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Date : 20191127


Dossier : IMM‑2391‑19

Référence : 2019 CF 1518

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SHAMIMA AKTER BHUIYAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Bhuiyan, une citoyenne du Bangladesh, est arrivée au Canada en juillet 2017 et a présenté une demande d’asile. Elle alléguait avoir été persécutée par des membres de la Ligue Awami (la LA) au pouvoir au Bangladesh à cause du soutien apporté par son mari au Parti nationaliste du Bangladesh (le PNB). La Section de protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande d’asile dans une décision datée du 26 mars 2019, et a conclu qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Mme Bhuiyan sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SPR (la décision).

[2]  La SPR a tiré les conclusions suivantes : (1) Mme Bhuiyan n’était pas crédible et n’avait pas été persécutée au Bangladesh en raison de ses opinions politiques imputées; (2) elle pouvait se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans la ville de Chittagong, au Bangladesh.

[3]  La question déterminante dans le cadre de la présente demande concerne la conclusion de la SPR au sujet de la PRI. S’il était raisonnable de la part du tribunal d’exiger que Mme Bhuiyan cherche d’abord à assurer sa sécurité à Chittagong avant de venir chercher refuge au Canada, sa demande d’asile doit échouer. Pour les motifs qui suivent, je juge que la conclusion de la SPR en ce qui touche la PRI était conforme à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale (la CAF) ainsi qu’à celle de la Cour et qu’elle était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Bhuiyan sera rejetée.

I.  Le contexte

[4]  La crainte de Mme Bhuiyan de retourner au Bangladesh découle, dans les grandes lignes, de la persécution alléguée de son époux, M. Rahman, par des opposants politiques dans la LA et, en particulier, d’une attaque dont elle a personnellement été victime et qui, à ce qu’elle croit, a été perpétrée par des agents de la LA. M. Rahman est un homme d’affaires prospère à Dhaka, au Bangladesh, où il continue d’exploiter l’entreprise familiale. Mme Bhuiyan et M. Rahman ont deux enfants adultes qui vivent à présent au Canada.

[5]  Mme Bhuiyan allègue que la famille a été prise pour cible par la LA en raison de l’appui apporté par M. Rahman au PNB et de sa relation avec des chefs de ce parti. D’après elle, le harcèlement remonte à 2008, s’est poursuivi par un incident en mai 2012 qui a été signalé à la police, puis par des menaces à l’été 2016 qui ont amené M. Rahman à verser des pots‑de‑vin pour assurer la protection du fils du couple, Siam.

[6]  Malgré les pots‑de‑vin versés par M. Rahman, Siam a été enlevé en août 2016 puis relâché après paiement d’une rançon. À la suite de son enlèvement, M. Rahman et Siam se sont rendus aux États‑Unis, puis au Canada où Siam a présenté une demande d’asile qui a été accueillie. M. Rahman est ensuite retourné au Bangladesh.

[7]  Le 6 décembre 2017, la fille de Mme Bhuiyan a été agressée sexuellement par trois hommes, les mêmes qui l’avaient déjà harcelée et effrayée en octobre 2017. Mme Bhuiyan a décrit les assaillants comme étant des partisans de la LA. Elle a signalé le harcèlement et l’agression de sa fille à la police. Mme Bhuiyan et sa fille sont venues au Canada en janvier 2017, et sa fille a présenté avec succès une demande d’asile.

[8]  M. Rahman est venu au Canada le 23 juin 2017, avec un visa de visiteur, pour apporter un soutien financier et personnel à sa famille.

[9]  Mme Bhuiyan est retournée au Bangladesh le 11 juillet 2017. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, elle a déclaré être retournée au Bangladesh [TRADUCTION] « pour s’occuper de l’entreprise en l’absence de [M. Rahman], pour recouvrer des sommes d’argent dues par certains [de leurs] clients et locataires, et [s]on époux retournera[it] plus tard au Bangladesh ».

[10]  Le 12 juillet 2017, le directeur de bureau de Mme Bhuiyan à Dhaka l’a informée que des [TRADUCTION] « hommes de main de la LA » étaient revenus au bureau pour leur extorquer davantage d’argent. Mme Bhuiyan a donné instruction au directeur de dire à ces individus qu’ils devaient s’adresser à son époux, qui allait revenir pour s’occuper de l’entreprise.

[11]  Le 15 juillet 2017, Mme Bhuiyan s’est rendue à Jhikatala pour recouvrer des loyers. Alors qu’elle revenait à Dhaka, son pousse‑pousse a été attaqué, elle a été passée à tabac et menacée. Mme Bhuiyan n’a pas reconnu les assaillants, mais elle croyait qu’il s’agissait des mêmes partisans de la LA qui avaient déjà menacé sa famille et agressé ses enfants. Après l’attaque, elle a reçu des soins médicaux et a fait un signalement à la police. C’est cet incident qui a précipité son départ définitif du Bangladesh pour les États‑Unis le 20 juillet 2017 ainsi que sa décision de présenter une demande d’asile à son arrivée au Canada le lendemain.

[12]  M. Rahman est retourné au Bangladesh après l’arrivée de Mme Bhuiyan au Canada et il réside encore à Dhaka.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[13]  La décision est datée du 26 mars 2019. La SPR a conclu que Mme Bhuiyan n’avait pas établi qu’elle craignait avec raison d’être persécutée du fait de ses opinions politiques imputées, ou qu’elle était exposée à une menace prospective à sa vie ou à un risque futur de traitements cruels et inusités.

[14]  La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Bhuiyan pour deux raisons. Premièrement, le tribunal a jugé qu’elle n’était pas ciblée au Bangladesh pour des raisons politiques et que les menaces et la violence subies par sa famille découlaient du fait que son époux était un homme d’affaires prospère perçu comme ayant les moyens d’aider la LA au pouvoir. Deuxièmement, la SPR a conclu que Mme Bhuiyan pouvait se prévaloir d’une PRI à Chittagong.

[15]  La SPR a tiré un certain nombre de conclusions défavorables en matière de crédibilité lorsqu’elle a conclu que Mme Bhuiyan n’avait pas été victime de persécution politique au Bangladesh. En bref, la SPR a reconnu que Mme Bhuiyan avait quitté le Bangladesh après avoir été agressée par plusieurs inconnus en juillet 2017, mais elle n’a pas accepté son observation portant que ses assaillants étaient les mêmes [TRADUCTION] « hommes de main » de la LA qui avaient déjà causé des problèmes à sa famille.

[16]  Quant à l’existence d’une PRI à Chittagong, la SPR a examiné le critère à deux volets applicable (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam)). Le tribunal a conclu (1) qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution à Chittagong, parce qu’il y avait peu d’éléments de preuve démontrant que les agents de persécution allégués de la LA seraient en mesure de l’y retrouver ou de la persécuter; (2) qu’il était raisonnable qu’elle déménage à Chittagong, puisqu’elle pouvait continuer à mener ses affaires et à subvenir à ses besoins à cet endroit. Le motif qu’elle avançait pour refuser de déménager (connexion Internet inadéquate) était insuffisant pour faire de Chittagong une possibilité déraisonnable.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[17]  La question déterminante dont je suis saisie est de savoir si l’appréciation de la PRI par la SPR était raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719, aux par. 8 à 10; Figueroa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 521, au par. 13).

[18]  Mme Bhuiyan conteste également l’analyse effectuée par la SPR concernant le fondement de sa demande d’asile au Canada et sa crédibilité. Bien que l’existence d’une PRI à Chittagong permette de régler sa demande d’asile, j’examinerai brièvement certaines des observations de Mme Bhuiyan à ce sujet, pour la question du caractère raisonnable (Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, au par. 7; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux par. 22 et 42; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au par. 4, 160 NR 315 (CAF)).

IV.  Analyse

1.  L’appréciation de la PRI par la SPR était‑elle raisonnable?

[19]  Le concept de PRI fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention. Si un demandeur d’asile peut chercher refuge dans son propre pays, sans crainte d’être persécuté, il doit le faire, à moins qu’il soit objectivement déraisonnable pour lui de déménager dans ce refuge. Le critère à deux volets permettant de déterminer s’il existe une PRI viable a été énoncé par la CAF dans l’arrêt Rasaratnam :

1.  La SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la PRI proposée;

2.  La situation dans la partie du pays où se trouve la PRI proposée doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris celles qui lui sont propres, de s’y réfugier.

[20]  Le critère a été formulé de nombreuses fois dans la jurisprudence de la Cour (voir, p. ex., Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 711, au par. 25; Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106, au par. 20).

[21]  Les parties reconnaissent que, dans la décision, la SPR a correctement formulé le critère à deux volets relativement à la PRI.

[22]  Mme Bhuiyan reconnaît qu’elle ne risque pas sérieusement d’être persécutée à Chittagong, mais elle fait valoir qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle y cherche refuge, alors que son époux et ses affaires sont à Dhaka et que ses enfants sont au Canada.

[23]  Je juge que le tribunal a raisonnablement apprécié les observations de Mme Bhuiyan concernant un déménagement à Chittagong à l’aune de chaque volet du critère Rasaratnam, et qu’il n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant qu’elle pouvait se prévaloir d’une PRI dans cette ville.

[24]  En examinant le premier volet du critère, la SPR a fait remarquer que Chittagong était une ville de plus de 4,5 millions d’habitants située à plus de 200 km de Dhaka, avant de conclure que les persécuteurs de Mme Bhuiyan ne sauraient pas où la rechercher. Le tribunal a également conclu qu’il disposait de peu d’éléments de preuve concernant le champ d’action du réseau de la LA ou la capacité du parti de coordonner ses activités à caractère non politique dans différentes régions du Bangladesh. En l’absence d’une preuve présentée par Mme Bhuiyan à l’effet contraire, je conclus que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a évalué les risques de persécution à Chittagong.

[25]  Dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA), la CAF a confirmé qu’il incombait au demandeur d’asile de démontrer qu’une PRI proposée était déraisonnable. La CAF a également examiné le deuxième volet du critère Rasaratnam dans Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA), aux paragraphes 13 à 15, soulignant que « la barre [était] très haute » pour le demandeur qui cherche à établir le caractère déraisonnable. Il doit fournir une preuve concrète des conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité dans l’endroit de PRI proposé.

[26]  Mme Bhuiyan soutient que la SPR n’a tenu compte que d’une partie de sa réponse concernant le caractère raisonnable de la PRI proposée à Chittagong. Elle affirme ce qui suit :

[traduction]

37.  Le tribunal n’a présenté qu’un extrait choisi de la réponse de la demanderesse à la proposition de PRI à Chittagong. Elle n’a pas dit au commissaire qu’elle ne pourrait pas vivre à Chittagong en raison de la mauvaise connexion Internet. Elle a déclaré durant son témoignage qu’elle travaillait dans une entreprise de technologies de l’information basée à Dhaka et nécessitant une bonne connexion Internet. Elle faisait affaire avec l’Europe. Elle ne pouvait déménager dans aucun village où la connexion Internet était mauvaise. Elle a déclaré qu’il ne lui était pas possible de déplacer l’infrastructure de son entreprise, y compris tous ses ingénieurs, à Chittagong, même si la connexion Internet y était bonne. Elle a également déclaré qu’elle ne pourrait pas vivre à Chittagong, parce que ses enfants étaient au Canada.

[27]  L’argument de Mme Bhuiyan repose sur le fait que la SPR a résumé les préoccupations de la demanderesse dans la décision. Cependant, je constate, à partir des réponses qu’elle a fournies aux questions du tribunal, que le résumé en question était exact. Sa principale préoccupation tenait à la réinstallation de son entreprise à Chittagong. Elle a fourni le témoignage suivant devant la SPR :

[TRADUCTION]

Q :  Mais pourquoi ne pourriez‑vous pas vivre et avoir une carrière dans une autre région du Bangladesh, et être ainsi loin des personnes qui font du chantage à votre mari et lui extorquent de l’argent?

R :  Mon entreprise, fait affaire dans le secteur des TI, les technologies de l’information, et l’entreprise est (inaudible). Au Bangladesh, dans les villages, dans les villages du Bangladesh, la connexion Internet ou la ligne n’est pas très… elle n’est pas très bonne. Donc, sans ce type de connexion Internet, je ne peux pas mener mes affaires. Je ne peux pas exploiter mon entreprise sans ce genre de soutien.

Q :  Êtes‑vous donc en train de dire qu’il n’y a pas de connexion Internet convenable à Chittagong, où vivent plusieurs millions de personnes?

R :  Oui, Chittagong, oui, il y en a, mais j’ai tout, tout mon bureau, comme l’infrastructure de ce bureau est en place, le bureau, tout est en (inaudible), et tous mes ingénieurs vivent à Dhaka; je ne peux donc pas simplement leur demander de déménager ou déplacer tous les ingénieurs et les emmener à Chittagong.

[28]  Mme Bhuiyan a mis l’accent sur une perturbation anticipée de ses affaires, mais elle a fourni peu d’éléments de preuve d’une telle perturbation. L’entreprise à laquelle elle fait référence est celle de la famille. D’après la preuve versée au dossier, il semble qu’elle participe sporadiquement aux activités de l’entreprise, mais qu’elle compte beaucoup sur M. Rahman pour gérer l’entreprise et qu’elle dépende dans une large mesure de son aide. Devant la SPR, elle n’a fourni aucun détail quant à son rôle au sein de l’entreprise et elle n’explique pas pourquoi elle ne peut pas continuer à apporter toute l’assistance requise par l’entreprise depuis Chittagong. Rien dans le dossier ne donne à penser que l’entreprise devra déménager si Mme Bhuiyan vit à Chittagong. Je juge que la SPR a raisonnablement conclu que Mme Bhuiyan pourrait continuer à remplir ses fonctions au sein de l’entreprise depuis Chittagong et qu’elle aurait les moyens de subvenir à ses besoins.

[29]  Mme Bhuiyan fait valoir que la SPR a commis une erreur en invoquant le soutien éventuel de M. Rahman comme motif secondaire rendant possible son déménagement à Chittagong. Elle affirme qu’il est possible qu’il arrête de subvenir à ses besoins. Je ne juge pas que cet argument soit convaincant. Rien dans la preuve au dossier n’indique que M. Rahman cesserait d’apporter son soutien à Mme Bhuiyan si elle se trouvait à Chittagong, plutôt qu’au Canada.

2.  Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et de preuve étaient‑elles raisonnables?

[30]  Lorsqu’elle a conclu que Mme Bhuiyan n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, la SPR a fait les constatations importantes qui suivent :

  • - La demande d’asile de Mme Bhuiyan reposait sur le fait que M. Rahman était un homme d’affaires prospère de Dhaka dont l’association avec le PNB avait entraîné des menaces et des actes d’extorsion de la part de partisans de la LA, ainsi que de la violence contre les enfants du couple. Un certain nombre d’incidents fondant la crainte de Mme Bhuiyan relativement à la violence continue au Bangladesh avaient visé son époux et ses enfants, mais pas elle directement. La SPR a tiré une inférence défavorable du fait (1) qu’elle n’a fourni aucune des décisions favorables par lesquelles les demandes d’asile de ses enfants ont été accueillies, ni de déclarations ou d’affidavits de son époux ou de ses enfants pour corroborer ses allégations de persécution politique; 2) qu’elle n’a pas appelé ses enfants à témoigner.

  • - Mme Bhuiyan a expliqué qu’elle craignait de retourner au Bangladesh, parce qu’elle réclamerait justice pour ce qui était arrivé à ses enfants. Elle serait donc prise pour cible par les assaillants de la LA qui avaient perpétré cette violence. La SPR a conclu que son explication n’était pas crédible, étant donné qu’elle était retournée au Bangladesh en 2017 pour recouvrer des loyers de locataires, et non pour réclamer justice.

  • - La SPR a accepté le fait que Mme Bhuiyan avait été agressée par des inconnus en 2017. Comme elle n’a pas pu reconnaître les assaillants, la SPR a cru possible que l’attaque ait été aléatoire, et non motivée politiquement.

  • - La SPR a tiré une inférence défavorable de la déclaration de Mme Bhuiyan selon laquelle elle avait été témoin des incidents de violence dont son fils et sa fille avaient été victimes au Bangladesh. Le tribunal a conclu qu’elle n’avait pas été réellement témoin de ces faits. En se décrivant ainsi, Mme Bhuiyan tentait d’enjoliver son implication dans le cadre des incidents de violence, afin d’appuyer l’argument selon lequel elle était crainte par les autorités.

  • - M. Rahman est allé au Bangladesh et en est revenu à deux reprises pour exploiter son entreprise. Il vit à présent à Dhaka et mène ses affaires, quoique sous la protection de gardes du corps. Il n’était pas le demandeur d’asile présent devant le tribunal, mais l’histoire de M. Rahman était essentielle à l’égard de la demande de son épouse, et le fait qu’il ne craignait pas pour sa vie a miné la demande d’asile de Mme Bhuiyan.

[31]  L’analyse par la SPR de la demande d’asile de Mme Bhuiyan était axée sur deux conclusions, toutes deux formulées en termes intelligibles dans la décision et étayées par la preuve au dossier. Premièrement, la SPR a conclu qu’elle ne disposait d’aucune preuve établissant que l’attaque dont avait été victime Mme Bhuiyan le 15 juillet 2017 était motivée politiquement. Je conclus que le tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard. Mme Bhuiyan reconnaît dans ses observations qu’elle ne pouvait pas identifier les assaillants et elle n’a fourni au tribunal aucun autre élément de preuve concernant l’identité de ses agresseurs.

[32]  Deuxièmement, la SPR a conclu que Mme Bhuiyan n’avait pas établi que, si elle devait retourner au Bangladesh, les autorités tenteraient de la réduire au silence par crainte qu’elle ne réclame justice pour ses enfants. À son retour à Dhaka en 2017, Mme Bhuiyan n’a pas tenté de donner suite aux plaintes qu’elle et son époux avaient déposées à la police au sujet des attaques dont son fils et sa fille avaient été victimes. Elle est plutôt retournée au Bangladesh pour exploiter l’entreprise en l’absence de M. Rahman. Je conclus que la SPR s’est raisonnablement appuyée sur le comportement passé de Mme Bhuiyan pour apprécier la crédibilité de sa prétention quant aux actes qu’elle poserait à l’avenir.

[33]  Je me tourne à présent vers les observations importantes que Mme Bhuiyan a faites concernant d’autres parties de l’analyse de la SPR ayant trait à la crédibilité. Mme Bhuiyan soutient que le tribunal a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’elle n’avait soumis aucun élément de preuve émanant de M. Rahman ou de ses enfants quant à leurs expériences au Bangladesh. Elle fait valoir que, si la SPR avait besoin d’une telle preuve, c’était son obligation de la demander.

[34]  Je conviens avec Mme Bhuiyan que ni M. Rahman ni les enfants n’auraient pu fournir de preuve concernant l’identité de ses agresseurs de juillet 2017. Ils n’ont pas été témoins de l’incident. Cependant, les décisions faisant droit aux demandes d’asile de l’un ou des deux enfants et au moins un affidavit d’un membre de la famille auraient aidé la SPR à apprécier la persécution politique de longue date de la famille alléguée par Mme Bhuiyan. Son argument portant que la SPR aurait dû réclamer de tels éléments de preuve est malavisé, attendu qu’il lui incombait d’établir sa demande d’asile.

[35]  Mme Bhuiyan fait valoir que la SPR s’est injustement appuyée sur le terme « témoin » qu’elle avait employé durant son témoignage, pour conclure qu’elle tentait d’enjoliver sa preuve. Je suis d’accord. Une lecture équitable du témoignage qu’elle a fourni devant le tribunal révèle qu’elle a expliqué, de manière crédible, l’usage de ce mot pour décrire sa participation aux plaintes présentées à la police au sujet du harcèlement et de l’attaque dont sa fille avait été victime.

[36]  Enfin, Mme Bhuiyan soutient que la SPR aurait dû effectuer un examen plus exhaustif de sa demande d’asile à l’aune des exigences prévues à l’article 97 de la LIPR. Cependant, je juge que le caractère succinct de l’analyse du tribunal relative à l’article 97 n’était pas déraisonnable, compte tenu de la preuve dont il disposait. La SPR a conclu que Mme Bhuiyan n’avait pas été spécialement ciblée pour l’extorsion. Elle alléguait avoir été attaquée en juillet 2017, car M. Rahman n’était pas au Bangladesh pour verser l’argent de l’extorsion. Le tribunal a fait remarquer qu’il était depuis retourné dans ce pays et qu’il continuait d’exploiter son entreprise. La SPR a conclu que Mme Bhuiyan ne serait pas en danger.

[37]  En résumé, l’analyse qu’a effectuée la SPR quant à la crédibilité n’est pas sans poser problème, mais lue dans son ensemble, elle était raisonnable. Les observations de Mme Bhuiyan concernant des éléments précis de l’analyse ne suffisent pas à me convaincre que l’analyse en question était inintelligible ou qu’elle manquait de justification. La conclusion de la SPR, selon laquelle Mme Bhuiyan n’était pas une réfugiée au sens de la Convention et qu’elle n’avait pas établi qu’elle était exposée à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, s’expliquait par l’absence de preuve établissant un lien entre l’attaque de juillet 2017 et une participation politique ainsi que par l’incapacité de Mme Bhuiyan à démontrer qu’elle était personnellement exposée à un risque prospectif, au titre de l’article 97.

V.  Conclusion

[38]  La demande est rejetée.

[39]  Aucune question à certifier n’a été proposée par les parties et aucune ne se pose en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2391‑19

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de décembre 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2391‑19

 

INTITULÉ :

SHAMIMA AKTER BHUIYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2019

 

jugement ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 27 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Rezaur Rahman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Susanne Wladysiuk

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rezaur Rahman

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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