Date : 20041014
Dossier : IMM-1613-04
Référence : 2004 CF 1419
ENTRE :
YAN FEI LIN
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 30 janvier 2004 par laquelle elle a rejeté la revendication de Yan Fei Lin, la demanderesse. La SPR a conclu qu'elle n'était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.
Les faits
[2] La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine. Elle est née le 3 novembre 1987. Elle est maintenant âgée de 16 ans.
[3] Lorsqu'elle vivait en Chine, la demanderesse demeurait avec ses parents, ses grands-parents paternel et son frère aîné. Sa famille est pauvre étant donné que son père souffre de problèmes de santé; sa mère a récemment perdu son emploi. Ses parents n'avaient pas les moyens de l'envoyer à l'école; elle a terminé sa huitième année, puis elle est demeurée à la maison.
[4] Ses parents ont décidé de l'envoyer aux États-Unis pour travailler afin qu'elle puisse subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de sa famille. Ils ont trouvé des gens pour la faire entrer clandestinement au Amérique du Nord. En janvier 2003, elle a quitté son foyer et a eu une rencontre avec deux femmes. L'une de femmes travaillait pour la personne responsable de l'organisation du voyage aux États-Unis et l'autre était chargée d'accompagner la demanderesse. La demanderesse a prétendu, durant le voyage ainsi qu'à son arrivée au Canada, que la dame était sa mère. Les deux femmes ont voyagé avec de faux passeports français.
[5] Alors qu'elles se rendaient aux États-Unis, les deux femmes ont fait un arrêt au Canada où elles ont été interrogées par des agents d'Immigration Canada. La demanderesse a prétendu être la fille de la dame qui voyageait avec elle. Elles ont demandé l'asile en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Elles ont été détenues. La demanderesse a été libérée puis envoyée dans une famille d'accueil. En mars, elle a finalement révélé sa véritable identité à sa travailleuse sociale ainsi que les circonstances entourant son départ de son pays. Elle a de plus révélé que la dame qui voyageait avec elle n'était pas sa mère.
[6] Le 10 septembre 2003, la SPR a entendu la demande de la demanderesse, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2004.
La décision de la SPR
[7] Dans sa décision, la SPR a conclu que la demanderesse était crédible. Elle a conclu que la crainte de la persécution de la demanderesse n'était liée à aucun des cinq motifs reconnus, notamment l'appartenance à un groupe social. La demanderesse a prétendu qu'elle avait peur de retourner en Chine parce qu'elle l'avait quittée illégalement, qu'elle serait détenue, que des amendes lui seraient imposées. Elle a également révélé des détails concernant son passeur. La SPR a conclu qu'il n'existait aucune chance raisonnable qu'elle soit persécutée si elle retournait en Chine et qu'elle ne risquait pas d'être maltraitée. Si elle demeurait au Canada, elle travaillerait pour rembourser d'abord ses parents, puis les passeurs par la suite. Enfin, il était dans son intérêt supérieur qu'elle soit avec ses parents. Si elle poursuivait tel que prévu son voyage vers les États-Unis, elle serait obligée de vivre dans un état de dépendance totale.
[8] La demanderesse prétend que deux questions sont en litige :
La SPR a-t-elle commis une erreur en omettant d'examiner si le traitement de la demanderesse dans son pays en tant que second enfant constituait de la persécution?
La SPR a-elle-commis une erreur en n'évaluant pas correctement l'intérêt supérieur de la demanderesse en conformité avec l'alinéa 3(3)f) de la LIPR et en conformité avec la Convention relative aux droits de l'enfant?
[9] Quant à la première question, la demanderesse prétend qu'elle est le second enfant et la seule fille de la famille et que bien que cela ne fut pas été soulevé lors de sa comparution devant la Commission, cela ressortait clairement des documents versés au dossier. La Commission était tenue d'établir ce qu'aurait pour conséquence le retour d'un second enfant mineur en République populaire de Chine. Invoquant la décision Cheung[1]. La demanderesse a prétendu que la Cour avait conclu que les seconds enfants sont victimes d'une grave discrimination et que l'on avait conclu qu'ils constituaient un groupe social au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. La demanderesse prétend que la SPR n'a fait aucune analyse des conséquences possibles découlant de ce statut.
[10] Deuxièmement, la demanderesse prétend que l'alinéa 3(3)f) de la LIPR impose à la SPR d'appliquer la LIPR en conformité avec la Convention relative aux droits de l'enfant. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération première. Dans la décision contestée, la SPR a conclu que l'intérêt supérieur de la demanderesse est d'être avec ses parents. En l'espèce, ses parents l'ont envoyée en Amérique du Nord dans le but intentionnel de la faire « travailler comme une esclave » . Les besoins en ressources financières dont sa famille a besoin pour survivre n'ont pas changé et il est très probable que la demanderesse serait de nouveau envoyée en Amérique du Nord.
[11] Le défendeur prétend que la demanderesse a le fardeau d'établir sa cause et, à tout le moins, établir selon la prépondérance des probabilités qu'elle rencontre les facteurs objectifs et subjectifs qui constituent la persécution. En l'espèce, la demanderesse n'a pas fait valoir qu'elle était un second enfant et n'a décrit aucune persécution du fait de cette situation ce qui peut laisser croire qu'elle n'avait aucune crainte subjective. Aucun fait n'a été avancé ou plaidé quant au fondement objectif ou subjectif de la crainte de la persécution fondée sur le fait d'être un second enfant. Le défendeur prétend de plus qu'il incombe à la demanderesse d'avancer les éléments de preuve à l'appui de sa demande.
[12] Quant à la deuxième question, la SPR a raisonnablement examiné l'ensemble des motifs avancés par la demanderesse quant à la menace à sa vie et quant à la torture. Dans la décision, on a dûment tenu compte de l'intérêt supérieur de la demanderesse après avoir examiné l'ensemble de la preuve et on a conclu que la demanderesse ne serait pas en danger si elle était renvoyée dans son pays.
[13] L'article 96 de la LIPR donne la définition suivante de réfugié au sens de la Convention :
96. À qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
[14] La décision rendue dans Cheung n'appuie pas la prétention avancée par la demanderesse. La Cour d'appel fédérale a conclu que les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant et qui sont confrontées à la stérilisation forcée, peuvent former un groupe social au sens de l'article 96 de la LIPR. Elle a déclaré ce qui suit : « Karen Lee a déjà connu certaines privations, et elle pourrait être persécutée de nouveau si on la renvoyait en Chine » . Il ne s'agit pas de faits dont la Cour est saisie en l'espèce. Il ne s'agit pas d'une situation de stérilisation forcée. La décision rendue dans Cheung n'est pas utile et a été tout à fait mal interprétée par la demanderesse.
[15] La demanderesse n'est pas membre d'un groupe social. Rien dans la preuve n'étaye une telle prétention; elle n'a souffert d'aucune privation en raison de son statut de « second enfant » . Il n'y a aucun facteur objectif ou subjectif qui constitue de la persécution. Le « groupe social du second enfant » ne s'applique pas aux jeunes filles mais principalement aux femmes qui donnent naissance à plus d'un enfant.
[16] Selon moi, la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la LIPR. Je peux comprendre pourquoi elle préfère le Canada à la Chine et, comme l'avocat l'a souligné, elle est une réfugiée économique et non pas une réfugiée au sens de la Convention.
[17] Quant à la deuxième question, il est exact que la SPR doit appliquer la LIPR en conformité avec la Convention relative aux droits de l'enfant. Cela ne change cependant rien à sa situation. La SPR a fait une analyse détaillée de ce à quoi la demanderesse pourrait être confrontée si elle était renvoyée en Chine et sa décision est raisonnable et ne doit pas être modifiée.
[18] La Commission a conclu à bon droit que la demanderesse n'était ni une personne à protéger, ni une personne dont la vie pourrait être en danger ou une personne qui pourrait être victime de traitements inusités si elle était renvoyée en Chine.
[19] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question grave ne sera certifiée.
« Paul Rouleau »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B., trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1613-04
INTITULÉ : YAN FEI LIN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 OCTOBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU
DATE DES MOTIFS : LE 14 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
Warren Puddicombe POUR LA DEMANDERESSE
Peter Bell POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Embarkation Law Group POUR LA DEMANDERESSE
Vancouver (C.-B.)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada