Date : 19990831
T-1296-95
ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE " FEDERAL ST. CLAIR "
(DEPUIS REBAPTISÉ LE " HUI FU "), LES PROPRIÉTAIRES ET
TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE
" FEDERAL ST. CLAIR " (DEPUIS REBAPTISÉ LE " HUI FU ")
ET ACTION IN PERSONAM CONTRE FEDERAL PACIFIC LTD., UBEM N.V.
ET FEDNAV INTERNATIONAL LTD.
VOEST-ALPINE STAHL LINZ GmbH |
PREUSSAG HANDEL CANADA CORPORATION |
SAMUEL ET FILS & CIE LTÉE |
TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LA CARGAISON CHARGÉE À BORD DU " FEDERAL ST. CLAIR " (DEPUIS REBAPTISÉ LE " HUI FU ") |
(connaissement no 3CDANMOSP-009), |
FEDNAV INTERNATIONAL LTD. |
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT |
SUR LE " FEDERAL ST. CLAIR " (DEPUIS REBAPTISÉ LE " HUI FU ") |
LE " FEDERAL ST. CLAIR " (DEPUIS REBAPTISÉ LE " HUI FU "), |
MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE |
[1] La Cour statue sur une action en dommages-intérêts faisant suite au transport de 35 bobines en acier galvanisé par immersion à chaud (la cargaison) qui ont été transportées d'Anvers, en Belgique, à Montréal, au Canada, en vertu du connaissement no 3 CDANMOSP-009 délivré à Hambourg, en Allemagne le 15 novembre 1993 ou vers cette date.
[2] La demanderesse Preussag Hetel Canada Corporation réclame aux défendeurs la somme totale de 70 536,08 $. Les parties s'entendent en l'espèce sur le montant de la réclamation, dont voici les détails :
Avaries à la marchandises : 672 425 lbs. - 76 117 lbs. (cargaison avariée totale pondérée - cargaison avariée totale pondérée transportée conformément au connaissement no SP-008) |
596 308 lbs. x $10.25 q = 61 121,57 $ |
LES FAITS
[3] Les demanderesses sont les propriétaires, chargeurs et consignataires de la cargaison, qui se compose de 32 bobines en acier galvanisé par immersion à chaud, qui a été transportée d'Anvers, en Belgique, à Montréal, au Canada, en vertu du connaissement no 3 CDANMOSP-009 délivré à Hambourg, en Allemagne, le 15 novembre 1993. La séquence des événements à l'origine de la réclamation a commencé par la fabrication des bobines en acier galvanisé par immersion à chaud en Autriche, au cours du mois de septembre 1993. Les bobines ont ensuite quitté l'Autriche le 14 octobre 1993 et ont été transportées par péniche sur le canal du Rhin, du Main et du Danube pour arriver deux mois plus tard, au début de novembre 1993, à Anvers. La cargaison a ensuite été chargée le 15 novembre 1993 à bord du Federal St. Clair, qui a quitté Anvers pour arriver à Montréal le 30 novembre 1993. Le 1er et le 2 décembre, la cargaison a été déchargée du navire à Montréal. Entre le 6 et le 15 décembre, la cargaison a été transportée, par camion, du port de Montréal à l'entrepôt de la société Samuel et Fils & Cie de Laval, en banlieue de Montréal. Ce n'est qu'en février 1994, c'est-à-dire au moment où les bobines ont été déroulées en vue d'être utilisées, que la demanderesse Samuel et Fils & Cie a découvert les avaries qui font l'objet de la présente demande.
FAITS ADMIS PAR LES PARTIES
[4] Les parties ont admis les faits suivants dans leur plaidoirie écrite :
- La défenderesse Federal Pacific Ltd. reconnaît être le propriétaire du Federal St. Clair ; |
- La défenderesse Fednav International Ltd. reconnaît être l'affréteur à temps du Federal St. Clair ; |
- Les demanderesses reconnaissent que le contenu de la cargaison n'a pas été inspecté au moment où la cargaison a été déchargée du navire à Montréal les 1er et 2 décembre 1993. |
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES DEMANDERESSES
[5] Les demanderesses affirment que les défendeurs ont reçu la cargaison en bon état à Anvers ainsi qu'en font foi les connaissements. À cet égard, les demanderesses soutiennent que les diverses annotations que l'on trouve sur les connaissements des défendeurs n'ont aucune incidence sur la nature des avaries qui ont été constatées lors de la livraison de la cargaison, en l'occurrence de l'humidité localisée. Les demanderesses affirment que la cargaison a subi des avaries en raison de la condensation et d'une infiltration d'eau alors qu'elle se trouvait sous la garde, les soins et la surveillance des défendeurs, c'est-à-dire au cours de la traversée d'Anvers à Montréal.
[6] Les demanderesses affirment qu'elles se sont acquittées du fardeau de la preuve prévu aux Règles de La Haye " Visby et qu'en conséquence, les défendeurs sont présumés responsables.
[7] Les demanderesses soutiennent que les défendeurs n'ont pas établi que les avaries tombent sous le coup de l'une ou l'autre des exceptions énumérées dans les Règles de La Haye " Visby. Les demanderesses soutiennent qu'il ressort à l'évidence du rapport d'inspection de la cargaison en date du 15 novembre 1993 qu'UBEM a établi avant le chargement et qui a été déposé en preuve sous la cote P-7 conjointement avec les photographies et connaissements pertinents qui y sont annexés que les défendeurs ont reçu en bon état la cargaison qui avait été chargée à bord du Federal St. Clair à Anvers.
[8] Dans son rapport d'inspection, UBEM précise que son mandat consiste à vérifier l'état de la cargaison en question avant son chargement à bord du navire et d'en faire rapport et d'aider le commandant à porter les réserves appropriées sur le billet de bord. Voici les remarques que l'on trouve dans le rapport d'inspection sous la rubrique relative au connaissement no SP009 dans lequel la destination indiquée était Montréal :
Enveloppe de métal comportant de petites taches de rouille aux endroits découverts ; les contours intérieurs et extérieurs de l'emballage sont enfoncés aux points de contact avec le dispositif de levage ; la couche centrale est légèrement fissurée aux endroits où le contenu est exposé. |
[9] Cette description des bobines est confirmée par les photographies 5 et 6 qui accompagnent le rapport et qui montrent que l'état de la cargaison au moment du chargement semble être très différent de l'état dans lequel les bobines ont été retrouvées chez Samuel et Fils & Cie à Montréal. Les petites taches de rouille et les fissures constatées dans l'enveloppe de métal sont considérées comme des avaries mineures qui n'ont rien en commun avec le type d'avaries observées à Montréal.
[10] Sur la foi du témoignage de M. Steve J. Bodzay, chimiste, qui a procédé une analyse de la contamination au sel de mer, il a été conclu que seulement un des cinq échantillons fournis permettait de conclure à une contamination au sel de mer.
[11] Les demanderesses font valoir qu'il ressort du rapport d'inspection produit pour le compte de Hayes Stuart Inc. par M. Francisco Lebrero, commissaire aux avaries, que les bobines munies d'enveloppes étaient rouillées à divers degrés. L'expertise a eu lieu le 9 février 1994 dans les locaux des derniers consignataires, Samuel et Fils & Cie, de Laval. Après examen, la cause des avaries a été imputée au contact avec l'eau au cours du transport. Le commissaire aux avaries reconnaît par ailleurs dans son rapport que des billets sans réserves ont été remis pour des paquets apparemment avariés au motif que les avaries avaient été dissimulées et que les avaries avaient été découvertes après le dégainage des bobines. Suivant l'expert, les avaries se sont produites à bord du navire en raison de l'humidité des cales.
[12] Les demanderesses affirment qu'il ressort également du rapport d'expertise établi par R.P. Bernhardt & Co. le 31 novembre et les 1er et 2 décembre 1993 que la cargaison avait subi des avaries lors du déchargement, étant donné qu'on a observé sur la cargaison qui se trouvait dans la cale du navire des traces de rouille caractéristiques d'une condensation, condensation qui avait fait céder le dessous des panneaux de cale.
[13] Les demanderesses ont démontré qu'une fois déchargée à Montréal, la cargaison a été transportée par camion aux locaux de la Samuel et Fils & Cie entre le 6 et le 15 décembre 1993 conformément à des récépissés de livraison délivrés par la Société canadienne des ports qui ont été déposés en preuve sous la cote P-10. Les demanderesses affirment également qu'en sa qualité de dernier consignataire, la société Samuel et Fils & Cie a reçu les bobines et les a immédiatement empilées dans la zone d'entreposage de son usine de production, en attendent des directives au sujet de la production. La zone d'entreposage en question est entièrement abritée et sa température est contrôlée. Ce n'est que lorsque le moment de traiter les bobines est arrivé que le consignataire a découvert les avaries.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES DÉFENDEURS
[14] Les défendeurs affirment évidemment que les avaries ne se sont pas produites au cours du transport, ainsi qu'en font foi les connaissements qui indiquent que la cargaison a été chargée avec des constatations d'avaries mineures. Les défendeurs ajoutent qu'aucune plainte n'a été formulée au moment de la réception de la cargaison.
[15] Les défendeurs soutiennent que ce ne sont pas tous les navires qui engagent des inspecteurs, mais que dans le cas de ce genre de cargaison " en l'occurrence, de l'acier ", il est conseillé d'en engager un, étant donné qu'il arrive souvent que des dommages-intérêts pour avaries à la cargaison soient réclamés en pareil cas.
[16] Les défendeurs soutiennent que la charge de la preuve incombe aux demanderesses, étant donné que les avaries ont été dissimulées. Ils ajoutent que les demanderesses doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la cargaison a été chargée en bon état et qu'elle a été reçue dans un état avarié.
[17] Les défendeurs soutiennent que l'emballage de cette cargaison permet de penser que les avaries ont pu survenir à tout moment lors de son long périple entre l'Autriche et Montréal.
[18] Les défendeurs se fondent sur le rapport déposé par M. John Bernhardt à la suite de l'inspection qui a eu lieu après le déchargement de la cargaison à Montréal et qui indique que la cargaison était bien arrimée. L'inspecteur a seulement constaté sur la cargaison qui se trouvait dans la cale du navire un peu de moisissure et des traces de rouille caractéristiques d'une condensation, condensation qui avait fait céder le dessous des panneaux de cale.
[19] Les défendeurs citent le témoignage de M. Bernhardt suivant lequel l'inspection n'a pas inspiré suffisamment de réserves particulières pour qu'il y ait lieu d'aviser Fednav International Ltd., comme on n'aurait pas manqué de le faire si l'on avait estimé qu'une telle notification était nécessaire.
[20] En outre, il n'y a eu aucun événement " ou indice d'un événement " qui aurait causé ou contribué à causer le type d'avarie particulière qui aurait été causée à la cargaison en l'espèce et aucune autre demande n'a été présentée au sujet d'avaries causées à des marchandises semblables transportées dans la même cale au cours du même voyage.
[21] Les défendeurs font valoir que les photographies qui ont été prises des bobines après leur déchargement montrent moins de rouille que celles qui ont été prises à l'entrepôt du consignataire. De plus, les reçus de bord ne font état d'aucune marchandise en mauvais état.
[22] Les défendeurs invoquent également le témoignage donné par un expert maritime, M. Adam Perkowski, qui ne souscrit pas à l'avis de l'autre expert suivant lequel les bobines ont pu être recouvertes d'eau parce que, si tel était le cas, on constaterait sur les feuilles de métal une marque circulaire délimitant la présence de l'eau. L'expert explique en outre que la raison pour laquelle il ne fait pas état de condensation dans la cale no 5 dans son rapport est qu'il n'a constaté aucune condensation digne de mention. En ce qui concerne l'eau de mer détectée dans une des bobines, elle est peut-être attribuable à un joint qui s'est relâché alors que le navire fatiguait beaucoup en mer, permettant ainsi à de l'eau de s'infiltrer.
[23] Il ressort des observations formulées par les défendeurs que l'état extérieur de l'emballage n'est pas révélateur de l'état des bobines à l'intérieur et qu'avec des conditions atmosphériques normales, l'emballage n'aurait pas pu rouiller même sur une période de cinq mois.
ANALYSE
[24] La seule question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si les avaries causées à la cargaison sont survenues ou non au cours du transport.
[25] La question de la charge de la preuve se situe donc au coeur du débat. Le droit maritime nous fournit à cet égard les lignes directrices suivantes :
Lorsqu'il est déclaré dans le connaissement que les marchandises ont été expédiées " en bon état apparent ", l'armateur est irrecevable à opposer aux propriétaires de la cargaison que les marchandises comportent des avaries qu'un examen raisonnable aurait aisément permis de constater1. |
[26] En matière de preuve, trois grands principes sont constamment reconnus et appliqués dans la jurisprudence relative aux Règles de La Haye " Visby2 :
- Le transporteur est présumé responsable de la perte ou de l'avarie subie par les marchandises reçues en bon état lorsqu'elles sont constatées manquantes ou débarquées en mauvais état. |
- Les parties sont en règle générale tenues de faire la preuve de tous les faits dont ils ont eu connaissance ; |
- La charge de la preuve n'oblige pas la partie sur qui elle repose à faire la preuve de toutes les circonstances jusqu'à l'absurdité, mais à rapporter la preuve des faits dans la mesure du raisonnable. |
[27] L'auteur William Tetley, à la page 142 de son ouvrage Marine Cargo Claims, explique que les Règles de La Haye " Visby ne précisent pas l'ordre dans lequel le créancier maritime sur facultés et la personne qu'il poursuit doivent présenter leur preuve. Il souligne toutefois la similitude frappante qui existe en ce qui concerne l'ordre de présentation de la preuve exigé par les tribunaux des divers pays qui ont adopté les Règles de La Haye " Visby.
[28] Cet ordre est le suivant :
(i) Le demandeur doit d'abord faire la preuve de sa perte ; |
(ii) Le transporteur doit ensuite prouver : a) la cause de la perte ; b) qu'il a exercé une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question ; c) qu'il est dégagé de toute responsabilité en vertu d'une des clauses d'exonération de responsabilité prévues aux Règles. |
(iii) Le demandeur peut ensuite invoquer divers moyens. |
(iv) Finalement, il y a un moyen terme où les deux parties peuvent rapporter diverses autres preuves supplémentaires. |
1) Ce que le demandeur doit prouver :
Au départ, la charge de la preuve incombe au demandeur, qui doit prouver les six éléments suivants pour établir le bien-fondé de sa cause : |
a) Le demandeur est le propriétaire des marchandises et/ou est la personne qui a le droit de présenter la demande. |
b) Le contrat ou le délit. |
c) La personne visée par la demande est la personne responsable. |
d) La perte ou le dommage a eu lieu alors que les marchandises se trouvaient entre les mains du transporteur. Pour ce faire, on établit habituellement l'état dans lequel étaient les marchandises lorsque le transporteur les a reçues et leur état lors du déchargement. |
e) L'ampleur matérielle du dommage ou de la perte. |
f) La valeur pécuniaire réelle de la perte ou du dommage. |
2) Ce que le transporteur doit alors prouver :
Le transporteur doit alors prouver les trois éléments suivants:
b) La diligence raisonnable exercée pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question. |
c) L'un des moyens d'exonération suivants : |
(i) une erreur dans la navigation ou dans la conduite du navire ; |
(iii) des périls de la mer et autres moyens semblables, c'est-à-dire les " cas fortuits ", les faits de guerre, les faits d'ennemis publics, la contrainte de prince, la quarantaine, les grèves, les émeutes, et les sauvetages ; |
(iv) des actes ou des omissions du chargeur ; |
(v) un vice propre à la marchandise ; |
(vi) une insuffisance d'emballage ; |
(viii) toute autre cause. |
3) Moyens que le demandeur peut alors invoquer :
a) Négligence lors du chargement ; |
b) Négligence lors de l'arrimage ; |
c) Absence d'une partie de la cargaison ; |
d) Négligence lors du déchargement3. |
[29] On trouve une confirmation du raisonnement qui précède au sujet de l'ordre de présentation de la preuve dans le jugement Francosteel Corp. c. Fednav Limited, (1991) A.M.C. 1078, (1990) 37 F.T.R. 184, dans lequel le juge Rouleau affirme ce qui suit :
Les précédents sont clairs : il incombe au demandeur de prouver que les biens ont été endommagés au moment où ils étaient entre les mains du transporteur. Pour ce faire, il cherche habituellement à montrer que les biens ont été remis au transporteur en bon état et qu'ils ont été reçus endommagés. Le transporteur doit ensuite illustrer que les dommages s'inscrivent dans une clause d'exemption prévue dans les Règles de La Haye ; s'il réussit, il incombe au demandeur de prouver que les dégâts sont le résultat d'une négligence de la part du transporteur. Si toutefois ce dernier ne peut établir que les dégâts font l'objet d'une exemption, il lui appartient alors de prouver que sa propre négligence ne serait pas la source des pertes. (Voir Vancouver SS. Co. c. Herdman & Sons, (1933) 45 Ll. L. Rep. 223 ; Kruger Inc. et al c. Baltic Shipping Co., (1989) 57 D.L.R. (4th) 498, à la 502; Associated Metals et Minerals Corp. c. Etelac Suomin Laiva (1989) A.M.C. 677 ; Caemint Food Inc. (1981) A.M.C. 1801). |
[30] Sur le fondement de cet ordre de présentation accepté, la Cour doit d'abord décider si les demanderesses se sont acquittées du fardeau de preuve qui leur incombait de démontrer que la cargaison a été reçue en bon état à Anvers le 13 novembre 1993 et qu'elle était avariée à son arrivée au port de Montréal.
[31] Après avoir entendu les divers témoins, dont certains ont témoigné à titre d'experts, et après avoir étudié les pièces constituées de rapports appuyés de photographies, de récépissés et de connaissements, je suis convaincu que les avaries sont effectivement survenues alors que la cargaison se trouvait sous les soins, la garde et la surveillance des défendeurs, c'est-à-dire au cours de la traversée d'Anvers à Montréal, et que ces avaries sont imputables à de la condensation et à une infiltration d'eau.
[32] Les éléments de preuve les plus révélateurs sont les photographies qui ont été soumises avec les rapports d'inspection et qui démontrent systématiquement que, même si elles n'étaient pas en parfait état avant d'être chargées à bord du navire à Anvers, étant donné que de légères taches de rouille avaient été constatées, les bobines on néanmoins subi des avaries considérables qui ne peuvent avoir eu lieu qu'au cours de la traversée, étant donné que les photographies prises une fois que la cargaison a été déchargée à Montréal montrent des signes de rouille prononcée.
[33] À mon avis, ces conclusions sont appuyées par les quatre rapports qui ont été soumis à la Cour, indépendamment des termes différents qui ont été employés pour qualifier l'état des bobines illustré par les photos. Les rapports d'inspection en question sont les suivants :
1. Le rapport d'expertise d'UBEM, un rapport d'inspection de la cargaison avant le chargement. Cette inspection a été effectuée à la demande de Fednav International Ltée au bassin municipal d'Anvers entre le 12 et le 15 novembre 1993 ; |
2. Le rapport de l'inspection effectuée par R.P. Bernhardt & Co. une fois que la cargaison a été chargée à bord du Federal St. Clair. Cette inspection a été effectuée à la demande de Fednav International Ltée à Montréal le 30 novembre et les 1er et 2 décembre 1993 ; |
3. Le rapport de l'inspection effectuée par Fisher-Perkowski à la demande de Fednav International Ltée au port de Détroit entre le 6 et le 8 décembre 1993 ; |
4. Le rapport d'inspection effectuée par Hayes Stuart Inc. à la demande de Preussag Hetel Canada Corporation le 9 février 1994 et à des dates ultérieures dans les locaux du consignataire final, Samuel et Fils & Cie. |
[34] Il ressort du rapport produit par R.P. Bernhardt & Co. à la suite de l'inspection effectuée par cette société à Montréal le 30 novembre et les 1er et 2 décembre 1993 à la demande de Fednav International Ltée que, lors du déchargement de la cargaison à Montréal, la cargaison était [TRADUCTION] " bien arrimée [...] avec légère moisissure et traces de rouille caractéristiques d'une condensation ayant fait céder le dessous des panneaux de cale ". Compte tenu de l'état de la cargaison illustrée par les photos qui accompagnent ce rapport, notamment les photos nos 1, 2 et 24, je ne puis souscrire à ces conclusions. Si je compare ces photos avec celles qui ont été prises à Anvers et qui accompagnent le rapport d'inspection d'UBEM, en particulier les photos numérotées 5 et 6, je suis convaincu que les avaries sont survenues au cours du voyage entre Anvers et Montréal.
[35] L'avocat des défendeurs a vaillamment défendu sa thèse devant la Cour en soutenant que les avaries avaient tout aussi bien pu se produire n'importe où entre l'Autriche et l'entrepôt du consignataire. Mais il n'en demeure pas moins que la Cour ne dispose d'aucun élément d'information au sujet des conditions d'entreposage à l'usine de fabrication autrichienne, des conditions de transport entre l'Autriche et Anvers ou des conditions d'entreposage à Anvers avant l'embarquement. Qui plus est, l'entrepôt du consignataire à Laval est parfaitement abrité et sa température est contrôlée.
[36] Compte tenu de ces observations, il appartient à la Cour de conclure que, selon toute vraisemblance, il semble que la cargaison ait été chargée en bon état à bord du navire à Anvers et qu'elle ait été découverte en mauvais état, plus de deux mois après son déchargement, dans les locaux du consignataire, lorsque les bobines ont été déroulées pour la première fois depuis leur arrivée.
[37] Me reportant au rapport d'expertise de Hayes Stuart Inc., et plus particulièrement aux photographies 1 à 6, je suis convaincu que, lorsqu'on les a déroulées, les bobines ont révélé la présence de taches d'humidité à des degrés divers. Il semble également que les taches d'humidité se répétaient dans la même zone dans les replis successifs des cinq bobines qui ont été examinées par l'expert de Hayes Stuart Inc., ce qui permet de conclure à une humidité localisée et à une immersion partielle dans l'eau4.
[38] Comme les demanderesses se sont déchargées du fardeau de preuve qui leur incombait, le transporteur est présumé responsable des avaries subies, à charge par lui de combattre cette présomption en démontrant que la perte est imputable à une autre cause et qu'il a exercé une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité au début du voyage ou d'invoquer l'une des clauses d'exonération de responsabilité.
[39] J'estime que les défendeurs n'ont pas réussi à combattre la présomption suivant laquelle la cargaison a été chargée en bon état au port d'Anvers et je donne par conséquent gain de cause aux demanderesses.
IDENTITÉ DU TRANSPORTEUR
[40] Les demanderesses ont adopté le point de vue selon lequel tant la Federal Pacific Ltd., en tant que propriétaire du navire, que la Fednav International Ltée, en sa qualité d'affréteur à temps, sont responsables des avaries, étant donné qu'elles exploitaient une coentreprise.
[41] Il est acquis au débat que les Règles de la Haye " Visby5 constituent la convention applicable entre les parties. L'Article I dispose :
Definitions
In these Rules the following expressions have the meanings hereby assigned to them respectively, that is to say,
(a) "carrier" includes the owner or the charterer who enters into a contract of carriage with a shipper;
(b) "contract of carriage" applies only to contracts of carriage covered by a bill of lading or any similar document of title, in so far as such document relates to the carriage of goods by water, including any bill of lading or any similar document as aforesaid issued under or pursuant to a charter-party from the moment at which such bill of lading or similar document of title regulates the relations between a carrier et a holder of the same;
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Définitions
Dans les présentes règles, les mots suivants sont employés dans le sens précis indiqué ci-dessous :
a) "_transporteur_" comprend le propriétaire du navire ou l'affréteur, partie à un contrat de transport avec un chargeur ;
b) "_contrat de transport_" s'applique uniquement au contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par eau, il s'applique également au connaissement ou document similaire émis en vertu d'une charte-partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement;
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Le paragraphe 8 de l'Article III prévoit en outre ce qui suit :
8. Any clause, covenant or agreement in a contract of carriage relieving the carrier or the ship from liability for loss or damage to or in connection with goods arising from negligence, fault or failure in the duties et obligations provided in this Article or lessening such liability otherwise than as provided in these Rules, shall be null and void and of no effect.
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8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou obligations édictés dans le présent article ou atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes règles sera nul, non avenu et sans effet.
|
[42] Dans le jugement Union Carbide Corp. c. Fednav Ltée., [1997] F.C.J. No. 655, le juge Nadon a procédé à une analyse de la jurisprudence de la Cour suprême et s'est penché sur la question de la définition du transporteur et de l'affréteur à temps. Le juge a affirmé, à la page 254, que les principes de droit applicables en la matière avaient été établis il y a fort longtemps par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Paterson Steamships Ltd. v. Aluminum Co. of Canada, [1951] R.C.S. 852.
[43] Si la Cour a bien compris, le rôle habituel de l'affréteur consiste à trouver de la place pour des marchandises à bord d'un navire. Une fois qu'il a réservé de la place à bord du navire, l'affréteur à temps trouve des marchandises à transporter et demande au transporteur ou à l'armateur de les transporter. Le transporteur ou l'armateur délivre ensuite un connaissement qui devient le contrat de transport liant les chargeurs et le transporteur.
[44] Dans le jugement Carbide, citant l'arrêt Paterson Steamships dans lequel les clauses usuelles de ce type d'affrètement avaient été stipulées, le juge Nadon a conclu, à la page 255 :
Dans l'arrêt Paterson Steamship, à la page 854, le juge Rand établit clairement qu'en vertu d'une telle charte-partie à temps, le propriétaire du navire est le transporteur et qu'en délivrant le connaissement, le capitaine est son mandataire. On ne peut s'y opposer que s'il peut être prouvé que l'affréteur à temps s'est expressément engagé à transporter les marchandises.
[45] De plus, dans l'affaire Carbide, l'avocat des demanderesses soutenait que tant l'armateur que l'affréteur pouvait être le " transporteur ", compte tenu de la théorie de la coentreprise élaborée par le professeur Tetley que l'on trouve à la page 242 de son ouvrage Marine Cargo Claims , 3e éd., 1988. Le professeur Tetley affirme ce qui suit :
[TRADUCTION] Généralement, l'action peut être intentée contre l'armateur et l'affréteur. Dans l'arrêt The Quarrington Court, le tribunal a jugé qu'un connaissement délivré par un affréteur sur sa propre formule et signé par l'agent de l'affréteur pour le capitaine, conformément à l'autorisation écrite du capitaine, liait à la fois l'armateur et l'affréteur. Dans d'autres jugements, l'affréteur a été tenu responsable sur le plan contractuel et l'armateur, responsable sur le plan délictuel. |
Le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise d'armateurs et d'affréteurs (sauf dans le cas d'un affrètement coque nue), si bien qu'ils devraient être tenus solidairement responsables comme transporteurs. [Renvois omis.] |
[46] Le juge Nadon a formulé des observations au sujet de cet argument de l'avocat que le juge Reed avait retenu dans l'arrêt Canastrand Industries Ltd. c. Le Lara S. et al., [1993] 2 C.F. 553. Il s'est dit en désaccord avec l'affirmation générale selon laquelle, lorsque des marchandises sont chargées à bord d'un navire affrété à temps, le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise. Le juge Nadon explique ce qui suit, à la page 264 : |
Madame le juge Reed semble souscrire à la théorie du professeur Tetley selon laquelle, lorsque des marchandises sont chargées à bord d'un navire affrété à temps, le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise entre les propriétaires de ce navire et les affréteurs à temps. Je ne peux accepter la justesse de cette opinion. Premièrement, une telle conclusion est contraire aux décisions de la Cour suprême dans les arrêts Paterson Steamships et Aris Steamship. Deuxièmement, il ne peut exister de coentreprise entre le propriétaire et les affréteurs que s'il y a eu accord de volontés entre les parties à la coentreprise. Peut-on affirmer qu'en signant une charte-partie New York Produce Exchange, comme c'est le cas en l'espèce, le propriétaire et les affréteurs ont convenu de transporter conjointement les marchandises chargées à bord du navire ? À mon avis, non. Troisièmement, pour souscrire à l'opinion du professeur Tetley, il faut oublier que la Cour d'appel fédérale a clairement statué que la question de l'identité du transporteur est liée aux documents et aux circonstances de l'affaire. (Voir Sucre Lantic Limitée. c. Blue Tower Trading Corp. (1994), 163 N.R. 191)6. |
[47] Il semblerait donc qu'à défaut d'entente sur la création d'une entreprise spécifique, la thèse de la coentreprise ne peut trouver application que si, au vu des pièces versées au dossier et des faits de l'espèce, il est évident qu'une telle entreprise a été constituée. |
[48] Aucune entreprise spécifique n'a été créée en l'espèce, et vu la thèse de la coentreprise dont le juge Nadon a précisé la portée, ainsi que les pièces versées au dossier, en l'occurrence le connaissement et l'affrètement à temps, et les faits de l'espèce qui ont déjà été exposés, je rejette l'argument des demanderesses et je conclus que le transporteur désigné comme étant Federal Pacific n'exerçait pas en fait une coentreprise avec l'affréteur à temps Fednav International pour la livraison de la cargaison. |
[49] Compte tenu des motifs exposés, je suis d'avis que les demanderesses se sont acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer que le transporteur avait reçu la cargaison en bon état à Anvers, en Belgique, mais qu'il l'a livré en mauvais état à Montréal. Comme le transporteur ne s'est pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer que les avaries subies par la cargaison tombent sous le coup d'une des exceptions prévues à l'Article IV des Règles de La Haye " Visby, la Cour donne gain de cause aux demanderesses et condamne l'armateur, la défenderesse Federal Pacific Ltd., à payer la somme de 70 536,08 $ conformément à l'accord intervenu entre les parties au sujet du montant des dommages-intérêts, ainsi que les intérêts composés calculés au taux d'intérêt sur les prêts préférentiels majoré de deux pour cent par année à compter du 15 novembre 1993 jusqu'à la date du paiement, ainsi que les dépens, dont les frais des experts, du témoignage des experts et des rapports d'expertise. |
[50] L'action intentée contre la défenderesse, l'affréteur à temps Fednav International Ltée, est rejetée avec dépens, lesquels sont fixés à 2 000 $. |
Traduction certifiée conforme |
Laurier Parenteau, LL. L. |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER |
INTITULÉ DE LA CAUSE : VOEST-ALPINE STAHL LINZ GmbH et al. c. Le " FEDERAL ST. CLAIR " (DEPUIS REBAPTISÉ LE " HUI FU ") |
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal |
DATES DE L'AUDIENCE : Les 17, 18 et 19 mai 1999 |
MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Blais
ONT COMPARU :
Me Jean-François Bilodeau pour les demanderesses |
Me Peter Davidson pour les défenderesses |
Fednav International Ltée |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Sproule, Castonguay, Pollack pour les demanderesses |
Montréal
Brisset Bishop pour les défenderesses |
Montréal Federal Pacific Ltd. et |
Fednav International Ltée |
__________________
1 Canadian Encyclopedic Digest, Shipping, Third Edition, 1998 Thomson Canada Limited, Carswell, " 334.
2 William Tetley, Marine Cargo Claims, Troisième édition, 1988, Les Éditions Yvon Blais, à la page 133.
3 Supra, note 2, aux pages 142 et 143.
4 Rapport d'expertise de Hayes Stuart, à la page 5.
5 Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21, Règles de La Haye " Visby (annexe I).
6 Union Carbide Corp. c. Fednav Ltée, [1997] F.C.J. No. 655.