Date : 20011210
Dossier : IMM-2851-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1353
Entre :
XIAOFEI GUO
demanderesse
- et -
LE MINISTRE
DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE KELEN
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, ch. F-7, contre la décision du 5 mai 2000 par laquelle l'agente des visas Delphina Oequaye, du Haut-Commissariat du Canada à Londres (R.-U.), a refusé la demande de visa d'étude que la demanderesse avait faite.
LES FAITS
[2] En janvier 2000, la demanderesse, alors âgée de 17 ans et originaire de la Chine, a présenté au Haut-Commissariat du Canada à Londres (R.-U.) une demande d'entrée temporaire au Canada en tant qu'étudiante conformément à l'article 10 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, (la Loi) :
Visas d'étudiant et d'emploi
10. Sauf cas prévus aux règlements, est tenu de présenter une demande auprès de l'agent des visas et d'obtenir l'autorisation nécessaire avant de se présenter à un point d'entrée quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, cherche à venir au Canada aux fins :
a) de faire des études dans une université ou un collège autorisé par la loi ou par une charte à délivrer des diplômes;
b) de suivre des cours de formation générale, théorique ou professionnelle dans une université, un collège ou un autre établissement non visés à l'alinéa a);
c) d'occuper un emploi.
[3] La demande a été confiée à l'agente des visas Delphina Oequaye pour qu'elle détermine si la demanderesse respectait les critères énoncés dans la Loi. L'un de ces critères figure à l'article 9(1.2) de la Loi, qui prévoit :
Charge de la preuve
9(1.2) La personne qui demande un visa de visiteur doit convaincre l'agent des visas qu'elle n'est pas un immigrant.
[4] Le 5 mai 2000, la demanderesse s'est présentée au Haut-Commissariat du Canada à Londres et l'agente des visas Ocquaye l'a interrogée relativement à la demande d'autorisation d'étude qu'elle avait faite pour poursuivre ses études au Canada. La demanderesse voulait suivre un cours d'anglais intensif ainsi qu'un cours préparatoire à l'université (O.A.C.) au Cambridge International College of Canada à Toronto.
[5] La demanderesse a déclaré vouloir étudier au Canada au motif qu'elle avait entendu dire que le système d'éducation du Canada était supérieur à celui de l'Irlande, où elle étudiait au moment de sa demande, et parce qu'elle croyait qu'un diplôme canadien serait mieux reconnu en Chine.
[6] La demanderesse a déclaré vouloir retourner en Chine parce qu'elle manquerait à ses parents. L'agente des visas a souligné que la demanderesse n'avait aucune connaissance véritable du Canada, qu'elle n'avait pas cherché à suivre d'autres cours en Irlande, au R.-U. ou en Chine et qu'elle ne pouvait fournir aucune raison valable expliquant pourquoi elle ne pouvait pas poursuivre ses études en Irlande. Elle a fait une demande de visa d'étude à partir du Royaume-Uni parce qu'elle croyait ne pas pouvoir obtenir de visa à partir de la Chine.
[7] Après une entrevue de 20 minutes, l'agente des visas a rejeté la demande.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[8] Les questions en litige dans la présente affaire sont les suivantes :
i. L'agente des visas a-t-elle privé la demanderesse de l'équité procédurale en ne lui fournissant pas une possibilité significative de la convaincre du mal-fondé de ses réserves?
ii. L'agente a-t-elle commis une erreur en évaluant la bonne foi de la demanderesse?
iii. L'agente a-t-elle appliqué le mauvais critère?
LA NORME DE CONTRÔLE
[9] Dans Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1125, 2001 CFPI 751, le juge Teitelbaum a conclu que :
La norme de contrôle applicable à ce genre de décision - c'est-à-dire la décision discrétionnaire de l'agent des visas - est celle qu'a énoncée le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :
C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
Dans Wang c. Canada (M.C.I.),[2001] A.C.F. no 95 (IMM-2813-00, 25 janvier 2001), renvoyant à l'extrait qui précède de même qu'à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, le juge Rouleau a statué que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter [non souligné dans l'original].
La norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.
ANALYSE
Le critère de la bonne foi
[10] Dans Li c. M.C.I. 2001 CFPI 791, [2001] A.C.F. no 1144 (C.F. 1re inst.), le juge Muldoon a déclaré au paragraphe 26 :
Le paragraphe 9(1.2) [de la Loi sur l'immigration] exige que toute personne qui demande un visa de visiteur convainque l'agent des visas qu'elle n'est pas un immigrant. Il s'agit d'une présomption légale selon laquelle une personne qui présente une demande de visa de visiteur est un immigrant et, bien entendu, aura besoin d'un visa d'immigrant.
[11] Le juge Rouleau a précisé ce critère dans Zheng c. M.C.I. (2001), 13 Imm. L.R. (3d) 226, [2001] A.C.F. no 110 (C.F. 1re inst.), où il a écrit que :
À mon avis, il ressort clairement de l'affidavit de l'agente des visas que celle-ci a examiné la question de savoir s'il était probable que le demandeur retourne en Chine après avoir terminé ses études, ce qui, en fait, constitue le critère juridique qu'il convient d'appliquer.
L'agente des visas a conclu que la demanderesse n'était pas un véritable visiteur en raison de plusieurs facteurs.
Les facteurs non pertinents pris en considération par l'agente des visas
[12] En l'espèce, les notes du STIDI de l'agente des visas démontrent que celle-ci s'est fondée sur des facteurs que la Cour a jugé n'avoir absolument aucune pertinence.
[13] L'agente des visas a tenu compte du fait que la demanderesse s'était rendue en Irlande pour y étudier et pour ensuite faire une demande de visa d'étude au Canada à partir du R.-U. parce qu'il était plus facile d'obtenir un visa à partir du R.-U. qu'à partir de la Chine. L'agente des visas a également estimé que rien n'empêchait la demanderesse de poursuivre ses études d'anglais en Irlande. Dans Wang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (précité), le juge Rouleau a conclu au paragraphe 25 :
En outre, plusieurs des conclusions de l'agente d'immigration contenues dans les notes du STIDI ne sont pas pertinentes. En particulier, la question de savoir pourquoi le demandeur, qui venait d'arriver au Royaume-Uni en provenance de la Chine et qui voulait étudier au Canada, n'a pas présenté sa demande en Chine ainsi que celle de savoir s'il avait fait une demande d'étude dans un programme similaire au Royaume-Uni ne sont absolument pas pertinentes et n'auraient pas dû constituer un facteur d'évaluation.
La décision Wang est directement applicable à la présente affaire. Wang, le demandeur, était âgé de dix-sept ans, le même âge que la demanderesse en l'espèce, lors du dépôt de la demande de visa d'étude. Dans l'affaire Wang, le demandeur avait fait une demande de visa d'étude au Canada à partir du R.-U. plutôt qu'à partir de la Chine. Il s'agit d'un facteur que l'agente des visas a pris en considération dans son évaluation selon laquelle le demandeur de visa de visiteur n'était pas de bonne foi. Le juge Rouleau a conclu que ce facteur n'était « absolument pas pertinen[t] » et qu'il n'aurait pas dû constituer un facteur d'évaluation. En l'espèce, je suis la conclusion du juge Rouleau à cet égard.
[14] Dans la présente affaire, l'agente des visas a estimé que constituait un facteur pertinent le fait que la demanderesse n'ait pas présenté une demande d'étude dans un programme similaire au Royaume-Uni. Le juge Rouleau a conclu dans Wang que ce facteur n'était absolument pas pertinent et qu'il n'aurait pas dû constituer un facteur d'évaluation. Je suis la conclusion du juge Rouleau à cet égard.
Le facteur pertinent non pris en considération
[15] L'agente des visas n'a pas tenu compte d'un facteur très pertinent, à savoir les liens de la demanderesse avec la Chine, lesquels auraient démontré la probabilité qu'elle y retourne après ses études. Ses liens avec la Chine consistent en ses parents, qui réussissent bien et qui occupent des postes importants. Son père est directeur général de la police et sa mère travaille comme directrice des services financiers pour le gouvernement et pour plusieurs sociétés. La demanderesse est enfant unique et a déclaré dans son affidavit qu'elle retournerait en Chine parce qu'elle manquerait à ses parents. J'estime qu'il ressortait également du dossier que la demanderesse s'ennuierait de ses parents. Elle poursuit ses études au Canada sur la recommandation de son père. Elle était toujours mineure au moment de sa demande de visa d'étude et son père désire qu'elle fasse ses études au Canada. Rien n'indique que l'agente des visas ait examiné et rejeté ce facteur pertinent quant à la question de savoir si la demanderesse était un véritable visiteur. L'agente des visas doit démontrer qu'elle a tenu compte d'un facteur très pertinent qui contredit la conclusion selon laquelle la demanderesse ne retournerait pas en Chine.
CONCLUSION
[16] La décision de l'agente des visas est déraisonnable puisqu'elle se fonde sur deux facteurs que la Cour a déjà jugé « absolument pas pertinent[s] » et puisqu'elle n'a pas tenu compte d'un facteur très pertinent.
ORDONNANCE
[17] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée au défendeur pour qu'un autre agent des visas statue sur elle.
« Michael A. Kelen » ___________________________
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
LE 10 DÉCEMBRE 2001
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2851-00
INTITULÉ : Xiaofei Guo et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 20 novembre 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
EN DATE DU : 10 décembre 2001
ONT COMPARU
Mme Nancy Myles Elliott POUR LA DEMANDERESSE
M. James Brender POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Mme Nancy Myles Elliott POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada