Date : 20191204
Dossier : T-492-19
Référence : 2019 CF 1552
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2019
En présence de madame la juge McDonald
ENTRE :
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PATRICIA DION
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demanderesse
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
En 2014, après avoir reçu pendant 10 ans des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (le Régime), Patricia Dion a recommencé à travailler. Elle a continué de recevoir des prestations d’invalidité tout en travaillant, jusqu’à ce que le gouvernement décide qu’elle n’était plus invalide et donc plus admissible à recevoir les prestations. Mme Dion a porté cette décision en appel devant la division générale et la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Elle a été déboutée dans les deux instances. Le Tribunal a conclu qu’elle n’était pas « invalide »
au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 (le RPC), car son travail constituait une « occupation véritablement rémunératrice »
.
[2]
Agissant pour son propre compte, Mme Dion demande à la Cour de procéder au contrôle de la décision rendue par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Elle soutient que la division d’appel n’a pas tenu compte de sa situation personnelle, de la nature du travail qu’elle était en mesure d’accomplir, de son âge ainsi que du fait que ses qualifications scolaires sont désuètes. Or, ses arguments ne font malheureusement pas partie des moyens d’appel que la division d’appel pouvait examiner, lesquels sont prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (la LMEDS). Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Le contexte
[3]
En janvier 2004, Mme Dion est devenue admissible à recevoir une pension d’invalidité du Régime lorsqu’elle a cessé de travailler pour cause de blessures au dos, de dépression et d’apnée du sommeil. Environ 10 années plus tard, en 2014, elle a recommencé à travailler pour une période d’[traduction] « essai »
à titre de préposée aux soins à domicile. Elle a cependant continué de recevoir des prestations d’invalidité du Régime pendant qu’elle travaillait. Lorsque le gouvernement en a pris connaissance, il a mis un terme à ses prestations d’invalidité et a établi qu’elle avait touché une somme en trop de plus de 25 000 $.
[4]
Mme Dion a demandé à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale d’examiner de nouveau la décision relative à ses prestations d’invalidité. La division générale a toutefois conclu qu’elle n’avait plus droit aux prestations puisqu’elle avait recommencé à travailler et que son retour au travail signifiait qu’elle n’était plus invalide.
[5]
Son appel a été rejeté par la division d’appel. Celle-ci a conclu que la division générale n’avait tiré aucune « conclusion de fait erronée »
. Il s’agissait selon elle du seul moyen d’appel au regard duquel elle pouvait examiner les arguments de Mme Dion.
[6]
Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Dion soutient qu’il n’était pas raisonnable pour la division d’appel (ni pour la division générale) de tenir compte uniquement de la rémunération qu’elle obtenait, sans égard à la difficulté qu’elle éprouvait à travailler. Elle rapporte avoir éprouvé de la souffrance constante en travaillant, ce qui l’obligeait à prendre des pauses fréquentes.
La question en litige et la norme de contrôle
[7]
La seule question en litige consiste à savoir s’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que Mme Dion n’a soulevé aucun moyen d’appel ayant une chance raisonnable de succès.
[8]
La norme de contrôle applicable à la décision de la division d’appel est celle de la décision raisonnable, puisque la division d’appel appliquait sa loi habilitante (Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, au par. 26 [Atkinson]).
[9]
Le caractère raisonnable d’une décision tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »
ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).
Analyse
[10]
Mme Dion soutient que la division d’appel (tout comme la division générale) n’a pas tenu dûment compte de sa situation personnelle. Elle explique que lorsqu’elle a recommencé à travailler en 2014, il ne s’agissait pas d’un retour au travail à temps plein et que les seuls emplois qu’elle pouvait occuper étaient des emplois peu exigeants physiquement qui lui permettaient de prendre des pauses fréquentes. Mme Dion admet ne pas avoir déclaré son retour au travail, mais elle croit qu’elle n’était pas tenue de le faire parce que, selon elle, il s’agissait uniquement d’[traduction] « essais »
. Autrement dit, elle faisait un retour au travail pour une période d’essai afin de voir si elle en était capable. Elle soutient aussi que la division d’appel a commis une erreur en se fondant sur sa rémunération plutôt que sur son handicap pour évaluer sa capacité à travailler. Elle prétend qu’il aurait fallu tenir compte de la difficulté qu’elle éprouve à travailler plutôt que de se demander si elle touchait une rémunération suffisante.
[11]
Les arguments de Mme Dion sont certes compréhensibles, mais ils ne cadrent pas avec les exigences de la loi. La définition de l’invalidité aux termes du Régime est très restrictive. En effet, comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atkinson, au paragraphe 3, « les personnes atteintes de problèmes de santé graves et prolongés peuvent être inadmissibles à des prestations d’invalidité si elles sont jugées capables de détenir une occupation régulière véritablement rémunératrice »
. C’est à la capacité à travailler que doit se rattacher la notion de « régularité »
, et non à l’emploi en tant que tel (Atkinson, au par. 37). Dans cet arrêt, le fait que la demanderesse avait été capable de se présenter au travail 70 % du temps et qu’aucun élément de preuve n’indiquait que l’employeur s’était plaint ou avait pris des mesures disciplinaires suffisait à qualifier de « régulière »
sa capacité à travailler (Atkinson, au par. 38).
[12]
S’ajoute au caractère restrictif de la définition d’invalidité le fait que la division d’appel exerce un mandat limité. En effet, aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les appels qu’elle instruit doivent être fondés sur l’un des trois moyens d’appel suivants : (1) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement commis une erreur liée à sa compétence; (2) la division générale a commis une erreur de droit; (3) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Par surcroît, en plus de devoir se fonder sur l’un des trois moyens d’appel prévus, les appels en tant que tels doivent présenter une chance raisonnable de succès, sans quoi la permission d’en appeler est refusée d’emblée (Parchment c Canada (Procureur général), 2017 CF 354, au par. 23). Pour répondre à cette exigence, il faut soulever « certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause »
(Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au par. 12).
[13]
En l’espèce, la division d’appel a examiné la décision de la division générale et a conclu que cette dernière n’avait pas mal exposé ou négligé les faits pertinents. La division d’appel a fait remarquer que Mme Dion avait changé d’emploi entre 2014 et 2018 pour des motifs n’ayant rien à voir avec son état de santé, et que, bien qu’elle ait obtenu de l’aide, elle était tout de même capable d’accomplir les tâches liées à ses emplois (par. 6). Par conséquent, la division d’appel a conclu que la preuve indiquant qu’elle devait prendre des pauses fréquentes ne faisait intervenir aucun des trois moyens d’appel prévus par la LMEDS (par. 8).
[14]
Ce qui importe dans l’analyse relative à la capacité de Mme Dion à travailler sur une base régulière est non pas le degré de difficulté qu’elle a pu éprouver en travaillant, mais bien sa capacité à exercer une occupation véritablement rémunératrice (Kinsella c Canada (Procureur général), 2019 CF 429, au par. 36). En l’espèce, la preuve indiquait qu’elle avait été employée à plusieurs reprises en 2014 et qu’elle était capable d’accomplir les tâches liées à son travail. Certes, Mme Dion rapporte avoir éprouvé de la souffrance en travaillant, mais la preuve qui a été présentée n’indiquait pas que cette souffrance l’empêchait de travailler.
[15]
En ce qui a trait à l’appréciation de la rémunération dans le contexte d’une occupation « véritablement rémunératrice »
, le critère consiste à se demander si « la rémunération offerte pour services rendus […] serait [non] pas une compensation modique, symbolique ou illusoire, mais plutôt une compensation qui correspond à une rémunération appropriée selon la nature du travail effectué »
(T(G) c Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2013 TSSDA 5, au par. 55). En l’espèce, la preuve indiquait que, même si Mme Dion n’avait pas toujours été en mesure d’occuper un emploi de façon continue, lorsqu’elle occupait un emploi, elle travaillait selon un horaire à temps plein. En outre, Mme Dion n’avait présenté aucun élément de preuve indiquant que sa rémunération était inférieure au taux du marché pour les préposés aux soins à domicile. Par conséquent, compte tenu de la rémunération de Mme Dion, la conclusion selon laquelle elle était en mesure d’accomplir un « emploi véritablement rémunérateur »
est raisonnable.
[16]
De plus, bien que Mme Dion soulève des questions concernant ses difficultés financières, il ne s’agit pas d’un facteur dont il faut tenir compte pour décider si une personne présente ou non une invalidité grave et prolongée aux fins de l’application du Régime (Berger c Canada (Procureur général), 2019 CF 780, au par. 43).
[17]
En somme, la division d’appel a conclu que Mme Dion n’avait avancé aucun moyen d’appel susceptible de lui donner gain de cause au regard du paragraphe 58(1) de la LMEDS. La division d’appel a expliqué que la division générale n’avait pas mal exposé ou négligé quelque élément de preuve ou renseignement important que ce soit. Elle a fait remarquer que la division générale s’était fondée sur la preuve relative à l’historique d’emploi de Mme Dion à titre de préposée aux services de soutien à la personne de 2014 à 2018. La division générale avait examiné la preuve en fonction du critère relatif à l’invalidité grave, lequel consiste à se demander si la personne est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice »
(par. 42(2) de la LMEDS). La division d’appel a conclu que la division générale avait tiré sa conclusion à la lumière de la preuve et au regard de la loi. Dans les circonstances, la division d’appel a bien examiné la décision de la division générale et sa décision est raisonnable.
[18]
Devant la Cour, Mme Dion a fait valoir une fois de plus le bien-fondé de sa cause pour appuyer son opposition aux décisions de la division d’appel et de la division générale. Cependant, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau le bien-fondé de sa cause dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
[19]
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Vu les circonstances, je refuse d’adjuger les dépens.
JUGEMENT dans le dossier T-492-19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.
« Ann Marie McDonald »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 16e jour de décembre 2019.
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-492-19
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INTITULÉ :
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PATRICIA DION c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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CALGARY (ALBERTA)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 26 novembre 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge MCDONALD
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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Le 4 décembre 2019
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COMPARUTIONS :
Patricia Dion
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Demanderesse
(pour son propre compte)
|
Tiffany Glover
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
s.o.
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demanderesse non représentée
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Procureur général du Canada
Ministère de la Justice
Calgary (Alberta)
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POUR LE DÉFENDEUR
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