Date : 20030930
Dossier : IMM-5738-02
Référence : 2003 CF 1120
Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
MARGARET L. KOUK KING
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Introduction
[1] Margaret L. Kouk King ( la « demanderesse » ) présente une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue le 31 octobre 2002 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( la « Commission » ).
Les faits
[2] La demanderesse est une citoyenne du Libéria âgée de 24 ans. Elle prétend qu'elle est une personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, soit celui des femmes qui craignent de subir des mutilations génitales ( « MGF » ).Elle prétend en outre avoir la qualité de personne à protéger suivant l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 ( la « Loi » ).
[3] La demanderesse a obtenu un diplôme d'une école publique en juillet 2000. Elle déclare qu'elle a déménagé dans la ville de Buchanan pour suivre sa douzième année d'études parce que sa mère voulait qu'elle vive près de la région de Bassa, une région éloignée des centres urbains, où elle devait subir l'excision et où elle devait être initiée à la « Sande Secret Society » , une société secrète de femmes ( la « Société » ).
[4] Au cours de cette année d'études, la demanderesse a vécu chez le frère de sa mère et elle l'a aidé à faire les travaux ménagers. La demanderesse a déclaré qu'au cours de l'été 2000 sa mère lui a rendu visite et lui a dit qu'elle subirait l'excision en décembre 2001. La mère de la demanderesse, membre de la Société, avait fait des dons à la Société afin que l'excision de sa fille soit préparée. Il était prévu que la demanderesse serait invitée à joindre la Société après avoir subi l'excision.
[5] À la fin de sa douzième année d'études, la demanderesse est allée vivre à Monrovia sans en informer sa mère. Elle vivait chez une amie et elle travaillait dans une boutique où elle tressait des cheveux. Elle cherchait une possibilité de quitter le Libéria et elle a pu devenir membre de la délégation du Libéria aux jeux mondiaux d'Edmonton grâce à l'aide d'Hector Hilton, un membre du comité national olympique du Libéria qu'elle connaissait parce qu'il avait été son professeur d'éducation physique. La demanderesse est partie pour Edmonton le 17 août 2001. Elle y a revendiqué le statut de réfugiée le 20 août 2001.
La décision de la Commission
[6] La Commission a déclaré qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi permettant d'établir que la demanderesse était une personne qui avait raison de craindre d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés dans la Convention. La Commission a en outre conclu que la demanderesse n'avait pas « la qualité de personne à protéger » suivant la Loi.
[7] Bien qu'elle ait accepté que la demanderesse avait l'identité qu'elle prétendait avoir et qu'elle faisait partie de la tribu Bassa par sa mère, la Commission a conclu qu'elle n'avait pas soumis des éléments de preuve dignes de foi au soutien de sa demande.
[8] Dans sa décision, la Commission a tiré de nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité. Elle a mentionné que la demanderesse a déclaré qu'elle avait peur d'agents qui tenteraient de l'enlever à la demande de sa mère et de la conduire dans une région éloignée des centres urbains pour qu'elle subisse l'excision. La Commission a déclaré que la demanderesse avait omis de mentionner la question des « agents » dans son FRP et que cette omission avait porté atteinte à sa crédibilité. La demanderesse a en outre déclaré qu'il est fréquent que des filles soient conduites de force dans une région éloignée des centres urbains pour subir une mutilation génitale. La Commission a conclu que cette déclaration était vague et peu vraisemblable. La Commission a en outre mentionné que la preuve documentaire démontre qu'il existe au Libéria des groupes qui font de l'éducation et qui mènent des études sur la prévention des MGF.
[9] La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi lorsqu'elle a déclaré qu'elle n'avait pas révélé à sa colocataire à Monrovia, qui était une amie intime, qu'elle était désignée pour subir une mutilation génitale. La Commission n'a pas accepté, notamment parce que sa mère était à sa recherche à ce moment, que la demanderesse ait pu informer son ancien entraîneur sportif à cet égard, mais pas son amie.
[10] La Commission a conclu qu'il était peu vraisemblable que la demanderesse ait travaillé pour Hector Hilton en livrant des lettres dans la ville de Monrovia alors que sa mère était à sa recherche dans cette ville. La Commission a conclu que cet élément de preuve n'appuyait pas une crainte subjective de persécution et elle a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi.
[11] La Commission a en outre conclu que la lettre d'appui d'Hector Hilton ne mentionnait pas l'excision, soit la raison invoquée par la demanderesse pour sa fuite du Libéria. La demanderesse a témoigné qu'elle ne pensait pas que c'était important qu'il en soit fait mention étant donné qu'elle avait expliqué sa revendication aux agents d'immigration. La Commission n'a pas accepté l'explication à cet égard et elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. De la même façon, la Commission a jugé comme étant intéressée une lettre signée par le frère de la demanderesse étant donné qu'elle ne comportait aucun renseignement à l'égard de la famille à l'exception d'une déclaration selon laquelle la mère de la demanderesse était à sa recherche.
[12] La Commission a mentionné que la demanderesse a déclaré que les filles subissaient l'excision entre l'âge de 20 et 23 ans, mais que souvent elle la subissait dès l'âge de 8 ans. La Commission a examiné la preuve documentaire à l'égard des MGF au Libéria, y compris la réponse à une demande d'information datée du 18 mars 2002. Cette réponse comportait les renseignements suivants :
[TRADUCTION]
Bien que le rôle de Sande se soit modifié au fil du temps, l'éducation des jeunes filles demeure une responsabilité clé de ses chefs. En théorie, toutes les femmes appartiennent à Sande, et son rôle officiel dans la vie des femmes débute à la puberté, quand les jeunes filles doivent entreprendre une période de formation rigoureuse qui marque le passage de l'enfance à la vie adulte (7 juin 2001).
La Commission a posé des questions à la demanderesse à l'égard de l'âge d'initiation mentionné, qui était beaucoup plus jeune que celui que la demanderesse mentionnait en décrivant l'expérience qu'elle avait vécue. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi permettant d'établir que la demanderesse était une personne qui avait raison de craindre d'être persécutée.
[13] La Commission a en outre conclu que la demanderesse n'avait pas la « qualité de personne à protéger » suivant la Loi en raison de l'absence d'éléments de preuve dignes de foi au soutien de sa revendication. Par conséquent, la revendication de la demanderesse a été rejetée.
Les questions en litige
[14] Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soulève les questions en litige suivantes :
A. La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu'elle a tiré des inférences défavorables quant à la crédibilité et quant à la vraisemblance du récit de la demanderesse?
B. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de contrôle en omettant de tenir compte de l'ensemble de la preuve documentaire dont elle disposait?
La norme de contrôle
[15] La demanderesse conteste les inférences défavorables quant à la crédibilité et quant à la vraisemblance tirées par la Commission. La norme de contrôle appropriée à l'égard des conclusions de fait et des inférences quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. La Cour d'appel fédérale a statué que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Dans la mesure où les inférences tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, ses conclusions sont à l'abri d'un contrôle judiciaire : voir à cet égard l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317.
Analyse
La preuve documentaire à l'égard du Libéria
[16] Les renseignements compilés par la Direction de la recherche ( la « Direction » ) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié estiment que 60 pour 100 des femmes et des filles au Libéria subissent des mutilations génitales. On dit que treize groupes ethniques, y compris le Bassa, sont des adeptes de la pratique des MGF. Bien que certains experts estiment que la guerre civile peut avoir eu pour effet de réduire à 10 pour 100 la pratique des mutilations génitales sur la population féminine, il n'existe pas de statistiques exactes. Les renseignements mentionnent en outre qu'en 1985, le « Liberian National Committee » a mené une étude sur les attitudes à l'égard des MGF et de leur prévention. Le rapport sur le pays préparé par le Département d'État des États-Unis (DOS) à l'égard des MGF au Libéria, communiqué le 1er juin 2001 et que la Commission mentionne expressément dans ses motifs, confirme qu'avant le début de la guerre, dans les régions rurales, approximativement 50 pour 100 des femmes entre l'âge de 8 ans et de 18 ans subissaient des mutilations génitales. Le rapport confirme que la pratique a fait partie d'une coutume et d'une tradition dans les régions les plus éloignées et qu'elle n'est pas aussi répandue dans les centres urbains chez les gens instruits. Cependant, la pratique des MGF dans les régions plus peuplées, comme à Monrovia, dépend de l'éducation, de la classe sociale et des liens de la famille avec la vie rurale. Le rapport du DOS énonce que depuis la fin de la guerre civile les sociétés traditionnelles se réétablissent dans tout le pays et qu'on peut s'attendre à ce que des pratiques comme les MGF augmentent de nouveau dans les régions rurales chez les groupes pour lesquels de telles pratiques sont un rite de passage important. On ne sait pas encore si la reprise de ces pratiques atteindra le niveau d'avant-guerre. Le rapport énonce en outre que le Liberian National Committee a commencé à se restructurer en 1994 afin de continuer à informer les femmes et les jeunes filles des effets nocifs de la pratique des MGF pour la santé. Toutefois, l'appui des dirigeants des collectivités, des aînés, des chefs et des autorités gouvernementales fait toujours défaut.
[17] L'ensemble de la preuve documentaire brosse un portrait incertain de la pratique des MGF au Libéria. On ne sait pas quel niveau atteindra la pratique. Ce qui est clair c'est qu'il n'existe pas de loi interdisant les MGF au Libéria et il semble y avoir peu d'appui de la part des dirigeants des collectivités, des aînés, des chefs et des autorités gouvernementales pour freiner la pratique. Les rapports sur les efforts du Liberian National Committee ne sont pas récents et il n'existe pas de preuve à jour démontrant que le travail de cet organisme a eu quelque résultat que ce soit. À l'encontre de cette preuve, la Commission disposait du témoignage de la demanderesse, qui touchait la situation particulière de la demanderesse et qui était actuel. Le témoignage non contesté de la demanderesse est que sa mère, qui a des liens avec la région rurale de Buchanan, fait partie de la tribu Bassa et est membre de la Sande Secret Society. Pendant de nombreuses années, la mère de la demanderesse a payé des contributions afin que sa fille puisse être initiée dans cette Société. La demanderesse a en outre témoigné à plusieurs reprises que sa mère porterait atteinte à l'honneur de sa famille si l'initiation de sa fille aînée échouait. Compte tenu du témoignage de la demanderesse, qui n'est pas contesté, il est difficile de voir de quelle façon la preuve documentaire a permis à la Commission de tirer des inférences défavorables quant à la crédibilité. Je suis plutôt d'avis que la preuve documentaire corrobore le témoignage de la demanderesse.
[18] Les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission s'appuient principalement sur des inférences quant à la vraisemblance fondées sur des critères extrinsèques. La Commission met en doute la crédibilité de la demanderesse en raison de nombreuses inférences quant à la vraisemblance tirées du témoignage de la demanderesse à l'égard des questions suivantes, à savoir : (i) que la prétention de la demanderesse selon laquelle des filles étaient enlevées dans la rue pour être conduites dans des régions éloignées des centres urbains pour y subir l'excision conformément aux traditions tribales était peu vraisemblable; (ii) qu'il était peu vraisemblable que la mère de la demanderesse lui ait dit aussi tôt qu'à l'été 2000 qu'elle subirait l'excision en décembre 2001; (iii) que la demanderesse n'était pas digne de foi lorsqu'elle affirmait qu'elle n'avait pas dit à son amie qu'elle avait peur que sa mère la force à subir une mutilation génitale; (iv) qu'il n'était pas crédible que la demanderesse ait parcouru Monrovia pour livrer des lettres pour Hector Hilton au cours d'une période durant laquelle sa mère ou les agents de cette dernière étaient à sa recherche. J'ai l'intention de traiter une à une chacune de ces inférences quant à la vraisemblance.
[19] La Commission a conclu que le récit de la demanderesse à l'égard des [TRADUCTION] « agents » qui enlèvent des filles pour qu'elles subissent des mutilations génitales était déraisonnable et incroyable. La Commission a fondé sa conclusion, du moins en partie, sur le fait que la preuve documentaire ne mentionnait pas que de tels événements étaient survenus. La Commission a de plus déclaré que si de nos jours des agents attrapaient des filles dans la rue, les groupes civils (le Liberian National Committee) qui au Libéria font de l'éducation et mènent des études sur la prévention des MGF auraient signalé cette pratique. Ces deux motifs, énoncés par la Commission pour justifier, en partie, sa conclusion, sont manifestement déraisonnables. À mon avis, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a exigé que le témoignage de la demanderesse soit corroboré. Il faut présumer qu'un témoignage est vrai à moins qu'il existe un motif valable pour mettre en doute sa véracité : voir à cet égard l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302, et la décision Ahortar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137. Je conclus en outre qu'il est déraisonnable de fonder une inférence quant à la vraisemblance sur le fait que le Liberia National Committee n'avait pas signalé de tels incidents, alors que la preuve documentaire démontre que les travaux des présumés groupes civils au Libéria ne sont pas récents et qu'ils ne sont aucunement concluants quant à leurs effets.
[20] La Commission a conclu qu'il était peu vraisemblable que la mère de la demanderesse ne lui ait rien dit au sujet de la Sande Secret Society, alors qu'elle y contribuait depuis huit à dix ans, puis, dix-huit mois avant la cérémonie, qu'elle ait au cours de l'été 2000 informé sa fille qu'elle subirait l'excision en décembre 2001. Je suis d'avis que la Commission a fondé ses conclusions quant à la vraisemblance sur des inférences non fondées à l'égard du moment auquel sont informées les filles de leur initiation dans la Société. Rien dans la preuve documentaire ne touche cette question et la preuve documentaire énonce effectivement que les actions de la société Sande sont secrètes et qu'il est difficile d'obtenir des renseignements à l'égard des rites actuels. La Commission n'a énoncé aucun motif pour son inférence autre que sa conclusion selon laquelle « [l]e tribunal estime que le témoignage de la demanderesse d'asile est peu vraisemblable » . Il était manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure comme elle l'a fait sans énoncer des motifs au soutien de sa conclusion. Une telle conclusion quant à la vraisemblance doit être fondée sur plus qu'une appréciation non approfondie de la preuve et non motivée. La Commission a commis une erreur en agissant comme elle l'a fait.
[21] La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse n'était pas digne de foi lorsqu'elle affirmait qu'elle n'avait pas dit à son amie qu'elle avait peur que sa mère la force à subir une mutilation génitale. Dans les circonstances, la Commission pouvait raisonnablement tirer une telle conclusion.
[22] La Commission a en outre conclu que la demanderesse [TRADUCTION] « en parcourant Monrovia pour livrer des lettres pour Hector Hilton » ne manifestait pas un comportement qui était compatible avec celui d'une personne qui craint d'être persécutée. Une telle conclusion, à première vue, semblerait être une conclusion que la Commission pouvait raisonnablement tirer. Cependant, un examen de la preuve démontre que la demanderesse n'a pas déclaré qu'elle parcourait les rues de Monrovia. Elle a témoigné qu'elle n'avait même pas un permis de conduire. En outre, la demanderesse a témoigné qu'elle n'avait jamais prétendu s'être cachée à Monrovia. Elle vivait avec une amie et elle travaillait dans une boutique où elle tressait des cheveux. La Commission n'a pas traité de cette question dans ses motifs. Je ne peux que faire des hypothèses, à partir des motifs, quant à la question de savoir si la Commission a mal compris le témoignage de la demanderesse et, si tel est le cas, quant à savoir si la même conclusion défavorable quant à la crédibilité aurait été tirée si elle avait compris autrement le témoignage de la demanderesse. En l'espèce, la Commission a commis une erreur évidente lorsqu'elle a conclu que la demanderesse [TRADUCTION] « parcourait les rues de Monrovia pour livrer des lettres » . En outre, la Commission n'a pas traité de la preuve qui démontrait clairement que la demanderesse ne se cachait pas à Monrovia. La Commission a une obligation d'énoncer des motifs clairs à l'égard de ses conclusions. Elle a commis une erreur en omettant de le faire quant à cette conclusion.
[23] La demanderesse prétend qu'elle a déposé des éléments de preuve documentaire qui appuyaient sa revendication selon laquelle elle serait exposée au risque de subir une mutilation génitale si elle retournait au Libéria. Elle mentionne que le rapport du Département d'État (DOS) des États-Unis à l'égard des mutilations génitales des femmes établit qu'[TRADUCTION] « [u]ne avocate instruite de Monrovia a subi la mutilation sexuelle juste avant de se marier parce qu'elle a été l'objet de fortes pressions de la part d'une grand-mère de l'arrière-pays » . La demanderesse prétend que cet extrait appuie son témoignage selon lequel les MGF ont lieu jusqu'à l'âge de 20 ou 23 ans. Elle prétend qu'une avocate serait dans la vingtaine et que, par conséquent, la preuve appuie ce qu'elle a déclaré lors de l'audience. En réponse, le défendeur prétend que l'[TRADUCTION] « avocate instruite » mentionnée dans la preuve documentaire a subi la mutilation volontairement et que cette preuve, par conséquent, n'appuie pas les prétentions de la demanderesse selon lesquelles elle serait enlevée et forcée de subir l'excision.
[24] La demanderesse a témoigné que les MGF peuvent avoir lieu jusqu'à l'âge de 20 ou 23 ans. Le rapport du DOS établit que, avant la guerre civile au Libéria, 50 pour 100 des filles subissaient des mutilations génitales entre l'âge de 8 et 18 ans. Il existe également certains éléments de preuve, dont celui touchant l'avocate, qui appuient le récit de la demanderesse selon lequel les MGF ont lieu plus tard. Compte tenu de l'incertitude quant à la preuve documentaire à l'égard des pratiques actuelles des MGF au Libéria, je suis d'avis que les prétentions de la demanderesse ne peuvent pas être rejetées en raison de la documentation sur le pays. Je conclus que de nombreux aspects du récit de la demanderesse sont effectivement corroborés par la preuve documentaire.
[25] La Commission a tiré au moins deux conclusions défavorables quant à la vraisemblance qui s'appuyaient sur des inférences non fondées, conclusions qui sont à mon avis erronées. Compte tenu de ces conclusions, associées à la preuve documentaire à l'égard du Libéria qui est loin d'être claire quant à l'étendue des pratiques actuelles des MGF dans ce pays, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi et elle a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. En agissant ainsi, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.
[26] À mon avis, la Commission a en outre commis une erreur lorsqu'elle a conclu, pour les mêmes motifs, que la demanderesse n'avait pas la qualité de personne à protéger. Lorsqu'elle a tranché la demande d'asile fondée sur la qualité de personne à protéger de la demanderesse, suivant l'article 97 de la Loi, la Commission, en s'appuyant sur une conclusion quant à la crédibilité erronée, a évité la question principale en l'espèce, à savoir celle de la probabilité que la demanderesse subisse une mutilation génitale si elle retournait au Libéria, la même question qui avait au départ poussé la demanderesse à s'enfuir du pays. La Commission, étant donné qu'elle a accepté l'identité de la demanderesse en tant que membre de la tribu Bassa, a omis, à mon avis, d'évaluer correctement la probabilité que la demanderesse subisse une mutilation génitale si elle retournait au Libéria.
[27] Pour les motifs précédemment énoncés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à un nouvel examen qui tienne compte des présents motifs.
[28] Aucune des parties n'a proposé une question aux fins de la certification. La Cour ne certifie aucune question.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 31 octobre 2002 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen qui tienne compte des présents motifs.
2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5738-02
INTITULÉ : MARGARET L. KOUK KING c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 AOÛT 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : LE 30 SEPTEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Michael J. Tilleard POUR LA DEMANDERESSE
Robert Drummond POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McMenemy & Tilleard POUR LA DEMANDERESSE
10150, 100e Rue, bureau 700
Edmonton (Alberta) T5J 0P6
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
211, Édifice Banque de Montréal
10199, 101e Rue N.-O.
Edmonton (Alberta) T5J 3Y4
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Dossier : IMM-5738-02
ENTRE :
MARGARET L. KOUK KING
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE