Ottawa (Ontario), le 16 mars 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON
ENTRE :
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario))
[1] Les présents motifs et la présente ordonnance ont été prononcés oralement dans une forme très semblable à l’audience aujourd’hui.
[2] L’outrage au tribunal découle de notre notion de primauté du droit. Personne n’est au-dessus de la loi et personne ne peut faire fi des ordonnances de la Cour. L’ordre public exige que les ordonnances de la Cour soient respectées tant et aussi longtemps qu’elles ne sont pas suspendues ou annulées en appel. Dans la présente affaire, le juge de Montigny a accordé une injonction interlocutoire interdisant au défendeur, Tomasz Winnicki, de communiquer par le moyen d’Internet des messages susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes en raison de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur ou de leur religion, en violation du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[3] La Commission canadienne des droits de la personne a maintenant demandé dans un court délai une ordonnance de justification en application de l’article 467 des Règles des Cours fédérales. Elle souhaite obtenir une ordonnance enjoignant à M. Winnicki de comparaître à une heure et à un lieu précisés pour répondre à des allégations d’outrage relativement à l’ordonnance du juge de Montigny. Si l’ordonnance de justification est rendue, M. Winnicki aura le droit de présenter une défense.
[4] Un des principes fondamentaux de notre système judiciaire est, exprimé par la maxime latine, audi alteram partem. Une partie a normalement le droit d’être entendue. Dans Cooper c. The Wandsworth Board of Works (1863), 143 E.R. 414, à la page 420, le juge Byles cite The King c. The Chancellor of Cambridge (1723), 1 Stra. 557. Dans cette décision, le juge Fortescue a affirmé :
[traduction]
La raison invoquée pour justifier l’absence d’avis n’est jamais acceptable. Les lois divines et les lois humaines permettent à l’intéressé de présenter sa défense, s’il en a une. Je me souviens avoir déjà entendu un homme très instruit dire que même Dieu avait invité Adam à présenter sa défense avant de le condamner […]
[5] Nos règles de procédure permettent que certaines affaires procèdent ex parte, c’est‑à‑dire sans que l’autre partie ne reçoive d’avis. Le paragraphe 467(2) des Règles prévoit expressément qu’une requête « peut être présentée ex parte » [non souligné dans l’original] pour obtenir l’ordonnance de justification.
[6] Avant de traiter du bien-fondé de la requête, qui se limiterait à la question de savoir s’il existe ou non une preuve prima facie de l’outrage au tribunal reproché à M. Winnicki, j’ai fait part d’une certaine réserve quant au fait que la requête soit entendue ex parte.
[7] Au nom de la Commission, M. Whitehall a avancé deux arguments. Il a soutenu que, puisque l’article 467 prévoit qu’un demandeur peut, s’il le désire, demander ex parte une ordonnance de justification, alors la Cour n’a plus le pouvoir discrétionnaire dont elle aurait pu par ailleurs disposer. Son second argument est que, si la Cour dispose encore du pouvoir discrétionnaire d’ordonner que la requête soit entendue après avis, malgré la décision de la Commission de procéder ex parte, alors les circonstances sont telles que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la requête ex parte.
[8] Toute ordonnance ex parte peut être annulée. On peut citer en exemple Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes, [1987] 3 C.F. 654, où il était question d’une procédure relative à un outrage au tribunal. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire nécessitant une requête ex parte au motif que, sans elle, le défendeur pourrait détruire des éléments de preuve. Les injonctions provisoires et les ordonnances Anton Piller viennent à l’esprit. La Cour peut accepter ou non d’entendre de telles requêtes ex parte.
[9] Je compare l’article 467 des Règles à l’article 458 des Règles, ce dernier portant sur les ordonnances de constitution de charges. Cet article prévoit que cette requête doit être entendue ex parte, ce qui appuie ma position selon laquelle la Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire malgré la décision de la Commission de procéder ex parte en application de l’article 467.
[10] Étant donné l’importance des règles de droit s’appliquant à l’outrage, dans l’exercice que je fais de mon pouvoir discrétionnaire, je ne vois aucun motif pour lequel il faudrait refuser à M. Winnicki l’occasion de présenter, s’il le juge indiqué, des observations selon lesquelles le dossier n’établit pas une preuve prima facie de l’outrage qui lui est reproché. La portée de cette défense est restreinte en raison de la procédure en deux étapes dont il est question. Prononcer une ordonnance de justification ne signifie pas qu’il est conclu que M. Winnicki est coupable d’outrage au tribunal. Si une ordonnance de justification est rendue, les Règles prévoient alors qu’il a droit à une audience en bonne et due forme et qu’une déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal doit être fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.
ORDONNANCE
La requête est ajournée sine die. Elle pourra être plaidée à Ottawa quand la signification d’avis à M. Winnicki aura été prouvée.
« Sean Harrington »
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1309-05
INTITULÉ : COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
c.
TOMASZ WINNICKI
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 16 MARS 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 16 MARS 2006
COMPARUTIONS :
Ivan G. Whitehall Judith Parisien |
POUR LA DEMANDERESSE |
|
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Heenan Blaikie s.r.l. Avocats Ottawa (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
|
|
Tomasz Winnicki |
LE DÉFENDEUR POUR SON PROPRE COMPTE |
DAFASDFADSF