Date : 20030312
Dossier : IMM-4255-02
Référence neutre : 2003 CFPI 304
Calgary (Alberta), le mercredi 12 mars 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
JESUS MANUEL ELIZONDO GONZALEZ,
OLIMPHYA ADRIANA HERMOSILLO De GONZALEZ,
MANUEL ADRIAN ELIZONDO HERMOSILLO
et GRETTA ELIZONDO HERMOSILLO
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une
agente d'immigration a rejeté, le 28 août 2002, la demande qu'ils ont présentée pour des raisons d'ordre humanitaire en application du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.
[2] Les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui vivent au Canada depuis 2000.
La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié qu'ils ont déposée en 2000, au motif que la persécution que leur auraient fait subir les cartels de la drogue et les forces policières au Mexique n'avait aucun lien avec un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention.
[3] La demande présentée par l'avocat des demandeurs afin que ses clients soient
évalués dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) a également été rejetée. Les demandeurs ont demandé par la suite l'examen de leur demande de résidence permanente au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire.
[4] L'avocat des demandeurs soutient que, indépendamment des éléments de fond
proprement dits, l'agente d'immigration a rendu sa décision concernant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en violation de l'application régulière de la loi, de sorte que cette décision devrait être annulée. Les deux arguments soulevés à cet égard découlent de la suite des événements décrits ci-dessous.
[5] Le 7 août 2002, l'agente d'immigration a rencontré les demandeurs dans le cadre
d'une entrevue. Une fois celle-ci terminée, l'avocat des demandeurs a expliqué qu'il ne voulait pas que l'on considère qu'il avait présenté toutes ses prétentions car d'autres allaient venir. L'agente d'immigration a pris acte du fait que l'avocat communiquerait des éléments additionnels. Jamais elle n'a indiqué qu'elle allait considérer que les prétentions étaient closes le jour de l'entrevue et qu'elle n'accueillerait pas ou ne prendrait pas en considération d'autres éléments (dossier de demande des demandeurs (DDD), à la page 13, paragraphe 33). Elle a cependant mentionné qu'elle essaierait de rendre sa décision dans un mois environ (DDD, à la page 13, paragraphe 30).
[6] Dans une lettre datée du 20 août 2002, l'avocat des demandeurs a signifié des
éléments de preuve additionnels à l'agente d'immigration et a conclu : [traduction] _ J'espère être en mesure de vous faire parvenir rapidement d'autres lettres d'appui. _ (DDD, à la page 97).
[7] Dans une lettre datée du 29 août 2002, l'avocat des demandeurs a transmis à
l'agente d'immigration des éléments de preuve additionnels pour qu'elle en prenne dûment compte. Or, il ressort du dossier que la décision a été rendue sans que l'on prenne en considération les éléments de preuve en question, la décision étant datée du 28 août 2002 (DDD, à la page 16).
[8] À mon avis, l'agente d'immigration a agi de façon inéquitable en rendant sa
décision sans s'assurer que toute la preuve avait été produite. Elle avait pourtant été avisée, dans la lettre du 20 août, que d'autres éléments de preuve allaient lui être transmis. Elle aurait dû, sur réception de la lettre en question, communiquer avec l'avocat des demandeurs pour fixer la date de remise des éléments de preuve additionnels et pour faire en sorte que la décision soit prise après cette date.
[9] Le deuxième argument invoqué par l'avocat relativement à l'application
régulière de la loi a trait à l'obtention d'une évaluation psychologique des demandeurs.
[10] Dans une autre lettre datée aussi du 20 août 2002, l'avocat a écrit :
[traduction] Le comité d'appels de l'aide juridique a approuvé une dépense extraordinaire pour le compte de Hap Davis, un psychologue agréé de la province d'Alberta, afin qu'il dresse un rapport d'évaluation psychologique de la famille Elizondo. C'est ce dont j'ai été avisé le 29 juillet 2002, alors que j'étais en congé.
Monsieur Davis, qui était également en congé, a fait savoir qu'il serait à l'extérieur de Calgary durant tout le mois d'août.
L'approbation de la requête concernant la dépense extraordinaire par le comité d'appels est spécifique à M. Davis.
Si vous pensez avoir besoin du rapport d'évaluation psychologique de la famille Elizondo, veuillez m'en faire part. Je communiquerai alors avec le bureau de M. Davis pour vous donner, avec un peu de chance, une meilleure idée de la date de son retour et de la date à laquelle son rapport pourrait être prêt.
Si, par contre, vous croyez ne pas avoir besoin d'un rapport d'évaluation psychologique, laissez-moi simplement un court message à cet effet dans ma boîte vocale.
Je vous remercie sincèrement de l'attention que vous porterez à cette lettre. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à me le faire savoir. (DDD, à la page 94)
[11] L'avocat des demandeurs a écrit ce qui suit au sujet de l'évaluation psychologique
dans la lettre du 29 août : [traduction] _ J'espère vivement recevoir une réponse à ma lettre du 20 août 2002 afin de savoir si vous avez besoin d'un rapport d'évaluation psychologique. _ (DDD, à la page 99).
[12] Je crois l'avocat des demandeurs lorsqu'il dit que, en dépit de la demande
formulée dans sa lettre du 20 août afin de savoir si l'agente d'immigration avait besoin de l'évaluation psychologique, il n'a reçu aucune réponse avant que la décision soit rendue le 28 août.
[13] Les motifs invoqués pour justifier le rejet de la demande fondée sur des raisons
d'ordre humanitaire sont les suivants :
[traduction] L'examen attentif de chacun des aspects de la demande, notamment toutes les prétentions écrites et l'entrevue, ne me convainc pas qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour dispenser les demandeurs de l'obligation d'obtenir un visa d'immigrant. Je fonde ma décision sur les motifs suivants :
Les demandeurs n'ont pas rompu leurs liens avec le Mexique. À vrai dire, le fait que plusieurs membres de leur famille vivent dans ce pays et qu'ils y possèdent eux-mêmes une maison fait en sorte qu'ils sont plus étroitement liés au Mexique qu'au Canada.
Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve relatifs à leur établissement et à leur intégration dans la société canadienne ainsi qu'à l'amélioration de leur qualité de vie. Ces éléments de preuve ne sont cependant pas suffisants pour les dispenser de l'obligation d'obtenir un visa.
Les personnes à charge qui accompagnent les demandeurs, dont un nourrisson né au Canada, sont suffisamment jeunes pour s'adapter à une nouvelle école et à un nouvel environnement économique. Les demandeurs n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour m'amener à croire que l'inscription des enfants dans une école du Mexique les désavantagerait.
Si l'on a beaucoup parlé des demandeurs dans les médias, c'est surtout parce qu'ils les ont, de leur plein gré, informés régulièrement de leur situation.
Les contradictions relevées dans les prétentions et dans l'entrevue jettent un doute sur la crédibilité des demandeurs. Ceux-ci ont affirmé qu'ils étaient des personnes riches, prospères et instruites au Mexique. Leur adaptation au Canada ne rend cependant pas compte des capacités et des compétences qu'ils prétendent posséder. Ils ont dû compter sur un réseau d'aide sociale et communautaire pendant la majeure partie du temps qu'ils ont passé au Canada, et ils n'ont demandé un permis de travail que dix mois après la date à laquelle ils auraient pu le faire. Cette façon d'agir va à l'encontre de leur prétention selon laquelle ils ne constitueront pas un fardeau pour la société canadienne. En outre, ils ont reçu beaucoup plus de la collectivité qu'ils n'ont donné. Les demandeurs ont donné naissance à un enfant au Canada alors que leur situation financière et leur statut d'immigrant étaient incertains. Ils prétendent avoir extrêmement peur de la mafia mexicaine; or, ils informent volontairement les médias de leurs allées et venues et de leur situation au Canada. Les demandeurs n'ont présenté que peu d'éléments de preuve concernant les liens qu'ils entretenaient avec l'église St. Michael avant d'y trouver refuge. Ils disent avoir beaucoup à offrir. Ils n'ont cependant pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour le démontrer, particulièrement en ce qui concerne l'église St. Michael. Ils ont plutôt présenté des éléments de preuve substantiels démontrant l'aide que l'église leur apporte. Bien qu'ils affirment vivre dans l'angoisse et craindre pour leur vie, ils n'ont eu recours à aucune des activités subventionnées d'accompagnement psychologique régulièrement offertes à l'église St. Michael. Les demandeurs affirment avoir fait plus d'une centaine de voyages aux États-Unis, mais c'est au Canada qu'ils ont revendiqué le statut de réfugié. Ils affirment que l'épouse du chef de famille a dû faire appel aux forces policières après avoir été violemment poussée ou bousculée par celui-ci. Cette déclaration contredit les lettres d'appui indiquant que les demandeurs sont un atout pour le Canada, et la déclaration du chef de famille selon laquelle il est un bon père de famille. L'ensemble de ces contradictions m'amène à mettre en doute leur crédibilité.
Compte tenu de l'analyse qui précède et des raisons d'ordre humanitaire dont il est question dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, je conclus que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés inhabituelles, injustes ou indues s'ils devaient quitter le Canada et présenter une demande de résidence permanente à un bureau des visas.
Par conséquent, cette demande est rejetée. (DDD, à la page 92)
[14] À la lumière du dossier, y compris les motifs, je suis d'avis que le profil
psychologique des demandeurs constituait un point en litige très important en l'espèce. Les demandeurs ont clairement indiqué dans leur demande avoir été en proie à une grande tension nerveuse depuis leur arrivée au pays (voir DDD, aux pages 32, 34 et 36). Il n'est dont pas surprenant que leur avocat n'ait pas ménagé ses efforts pour obtenir de l'aide financière afin qu'une évaluation puisse être effectuée. Il aurait été préférable cependant, comme il l'a lui-même reconnu, qu'il avise l'agente d'immigration de la présentation éventuelle de l'évaluation, et qu'il lui demande de reporter sa décision jusqu'à ce que l'évaluation en question ait été dûment examinée.
[15] Quoi qu'il en soit, j'estime que l'agente d'immigration savait qu'une
évaluation psychologique pouvait être présentée avant qu'elle rende sa décision. Elle aurait dû répondre à la question posée dans la lettre du 20 août avant de rendre sa décision, en précisant si elle avait ou non besoin de l'évaluation. Il n'est pas surprenant que les demandeurs prétendent qu'il était injuste qu'une décision soit rendue sans que la question de l'évaluation psychologique n'ait été réglée par l'agente d'immigration.
[16] À mon avis, agir de façon [traduction] « humanitaire » signifie prendre toutes
les précautions nécessaires avant de rendre une décision déterminante à l'égard d'individus qui sont tendus et craintifs. Il faut notamment faire preuve de la plus grande prudence lorsqu'il s'agit d'évaluer l'intérêt supérieur des enfants. Comme ces facteurs existaient au moment où elle a rendu la décision faisant l'objet du présent contrôle, l'agente d'immigration avait l'obligation de demander des précisions au sujet de l'évaluation psychologique avant de rendre sa décision.
[17] Le fait de ne pas s'être assurée que tous les éléments de preuve avaient été
présentés et de ne pas avoir réglé la question de l'évaluation psychologique avant de rendre sa décision constitue un manquement à l'application régulière de la loi qui rend la décision susceptible de contrôle.
ORDONNANCE
Par conséquent, j'annule la décision de l'agente d'immigration et je renvoie l'affaire à un autre agent d'immigration pour qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision.
_ Douglas R. Campbell _
Juge
Calgary (Alberta)
Le 12 mars 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4255-02
INTITULÉ : JESUS MANUEL ELIZONDO GONZALEZ
ET AL. c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 12 mars 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Monsieur le juge Campbell
DATE DES MOTIFS : Le 12 mars 2003
COMPARUTIONS :
R. Michael Birnbaum POUR LES DEMANDEURS
Brad Hardstaff POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
R. Michael Birnbaum POUR LES DEMANDEURS
Calgary (Alberta)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada