Date : 20011107
Dossier : T-2188-99
Référence neutre : 2001 CFPI 1217
ENTRE :
SUNBEAM PRODUCTS, INC.
demanderesse
- et -
MISTER COFFEE & SERVICES INC.
défenderesse
DEMANDE PRÉSENTÉE en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, et ses modifications, relativement à une décision datée du 15 octobre 1999 par laquelle le registraire des marques de commerce a fait droit à l'opposition de Mister Coffee & Services Inc. à la demande d'enregistrement no 672,703 de la marque MR. COFFEE déposée par Sunbeam Products Inc.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE KELEN
[1] Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté par la demanderesse, en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, de la décision datée du 15 octobre 1999 par laquelle le registraire des marques de commerce a refusé sa demande d'enregistrement no 672,703 de la marque de commerce MR. COFFEE aux fins de son emploi en liaison avec des [Traduction] « nettoyeurs pour cafetières et/ou théières » . Le présent appel a été entendu en même temps que l'appel connexe T-2189-99 interjeté de la décision du 15 octobre 1999 par laquelle le registraire des marques de commerce a refusé la demande d'enregistrement no 672,763 de la marque de commerce MR. COFFEE présentée par la demanderesse aux fins de son emploi en liaison avec du « café » .
[2] Le 14 décembre 1990, le prédécesseur en titre de la demanderesse a déposé les demandes d'enregistrement de marques de commerce visées par les décisions du registraire.
[3] La demanderesse est déjà le propriétaire inscrit de la marque de commerce MR. COFFEE, numéro d'enregistrement 214,811 daté du 16 juillet 1976, aux fins de son emploi en liaison avec des[Traduction] « cafetières et des filtres à café jetables » et numéro d'enregistrement 231,109 daté du 1er décembre 1978, aux fins de son emploi en liaison avec des[Traduction] « carafes » .
[4] En 1992, la défenderesse a produit des déclarations d'opposition aux demandes d'enregistrement des marques de commerce.
La preuve
[5] Les prédécesseurs en titre de la demanderesse ont fabriqué, distribué et vendu des cafetières, des carafes et des filtres à café jetables MR. COFFEE depuis environ 1972 et sont devenus le plus important fabricant de cafetières, y compris de carafes, un million environ d'unités étant vendues au Canada dès 1993.
[6] La défenderesse, Mister Coffee and Services Inc., a été constituée en société en Ontario le 5 novembre 1980 et utilise ce nom commercial ainsi que sa marque de commerce en liaison avec son entreprise depuis cette date. Au cours de ses dix (10) premières années d'exploitation, la société a offert une gamme complète d'articles pour les bureaux en liaison avec la marque de commerce MISTER COFFEE, y compris un service complet d'approvisionnement en café pour les bureaux.
[7] Dans son mémoire des faits et du droit (aux paragraphes 16 et 17 sous la rubrique « Résumé de la preuve » ), la demanderesse reconnaît que :
[Traduction] [...]il est inévitable que des personnes au Canada croiront à tort que la défenderesse, Mister Coffee & Services Inc., est affiliée à la société fabriquant les produits réputés MR. COFFEE ou est sa représentante autorisée.
[8] Avant le dépôt des demandes d'enregistrement des marques de commerce en cause, la défenderesse a utilisé pendant une période de dix (10) ans son nom commercial MISTER COFFEE en liaison avec des articles de café, du café et des services d'approvisionnement en café. Les prédécesseurs en titre de la demanderesse ont toléré, sans s'y opposer, la coexistence de leur marque de commerce MR. COFFEE et de l'emploi par la défenderesse du nom commercial MISTER COFFEE. La preuve soulève des questions de crédibilité au sujet de la tolérance de cette coexistence. Le fait est que la marque MR. COFFEE et le nom MISTER COFFEE ont coexisté au Canada pendant au moins dix (10) ans avant le présent litige.
La norme de contrôle
[9] Dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a exposé la norme de contrôle applicable aux appels interjetés des décisions du registraire des marques de commerce. À la page 168, paragraphe 51, le juge Rothstein a dit :
Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.
Effet de la preuve additionnelle déposée devant la Section de première instance
[10] La preuve additionnelle déposée par la demanderesse était l'affidavit de Christine Waldo, secrétaire juridique. Ledit affidavit a simplement été joint aux actes de procédure déposés dans l'affaire T-1182-95, une action en contrefaçon de marque de commerce engagée par le prédécesseur en titre de la demanderesse contre Mr. Coffee and Services Inc. Cette action a été intentée le 6 juin 1995, soit plusieurs années après que la demanderesse eut appris l'emploi par la défenderesse du nom commercial MISTER COFFEE, et trois (3) ans après que la défenderesse eut déposé en l'espèce ses déclarations d'opposition devant le registraire.
[11] La date pertinente pour déterminer si la demanderesse a le droit d'enregistrer la marque de commerce est la date de la demande, c'est-à-dire le 14 décembre 1990. À cette date, la présente action intentée devant la Cour fédérale n'existait pas et, par conséquent, n'est pas pertinente. De toute façon, l'action en contrefaçon engagée devant la Cour fédérale soulève uniquement la question suivante : « Quel est le statut juridique de la marque de commerce MR. COFFEE et du nom commercial MISTER COFFEE? »
[12] La preuve additionnelle déposée par la demanderesse devant la Section de première instance n'aurait eu aucune incidence concrète sur la décision du registraire quant à savoir si l'emploi de la marque de commerce MISTER COFFEE par la défenderesse était légal.
[13] La preuve additionnelle déposée par la défenderesse devant la Section de première instance reprenait et renforçait la preuve existante qu'elle avait produite au sujet de son emploi du nom commercial MISTER COFFEE. Elle n'aurait eu aucune incidence concrète sur les conclusions de fait du registraire ni sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et elle n'aurait pas modifié sa décision.
[14] Puisque la preuve additionnelle n'aurait eu aucune incidence concrète sur la décision du registraire et ne l'aurait pas modifiée, la norme de contrôle dans le présent appel est celle de la décision raisonnable simpliciter.
Décision du registraire
[15] Dans sa décision, le registraire tire des conclusions qui seront examinées eu égard à la norme de la décision raisonnable en vertu de laquelle les cours de révision doivent s'en remettre à l'expertise du registraire ou annuler sa décision si elle est déraisonnable ou « manifestement erronée » : Astrazeneca AB c. Novopharm Limited et Registraire des marques de commerce; Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. et Registraire des marques de commerce; Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Limited et Registraire des marques de commerce, 2001 CAF 296, [2001] A.C.F. no 1580 (18 octobre 2001) (C.A.F.), aux paragraphes 32 et 33.
A) Première conclusion
[16] Le registraire a exprimé des doutes quant à la légalité de l'emploi par la défenderesse du nom commercial MISTER COFFEE, mais a conclu que cette question ne relevait pas de sa compétence. Il a dit à la page 6 de sa décision :
[Traduction] Bien que j'aie des doutes quant à la légalité des activités de l'opposante en l'espèce, aucun tribunal n'a conclu à la contrefaçon et je ne considère pas que cette question relève de ma compétence. J'aimerais ajouter qu'il est étonnant, compte tenu de l'emploi à peu près en même temps par l'opposante du nom Mister Coffee and Services Inc. et de la marque MISTER COFFEE en liaison avec des marchandises et services qui recoupent ceux de la demanderesse, que cette dernière n'ait pris aucune mesure pour empêcher l'opposante d'utiliser sa marque ou son nom (p. ex. elle n'a pas intenté d'action en contrefaçon contre l'opposante) au cours des quelques années pendant lesquelles les marques ont coexisté sur le marché avant la date de dépôt des demandes.
Cette conclusion est raisonnable et je m'en remets à l'expertise du registraire en ce qui concerne les questions relatives aux marques de commerce. Il est raisonnable de conclure que la demanderesse était au courant de l'emploi du nom commercial MISTER COFFEE par Mister Coffee and Services Inc. et qu'elle aurait dû solliciter une injonction ou intenter une action en commercialisation trompeuse ou en contrefaçon si elle n'était pas d'accord avec l'emploi par la défenderesse de ce nom commercial très ressemblant. La défenderesse affirme que la demanderesse a communiqué avec elle en 1984 et lui a indiqué qu'elle lui permettait de faire un emploi concurrent de son nom avec la marque de commerce enregistrée de la demanderesse. Cette preuve suscite des questions justifiant la tenue d'une audience devant le tribunal compétent, vraisemblablement la Cour fédérale, relativement à l'action en contrefaçon que la demanderesse a intentée en 1995. Ladite action permettra de trancher la question de la légalité du nom commercial qu'emploie Mister Coffee and Services Inc.
Compétence du registraire de conclure dans le cadre d'une opposition que l'emploi d'une marque de commerce est illégal
[17] La demanderesse soutient que le registraire avait la compétence nécessaire pour conclure que l'emploi par la défenderesse du nom commercial MISTER COFFEE était illégal. Elle invoque à cette fin les décisions McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc. (1989), 23 C.P.R. (3d) 498 (C.F. 1re inst.) et Lunettes Cartier Ltée c. Cartier, Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 391 (C.O.M.C.) dans lesquelles le registraire a jugé illégal l'emploi d'une marque de commerce par l'opposante. Dans l'affaire McCabe, la Cour fédérale avait été saisie de la preuve qu'un tribunal américain avait conclu que l'emploi de la marque de commerce par l'intimée constituait une atteinte aux droits de l'appelante. Dans l'affaire Lunettes Cartier, la Commission des oppositions avait été saisie d'éléments de preuve indiquant que l'intimée était visée par une injonction de la Cour fédérale lui interdisant d'employer les marques de commerce, les mêmes marques de commerce qu'invoquait l'intimée au soutien de son opposition.
[18] En l'espèce, la preuve n'indique pas clairement que l'emploi de la marque de commerce MISTER COFFEE par la défenderesse est illégal. Cette question nécessite la tenue d'une audience. Le fait que la demanderesse n'ait pas sollicité d'injonction interlocutoire ni engagé de procédures judiciaires avant 1995 soulève des questions qui doivent être tranchées par un tribunal compétent. Dans le cadre d'une opposition faite en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, le registraire n'a pas compétence pour procéder à une audience complète avec présentation de preuves orales pour déterminer la légalité de l'emploi par la défenderesse de sa marque de commerce. Si la question de la légalité est claire, le registraire a alors compétence pour statuer que la défenderesse ne peut pas invoquer son emploi de la marque de commerce parce que cet emploi n'est pas légal. En l'espèce, le registraire ne peut pas en arriver à cette conclusion claire dans la procédure d'opposition.
B) Deuxième conclusion
[19] Le registraire a conclu que la demanderesse a peut-être consenti à l'emploi du nom commercial par la défenderesse. Il dit à la page 6 de sa décision :
[traduction] À mon avis, en l'absence de toute indication que la demanderesse n'était pas au courant des activités de l'opposante, l'omission de la demanderesse d'agir pendant cette période pourrait être considérée comme un consentement à l'emploi par l'opposante de sa marque et de son nom.
[20] Le registraire a agi raisonnablement lorsqu'il a conclu que l'omission par la demanderesse de protéger sa marque de commerce pouvait avoir des répercussions juridiques. Implicitement, il conclut que cette question doit être approfondie devant le tribunal compétent, et que cela ne doit donc pas être fait dans le cadre d'une opposition à une demande d'enregistrement d'une nouvelle marque de commerce.
C) Troisième conclusion
[21] Le registraire a conclu à la possibilité de confusion. Il a dit à la page 7 de sa décision :
[traduction] Étant donné que les parties offrent des marchandises et des services similaires et vu le degré de ressemblance entre les marques de la demanderesse et le nom et la marque de l'opposante dans la présentation ou le son ou dans les idées qu'ils suggèrent, je conclus qu'il peut vraisemblablement y avoir confusion entre les marques en cause.
Cette conclusion est raisonnable et elle est confirmée par ce qu'a dit la demanderesse au paragraphe 17 de son mémoire des faits et du droit :
[Traduction] Il est inévitable que des personnes au Canada croient à tort que la défenderesse, Mister Coffee & Services Inc., est affiliée à la société fabriquant les produits réputés MR. COFFEE ou est sa représentante autorisée.
La confusion est évidente, les deux sociétés fournissent des cafetières et assurent un approvisionnement en café, et elles ont coexisté au Canada pendant environ dix (10) ans avant les demandes d'enregistrement des marques de commerce en cause.
D) Quatrième conclusion
[22] Le registraire a conclu que les marques de commerce projetées n'étaient pas distinctives. Il a dit à la page 8 de sa décision :
[Traduction] Comme je conclus que la preuve de l'opposante montre que la marque MISTER COFFEE était suffisamment connue à la date pertinente pour faire disparaître le caractère distinctif des marques de la demanderesse, je suis convaincu que l'opposante s'est déchargée du fardeau de la preuve en ce qui a trait à cette question.
[...] bien que la demanderesse ait démontré un emploi important de ses autres marques de commerce MR. COFFEE au Canada en liaison avec des cafetières, l'opposante a également démontré un emploi concurrent pendant plusieurs années de sa marque de commerce et de son nom commercial MISTER COFFEE en liaison avec des marchandises et des services qui recoupent ceux de la demanderesse.
Cette conclusion est raisonnable. Les marques ont perdu leur caractère distinctif pour les mêmes raisons pour lesquelles elles créent de la confusion.
[23] La défenderesse a commencé à employer le nom MISTER COFFEE en liaison avec des services, puis elle l'a fait relativement à des marchandises associées au café. La demanderesse a toujours employé le nom MR. COFFEE en liaison avec des marchandises, savoir des cafetières et des carafes à café, mais elle cherche maintenant à étendre sa marque de commerce à d'autres marchandises, savoir du café et des nettoyeurs. Les activités de la demanderesse et de la défenderesse ont tellement évolué qu'elles entrent maintenant en conflit. Par conséquent, leur emploi respectif de la marque de commerce MR. COFFEE et du nom commercial MISTER COFFEE nécessite une audience complète ainsi que la détermination des droits respectifs des parties.
ORDONNANCE
[24] Pour ces motifs, le présent appel est rejeté avec dépens et la décision du registraire est confirmée.
« Michael A. Kelen »
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
7 NOVEMBRE 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2188-99
INTITULÉ : Sunbeam Products, Inc. c. Mister Coffee & Services Inc.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 23 octobre 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE: le juge Kelen
DATE DES MOTIFS : 7 novembre 2001
COMPARUTIONS:
Peter Kappel POUR LA DEMANDERESSE
Mitchell B. Charness POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Kappel Ludlow s.a.r.l. POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Ridout & Maybee s.a.r.l. POUR LA DÉFENDERESSE
Ottawa (Ontario)