police aurait accès à ce type de document. En outre, il découle du même rapport que « les mandats d’arrêt portent le sceau du tribunal, le numéro de la note de service, la date de délivrance et les signatures des “agents en exercice” du tribunal (18 août 2016) ». Je constate que la copie du mandat d’arrêt daté du 5 septembre 2018 ne semble pas porter de sceau officiel du tribunal. Par conséquent, je conclus que les facteurs susmentionnés nuisent à la fiabilité de la copie du mandat d’arrêt daté du 5 septembre 2018. J’accorde donc un poids négligeable à ce document dans la présente demande, compte tenu des considérations qui précèdent.
(Décision, DCT, à la p. 15)
[6]
En ce qui concerne la conclusion de l’agent selon laquelle le document du 5 septembre 2018 était un [traduction] « mandat d’arrêt »
au lieu d’une ordonnance autorisant la délivrance d’un mandat d’arrêt, l’agent a apparemment déterminé que le titre du document était plus important que son contenu. Le titre du document est [traduction] « Mandat d’arrêt »
, alors que le passage suivant tiré de son contenu mène à la conclusion que le document est une ordonnance :
[traduction]
Il vous est ordonné d’arrêter les accusés susmentionnés et de les traduire devant le tribunal sans faute.
(Voir la pièce A – Le document du 5 septembre 2018)
[7]
Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent était entachée d’une erreur de fait.
II.
Conclusion
[8]
L’erreur de fait commis par l’agent a eu des répercussions importantes sur d’autres aspects de la décision.
[9]
Premièrement, lorsque l’agent a conclu au paragraphe 5 que les [traduction] « demandeurs n’ont fourni aucune explication »
, il a inféré à tort que les demandeurs n’étaient pas crédibles.
[10]
Deuxièmement, cette inférence erronée a fait en sorte que l’agent a accordé un [traduction] « poids négligeable »
au document du 5 septembre 2018 parce qu’il avait des doutes quant à son authenticité. Comme l’a fait observer le juge Ahmed dans la décision Oranye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 390, au paragraphe 27, cette manière de rendre des décisions est inacceptable :
Les juges des faits doivent avoir le courage de trouver des faits. Ils ne peuvent pas dissimuler l’authenticité des conclusions, simplement en jugeant les preuves comme étant de « faible valeur probante ». Comme la juge Mactavish l’a souligné à juste titre, dans Sitnikova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1082, au paragraphe 20, qui je vais reproduire en entier :
[traduction] De plus, la Cour a antérieurement commenté la pratique des tribunaux à l’égard d’accorder un « peu d’importance » aux documents sans tirer une conclusion explicite concernant leur authenticité : voir, par exemple, Marshall c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 622 (CanLII), aux paragraphes 1 à 3, (2009] A.C.F. no 799 et Warsame c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1202, au paragraphe 10. Si un tribunal n’est pas convaincu de l’authenticité d’un document, donc il devrait le dire et n’accorder aucune importance au document. Les tribunaux ne devraient pas critiquer l’authenticité d’un document et ensuite tenter de couvrir leurs arguments en accordant « peu de poids » au document. Comme l’a observé le juge Nadon dans Warsame, [traduction] « [c]’est tout ou rien » : au paragraphe 10.
[11]
Troisièmement, l’erreur commise par l’agent a entraîné le rejet des éléments de preuve des demandeurs sur le fondement d’une conclusion défavorable non étayée quant à leur crédibilité :
[traduction]
Compte tenu de ce qui précède et des éléments de preuve dont je dispose, je ne puis conclure qu’il existe un mandat d’arrêt actif contre le demandeur et/ou les membres de sa famille, ou que lui‑même ou les membres de sa famille ont été déclarés coupables et condamnés au Bangladesh. Je ne puis conclure, selon les renseignements dont je dispose, que la police au Bangladesh s’intéresse actuellement au demandeur. Il y a peu d’éléments de preuve indépendants et objectifs dans le dossier qui me permettraient de conclure que les demandeurs seraient confrontés à un risque personnel de préjudice grave à leur retour dans leur pays d’origine.
(DCT, à la p. 16)
[12]
Pour ces motifs, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle est déraisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2300-19
LA COUR STATUE que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 20e jour de décembre 2019.
Mylène Boudreau, traductrice
Formulaire no 4976 du Bangladesh Dossier criminel no 176/18
Formulaire no 86 de la Haute Cour, section pénale
Mandat d’arrestation
(Article 145 du Code de procédure pénale et articles 7 et 8 de la Loi sur les réparations)
(1) [illisible] Destinataire :
Agent responsable
Lalbagh Thana
Police métropolitaine de Dhaka
PMD, Dhaka
Mohammad Abdul Quader, fils de Mohammed Abdul Jabbar, domicilié au 19/1, rue Umesh Dutta, Bakshi Bazar, Chakbazar, Dhaka
Mohammad Abdul Karim, fils de Mohammed Abdul Jabbar, domicilié au 19/1, rue Umesh Dutta, Bakshi Bazar, Chakbazar, Dhaka
Mohammad Abdul Kaiyum, fils de Mohammed Abdul Jabbar, domicilié au 19/1, rue Umesh Dutta, Bakshi Bazar, Chakbazar , Dhaka
Mohammad Abdul Jabbar, fils de Monir Uddin, domicilié au 19/1, rue Umesh Dutta, Bakshi Bazar, Chakbazar , Dhaka
Résident de Signature
(2) Description de l’infraction (3) Cette infraction a fait l’objet de plaintes auprès du tribunal
Il vous est ordonné d’arrêter les accusés susmentionnés et de les traduire devant le tribunal sans faute.
En date d’aujourd’hui – 05/09/2018 (S/D [illisible])
Magistrat
Juge de district
Troisième cour, Dhaka
(Voir l’article 145 du Code de procédure pénale et les articles 7 et 8 de la Loi sur les réparations)
En ce trentième (30e) jour d’octobre 2018, j’ordonne que les accusés comparaissent devant moi et je fixe le montant de leur caution à 10 lakh de taka, à moins que je rende une ordonnance différente avant leur comparution.
Année
et Date – 05/09/2018 [Illisible]
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2300-19
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INTITULÉ :
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NILUFAR SULTANA, MOHAMMED KAIYUM, KARIMA KAIYUM ET JUBAIR KAIYUM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 NovembRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE CAMPBELL
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 3 DÉCEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Steven Charles
Sumeya Mulla
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POUR LES DEMANDEURS
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Melissa Mathieu
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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