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Date : 20031007

Dossier : 03-T-22

Référence : 2003 CF 1165

Ottawa, Ontario, ce 7ième jour d'octobre 2003

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                     CAISSE POPULAIRE DESJARDINS MANIWAKI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête de la Caisse populaire Desjardins Maniwaki (ci-après « la demanderesse » ) déposée le 5 mai 2003, visant à proroger le délai de trente (30) jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale afin de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministère Industrie Canada, Administration des prêts aux petites entreprises (ci-après « le Ministère » ) en date du 7 février 2002, soit une demande de prorogation du délai de quinze (15) mois. Le Ministère est représenté par le Procureur général du Canada (ci-après « le défendeur » ).


[2]                 La demanderesse recevait du Ministère une première décision datée du 7 mars 2001, refusant la demande dû au retard de la demanderesse en déposant ses réclamations.

[3]                 Le 5 octobre 2001, la demanderesse, par l'entremise de son avocat, envoya une lettre (qui se voulait un « appel » ) demandant la révision administrative de la décision du 7 mars 2001, qui incluait sous plie des affidavits attestant que les réclamations avaient été envoyées dans les délais prescrits ainsi que des documents d'envoi et de réception provenant de la Société canadienne des postes pour trois des quatre réclamations.

[4]                 En date du 7 février 2002, le Ministère rejetait les arguments de l'avocat de la demanderesse dans une lettre motivée qui fut reçue par cette dernière le 11 février 2002. L'un des motifs était à l'effet qu'il n'avait tout simplement pas reçu ces quatre réclamations dans les délais requis et que les documents de la Société canadienne des postes pouvaient être associés à des réclamations acheminées par des caisses populaires de la région de Maniwaki autre que celle de la demanderesse.

[5]                 Le déroulement des événements s'explique en partie par deux affidavits déposés par Mme Christine Carle, directrice-générale de la demanderesse. En résumé elle atteste que:

-        Suite à la première décision ministérielle du 7 mars 2001, « elle s'est fait expliquer les différents recours par son avocat et elle en est " ... venue à confondre les notions de révision administrative, révision/judiciaire et appel » ;


-       Suite à la deuxième décision en date du 7 février 2002, elle contacte le 26 février 2002, son avocat afin « ...de lui demander des explications sur les motifs de la décision et lui demander si une autre chose pouvait être faite ... » et, étant donné que son avocat utilisait le mot « appel » en commentant la décision, elle avait eu l'impression que l'appel avait déjà eu lieu ce qui expliquait pourquoi le mandat d'appel n'a pas été donné à son avocat;

-       Entre le 7 février et le début août 2002, la directrice-générale explique qu'elle et son avocat se sont laissés sept à huit messages téléphoniques « de part et d'autres » sans pouvoir traiter du fond du dossier;

-       Au début août 2002, lors d'une conversation téléphonique avec son avocat elle a « ... clairement compris qu'une demande de contrôle judiciaire était possible, mettant ainsi fin à la confusion qui existait, pour moi ... » et elle a obtenu, le 27 août 2002, l'accord du conseil d'administration de la demanderesse pour aller en révision judiciaire de la décision du 7 février 2002;

-       À une date non précisée, la directrice-générale demande, lors d'une conversation téléphonique avec son avocat, un estimé des honoraires; ce qu'elle a obtenu verbalement suivi par une confirmation écrite;

-       À nouveau, la confusion régna parce que la directrice-générale croyait avoir confié un mandat à son avocat tandis que celui-ci, suite à la réception de la lettre confirmant les honoraires, attendait que la représentante de sa cliente lui donne le mandat;

-       À un moment non précisé, la confusion fut dissipée et par la suite la requête fut rédigée le 30 avril 2003 puis déposée à la Cour le 5 mai 2003;

[6]                 Les parties se présentent devant le soussigné le 9 juin 2003, et l'avocat de la demanderesse demande la permission de déposer un affidavit plus circonstancié que celui déjà déposé. La permission fut accordée et deux affidavits supplémentaires furent déposés; l'un signé par la directrice-générale de la demanderesse et l'autre signé par son avocat. L'avocat du défendeur s'objecta formellement au dépôt de l'affidavit de l'avocat de la demanderesse et celui-ci le retira au début de l'audition du 29 septembre 2003.


LA QUESTION EN LITIGE

[7]                 La demanderesse, en désirant présenter sa demande de contrôle judiciaire, rencontre-t-elle les considérations pour proroger le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale?

LE DROIT

[8]                 Toute demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours suivant la communication de la décision de l'office fédéral (Voir article 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale). Pour obtenir une prorogation de ce délai, la partie doit satisfaire à certaines considérations expliquées dans l'arrêt Grewal c. Ministre de l'emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 263. Les considérations sont les suivantes :

-              L'intention constante de poursuivre la demande;

-              L'affaire ou la demande révèle une cause défendable;                               

-              Le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai;

-              Il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[9]                 Avant d'aborder l'analyse des considérations concernant le fond du litige et le préjudice, le juge en chef Thurlow dans l'arrêt Grewal, supra , enseigne qu'en premier lieu, il est important d'analyser "l'intention de poursuivre la démarche" tout en tenant compte de l'explication concernant le délai:


Reste cependant à savoir s'il existe quelque justification valable pour n'avoir pas fait la demande dans le délai de dix jours (maintenant 30 jours) et si les fins de la justice exigent que la prorogation soit accordée.             

Pour répondre à la première de ces questions, il faut notamment se demander si le requérant avait dans le délai de 10 jours (maintenant 30 jours) l'intention de présenter sa demande et s'il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pouvait que nuire considérablement à ses chances d'obtenir la prorogation.

(Voir l'arrêt Grewal précité à la page 277 et l'arrêt Berkeley c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 35, paragraphe 2 et Conseil des canadiens c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence), [1997] A.C.F. no 408 aux paragraphes 3 et 4)

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

[10]            La demanderesse argumente qu'elle rencontre chacune des considérations de l'arrêt Grewal. Elle a toujours eu l'intention de contester la décision du Ministère et ce, dès la communication de la première décision du 7 mars 2001, tel que le démontre la demande de révision administrative. La conversation téléphonique avec son avocat le 26 février 2002, suite à la décision découlant de la révision ainsi que son comportement par la suite, appuient cette intention. En ce qui concerne la deuxième considération de l'existence d'une cause défendable, la demanderesse indique seulement que le mémoire de la défenderesse n'en traite pas et, lors de l'audition, a référé le tribunal à la décision du 7 février 2002. Pour ce qui est de la troisième considération traitant du préjudice, la demanderesse prétend que la défenderesse ne subira aucun préjudice. Commentant la dernière considération de "l'explication raisonnable pouvant justifier ce délai", la demanderesse argumente que:


1.          elle a contacté son avocat 19 jours après la réception de la décision du 7 février 2002;

2.          que le vocable « appel » en titre de cette lettre l'amena à conclure que l'appel était prescrit;

3.          que, tel que le démontre ses appels à son avocat, elle a toujours voulu faire corriger la décision du Conseil d'administration du 27 août 2002; et

4.          que par la suite, ce fut un malentendu qui a empêché que ce recours soit intenté plus tôt.


[11]            En contrepartie, le défendeur est d'opinion que la demanderesse en première étape n'a pas démontré la diligence raisonnable qui justifierait l' analyse des trois autres considérations de l'arrêt Grewal. Concernant la considération d'explication raisonnable justifiant le délai, le défendeur argumente qu'il n'y a aucune diligence découlant des explications du délai entre le 27 août 2002, date de la décision du conseil d'administration de la demanderesse d'entamer des procédures, et le 5 mai 2003, date du dépôt au greffe de la demande. De plus, il soumet que les affidavits de la directrice-générale de la demanderesse se contredisent lorsqu'elle mentionne au paragraphe 5 de l'affidavit du 30 avril 2003, avoir plusieurs mois plus tard (après la décision du 7 février 2002), requis une opinion légale de son avocat; tandis qu'au paragraphe 10 de l'affidavit du 20 juin 2003, elle mentionne avoir communiqué avec son avocat le 26 février 2002 pour obtenir des explications de la décision du 7 février 2002. Le défendeur ajoute que le comportement de la directrice-générale entre le 26 février et la fin août 2002 ne démontre aucune diligence de sa part. Sauf pour une conversation téléphonique en août 2002, elle a, tout au plus, tenté de rejoindre une fois par mois son avocat sans succès. En réponse à l'argument de la demanderesse que celle-ci avait été induite en erreur par le vocable « appel » , le défendeur plaide que dans ses affidavits, cette erreur n'est aucunement abordée et que l'emploi du vocable

« appel » était utilisé par son avocat lors des conversations téléphoniques (voir paragraphe 12 de l'affidavit du 20 juin 2003). Quant à l'argument de la demanderesse qu'elle n'était pas familière avec les recours pouvant être intentés devant la Cour fédérale, la défenderesse précise que, selon la jurisprudence de la Cour, ceci n'est pas un argument,. De plus la défenderesse indique qu'elle n'a pas à aborder la considération de la cause défendable étant donné la non diligence de la demanderesse. En conclusion, la défenderesse plaide qu'en permettant une prorogation du délai, elle subirait un préjudice puisque 15 mois se sont écoulés depuis la communication de la décision et que la fonctionnaire en charge des quatre dossiers n'est plus employée du Ministère ayant pris sa retraite.

ANALYSE

[12]            Adoptant l'approche à deux volets proposée par l'arrêt Grewal, je dois me demander s'il y a une justification raisonnable pour le délai, et ensuite si la demanderesse bénéficie d'une chance raisonnable d'avoir gain de cause. Tel que le juge Dubé exposait dans l'arrêt Berkeley (arrêt précité, paragraphe 2), il est essentiel que ces deux considérations soient satisfaites.


"La Section de première instance de la Cour fédérale a toujours interprété les facteurs énoncés dans l'arrêt Grewal comme créant un critère à deux volets qui doit être respecté pour qu'une prorogation de délai soit accordée: Premièrement, il doit y avoir une justification raisonnable pour le délai et deuxièmement le demandeur doit bénéficier d'une chance raisonnable d'avoir gain de cause. Le demandeur dit satisfaire aux deux critères."

[13]            À la lumière de la preuve, je ne perçois pas dans le comportement de la directrice-générale une intention claire de soumettre la décision du 7 février 2002 à un contrôle judiciaire. Son manque de compréhension concernant les recours appropriés n'est pas un argument que la Cour peut retenir. Si la directrice-générale avait conclu en date du 26 février 2002 qu'il n'y avait pas de recours appropriés, comment se fait-il qu'elle tenta de rejoindre son avocat six ou sept fois pour discuter de recours? Les affidavits ne nous éclairent pas sur ce point et ne me démontrent pas l'intention nécessaire. De plus, la période d'inaction et le manque d'intérêt entre la fin février et le début août 2002, ne peuvent, selon l'analyse Grewal, appuyer la thèse de l'intention.

[14]            Ce qui me préoccupe dans ce dossier, c'est le manque de diligence à mettre de l'avant la contestation. Même si l'intention avait été factuelle, j'ajoute qu'il aurait aussi fallu la démontrer en posant des gestes. La directrice-générale nous dit qu'elle a discuté de recours en Cour fédérale avec son avocat avant la décision du 7 février 2002 et après, soit le 26 février 2002. Malgré cette double consultation, la directrice-générale n'a toujours pas compris qu'il y avait la possibilité d'un contrôle judiciaire et non d'un appel en Cour fédérale. Suite à la deuxième consultation du 26 février 2002, la directrice-générale et son avocat, ayant tenté à sept ou huit reprises de se rejoindre, ne réussissent à se parler qu'au début août 2002, soit six mois après la décision du 7 février 2002. C'est lors de cette conversation que la directrice-générale a


" ... clairement compris qu'une demande de contrôle judiciaire était possible, mettant ainsi fin à la confusion ... entre la révision administrative et la demande de contrôle judiciaire". Je m'explique difficilement l'impossibilité de la directrice-générale et son avocat de communiquer avant le début août 2002. Par ailleurs, je constate que la confusion persiste par la suite. Le conseil d'administration autorise le recours en Cour fédérale le 27 août 2002.    À une date non déterminée, il y aurait eu conversation entre la directrice-générale et l'avocat durant laquelle un estimé des coûts fut communiqué et une confirmation écrite de l'estimé fut envoyée. La directrice-générale considérait que le mandat avait été donné mais l'avocat attendait toujours la confirmation du mandat suite à la communication de l'estimé. À un certain moment, la confusion fut dissipée et la requête fut préparée à la fin avril 2003, puis déposée au greffe de la Cour fédérale le 5 mai 2003. Cette dernière confusion engendra un nouveau délai de huit mois. À l'exception d'une référence à une conversation téléphonique, le dossier est totalement silencieux quant à une explication du délai.

[15]            Ce comportement ne démontre aucune diligence de la part de la demanderesse à vouloir articuler un recours. Au contraire, si l'intention existait vraiment (ce que la preuve ne démontre pas), il y a eu à tout le moins "abandon", "relâchement" ou défaut de la poursuivre avec diligence.


[16]            Dans les 30 jours suivant la décision du 7 février 2002, la représentante de la demanderesse est confuse quant à ses recours. Une fois que la confusion est dissipée en août 2002, elle devient à nouveau confuse car, selon sa version des faits, le mandat est donné tandis que, selon l'avocat, celui-ci attend le mandat. Environ huit mois s'écoulent avant que la confusion se dissipe et que la procédure soit initiée. L'explication donnée par la demanderesse concernant la justification du délai n'est pas acceptable.

[17]            Puisque le premier critère n'est pas satisfait je n'ai pas à analyser la considération de la cause défendable. Toutefois, il est important de mentionner que la demanderesse a le fardeau de démontrer le bien-fondé de cette considération et elle ne l'a pas rencontré. Lors de l'audition, le procureur de la demanderesse a référé le tribunal à la décision du 7 février 2002. Ceci n'est pas une façon d'assumer le fardeau. Il faut le faire dans le mémoire en y incluant des arguments avec jurisprudence à l'appui. Les mémoires de la demanderesse n'en traitent pas.

CONCLUSION

[18]            Pour les raisons mentionnées ci-haut, je conclus que la requête pour prorogation d'un délai de 15 mois ayant pour but le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du Ministère en date du 7 février 2002, est rejetée et les dépens sont à la charge de la partie demanderesse.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

La requête pour prorogation du délai est rejetée avec dépens contre la demanderesse.

                         "Simon Noël"                       

                               Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 03-T-22

INTITULÉ :              Caisse Populaire Desjardins Maniwaki

et Procureur Général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              29 septembre 2003

MOTIFS :                   L'Honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                                     7 octobre 2003            

COMPARUTIONS:

Me Martin Castonguay                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Antoine Lippé                                                POUR LE DÉFENDEUR

Me Dominique Guimond                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Martin Castonguay                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Antoine Lippé                                                POUR LE DÉFENDEUR


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