Date : 20030527
IMM-5405-02
Référence : 2003 CFPI 657
OTTAWA (Ontario), le 27 mai 2003
EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JOHANNE GAUTHIER
ENTRE :
OLUSEGUN (SEGUN) ADETOKUMBO (ADEJOKUMB)
KABIR, AKANNI
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Olusegun (Segun) Adetokumbo (Adejokumb) Kabir, Akanni demande le contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) en date du 30 septembre 2002 qui avait conclu que M. Akanni n'est pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il y avait des raisons sérieuses de penser i) qu'il avait commis un crime contre la paix ou un crime contre l'humanité (article 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés), et ii) qu'il avait commis un crime grave de droit commun au Nigéria avant de venir au Canada (article 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés).
[2] M. Akanni est un citoyen du Nigéria. Au moment de l'audience, il était âgé de 30 ans. Il alléguait craindre avec raison d'être persécuté par le gouvernement nigérian du fait de son appartenance à l'Oodua Peoples Congress ( « OPC » ), plus particulièrement à la faction Gani Adams de cette organisation. M. Akanni a quitté le Nigéria quelques mois après avoir participé à une grande manifestation visant à obtenir la libération de M. Gani Adams. La manifestation s'est dégénérée en violence, suivie de la répression; par suite de la participation de M. Akanni à cette manifestation, la police s'est mise à sa recherche. M. Akanni craint d'être torturé s'il retourne au Nigéria.
[3] Avant de conclure que M. Akanni n'avait ni la qualité de réfugié ni celle d'une personne à protéger au sens de la Convention, la Commission s'est penchée sur les questions suivantes (i) peut-on considérer que la faction Gani Adams de l'OPC est une organisation visant des fins limitées et brutales et (ii) peut-on considérer que le demandeur avait commis les crimes mentionnés aux articles 1Fa) et b) en l'absence de preuve directe qu'il les avait personnellement perpétrés?
[4] Dans sa décision, la Commission a rejeté le témoignage de M. Akanni selon lequel la faction Gani Adams de l'OPC n'était pas une organisation vouée à la violence et qu'il n'avait aucune connaissance des actes de violence imputés dans les divers éléments de preuve documentaire en dossier. La Commission n'examine pas directement l'allégation de M. Akanni selon laquelle les divers éléments produits constituaient simplement le résultat de la propagande du gouvernement nigérian visant à discréditer l'OPC. Toutefois, à l'appui de sa conclusion, la Commission a cité des textes d'une source qu'elle a décrit comme « une agence de presse respectée » .
Questions en litige
[5] M. Akanni soutient que la Commission a commis une erreur en décrivant l'OPC comme une organisation visant des fins limitées et brutales. À son avis, pour parvenir à cette conclusion, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve en dossier qui établissait que (i) l'OPC est un parti politique régulièrement constitué dont l'objectif principal est la protection et l'avancement des intérêts du peuple Yoruba; et (ii) les actes de violence mentionnés dans la documentation avaient été perpétrés par des renégats contre la volonté et la politique officielle du chef de l'OPC.
[6] M. Akanni soutient en outre que la Commission a mal caractérisé sa participation à l'OPC, n'ayant pas tenu compte du fait qu'il occupait un rang peu élevé dans la faction Gani Adams. À son avis, si la Commission avait correctement apprécié sa participation, elle n'aurait pas pu conclure à sa complicité dans les crimes imputés à l'OPC.
Analyse
[7] Les parties s'entendent pour dire que la norme de contrôle à appliquer en l'espèce a été correctement décrite dans le récent arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Harb c. Canada (M.C.I.) (2003) CAF 39, (2003) A.C.F. 108, (QL) au par. 14 :
Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait (c'est l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit cette norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression « manifestement déraisonnable » ). Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d'exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées. (Sur la norme de contrôle : voir Shrestha c. The Minister of Citizenship and Immigration, 2002 CFPI 886, J. Lemieux, aux para. 10, 11 et 12.)
[8] Dans ses observations écrites, M. Akanni n'a pas renvoyé la Cour aux éléments de preuve qui auraient pu être négligés ou méconnus par la Commission. À l'audience, il a mentionné quelques passages qui n'étayaient pas pleinement les arguments avancés. En fait, les arguments de M. Akanni paraissaient se fonder entièrement sur son affidavit et son témoignage devant la Commission.
[9] D'autre part, le défendeur a cité plusieurs documents soutenant les conclusions de la Commission quant à la nature des activités de M. Gani Adams et de sa faction. En grande partie, ils corroboraient les deux articles cités par la Commission elle-même dans sa décision aux pages 8 et 9 :
[TRADUCTION] L'Agence France Presse décrit l'OPC en ces termes :
Vendredi, la police nigériane a inculpé Ganiyu Adams, chef d'un groupe ethnique militant de 23 chefs de meurtre, de vol qualifié et de possession illégale d'armes. La police met à sa charge des émeutes au cours desquelles des centaines de personnes sont mortes. Ganiyu Adams, le chef de la faction la plus violente de l'Odua People's Congress (OPC), une organisation qui a été bannie, et trois autres personnes ont été amenés au Magistrate's Court d'Ikeja en menottes et en chaînes. (Non souligné dans l'original).
...
Dans un article de la revue « Tell » déposé par l'avocat (pièce C-3), Gani Adams est décrit en ces termes :
Tout comme Malcolm X, pour atteindre ses buts, il a pour devise : « par tous les moyens nécessaires » . Tout comme Mahatma Gandhi, Fasehun croit à la non-violence, mais Adams, comme Hitler, se pavoise dans la poésie de la violence, du sang et des membranes éparpillés. Il n'a pas tardé à se tailler une place dans l'histoire, et il l'a fait en grand. Lagos était en feu. De Mile 12 à Mushin jusqu'à Bariga, la ville était en flammes, des cadavres brûlés partout et l'insécurité régnait. Cette violence orgastique a atteint son apogée avec la mort du chef de police divisionnaire du commissariat de Bariga et l'arrosage de deux autres avec de l'acide.
[10] La Commission a expressément rejeté le témoignage de M. Akanni selon lequel Gani Adams était non-violent parce que [TRADUCTION] « cela était irrémédiablement incompatible avec la preuve documentaire, que je préfère parce qu'étant désintéressée » (pages 6 à 7 de la décision).
[11] La Cour estime qu'en décidant que la faction Gani Adams est une organisation visant des fins limitées et brutales, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Sa décision n'était pas déraisonnable et n'a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve.
[12] S'agissant maintenant de la deuxième question en litige, les deux parties s'entendent pour dire que les principes applicables à la question de savoir si une personne a ou non « commis » un crime au sens de l'article 1Fa) sont bien énoncés dans la décision de la Cour d'appel dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 2 C.F. 306 (CAF).
[13] Les deux parties s'entendent également pour dire que les mots « raisons sérieuses de penser » à l'article 1Fa) fixe une norme de preuve inférieure à celle de la « prépondérance des probabilités » prévue en droit civil.
[14] Il ne fait guère de doute que la simple appartenance ne saurait normalement suffire à exclure une personne du statut de réfugié. Toutefois, la Cour d'appel a reconnu dans l'arrêt Ramirez, précité, à la page 317, que « ...lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution » .
[15] Mais la Commission ne s'est pas limitée à l'examen de l'appartenance de M. Akanni pour parvenir à sa conclusion quant à la participation consciente de M. Akanni. Elle a examiné les actes de violence et les crimes survenus au cours de la période où M. Akanni était membre de la faction Gani Adams, où ces actes de violence ont été commis, comment les activités personnelles de M. Akanni se rapportaient aux genres d'activités reprochées à l'OPC.
[16] M. Akanni a adhéré à la faction Gani Adams en janvier 2000 juste après que le président du Nigéria eut décrété une politique consistant à « tirer à vue » contre l'OPC en 1999, et au cours de la période où le président cherchait à obtenir de l'Assemblée nationale la permission de décréter l'état d'urgence à Lagos à la suite d'attaques inlassables contre la vie et les biens perpétrées par les membres de l'OPC.
[17] M. Akanni a été promu au grade de « combattant » en novembre/décembre 2000; cela voulait dire que les membres de la faction Gani Adams devaient le consulter pour obtenir son autorisation chaque fois qu'ils voulaient tenir un rassemblement ou une manifestation dans sa région. Il participait personnellement au groupe d'autodéfense/de sécurité. Il aidait souvent la police à arrêter les voleurs et, en particulier, remettait les voleurs à la police. Il a assisté à plus de 30 réunions au cours de l'année 2000 et présentait des rapports aux réunions sur ce qui se passait dans sa région relevant de la section Okeani. Il connaissait personnellement Gani Adams et l'avait rencontré à plusieurs reprises.
[18] La Commission a fait remarquer que c'est dans ce contexte d'activités d'autodéfense que la plupart des actes de violence mis à la charge de l'OPC ont été perpétrés. Par exemple, « ...au cours de l'année 2000, l'OPC a exécuté moins de tueries d'autodéfense qu'au cours de l'année précédente, mais le 16 août, l'OPC aurait décapité quatre personnes soupçonnées de vol et brûlé leurs corps dans le district de Lagos. L'OPC aurait également crucifié un homme dans le district de Surelere, à Lagos » .
[19] La Commission a également fait remarquer que « selon une dépêche de l'AFP, le 19 octobre 2000, la police a commencé à arrêter les chefs et les supporters de l'OPC après quatre jours de violence à Lagos qui se sont soldés par plus de 100 morts » .
[20] Dans les circonstances, la Commission a conclu que « le revendicateur ne pouvait raisonnablement avoir été mêlé comme combattant chargé de la sécurité dans le secteur de l'île de Lagos de cette faction sans être au courant des actes de violence perpétrés par le groupe ou sans y participer » .
[21] La Cour estime que la Commission a examiné la question de savoir si M. Akanni partageait l'intention commune de la faction Gani Adams et était au courant de certains des actes de violence et celle de savoir s'il avait une connaissance suffisante de la nature des activités de la faction Gani Adams. Sa conclusion à cet égard n'est pas déraisonnable.
[22] M. Akanni avait témoigné qu'il n'était pas au courant des actes de violence et que lorsque les membres de l'OPC allaient dans les rues pour appréhender les voleurs, ils n'étaient pas armés et qu'ils esquivaient lorsque les suspects tiraient leurs armes pour attendre que toutes les cartouches soient épuisées. La Commission a jugé que ce témoignage n'était pas crédible et l'a rejeté comme étant totalement invraisemblable à la lumière de la preuve documentaire en dossier.
[23] La Cour estime que la conclusion de la Commission selon laquelle « le revendicateur était complice des crimes commis par la faction Gani Adams de l'OPC à Lagos » est étayée par la preuve produite par le défendeur. Elle n'est pas déraisonnable. La décision de la Commission n'est entachée d'aucune erreur susceptible de contrôle.
[24] Étant donné qu'une telle conclusion suffit à justifier le rejet par la Commission de la demande du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par M. Akanni, il n'est pas nécessaire pour la Cour de se pencher sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur dans sa conclusion s'agissant de l'article 1Fb) de la Convention relative au statut de réfugié.
[25] Les parties ont indiqué qu'elles n'estimaient pas que cette affaire soulevait une question de portée générale. La Cour estime effectivement qu'elle n'en soulève pas.
[26] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 30 septembre 2002 soit rejetée.
2. Qu'aucune question de portée générale ne soit certifiée.
« Johanne Gauthier »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L..
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5405-02
INTITULÉ : Olusegun (Segun) Adetokumbo (Adejokumb) Kabir, kanni
c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 6 mai 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : MADAME LE JUGE JOHANNE GAUTHIER
DATE DES MOTIFS : le 27 mai 2003
COMPARUTIONS :
Laurence Cohen POUR LE DEMANDEUR
Angela Marinos POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Laurence Cohen
101-50, rue Richmond est
Toronto (Ontario), M5C 1N7 POUR LE DEMANDEUR
Morris Rosenberg
Ministère de la Justice
Toronto (Ontario), M5X 1K6 POUR LE DÉFENDEUR