Date : 20191112
Dossier : IMM-2157-19
Référence : 2019 CF 1413
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Winnipeg (Manitoba), le 12 novembre 2019
En présence de monsieur le juge Lafrenière
ENTRE :
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NELLY PETER PEREIRA
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Nelly Peter Pereira, la demanderesse, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 14 mars 2019, par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a accueilli la demande de constat de perte de l’asile présentée par le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en application de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
I.
Contexte
[3]
La demanderesse est citoyenne de Singapour. Elle a présenté une demande d’asile au Canada au motif qu’elle craignait avec raison d’être persécutée par un homme qui l’avait agressée sexuellement à maintes reprises. La demanderesse s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention et celle de personne à protéger en 2006, et elle a obtenu la résidence permanente au Canada en 2007.
[4]
La demanderesse a obtenu un passeport de Singapour le 29 mars 2008, qu’elle a renouvelé en avril 2013 et en mars 2018.
[5]
La demanderesse a utilisé son passeport singapourien pour se rendre en Australie en octobre 2008 et à Singapour en novembre 2010.
[6]
En ce qui concerne son voyage à Singapour en 2010, la demanderesse a affirmé qu’elle rendait visite à sa sœur et qu’elle participait à la commémoration du cinquième anniversaire du décès de sa mère. Selon la demanderesse, avant de se rendre à Singapour, quelqu’un lui a dit qu’elle pouvait faire ce voyage sans risquer son statut au Canada. (Cet avis était juste compte tenu des dispositions relatives à la perte de l’asile qui étaient en vigueur à l’époque.)
[7]
Lors d’un séjour à Singapour en avril 2013 pour les funérailles de son frère, la demanderesse a sollicité des documents relativement à sa résidence permanente. Les autorités canadiennes l’ont alors informée que ses voyages à Singapour risquaient de mettre en péril sa résidence permanente. (Les dispositions relatives à la perte de l’asile avaient changé depuis qu’elle avait reçu l’avis antérieur.)
[8]
La demanderesse a continué d’utiliser son passeport singapourien pour se rendre à Cuba en mars 2014 et aux États‑Unis d’Amérique en août 2014.
[9]
En septembre 2014, le défendeur a présenté une demande de constat de perte de l’asile à la SPR afin d’obtenir une décision portant que la demanderesse avait perdu son statut de réfugié parce qu’elle s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de Singapour.
[10]
La demanderesse s’est ensuite rendue, en se servant de son passeport singapourien, à Singapour en mai 2016 pour le mariage de son neveu, aux États‑Unis d’Amérique en octobre 2018 et en Jamaïque en décembre 2018.
A.
Audience et décision de la SPR
[11]
La SPR a entendu la demande de constat de perte de l’asile le 14 février 2019.
[12]
Pour établir que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de Singapour au sens de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, le défendeur devait satisfaire à trois exigences, à savoir démontrer que (1) la demanderesse a agi volontairement, que (2) la demanderesse avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de Singapour et que (3) la demanderesse a effectivement obtenu cette protection.
[13]
Le fait que la demanderesse a obtenu un passeport singapourien après avoir acquis le statut de réfugiée a créé une présomption réfutable selon laquelle la demanderesse avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de Singapour. Et le fait qu’elle a utilisé le passeport singapourien pour voyager a créé une présomption selon laquelle elle a effectivement obtenu la protection de ce pays : Cerna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1074, par. 13; Mayell c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 139, par. 12. La demanderesse a soutenu devant la SPR qu’elle avait réfuté la présomption d’intention parce qu’il existait des circonstances atténuantes pour ses visites à Singapour. Elle a également déclaré qu’elle ne s’était pas réclamée de nouveau de la protection de Singapour et qu’elle s’y était rendue pour des raisons personnelles (le cinquième anniversaire du décès de sa mère en 2010, les funérailles de son frère en 2013 et le mariage de son neveu en 2016), en prenant des mesures pour se cacher de l’auteur de la persécution.
[14]
La SPR a accueilli la demande du défendeur. Elle a conclu que les actions de la demanderesse, qui a cherché et obtenu un passeport singapourien et s’en est servi pour se rendre à Singapour et ailleurs, démontraient (1) qu’elle avait volontairement demandé le passeport, (2) qu’elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de Singapour et (3) qu’elle s’était effectivement réclamée de nouveau de cette protection. Le constat de perte d’asile a été assimilé au rejet de la demande d’asile conformément au paragraphe 108(3) de la LIPR.
B.
Retrait des avocats inscrits au dossier
[15]
Peu avant l’audition de la présente demande, Bellissimo Law Group a présenté une requête en vue de cesser d’être inscrit au dossier comme représentant la demanderesse. La requête a été accueillie. La demanderesse n’a pas demandé d’ajournement et ne s’est pas présentée à l’audience. Par conséquent, la présente décision est fondée sur le dossier tel qu’il a été fourni par les parties et sur les autres arguments avancés par l’avocat du défendeur.
II.
Norme de contrôle
[16]
Les parties soutiennent que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord. La Cour doit se demander si la décision de la SPR est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47.
III.
Analyse
[17]
La SPR a conclu que la demanderesse avait demandé les passeports volontairement, car rien dans son témoignage n’indiquait qu’elle avait été obligée de demander un passeport de Singapour ou un renouvellement du passeport. Cette conclusion était raisonnable.
[18]
La principale question en l’espèce est de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de Singapour (le deuxième volet du critère). Étant donné que le simple fait d’obtenir ou de renouveler son passeport singapourien créait une présomption selon laquelle la demanderesse avait l’intention de le faire, il incombait à celle‑ci de produire des éléments de preuve pour réfuter cette présomption, ce que la demanderesse ne conteste pas.
[19]
La demanderesse fait valoir qu’elle a réfuté la présomption d’intention et que la SPR n’a pas appliqué le bon critère pour évaluer son intention de se réclamer de nouveau de la protection de l’État. Je ne suis pas d’accord. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, il était loisible à la SPR de conclure que les voyages répétés de la demanderesse à Singapour et ailleurs renforçaient cette présomption, d’autant plus que certains de ces voyages avaient eu lieu après que la demanderesse eut été avertie que ces voyages compromettaient sa résidence permanente et qu’elle eut reçu la demande de constat de perte de l’asile.
[20]
La demanderesse soutient que l’absence d’intention était particulièrement évidente en ce qui concerne les voyages de 2010 et de 2013 à Singapour, parce qu’on lui avait dit qu’elle pouvait se rendre à Singapour sans compromettre son statut de réfugié ou sa résidence permanente. Elle souligne que cet avis était conforme à la loi telle qu’elle existait avant l’entrée en vigueur de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, LC 2012, c 17 [la LPSIC], en juin 2012, et que la SPR n’avait pas tenu compte de ces éléments. Je ne suis pas d’accord.
[21]
Il est possible que la SPR n’ait pas tenu compte de l’effet des changements apportés par la LPSIC, mais il n’en demeure pas moins qu’elle savait que le fait d’accueillir une demande de constat de perte de l’asile priverait la demanderesse de son statut de réfugiée et sa résidence permanente. La SPR a conclu que les voyages de la demanderesse effectués avec son passeport singapourien se sont poursuivis après l’entrée en vigueur des modifications apportées à la LIPR. De plus, la demanderesse a continué de voyager après avoir été informée par un agent d’immigration canadien qu’elle risquait son statut en se rendant à Singapour, après avoir reçu la demande de constat de perte de l’asile et après avoir retenu les services d’un avocat. Par conséquent, l’avis que la demanderesse a obtenu avant l’entrée en vigueur des modifications apportées à la LIPR ne permettait pas de réfuter la présomption d’intention.
[22]
Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle avait l’intention que les autorités singapouriennes la protègent et qu’elle s’était effectivement réclamée de nouveau de cette protection lorsqu’elle s’était rendue à Singapour, à Cuba, en Jamaïque et aux États‑Unis munie d’un passeport singapourien.
[23]
La décision de la SPR n’est certainement pas un modèle de clarté. Certains points de l’analyse auraient peut‑être mieux cadré sous différentes rubriques, et il y a chevauchement entre les sections portant sur différents volets du critère applicable. Néanmoins, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans ses conclusions. La SPR avait une compréhension suffisamment solide des faits pertinents et a correctement appliqué le droit à ces faits.
IV.
Conclusion
[24]
Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[25]
Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2157‑19
LA COUR STATUE comme suit :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Roger R. Lafrenière »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 4e jour de décembre 2019
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑2157‑19
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INTITULÉ :
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NELLY PETER PEREIRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE l’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 NOVEMBRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE LAFRENIÈRE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 12 NOVEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
AUCUNE COMPARUTION
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POUR LA DEMANDERESSE
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Daniel Engel
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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