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Date : 20040611

Dossier : T-630-02

Référence : 2004 CF 851

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                    VOGO INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                             ACME WINDOW HARDWARE LTD.

et 627749 ALBERTA LTD.

                                                                                                                                    défenderesses

Dossier : T-1361-03

ET ENTRE :

VOGO INC.

demanderesse

et

TAM NGUYEN

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Par ordonnances datées du 29 octobre 2003, la protonotaire Tabib a fait droit à la requête en réunion des instances T-630-02 et T-1361-03 présentée par la demanderesse Vogo Inc. (Vogo) et a rejeté la requête présentée par le défendeur Tam Nguyen (Nguyen) en vue de faire radier ou suspendre l'action T-1361-03 ou d'obtenir des précisions supplémentaires.

[2]                La présente instance concerne une requête présentée par la défenderesse Acme Window Hardware Ltd. (Acme) et par le défendeur Nguyen en vue d'obtenir une ordonnance en appelant de l'ordonnance portant réunion d'instances du 29 octobre 2003, l'adjudication des dépens, indépendamment de l'issue du principal, au tarif des dépens avocat-client ou selon tout autre barème que la Cour jugera approprié, ainsi que toute autre réparation que la Cour jugera bon d'accorder.

[3]                En second lieu, le défendeur Nguyen sollicite le prononcé d'une ordonnance en appelant de la décision en date du 29 octobre 2003 par laquelle il a été débouté de sa requête en radiation ou en suspension de l'action T-1361-03 et en précisions supplémentaires. Il réclame aussi l'adjudication des dépens payables sur-le-champ, indépendamment de l'issue du principal, au tarif des dépens avocat-client ou selon tout autre barème que la Cour jugera approprié, ainsi que toute autre réparation que la Cour jugera bon de lui accorder.


Genèse de l'instance

[4]                Dans l'action principale, Vogo allègue que les défendeurs Acme, 627749 Alberta Ltd (627749 Alberta) et Nguyen sont responsables de la contrefaçon du brevet de son « mécanisme de verrouillage à came » portant le numéro 1269120 (le brevet) qui porte sur un mécanisme de verrouillage de fenêtres.

[5]                Acme exploite une entreprise de fabrication, d'importation et de vente de composantes de fenêtres. 627749 Alberta est l'actionnaire majoritaire d'Acme et Nguyen est le président et un des administrateurs d'Acme.

[6]                Acme et 627749 Alberta étaient désignées comme défenderesses dans l'action T-630-02, qui a été introduite le 15 avril 2003. Après l'interrogatoire préalable de M. Nguyen en sa qualité de représentant d'Acme dans l'action T-630-02, Vogo a introduit l'action T-1361-03, dans laquelle Nguyen était nommément désigné comme auteur présumé de la contrefaçon du brevet.

[7]                Nguyen a déposé une requête en radiation de la déclaration dans l'action T-1361-03, en suspension de l'action jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue dans l'action T-630-02 ou, à titre plus subsidiaire encore, en vue d'obtenir des précisions supplémentaires.

[8]                Vogo a déposé une requête en jonction des actions T-630-02 et T-1361-03.


Les décisions frappées d'appel

[9]                Estimant qu'aucun des motifs de radiation des actes de procédure énumérés au paragraphe 221(1) des Règles ne s'appliquait, Mme la protonotaire Tabib (la protonotaire) a rejeté la requête de M. Nguyen. La protonotaire a jugé mal fondé l'argument de M. Nguyen suivant lequel Vogo avait agi irrégulièrement en intentant une action distincte pour ensuite demander la réunion des instances au lieu de présenter une requête pour le constituer codéfendeur dans l'action T-630-02. La protonotaire a jugé que la déclaration produite par Vogo dans l'action T-1361-03 n'était pas dénuée de pertinence, redondante, scandaleuse, frivole ou vexatoire, qu'elle ne risquait pas de nuire à l'instruction de l'action, qu'elle ne divergeait pas d'un acte de procédure antérieur ou qu'elle ne constituait pas autrement un abus de procédure. Elle a donc refusé de radier ou de suspendre l'instance.

[10]            La protonotaire a également refusé la demande de précisions supplémentaires formulée par M. Nguyen dans le dossier T-1361-03 au motif que, par suite de la réunion des deux actions, M. Nguyen était suffisamment au courant des éléments invoqués contre lui pour pouvoir plaider intelligemment.

[11]            Aux termes d'une ordonnance distincte, la protonotaire a fait droit à la requête en réunion d'instances de Vogo au motif que les deux actions étaient fondées sur le même présumé acte de contrefaçon, que les témoins seraient les mêmes dans les deux actions, que les avocats étaient les mêmes, que la réunion d'instances permettrait d'éviter la multiplication d'instances, qu'elle permettrait d'apporter une solution expéditive et économique aux questions en litige et qu'elle était nécessaire pour éviter le risque réel de jugements contradictoires sur la question sous-jacente de la contrefaçon. La protonotaire s'est également dite d'avis que la réunion d'instances ne retarderait probablement pas le déroulement de l'une ou l'autre des actions et qu'elle ne porterait pas préjudice aux défendeurs.

[12]            Les présentes instances sont les appels de la décision de la protonotaire.

Prétentions et moyens de M. Nguyen

(interjetant appel du rejet de sa requête en radiation et en autres réparations)

[13]            M. Nguyen fait valoir que la décision de la protonotaire soulève des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, de sorte que saisie d'un appel de cette décision, la Cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, (1993), 149 N.R. 273 (C.A.F)).


[14]            M. Nguyen affirme que la protonotaire a commis une erreur en ne considérant pas que les deux actions étaient identiques, à part le nom des parties désignées comme défenderesses, et que Vogo elle-même avait introduit les nombreuses instances en question, de sorte qu'autoriser la réunion des instances permettrait seulement d'éviter les frais excessifs que Vogo avait elle-même entraînés.

[15]            M. Nguyen soutient essentiellement que Vogo cherche à le constituer codéfendeur dans l'action T-630-02 et que la protonotaire a commis une erreur en inférant qu'il lui incombait de démontrer pourquoi il ne devrait pas être constitué codéfendeur dans l'action T-630-02, plutôt que de faire porter à Vogo la charge de démontrer pourquoi il devrait être constitué codéfendeur dans l'action T-630-02.

[16]            M. Nguyen explique que sa requête en radiation a été déposée et signifiée avant que la requête en réunion d'instances de Vogo ne soit dûment déposée et signifiée. Pour cette raison, M. Nguyen soutient que sa requête aurait dû être examinée avant celle de Vogo.

[17]            M. Nguyen ajoute que la protonotaire était tenue d'examiner son témoignage suivant lequel il ne connaissait pas l'existence du brevet lorsqu'il a conçu trois des manivelles lève-vitre d'Acme et que, lorsqu'il a été mis au courant du brevet, il a pris des mesures pour éviter de contrefaire le brevet en dessinant une quatrième manivelle lève-vitre.

[18]            M. Nguyen affirme que la protonotaire a commis une erreur en rejetant sa requête en précisions supplémentaires alors que Vogo n'avait fourni aucune précision quant à ses présumés agissements qui constituerait une contrefaçon délibérée.

[19]            Finalement, M. Nguyen affirme que la décision de la protonotaire est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d'un mauvais principe de droit ou d'une mauvaise appréciation des faits. M. Nguyen affirme en outre que la décision de la protonotaire soulève des questions qui ont une influence déterminante sur l'issue du principal et qui justifient l'examen du juge du fond.

Prétentions et moyens de Vogo

(en réponse à l'appel interjeté par M. Nguyen du rejet de sa requête en radiation et en autres réparations)

[20]            En réponse, Vogo affirme que M. Nguyen ne peut en appeler de l'ordonnance par laquelle sa requête a été rejetée parce qu'il a pris une nouvelle mesure dans l'action issue de la jonction d'instances en présentant une requête visant à faire scinder la question de la responsabilité et celle de la réparation.


[21]            Vogo fait valoir qu'une suspension d'instance et une ordonnance de communication de précisions constituent toutes les deux des mesures de nature interlocutoire étant donné qu'elles n'ont pas une influence déterminante sur l'issue du principal. Invoquant l'arrêt Aqua-Gem, précité, Vogo affirme que la Cour ne devrait pas exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début dans le cadre du présent appel, mais qu'elle ne devrait plutôt infirmer l'ordonnance de la protonotaire que si elle est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d'un mauvais principe de droit ou d'une mauvaise appréciation des faits. Vogo affirme que M. Nguyen ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la protonotaire était entachée d'une erreur flagrante.

[22]            Vogo ajoute que, même si la Cour exerçait son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début, la protonotaire a eu raison de rejeter la requête de M. Nguyen parce que rien ne justifiait de radier l'action T-1361-03 ou de suspendre l'action T-1361-03 et que les actes de procédure sont suffisants, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner la communication de précisions.


[23]            Pour ce qui est de la radiation de l'action T-1361-03, Vogo affirme qu'un acte de procédure ne devrait être radié que lorsqu'il est évident et manifeste qu'il sera rejeté au procès. Vogo explique qu'un dirigeant et administrateur d'une société comme M. Nguyen peut être tenu responsable de la contrefaçon d'un brevet lorsqu'il commet délibérément et sciemment des actes qui sont de nature à constituer une contrefaçon (Mentmore Manufacturing Co. Ltd. et al. c. National Merchandise Manufacturing Co Inc. et al., (1978), 40 C.P.R. (2d) 164 (C.A.F.)). Suivant ce critère, Vogo fait valoir que les allégations qu'elle formule contre M. Nguyen à titre personnel possèdent un fondement juridique qui lui permettrait d'obtenir gain de cause au procès et que M. Nguyen ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que la déclaration doit être radiée.

[24]            Vogo ajoute que la Cour ne devrait pas tenir compte de l'affidavit que M. Nguyen a souscrit le 10 novembre 2003 parce qu'en appel, la Cour ne doit examiner que les éléments dont disposait la protonotaire et qu'elle ne doit pas tenir compte des nouveaux éléments. Vogo fait en outre valoir qu'aux termes du paragraphe 221(2) des Règles, aucun affidavit n'est admissible dans le cadre d'une requête en radiation.

[25]            Vogo soutient par ailleurs que c'est à juste titre que la protonotaire a rejeté la requête présentée par M. Nguyen en vue de faire suspendre l'instance T-1361-03, étant donné qu'il n'y avait aucun motif justifiant une suspension. Vogo affirme qu'il était dans l'intérêt de la justice de refuser la suspension de l'instance et la réunion des deux actions liées.

[26]            Vogo ajoute que la protonotaire a eu raison de refuser la demande formulée par M. Nguyen en vue d'obtenir des précisions supplémentaires, étant donné que la déclaration est suffisante pour permettre à la défenderesse de déposer une défense. Suivant Vogo, cette demande n'était qu'une manoeuvre dilatoire. Vogo soutient que, si la Cour conclut à la contrefaçon, il s'agira de toute évidence d'une conclusion de contrefaçon délibérée, étant donné que M. Nguyen a admis avoir modifié son dessin pour tenir compte du brevet.

[27]            En somme, Vogo soutient que la protonotaire a attentivement examiné la requête en radiation, en suspension et en précisions de M. Nguyen et qu'elle a décidé à bon droit de la rejeter. Vogo en conclut que le présent appel de l'ordonnance de la protonotaire devrait par conséquent être rejeté et que les dépens, peu importe l'issue du principal, devraient être payables sur-le-champ.

Réplique de M. Nguyen

(interjetant appel du rejet de sa requête en radiation et en autres réparations)

[28]            En réplique, M. Nguyen explique que le dépôt de l'ordonnance de rejet et de l'ordonnance portant réunion d'instances est un fait consigné au dossier. Il conteste que ces éléments ou sa thèse que sa requête devrait être tranchée avant l'examen de la requête en jonction d'instances constituent de nouvelles questions qui n'avaient pas été portées à la connaissance de la protonotaire.

[29]            M. Nguygen affirme que l'appel d'une ordonnance de refus ne constitue pas une nouvelle mesure qui l'empêcherait d'interjeter appel de l'ordonnance de la protonotaire. M. Nguyen a été forcé d'interjeter appel de l'ordonnance le déboutant de sa requête en employant l'intitulé de la cause issue de la jonction des instances en fonction du moment où la protonotaire a rendu sa décision.

[30]            M. Nguyen soutient que l'ordonnance par laquelle il a été débouté de sa requête est entachée d'une erreur flagrante parce qu'elle témoigne d'une mauvaise appréciation des faits et que la protonotaire n'a pas tenu compte de son témoignage suivant lequel il a pris des mesures pour modifier son dessin en fonction du brevet.

[31]            M. Nguyen conteste que le paragraphe 221(2) des Règles l'empêche de soumettre un affidavit à l'appui d'une requête en radiation. Il ressort du texte même du paragraphe 221(2) qu'aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête en radiation fondée sur l'alinéa 221(1)a). M. Nguyen affirme que, comme sa requête en radiation repose non seulement sur l'alinéa 221(1)a) mais aussi sur les alinéas 221(1)b) à f), il avait le droit de soumettre des éléments de preuve à l'appui de sa thèse.

[32]            M. Nguyen soutient que l'action T-1361-03 est frivole, vexatoire et, de l'aveu même de Vogo, qu'elle fait double emploi, puisque les allégations soulevées dans les deux actions sont identiques.


[33]            M. Nguyen explique que, même si Vogo réussissait à prouver que Acme s'est rendue coupable de contrefaçon, il ne s'ensuit pas nécessairement que sa responsabilité personnelle s'en trouve engagée, étant donné que Vogo n'a pas contesté les éléments de preuve suivant lesquels M. Nguyen n'était pas au courant de l'existence du brevet ou a essayé de modifier son dessin pour tenir compte du brevet. Suivant M. Nguyen, ces éléments justifient la radiation de l'action T-1361-03.

[34]            M. Nguyen affirme que la Cour doit ordonner la fourniture de précisions supplémentaires dans le dossier T-1361-03 au sujet de ses agissements qui constitueraient de la contrefaçon, étant donné que, dans ses actes de procédure, Vogo se contente d'affirmer que M. Nguyen a ordonné à Acme de contrefaire le brevet.

Prétentions et moyens d'Acme et de Nguyen

(en appel de l'ordonnance portant réunion des instances)

[35]            Les appelants Acme et Nguyen soutiennent que l'ordonnance par laquelle la protonotaire a ordonné la réunion des instances soulève des questions qui auront une influence déterminante sur l'issue du principal, de sorte que, saisie d'un appel de cette ordonnance, la Cour doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début (arrêt Aqua-Gem, précité).

[36]            Acme et Nguyen soutiennent que l'ordonnance portant réunion d'instances devrait être infirmée en grande partie pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles ils estiment que l'ordonnance portant rejet de la requête devrait être cassée. Plus précisément, Acme et Nguyen soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en ordonnant la réunion des instances :


1.          alors que Vogo n'avait pas suffisamment démontré que Acme et Nguyen ne subiraient aucune injustice;

2.          sans tenir compte du fait que les deux actions étaient identiques, sauf pour les parties qui étaient désignées comme défenderesses et que c'était Vogo elle-même qui était à l'origine de la multiplication des instances, de sorte qu'ordonner la réunion des instances permettrait seulement d'empêcher les dépenses excessives dont Vogo était elle-même la cause;

3.          même si Vogo n'avait pas directement démontré que M. Nguyen devait être constitué codéfendeur dans l'action T-630-02;

4.          avant d'examiner et de trancher la requête en radiation de M. Nguyen, étant donné que la requête en radiation avait été déposée avant la requête en réunion d'instances;

5.          cette ordonnance était prématurée parce qu'elle a été prononcée avant que la contestation ne soit liée dans l'instance T-1361-03. M. Nguyen n'avait pas encore déposé de défense lorsque les deux actions ont été réunies. Acme et Nguyen affirment que la réunion d'instances n'aurait pas dû être décidée avant que le débat ne soit entièrement circonscrit dans l'action T-1361-03 à la suite du dépôt et de l'échange de tous les actes de procédure.

[37]            Finalement, Acme et Nguyen font valoir que la décision de la protonotaire est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe de droit ou sur une une mauvaise appréciation des faits. Acme et Nguyen affirment de plus que la décision soulève des questions qui sont susceptibles d'avoir une influence déterminante sur l'issue du principal et qui justifient un examen par le juge du fond.


[38]            Acme et Nguyen demandent que leur appel de l'ordonnance portant réunion d'instances soit accueilli avec dépens, lesquels seront payables sur-le-champ et seront adjugés indépendamment de l'issue du principal.

Prétentions et moyens de Vogo

(en réponse à l'appel de l'ordonnance portant réunion d'instances)

[39]            Vogo soutient que parce que les ordonnances portant réunion d'instances n'ont pas une influence déterminante sur l'issue du principal, l'ordonnance de la protonotaire ne devrait être infirmée que si elle entachée d'une erreur flagrante, en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits (Aqua-Gem, précité). Vogo affirme que la décision de la protonotaire était bien fondée et que Acme et Nguyen ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer qu'elle devait être infirmée en appel.

[40]            Vogo explique que la réunion des actions T-630-02 et T-1361-03 permet de réaliser les objectifs de principe contenus à l'article 105, à savoir d'éviter la multiplication des instances, de favoriser l'instruction expéditive et économique des procès et de promouvoir les intérêts véritables des parties.


[41]            Vogo fait également valoir que la réunion des instances T-630-02 et T-1361-03 est dans l'intérêt de la justice parce que ces instances ont toutes les deux essentiellement le même objet, que les témoins sont les mêmes, que la preuve administrée dans les deux affaires est parallèle et qu'il faut éviter des décisions contradictoires.

[42]            Vogo affirme que son action en contrefaçon contre M. Nguyen à titre personnel repose sur une base juridique et que, si elle réussit à faire la preuve de la contrefaçon dont Acme s'est rendue coupable, le fondement de cette contrefaçon est le comportement délibéré qu'a affiché M. Nguyen en dessinant son modèle en essayant, en vain, de s'inspirer du brevet sans le copier.

[43]            Vogo soutient qu'en présentant le 4 novembre 2003 une requête visant à obtenir la disjonction de l'action issue de la réunion d'instances, Acme et Nguyen ont pris une nouvelle mesure dans le cadre de l'action issue de la réunion d'instances et qu'ils ont ainsi renoncé à leur droit d'interjeter appel de l'ordonnance portant réunion d'instances.

[44]            Se fondant sur le jugement Dawe c. Canada, (2002), 220 F.T.R. 91, 2002 CFPI 486, Vogo soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte de l'affidavit que M. Nguyen a souscrit le 10 novembre 2003 parce que, lorsqu'elle procède à la révision d'une décision du protonotaire, la Cour doit s'en tenir aux éléments dont disposait le protonotaire et qu'elle ne peut se fonder sur de nouveaux éléments.

[45]            Vogo demande que l'appel de l'ordonnance portant réunion d'instances qu'a rendue la protonotaire en l'espèce soit rejeté et que les dépens soient payables sur-le-champ, peu importe l'issue du principal.

Réplique d'Acme et de Nguyen

(appel de l'ordonnance portant réunion d'instances)

[46]            En réplique, Acme et Nguyen maintiennent que l'ordonnance portant réunion d'instances n'a été déposée qu'après la présentation de la requête en radiation de l'action T-1361-03 et que par ailleurs, les dates de dépôt d'actes de procédure sont consignées au dossier et ne constituent pas de nouvelles questions dont la Cour doit faire abstraction lorsqu'elle statue sur une demande de révision d'une ordonnance d'un protonotaire.

[47]            Selon Acme et Nguyen, la question du caractère prématuré de la réunion d'instances avant que la contestation ne soit liée dans l'action T-1361-03 n'est pas une nouvelle question qui n'avait pas été portée à la connaissance de la protonotaire. Acme et Nguyen font valoir que, dans la première requête qu'ils ont déposée en réponse, ils ont avancé l'argument que la réunion d'instances était prématurée, de sorte que c'est à juste titre que la Cour examine cet argument dans le cadre de sa révision de la décision du protonotaire. Acme et Nguyen expliquent également que la protonotaire a manifestement eu tort de réunir les actions alors que la défense n'avait pas encore été déposée dans le dossier T-1361-03.

[48]            Acme et Nguyen affirment que Vogo n'a pas contesté le témoignage de M. Nguyen suivant lequel il n'était pas au courant de l'existence du brevet et qu'une fois qu'il l'a apprise, il a modifié le dessin de son modèle en fonction du brevet.

[49]            Acme et Nguyen affirment qu'il est fallacieux de la part de Vogo d'introduire une action qui fait double emploi avec une action déjà engagée pour ensuite demander la réunion de ces actions avant que la contestation ne soit liée dans une de ces actions pour minimiser les frais entraînés par ses propres agissements.

[50]            Acme et Nuguyen contestent l'affirmation de Vogo suivant laquelle si l'on réussit à démontrer que Acme s'est rendue coupable de contrefaçon, il s'ensuit nécessairement que M. Nguyen s'est rendu coupable de contrefaçon. Acme et Nguyen soutiennent que l'affirmation de Vogo suivant laquelle ils n'ont pas réussi à modifier leur dessin pour tenir compte du brevet devrait être écartée, étant donné qu'aucun élément de preuve n'a été soumis en ce sens.


[51]            Selon Acme et Nguyen, la requête visant à scinder la question de la responsabilité et celle de la réparation en l'espèce ne constitue pas une nouvelle mesure qui leur enlèverait le droit d'interjeter appel de l'ordonnance portant réunion d'instances en raison des délais applicables à la requête fixés par la protonotaire dans son ordonnance. Se fondant sur les délais fixés par la protonotaire, Acme et Nguyen expliquent qu'attendre l'issue de l'appel de l'ordonnance portant réunion d'instances leur enlèverait la possibilité de déposer une requête en disjonction. Dans ces conditions, la requête en disjonction ne devrait pas, selon eux, être considérée comme une nouvelle mesure prise dans l'action issue de la réunion d'instances qui priverait les défendeurs de leur droit d'interjeter appel de l'ordonnance portant réunion d'instances.

Questions en litige

[52]            Les principales questions litigieuses soulevées par les parties peuvent être formulées de la façon suivante :

1.          La Cour devrait-elle accueillir l'appel de l'ordonnance par laquelle la protonotaire a rejeté la requête en radiation, en suspension ou en communication de précisions dans l'action T-1361-03?

a)         Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la protonotaire?

b)         La jonction d'instances ou la requête en disjonction de M. Nguyen empêchent-elles tout appel de l'ordonnance de la protonotaire?

c)         Existe-t-il des motifs qui justifient la radiation de la déclaration dans l'action T-1361-03?

d)         Existe-t-il des motifs qui justifient la suspension de l'action T-1361-03?

e)         Existe-t-il des motifs qui justifient d'ordonner à Vogo de fournir des précisions supplémentaires dans l'action T-1361-03?


            2.          La Cour devrait-elle accueillir l'appel de l'ordonnance portant réunion d'instances qu'a rendue la protonotaire?

a)         Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la protonotaire?

b)         La requête en disjonction de M. Nguyen constitue-t-elle une nouvelle mesure qui empêche d'interjeter appel de l'ordonnance portant réunion d'instances de la protonotaire?

c)         Existe-t-il des motifs qui justifient l'intervention de la Cour?

Dispositions législatives et réglementaires applicables

[53]            L'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, permet la suspension de l'instance dans l'intérêt de la justice:

50. (1) La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:

. . .

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

50. (1) The Federal Court of appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

. . .

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

[54]            L'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), D.O.R.S./98-106 régit les appels des ordonnances du protonotaire :


51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.

[55]            La réunion et la suspension d'instances sont prévues à l'article 105, les demandes de précisions sont régies par l'article 181, la radiation des actes de procédure est prévue à l'article 221 et les dépens sont régis par l'article 400 desRègles de la Cour fédérale (1998).



105. La Cour peut ordonner, à l'égard de deux ou plusieurs instances:

a) qu'elles soient réunies, instruites conjointement ou instruites successivement;

b) qu'il soit sursis à une instance jusqu'à ce qu'une décision soit rendue à l'égard d'une autre instance;

. . .

181. L'acte de procédure contient des précisions sur chaque allégation, notamment:

a) des précisions sur les fausses déclarations, fraudes, abus de confiance, manquements délibérés ou influences indues reprochés;

b) des précisions sur toute allégation portant sur l'état mental d'une personne, tel un déséquilibre mental, une incapacité mentale ou une intention malicieuse ou frauduleuse.

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas:

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

105. The Court may order, in respect of two or more proceedings,

(a) that they be consolidated, heard together or heard one immediately after the other;

(b) that one proceeding be stayed until another proceeding is determined; or

. . .

181. A pleading shall contain particulars of every allegation contained therein, including

(a) particulars of any alleged misrepresentation, fraud, breach of trust, wilful default or undue influence; and

(b) particulars of any alleged state of mind of a person, including any alleged mental disorder or disability, malice or fraudulent intention.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or



f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

400. (1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

. . .

(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants:

a) le résultat de l'instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l'importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;

i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or jugement entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

. . .

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;



j) le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas:

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

(5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif.

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

(o) any other matter that it considers relevant.

(4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs.

(5) Where the Court orders that costs be assessed in accordance with Tariff B, the Court may direct that the assessment be performed under a specific column or combination of columns of the table to that Tariff.

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut:

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu'à une étape précise de l'instance;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;

d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

(7) Les dépens sont adjugés à la partie qui y a droit et non à son avocat, mais ils peuvent être payés en fiducie à celui-ci.

(6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may

(a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding;

(b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding;

(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or

(d) award costs against a successful party.

(7) Costs shall be awarded to the party who is entitled to receive the costs and not to the party's solicitor, but they may be paid to the party's solicitor in trust.

Analyse et décision

[56]            Première question


La Cour devrait-elle accueillir l'appel de l'ordonnance par laquelle la protonotaire a rejeté la requête en radiation, en suspension ou en communication de précisions dans l'action T-1361-03?

M. Nguyen a soumis à la protonotaire une requête visant à obtenir la radiation ou la suspension de l'action T-1361-03 ou des précisions supplémentaires. La protonotaire a rejeté cette requête et M. Nguyen interjette maintenant appel de cette décision. Comme les faits sont semblables à ceux de l'appel de l'ordonnance portant réunion d'instances, les deux appels ont été plaidés ensemble devant moi.

[57]            a)         Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la protonotaire?

Pour rejeter la requête de M. Nguyen, la protonotaire a pris trois décisions. Elle a d'abord décidé de ne pas radier la déclaration dans l'action T-1361-03 pour l'un ou l'autre des motifs énumérés au paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998). Il s'agit là d'une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal au sens de l'arrêt Aqua-Gem, précité, de sorte que je dois exercer mon propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[58]            La deuxième décision qu'a prise la protonotaire a été celle de ne pas suspendre l'instance dans l'action T-1361-03 en attendant le sort final de l'action T-630-02. Je suis d'avis que la décision de la protonotaire de ne pas suspendre l'instance dans l'action T-1361-03 n'était pas une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et j'estime qu'elle ne doit pas être modifiée, à moins qu'elle ne soit fondée sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits.

[59]            La troisième décision de la protonotaire a été de ne pas enjoindre à Vogo de fournir des précisions au sujet de sa déclaration conformément à l'article 181. L'ordonnance par laquelle un protonotaire enjoint à une partie de fournir des précisions ne constitue pas une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et elle ne doit pas être modifiée en appel, à moins que le protonotaire n'ait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits (1029894 Ontario Inc. c. Dolomite Svenska Aktiebolag, [1999] A.C.F. no 1719 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[60]            b)          La jonction d'instances ou la requête en disjonction de M. Nguyen empêchent-elles tout appel de l'ordonnance de la protonotaire?

Le principe des « nouvelles mesures » a pour objet d'empêcher une partie d'agir d'une façon qui contredit ses agissements antérieurs dans l'instance. Ainsi, en plaidant en réponse à une déclaration, un défendeur risque de perdre son droit de se plaindre ensuite de vices fatals entachant les allégations formulées contre lui. Le principe des nouvelles mesures vise à empêcher de faire subir un préjudice à la partie qui s'est conformée aux mesures procédurales prises par la partie adverse lorsqu'il serait injuste de permettre à cette dernière de retourner sa veste en changeant de stratégie.

[61]            En l'espèce, Vogo soutient que la requête présentée par M. Nguyen en vue de dissocier la question de la responsabilité de celle de la réparation le rend irrecevable à interjeter appel de l'ordonnance de la protonotaire parce qu'il s'agit d'une nouvelle mesure prise dans le cadre de l'action issue de la réunion d'instances. Je ne suis pas convaincu que l'ordonnance portant réunion d'instances elle-même ou la requête présentée par M. Nguyen en vue de faire instruire séparément la question de la responsabilité et celle de la réparation le rend irrecevable à interjeter appel de l'ordonnance de la protonotaire, compte tenu des faits de l'espèce. Ainsi que M. Nguyen l'a souligné, les délais prescrits en ce qui concerne le déroulement de la procédure dépendaient entièrement des délais fixés par la protonotaire dans ses décisions.

[62]            c)          Existe-t-il des motifs qui justifient la radiation de la déclaration dans l'action T-1361-03?

M. Nguyen soutient que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable. Il ajoute qu'elle n'est pas dénuée de pertinence, redondante, scandaleuse, frivole ou vexatoire, qu'elle ne risque pas de nuire à l'instruction de l'action, qu'elle ne diverge pas d'un acte de procédure antérieur et qu'elle ne constitue pas un abus de procédure.


[63]            M. Nguyen a déposé un affidavit au soutien de la présente requête. Vogo affirme que cet affidavit n'est pas admissible dans le cadre d'une requête en radiation fondée sur l'article 221 des Règles. Suivant mon interprétation du paragraphe 221(2), j'en arrive à la conclusion que le paragraphe 221(2) déclare inadmissible seulement la preuve présentée dans le cadre d'une requête fondée sur l'alinéa 221(1)a). Or, en l'espèce, la requête en radiation de M. Nguyen était fondée sur tous les motifs énumérés au paragraphe 221(1). Il est de jurisprudence constante que, sous réserve de certaines exceptions qui ne s'appliquent pas dans le cas qui nous occupe, l'appel interjeté d'une ordonnance d'un protonotaire ne doit être fondé que sur les seuls éléments de preuve dont disposait le protonotaire. En conséquence, le nouvel affidavit de M. Nguyen n'est pas admissible dans le cadre du présent appel, dans la mesure où il renferme des éléments de preuve dont ne disposait pas la protonotaire.

[64]            M. Nguyen fait valoir que la requête dans laquelle il réclamait la radiation et d'autres réparations aurait dû être instruite séparément avant que ne soit examinée la question de la réunion d'instances et que, comme elle ne l'a pas été, le présent appel devrait être accueilli. Je ne suis pas d'accord avec cette proposition.


[65]            La protonotaire a fait allusion à la teneur de la déclaration de Vogo dans sa décision. Elle a expliqué que, dans sa déclaration, Vogo déclarait expressément que M. Nguyen s'occupait de toutes les affaires d'Acme et précisait même la participation que détenait le défendeur. La protonotaire a également signalé que la déclaration précisait que M. Nguyen [traduction] « a personnellement conçu le mécanisme de verrouillages de fenêtres présumément contrefait que vendait Acme alors qu'il était au courant du brevet de la demanderesse, portant ainsi atteinte (si les allégations sont prouvées) volontairement et illicitement au brevet de la demanderesse » . La protonotaire a également signalé que la déclaration portait que [traduction] « le défendeur est l'âme dirigeante d'Acme, il prend toutes les décisions sur la ligne de conduite d'Acme et, après que la demanderesse eut demandé à Acme de mettre fin à ses activités, le défendeur a personnellement décidé que Acme devait continuer à vendre le mécanisme de verrouillage présumément contrefait » .

[66]            Après examen des pièces, je suis d'avis d'exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début pour en arriver à la même conclusion que la protonotaire lorsqu'elle a rejeté la requête en radiation de la demande fondée sur les divers motifs énumérés à l'article 221.

[67]            d)         Existe-t-il des motifs qui justifient la radiation de l'action T-1361-03?

L'ordonnance de la protonotaire ne devrait être infirmée à cet égard que si elle est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens qu'elle repose sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits. J'ai examiné la décision de la protonotaire et je suis d'avis que son refus d'accorder la suspension de l'action T-1361-03 ne constituait pas une erreur flagrante au sens de l'arrêt Aqua-Gem, précité. L'appel de ce volet de la décision de la protonotaire est donc rejeté.

[68]            e)          Existe-t-il des motifs qui justifient d'ordonner à Vogo de fournir des précisions supplémentaires dans l'action T-1361-03?


La question de savoir s'il y a lieu d'enjoindre ou non à une partie de fournir des précisions est une question qui n'a pas une influence déterminante sur l'issue du principal. La décision de la protonotaire de refuser d'ordonner à Vogo de fournir des précisions ne devrait donc être modifiée que si elle est entachée d'une erreur flagrante au sens de l'arrêt Aqua-Gem.

[69]            En ce qui a trait à la requête en précisions, voici ce que dit la protonotaire dans sa décision :

[traduction] En ce qui concerne la requête en précisions, je conclus, compte tenu de la réunion des deux actions, des observations formulées à l'appui des nombreuses requêtes qui ont été présentées dans ces deux actions et de l'interrogatoire préalable dont a fait l'objet M. Nguyen en tant que représentant de la défenderesse Acme dans le dossier T-630-02, que le défendeur est suffisamment au courant des éléments invoqués contre lui pour pouvoir plaider intelligemment. Il se peut qu'aux fins du procès, les actes de procédure doivent être clarifiés et précisés encore plus. Toutefois, la seule question que je suis appelée à trancher pour le moment est celle de savoir si, dans leur état actuel, les actes de procédure sont suffisants pour permettre au défendeur de plaider. Or, je suis d'avis qu'ils le sont.

[70]            Il ressort de sa décision que la protonotaire a reconnu que, compte tenu de la jurisprudence relative à l'article 191 des Règles, les éclaircissements dont une partie a besoin pour pouvoir plaider sont loin d'être aussi vastes que ceux qui sont nécessaires au procès (IBM Canada Ltd. c. Printech Ribbons Inc., (1994), 77 F.T.R. 147 (C.F. 1re inst.)).


[71]            Le défendeur, M. Nguyen, soutient que Vogo n'a fourni aucune précision au sujet de ses agissements personnels qui sont censés équivaloir à de la contrefaçon délibérée. L'examen des paragraphes 3 et 4 de la déclaration dans l'action T-1361-03 indique toutefois le contraire. Vogo y allègue en effet expressément que M. Nguyen s'occupe de toutes les affaires d'Acme, que c'est lui qui a conçu pour Acme les mécanismes de verrouillage qui sont censés contrefaire le brevet de Vogo et qu'il était au courant de l'existence du brevet et qu'il a ordonné à Acme de continuer à vendre les mécanismes de verrouillage présumément contrefaits. Je suis d'avis que ces allégations sont suffisamment détaillées pour permettre à M. Nguyen de plaider en défense.

[72]            J'estime donc que la décision de la protonotaire n'était pas entachée d'une erreur flagrante, en ce sens qu'elle n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits la protonotaire. La décision de la protonotaire doit être confirmée.

[73]            L'appel de la décision de la protonotaire relative à la requête visant à obtenir la radiation de la déclaration ainsi que d'autres réparations est, pour cette raison, rejeté et les dépens sont adjugés à Vogo.

[74]            Deuxième question

1.          La Cour devrait-elle accueillir l'appel de l'ordonnance portant réunion d'instances qu'a rendue la protonotaire?

a)         Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la protonotaire?


Voici ce qu'a déclaré le juge MacGuigan, de la Cour d'appel fédérale, au sujet de la norme de contrôle applicable à l'appel d'une décision du protonotaire, au paragraphe 95 de l'arrêt Canada c. Aqua-Gem, précité :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Et au paragraphe 98 :

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; Voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).

[75]            La décision que la protonotaire était appelée à rendre en l'espèce portait sur l'opportunité de joindre ou non deux actions. Il s'agissait d'une décision interlocutoire qui n'avait pas d'influence déterminante sur l'issue du principal. Je dois donc décider si la décision de la protonotaire d'ordonner la réunion des deux actions était entachée d'une erreur flagrante en ce sens que la protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits (Z. I. Pompey Industrie c. E.C.U.-Ligne N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, 2003 CSC 27).

[76]            Dans sa décision, la protonotaire a décidé d'accorder la réunion d'instances réclamée parce que les deux actions étaient fondées sur le même acte présumé de contrefaçon, à cette seule différence près que, dans l'action T-630-02, la défenderesse était Acme, qui fabriquait et vendait les articles présumément contrefaits et que, dans l'action T-1361-03, Vogo cherche à faire déclarer le défendeur Tam Nguyen personnellement responsable d'avoir délibérément, volontairement et sciemment conçu les articles contrefaits et d'avoir ordonné à la défenderesse Acme de les fabriquer et de les vendre.


[77]            La protonotaire a également expliqué que les témoins seraient les mêmes dans les deux actions, que les avocats étaient les mêmes, que la réunion d'instances permettrait d'éviter la multiplication d'instances et qu'elle permettrait d'apporter une solution expéditive et économique aux questions en litige. La protonotaire a ajouté que la réunion d'instances éviterait le risque réel de jugements contradictoires sur la question sous-jacente de la contrefaçon. La protonotaire s'est finalement dite d'avis que la réunion d'instances ne retarderait probablement pas le déroulement de l'une ou l'autre des actions et qu'elle ne porterait pas préjudice aux défendeurs dans l'une ou l'autre action.

[78]            b)          La requête en disjonction de M. Nguyen constitue-t-elle une nouvelle mesure qui empêche d'interjeter appel de l'ordonnance portant réunion d'instances de la protonotaire?

J'ai déjà statué sur ce point en me prononçant sur la requête en radiation et j'en viens aux mêmes conclusions en ce qui concerne ce volet de la requête.

[79]            c)         Existe-t-il des motifs qui justifient l'intervention de la Cour?

Je suis d'avis que la protonotaire a tenu compte des facteurs appropriés pour conclure que la réunion d'instances convenait en l'espèce. Il s'ensuit que la décision de la protonotaire n'était pas entachée d'une erreur flagrante en ce sens qu'elle aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. Il n'y a donc pas lieu, dans le cadre du présent appel, de modifier sa décision en ce qui concerne la jonction d'instances.

[80]       Acme et Nguyen avancent l'idée que la protonotaire aurait dû instruire la requête en radiation de M. Nguyen avant d'examiner la requête en jonction d'instances de Vogo. J'estime toutefois que cet argument est mal fondé.


[81]       L'appel interjeté par Acme et Nguyen de l'ordonnance portant réunion d'instances de la protonotaire est par conséquent rejeté et les dépens sont adjugés à Vogo.

                                        ORDONNANCE

[82]       IL EST ORDONNÉ :

1.          L'appel interjeté par le défendeur Nguyen de l'ordonnance en date du 29 octobre 2003 par laquelle la protonotaire a rejeté la requête présentée par M. Nguyen en vue de faire radier la déclaration ou de faire suspendre l'instance dans l'action T-1361-03 jusqu'à ce que la Cour ait statué sur l'action T-630-02, et la requête en précisions supplémentaires présentée par M. Nguyen dans l'action T-1361-03, est rejeté et les dépens sont adjugés à la demanderesse Vogo.

2.          L'appel interjeté par les défendeurs Acme et Nguyen de l'ordonnance en date du 29 octobre 2003 et de l'ordonnance ultérieurement modifiée en date du 3 novembre 2003 par lesquelles la protonotaire a ordonné la réunion de l'action T-630-02 et de l'action T-1361-03 est rejeté et les dépens sont adjugés à la demanderesse Vogo.

                                                                            « John A. O'Keefe »              

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :              T-630-02 et T-1361-03

INTITULÉ :               VOGO INC.

et

                                   ACME WINDOW HARDWARE LTD.

et 627749 ALBERTA LTD.

ET ENTRE :

VOGO INC.

              et

TAM NGUYEN

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 13 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 juin 2004

COMPARUTIONS :

Daryl Schnurr

POUR LA DEMANDERESSE

Jay Haugen

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson s.r.l.      

Kitchener (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Parlee McLaws s.r.l.

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS


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