Date : 20000327
Dossier : T-496-99
ENTRE :
TRUDY CLOSE
demanderesse
- et -
AIR CANADA
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE BLAIS
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne, en date du 18 février 1999, par laquelle la Commission a rejeté la plainte déposée par la demanderesse.
LES FAITS
[2] La demanderesse était employée par Air Canada à titre d'agente de bord de 1973 à 1991. En février 1991, elle a pris un congé autorisé en raison du stress qu'elle vivait. Le 4 octobre 1991, elle a été déclarée apte à travailler et a suivi un programme de réadaptation professionnelle dès novembre 1991. Le programme s'est avéré un échec et la demanderesse a demandé un congé autorisé justifié par son médecin.
[3] Lorsque le congé de la demanderesse a débuté, la compagnie d'assurance La Prudentielle a informé la demanderesse de son admissibilité à des prestations d'invalidité de longue durée.
[4] De décembre 1991 à avril 1992, la demanderesse a suivi un cours de courtier en immeubles et a obtenu son permis en juin 1992.
[5] Son médecin, le Dr Walton, a envoyé une lettre pour aviser la compagnie d'assurance la Prudentielle que la demanderesse s'était bien rétablie et qu'elle était en mesure d'effectuer un retour au travail dès le 1er juillet 1992. La compagnie d'assurance a décidé par conséquent de cesser le versement des prestations à partir du 23 juillet 1992. L'employeur n'a été mis au courant de la cessation des prestations qu'en avril 1993.
[6] Par suite de la tenue d'une enquête, l'employeur a appris que la demanderesse travaillait pour Sutton Centennial Realty, à West Vancouver.
[7] En avril 1993, la demanderesse a été avisée par son superviseur qu'elle devait avoir un certificat médical pour retourner au travail, ou alors démissionner. On lui a donné un délai de deux semaines pour qu'elle prenne sa décision. Au terme du délai, on lui a envoyé une lettre de cessation d'emploi.
[8] Le syndicat a déposé un grief à l'encontre de la cessation d'emploi. La demanderesse soutient qu'elle n'a pas été avisée de cette mesure.
[9] En avril 1994, un programme de retraite anticipée a été mis sur pied et la demanderesse s'est informée au sujet de son admissibilité au programme. On lui a répondu que, depuis mai 1993, elle était suspendue de ses fonctions dans l'attente de son congédiement.
[10] En février 1995, la demanderesse a rencontré les gestionnaires, qui lui ont annoncé que son congé n'était pas autorisé et qu'elle avait accepté de travailler à l'extérieur de la compagnie. C'est au cours de cette réunion qu'elle a appris qu'un grief avait été déposé en 1993. Après que l'employeur eut maintenu sa décision de cesser l'emploi de la demanderesse, le syndicat a déposé un grief au deuxième palier. Ce grief a été rejeté et l'emploi de la demanderesse a pris fin le 2 juillet 1995.
[11] La demanderesse a par la suite demandé que son grief soit renvoyé à l'arbitrage. Le syndicat a refusé de procéder à l'étape de l'arbitrage. La demanderesse a interjeté appel de cette décision, mais sans succès. La demanderesse s'est alors tournée vers le Conseil canadien des relations du travail pour formuler une plainte à l'encontre du syndicat. Le Conseil a rejeté sa plainte le 21 octobre 1996.
[12] La demanderesse a ensuite déposé, le 20 mars 1997, une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne au motif qu'elle a fait l'objet de discrimination sur la base de son invalidité.
[13] Le 18 novembre 1998, l'enquêteur de la Commission a envoyé son rapport aux parties en recommandant que la plainte soit rejetée au motif que l'allégation n'était pas fondée.
DÉCISION DE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
[14] La Commission a conclu que les éléments de preuve n'étayaient pas l'allégation de la demanderesse selon laquelle celle-ci a fait l'objet de discrimination en raison de son invalidité. La preuve montrait que la cessation du versement des prestations du programme d'assurance-salaire a eu lieu conformément aux directives de la demanderesse, lorsqu'elle a terminé le programme de courtier d'immeubles et qu'elle a obtenu son permis. La demanderesse était, par conséquent, en congé non autorisé.
[15] La Commission a conclu en outre que la demanderesse était consciente du fait qu'elle contrevenait à la politique relative aux congés autorisés en ce qui concerne le travail à l'extérieur de la compagnie.
[16] La Commission a noté que la demanderesse a été informée, à deux reprises au moins, que le défaut de se conformer à la demande faite par l'employeur relativement à son statut entraînerait la cessation de son emploi. La demanderesse a choisi de ne pas donner suite à la demande et a vu son emploi prendre fin.
[17] La Commission a recommandé le rejet de la plainte sans tenir d'audience sur la question.
PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE
[18] La demanderesse soulève un certain nombre de questions, mais elle n'a présenté des observations que relativement à quelques-unes d'entre elles.
[19] Elle soutient que la Commission a contrevenu aux principes de justice naturelle en omettant de l'informer de l'heure et du lieu où allait avoir lieu l'audience.
[20] La demanderesse plaide que son congé, certificat médical à l'appui, était autorisé. Elle prétend n'avoir pas eu l'occasion de justifier son état de santé.
[21] Elle note que la défenderesse était au courant que le versement de ses prestations d'assurance avait pris fin, étant donné que le syndicat fournit au bureau du service de bord de la compagnie un rapport mensuel établissant la liste de tous les employés qui reçoivent des prestations à court ou à long terme.
PRÉTENTIONS DE LA DÉFENDERESSE
[22] La défenderesse affirme qu'il est loisible à la Commission de décider, sur la base du rapport de l'enquêteur, si la tenue d'une enquête est justifiée ou non. Cette procédure est valide car le contexte de la Loi établit la présomption que le rapport de l'enquêteur résume avec exactitude les éléments de preuve dont la Commission est saisie.
[23] La défenderesse fait valoir que la Commission n'a pas fait défaut de se conformer au principe d'équité procédurale en choisissant de rejeter la plainte sans tenir d'audience, en application du sous-alinéa 44(3)b)i) de la Loi.
[24] La défenderesse affirme que la Commission n'a pas fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.
[25] La défenderesse soutient qu'il était loisible à la Commission d'arriver à la conclusion qu'elle a tirée à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait. La Commission a conclu que la demanderesse avait opté de ne pas donner suite à la demande formulée, à savoir justifier son état de santé ou retourner au travail, et que l'emploi de la demanderesse a pris fin non pas parce qu'elle était invalide, mais bien parce que son congé n'était pas autorisé.
QUESTIONS EN LITIGE
1. La Commission a-t-elle omis de se conformer à un principe d'équité procédurale en choisissant de ne pas tenir d'audience en vue de déterminer si une enquête relative à la plainte était justifiée aux termes du sous-alinéa 44(3)b)i) de la Loi? |
2. La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait? |
ANALYSE
La norme de contrôle
[26] S'exprimant au nom des juges majoritaires dans l'arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, le juge Sopinka a expliqué ce qui suit :
Malgré la possibilité d'infirmer les décisions de la commission relativement aux conclusions de fait, notre Cour a indiqué qu'un certain degré de retenue judiciaire est requis même dans les cas où il n'existe pas de clause privative afin de tenir compte du principe de la spécialisation des fonctions (voir les arrêts Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, à la p. 1746, et Etobicoke, précité, à la p. 211). Bien que le principe de la retenue judiciaire s'applique aux conclusions de fait, que la commission pouvait être en meilleure position de trancher, il ne s'applique pas relativement aux conclusions de droit qui ne relèvent pas de son champ d'expertise particulier. |
[27] Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] A.C.S. no 20, même si la plupart des juges ont rédigé leurs propres motifs, tous souscrivaient aux motifs du juge La Forest quant à la norme de contrôle :
Toutefois, la position d'un tribunal des droits de la personne n'est pas analogue à celle d'un conseil des relations du travail (ou d'un organisme similaire hautement spécialisé) à l'endroit duquel, même en l'absence d'une clause privative, les cours de justice feront preuve d'une grande retenue relativement à des questions de droit relevant de l'expertise de ces organismes en raison du rôle et des fonctions qui leur sont conférés par leur loi constitutive. La Commission canadienne des droits de la personne remplit certainement de nombreuses fonctions utiles qui visent à sensibiliser, à informer et à conseiller le gouvernement, le public et les cours de justice dans le domaine des droits de la personne (art. 27). |
[...] |
L'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s'étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l'espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d'interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions du tribunal sur des questions de ce genre du point de vue de leur justesse et non en fonction de leur caractère raisonnable. |
[28] Dans l'arrêt Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, une fois de plus, il a été conclu à la majorité que c'est la norme de la décision correcte qui devait s'appliquer aux questions de droit soumises à un tribunal des droits de la personne.
[29] La Cour suprême a clairement indiqué que, bien qu'il convienne de faire preuve d'un certain degré de retenue judiciaire à l'égard des conclusions de fait tirées par un tribunal des droits de la personne, cette retenue est considérablement moindre lorsqu'il s'agit d'une question de droit. En fait, dans ces cas-là, la norme de la décision correcte est celle qui est applicable.
1. La Commission a-t-elle omis de se conformer à un principe d'équité procédurale en choisissant de ne pas tenir d'audience en vue de déterminer si une enquête relative à la plainte était justifiée aux termes du sous-alinéa 44(3)b)i) de la Loi? |
[30] Le paragraphe 44(3) prévoit :
(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission (a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied
(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied
|
(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_: a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_:
b) rejette la plainte, si elle est convaincue_:
|
[31] Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Qué. et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, les juges ont conclu à la majorité ce qui suit :
Le paragraphe 36(3) prévoit deux possibilités sur réception du rapport. La Commission peut adopter le rapport si elle est « convaincue » que la plainte est fondée ou bien rejeter la plainte si elle « est convaincue [...] que la plainte n'est pas fondée » . Je présume que, dans l'hypothèse de l'adoption du rapport, un tribunal est alors constitué en vertu de l'art. 39, à moins qu'intervienne un règlement de la plainte. J'arrive à cette conclusion parce qu'aucun autre redressement n'est prévu pour le plaignant à la suite de l'adoption du rapport. Cet aspect de la procédure devant la Commission a été élucidé par des modifications apportées à la Loi (S.C. 1985, chap. 26, art. 69). La version actuelle du par. 36(3) se trouve au par. 44(3) des L.R.C. (1985), chap. H-6 (modifié par chap. 31 (1er supp.), art. 64) qui dispose que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Commission peut demander la constitution d'un tribunal si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la plainte est justifié. |
L'autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale. |
[32] Dans l'affaire Morisset c. Commission canadienne des droits de la personne (1991), 52 F.T.R. 190, le juge Dubé a statué, aux pages 196 et 197 :
La Loi n'exige pas que les commissaires examinent le dossier d'enquête de façon intégrale. La Loi ne prévoit pas d'audition orale, s'il s'agit d'une enquête, mais bien d'observations écrites, contrairement à l'enquête devant un tribunal où l'audition prend la forme d'un processus contradictoire. C'est en fonction du matériel devant eux que les commissaires ont à décider si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. [Voir Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) , [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 898; Whiteman c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4944 (C.FA.), page D/4944, paragraphe 37973; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) supra, (C.S.C.) p. 902 et Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1988), 9 C.H.R.R. D/4922 (C.FA.), page D/4927.] Dans le cas présent, ils ont décidé qu'il n'était pas justifié de passer à la deuxième étape. La Cour suprême du Canada a décidé qu'il s'agit là d'une décision purement administrative [Voir Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie v. Canada (Canadian Human Rights Commission), supra, à la page 899, (C.S.C.)]. |
[33] En l'espèce, la Commission a ordonné la tenue d'une enquête. Par une lettre datée du 24 avril 1997, elle a demandé aux parties de présenter leurs arguments par écrit, de même que tout document justificatif. La défenderesse a soumis ses arguments écrits. C'est à la suite du rapport de l'enquête que la demanderesse a présenté ses arguments. La Commission a informé les parties qu'elle ne poursuivrait pas l'enquête.
[34] La Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire après avoir observé les règles d'équité procédurale. Le fait de rejeter la plainte sans tenir d'audience relevait de sa compétence. Aucun motif ne justifie une intervention de la Cour.
2. La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait? |
[35] La Commission a fondé sa décision sur l'ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. Ces éléments de preuve établissaient que la demanderesse n'était pas affligée d'une invalidité et qu'elle ne recevait pas de prestation d'invalidité. Elle était par conséquent en congé non autorisé. Elle travaillait à l'extérieur de la compagnie malgré la politique d'Air Canada interdisant le travail au cours de la période du congé autorisé. En outre, la demanderesse n'a pas donné suite aux demandes de précision relatives à son statut d'emploi, bien qu'elle ait été mise au courant des conséquences de cette omission, à savoir la cessation de son emploi, selon ce qu'établit la lettre de la défenderesse datée du 13 avril 1993.
[36] Je ne suis pas convaincu que la Commission ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de manière abusive ou arbitraire.
[37] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Pierre Blais
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 27 mars 2000.
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : T-496-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : Trudy Close c. Air Canada
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 10 mars 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS
PAR LE JUGE BLAIS
EN DATE DU : 27 mars 2000
ONT COMPARU :
Mme Trudy Close EN SON PROPRE NOM
Mme Maryse Tremblay POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Air Canada POUR LA DÉFENDERESSE
Service du contentieux
Saint-Laurent (Québec)