Date : 19990610
Dossier : IMM-3457-98
OTTAWA (Ontario), le 10 juin 1999.
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU
ENTRE :
GOEFFREY MIWA,
demandeur,
ET :
LE MINISTRE,
défendeur.
ORDONNANCE
LE JUGE ROULEAU
[1] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée pour qu"une formation différemment constituée statue de nouveau sur celle-ci.
" P. ROULEAU "
JUGE
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
Date : 19990610
Dossier : IMM-3457-98
ENTRE :
GOEFFREY MIWA,
demandeur,
ET :
LE MINISTRE,
défendeur.
MOTIFS D"ORDONNANCE
LE JUGE ROULEAU
[1] Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire d"une décision dans laquelle la Section du statut de réfugié (la Commission) a déterminé que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.
[2] Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Il soutient avoir une crainte d"être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social en particulier. Il soutient qu"il est Ogoni et qu"il appartient au Movement for the Survival of the Ogoni People (MOSOP).
[3] Il prétend avoir été arrêté lors d"une manifestation le 15 novembre 1995 et avoir été détenu à Kpor jusqu"au 25 avril 1996, date à laquelle il a été transféré à une prison à Oko, dans l"État de l"Anambra. Il soutient avoir été torturé pendant sa détention à Kpor. Après avoir passé presque une année complète à Oko, le demandeur s"est évadé avec l"aide d"un gardien de prison et de son frère jumeau. Il s"est rendu immédiatement à l"aéroport de Lagos et s"est envolé pour le Canada le même jour, soit le 5 avril 1997.
[4] Pour étayer sa revendication, le demandeur a fourni plusieurs documents, dont un document de la National Population Commission (le document de la NPC), un certificat de naissance et une lettre du MOSOP datée du 23 mai 1996. Le document de la NPC mentionne qu"il est originaire de " Elem in Taielem ", dans le Ogoniland.
[5] La Commission a conclu que le demandeur n"a pas fourni de témoignage ni de preuve crédibles pour étayer sa prétention selon laquelle il a été détenu en raison de sa nationalité ogoni ou de son appartenance au MOSOP. La Commission a fondé sa conclusion sur les points suivants :
IDENTITÉ
[6] La Commission a douté de l"authenticité du document de la NPC du fait que ce dernier était contredit par le certificat de naissance. Or, cette contradiction lui a également fait douter du bien-fondé de la prétention du demandeur selon laquelle il est un Ogoni.
APPARTENANCE AU MOSOP
[7] La Commission a rejeté la raison fournie par le demandeur pour expliquer pourquoi il n"avait pas obtenu une version corrigée de la lettre du MOSOP. La Commission a conclu que son explication (il craignait de mettre son frère en danger) n"était pas compatible avec le fait que son frère avait déjà obtenu le document original et l"avait aidé à s"évader de prison. La Commission a conclu que cette explication faisait douter de l"authenticité du document et, partant, de l"appartenance du demandeur au MOSOP.
[8] La Commission a également souligné le fait que le demandeur ne paraissait pas savoir que [TRADUCTION] " des individus n"appartiennent pas au MOSOP même, mais plutôt à l"une de ses organisations constituantes " (voir la pièce A-17 : Réponse à la demande d"information no GHA24863.E; Information sur le Nigéria quant à la question de savoir si le Movement for the Survival of the Ogoni People délivre des cartes de membre et, dans l"affirmative, description de la carte; DGDIR, CISR, Ottawa, le 3 septembre 1996).
[9] Enfin, la Commission a dit qu"il n"était pas vraisemblable que le demandeur, qui prétend appartenir au MOSOP, n"était pas au courant, comme il l"a dit dans son témoignage, de la manifestation organisée par le MOSOP le 15 novembre 1995. Il a soutenu n"avoir été mis au courant de la manifestation que lorsque des amis l"ont persuadé d"y prendre part.
[10] La Commission a conclu que s"il avait véritablement appartenu au MOSOP, l"on aurait pu s"attendre à ce qu"il fût au courant de tels événements.
LES ARGUMENTS DES PARTIES
[11] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu"elle a négligé de tenir compte des différences culturelles que présentent le Canada et le Nigéria. Selon le demandeur, le Nigéria est une société patriarcale et la nationalité d"une personne est déterminée en fonction des origines de son père et non de son lieu de naissance. Le demandeur soutient qu"il ne s"est pas contredit lui-même et qu"il n"a pas contredit les documents.
[12] Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la Commission a négligé de tenir compte d"une preuve pertinente, étant donné que le document de la NPC mentionne qu"il est originaire de la région ogoni et que d"autres éléments de preuve documentaire font état des dangers que courent le peuple ogoni au Nigéria. En conséquence, soutient-il, la Commission a tiré sa conclusion sans tenir compte de la preuve dont elle disposait.
[13] Le demandeur fait également valoir que la situation au Nigéria est si dangereuse qu"il serait certainement torturé et exécuté à son retour.
[14] Le défendeur, quant à lui, soutient que les conclusions tirées en matière de crédibilité sont au coeur de la compétence de la Commission et que la Cour ne doit pas intervenir. En outre, la Commission pouvait, comme elle l"a fait, conclure que des parties cruciales de la revendication du demandeur, soit ses prétentions selon lesquelles il était de nationalité ogoni et appartenait au MOSOP, étaient invraisemblables et manquaient de crédibilité.
[15] Deuxièmement, le défendeur soutient que le fait que la Commission a omis de mentionner expressément certains éléments de preuve en rendant sa décision n"établit pas que ceux-ci n"ont pas été considérés. En outre, la Commission pouvait, en concluant que le demandeur manquait de crédibilité, rejeter tout élément de preuve provenant de son témoignage.
ANALYSE
[16] En l"espèce, le demandeur dit qu"il est né à Oba, dans l"État de l"Anambra. Outre son certificat de naissance, il a déposé le document de la NPC, qui mentionne qu"il est originaire de " Elem in Taielem " (ou Ta-Eleme), dans le Ogoniland. Lorsque la Commission a tenté d"établir la nationalité du demandeur, l"échange suivant a eu lieu :
[TRADUCTION] |
R. Je suis originaire de Ta-Eleme, mais je n"y suis pas né. |
Q. Vous n"y êtes pas né et vous n"y avez jamais vécu? |
R. Non. |
Q. Mais ceci mentionne que vous êtes originaire de cet endroit. |
R. C"est l"endroit d"où je viens. |
Le président de l"audience s"adressant à la personne concernée : |
Q. Bien, Monsieur, quand vous dites que c"est l"endroit d"où vous venez, qu"entendez-vous par là? |
R. Cela veut dire que mon père vient de cet endroit. |
L"agent chargé de la revendication s"adressant à la personne concernée : |
Q. Monsieur, je vais maintenant aborder une toute autre question. |
[17] Dans ses motifs, la Commission dit que le terme " originaire " signifie " y étant né ". En conséquence, la Commission a douté de l"authenticité du document de la NPC, qui dit que le demandeur est originaire du Ogoniland, malgré le fait qu"il n"y est pas né et qu"il n"y a jamais vécu. À mon avis, l"explication du demandeur ne contredit pas la preuve documentaire. Il ressort clairement du passage précité, qui constitue la seule occasion à laquelle le demandeur a été interrogé sur ce point, que la Commission a appliqué sa propre définition et qu"elle a omis d"inviter le demandeur à clarifier ce point. À mon avis, lorsque le témoignage du revendicateur est compatible avec la preuve documentaire, l"équité procédurale exige que la Commission invite ce dernier à donner des clarifications, en particulier lorsqu"il existe des différences culturelles et que le revendicateur s"exprime à l"aide d"un interprète.
[18] Le demandeur fait valoir que le Nigéria est une société patriarcale et que la nationalité d"une personne est déterminée en fonction des origines de ses parents et non de son lieu de naissance. Il est considéré comme étant originaire de Elem in Taielem, dans le Ogoniland, vu que son père vient de là. Cette explication paraît coïncider avec son témoignage.
[19] La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne paraissait pas savoir que [TRADUCTION] " des individus n"appartiennent pas au MOSOP même, mais plutôt à l"une de ses organisations constituantes " n"est pas étayée par la preuve. Au contraire, lorsqu"il a été interrogé à ce sujet au moins à deux autres occasions, il a clairement indiqué qu"il savait que le MOSOP n"était qu"une organisation-cadre. Je suis convaincu qu"il s"agit là d"une conclusion arbitraire, compte tenu de la transcription.
[20] Il ressort sans aucun doute de la preuve documentaire que les droits de la personne sont violés dans le pays de naissance du demandeur et, plus particulièrement, dans la région ogoni.
[21] Je suis disposé à intervenir. La décision en cause est truffée d"erreurs manifestes.
[22] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée pour qu"une formation différemment constituée statue de nouveau sur celle-ci.
[23] Les parties ont convenu que la présente affaire ne soulevait pas de question grave devant être certifiée.
" P. ROULEAU "
JUGE
OTTAWA (Ontario)
Le 10 juin 1999.
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-3457-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : GEOFFREY MIWA C. LE MINISTRE
LIEU DE L"AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L"AUDIENCE : LE 1ER JUIN 1999
MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU
EN DATE DU : 10 JUIN 1999
ONT COMPARU :
STEWART ISTVANFFY POUR LE DEMANDEUR
MICHEL PÉPIN POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
STEWART ISTVANFFY POUR LE DEMANDEUR
MONTRÉAL (QUÉBEC)
MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA