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                                                                                                                               Date :    20050610

                                                                                                                    Dossier : IMM-6655-04

                                                                                                                Référence :    2005 CF 830

ENTRE :

                                                   MANUEL CHUQUIN AVALOS

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

BLANCHARD J.

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur, Manuel Chuquin Avalos, est Péruvien d'origine et résident permanent au Canada. Suite à une condamnation pour avoir conduit un véhicule avec les facultés affaiblies causant la mort de deux personnes et en blessant deux autres, il a reçu l'ordre de quitter le Canada. La Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « la Section d'appel » ) a accordé au demandeur un sursis de la mesure de renvoi pour une période de cinq ans, lui permettant ainsi de demeurer au Canada sous réserve de l'observation de certaines conditions, entre autres de se présenter en personne à tous les six mois au bureau local du défendeur.


[2]                Le demandeur omet de se présenter et, lors d'une révision de l'affaire, la Section d'appel conclut après avoir constaté le non-respect d'une condition, qu'elle n'a aucune juridiction pour entendre l'appel. Elle ordonne la révocation du sursis d'exécution de la mesure de renvoi. L'appel est rejeté pour défaut de compétence le 5 juillet 2004.

CONTEXTE FACTUEL

[3]                Le demandeur arrive au Canada le 8 novembre 1986, est reconnu réfugié le 15 mars 1988 et devient résident permanent le 14 mars 1989.

[4]                Le 22 avril 1992, le demandeur est déclaré coupable de conduite avec les facultés affaiblies et est condamné à payer une amende de 400.00$.

[5]                Le 4 avril 1999, le demandeur est impliqué dans un accident de la route alors qu'il est en état d'ébriété, entraînant la mort de deux personne et en blessant deux autres.

[6]                Voici un résumé des chefs d'accusations auxquels le demandeur plaide coupable le 1er mai 2000 et des peines qui lui sont imposées :


Deux chefs d'accusation de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort contrairement au paragraphe 255(3) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46

Peine de 28 mois d'emprisonnement pour chacun des chefs d'accusation




Deux chefs d'accusation de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles contrairement au paragraphe 255(2) du Code criminel


Peine de 12 mois d'emprisonnement pour chacun des chefs d'accusation


Un chef d'accusation d'avoir conduit un véhicule alors qu'il avait consommé une quantité d'alcool supérieure à 80ml/100mg contrairement aux alinéas 253b) et 255(1)b) du Code criminel

Peine de 6 mois d'emprisonnement


[7]                Le demandeur purge une peine d'emprisonnement d'un an et, le 15 janvier 2002, se voit octroyer une semi-liberté par la Commission nationale des libérations conditionnelles.

[8]                Le 20 mars 2001, un rapport, préparé conformément au paragraphe 27(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-5, désigne le demandeur à titre de résident permanent déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale visé par les sous-alinéas 27(1)d)(i) et 27(1)(d)(ii).

[9]                Le 15 juin 2001, la Section de l'immigration de la Commission conclut que le demandeur est inadmissible au Canada et ordonne son expulsion en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi sur l'immigration.

[10]            Le demandeur se porte en appel de cette décision. Le 27 juin 2002, la Section d'appel lui accorde un sursis d'exécution de la mesure de renvoi pendant une période de cinq ans assorti de conditions, dont la condition numéro 1 qui prévoit l'exigence de se présenter en personne au Centre d'immigration du Canada (CIC) une fois à tous les six mois et à rendre compte au sujet de six éléments, entre autres son emploi et ses conditions actuelles de logement.

[11]            Le 2 février 2004, le demandeur omet de se présenter au CIC.


[12]            Le 26 avril 2004, l'audience a lieu devant la Section d'appel pour une première révision orale de l'ordonnance du 27 juin 2002. Lors de cette audience, le défendeur présente une requête pour rejet d'appel en vertu des articles 197 et 64 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la « LIPR » ). L'appel est rejeté le 5 juillet 2004.

[13]            L'autorisation d'introduire la présente demande de contrôle judiciaire est accordée le 28 octobre 2004.

DÉCISION CONTESTÉE

[14]            La Section d'appel accueille la requête du Ministre en rejet d'appel. L'appel du demandeur est donc rejeté pour défaut de compétence.

[15]            La Section d'appel note en premier lieu qu'elle est liée par les dispositions des articles 197 et 64 de la LIPR. La Section d'appel souligne que, par opération de ces articles, le législateur a voulu priver du droit d'appel les résidents permanents interdits de territoire pour grande criminalité et les résidents permanents condamnés à purger une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans avant l'entrée en vigueur de la LIPR.

Une personne qui, comme [le demandeur], fait l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne Loi, suite à une condamnation pour une infraction criminelle ayant mené à une sentence d'au moins deux ans et qui ne respecte pas une condition du sursis, voit son droit d'appel lui être retiré par l'application des articles 197 et 64 de la Loi.


[16]            La Section d'appel ne retient pas l'argument du demandeur à l'effet que la divergence entre les versions anglaise et française de l'article 197 doit être interprétée en faveur du demandeur. Le demandeur a fait valoir que la version anglaise mentionne que l'article 197 s'applique lorsque la personne intéressée enfreint une condition du sursis, alors que la version française exige plutôt que plus d'une condition du sursis doivent avoir été enfreintes avant que l'article 197 entre en jeu. La Section d'appel conclut que les versions anglaise et française de l'article 197 sont au même effet : si la personne intéressée enfreint une condition du sursis, il n'a pas « respecté les conditions du sursis » . Le demandeur n'a pas soulevé cet argument lors de la présente demande de contrôle judiciaire.

[17]            La Section d'appel rejette aussi l'argument du demandeur voulant qu'il a présenté une excuse raisonnable pour avoir omis de se présenter au CIC le 2 février 2004, et que, par conséquent, il y a absence de mens rea pour conclure au bris de condition. La preuve démontre clairement, selon la Section d'appel, que le demandeur a fait preuve de négligence en l'espèce, ce qui est suffisant pour lui permettre de conclure que le demandeur a enfreint une condition de l'ordonnance de sursis.

[18]            L'argument du demandeur à l'effet que la Section d'appel peut exercer sa discrétion dans l'application de l'article 197 est également rejeté. La Section d'appel conclut qu'après avoir constaté le non-respect d'une condition, elle n'a aucune juridiction pour entendre l'appel. La Section d'appel détermine donc qu'elle est tenue de conclure à la révocation de plein droit du sursis d'exécution de la mesure de renvoi. L'appel est conséquemment rejeté.

QUESTIONS EN LITIGE

[19]            À mon avis, les questions litigieuses soulevées dans le présent dossier sont les suivantes :


1)         La Section d'appel a-t-elle erré en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour relever le demandeur de son défaut de respecter les conditions de son sursis?

2)         L'article 197 de la LIPR est-il inconstitutionnel en ce qu'il serait contraire à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

ANALYSE

Mesures législatives

[20]            Au moment où les dispositions de la LIPR entrent en vigueur, le 28 juin 2002, le dossier du demandeur est pendant devant la Section d'appel. Les dispositions transitoires encadrent donc son traitement. La règle générale, prévue à l'article 192 de la LIPR, dispose que les affaires pendantes devant la Section d'appel au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR sont continuées sous le régime de la Loi sur l'immigration. Des exceptions à cette règle d'application générale sont prévues aux articles 196 et 197 de la LIPR.


192. Anciennes règles, nouvelles sections

S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

192. Immigration Appeal Division

If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board.


[21]            L'article 196 prévoit qu'à moins que la personne fasse l'objet d'un sursis au titre de la Loi sur l'immigration, il est mis fin à l'affaire devant la Section d'appel si la personne est visée par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la LIPR.



196. Appels

Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

196. Appeals

Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.


[22]            L'article 197 prévoit que si la personne fait l'objet d'un sursis, l'affaire continue à moins que la personne ne respecte pas les conditions du sursis. Si un bris de condition survient, l'affaire devient alors assujettie à l'article 64 de la LIPR.


197. Sursis

Malgré l'article 192, l'intéressé qui fait l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi et qui n'a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.

197. Stays

Despite section 192, if an appellant who has been granted a stay under the former Act breaches a condition of the stay, the appellant shall be subject to the provisions of section 64 and subsection 68(4) of this Act.


[23]            L'article 64 de la LIPR prévoit qu'un résident permanent interdit de territoire condamné à une peine d'emprisonnement de plus de deux ans ne peut interjeter appel.


64. Restriction du droit d'appel

(1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

Grande criminalité

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

64. No appeal for inadmissibility

(1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

Serious criminality

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.



[24]            Le paragraphe 36(1) de la LIPR définit les personnes interdites de territoires au Canada pour cause de grande criminalité. En l'espèce, le demandeur tombe sous le coup de cette disposition.


36. Grande criminalité

(1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

36. Serious criminality

(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.


[25]            Le demandeur prétend que la Section d'appel a erré en appliquant ces dispositions, plus particulièrement en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour le relever de son défaut de respecter les conditions de son sursis. Le demandeur soutient en outre que l'article 197 est inconstitutionnel en ce qu'il contrevient aux droits fondamentaux garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la « Charte » ).


1)         La Section d'appel a-t-elle erré en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour relever le demandeur de son défaut de respecter les conditions de son sursis?

[26]            Ce point en litige soulève des questions relatives à la compétence de la Section d'appel et à l'interprétation des dispositions étayant cette compétence, essentiellement une question de droit. La Section d'appel devait déterminer si elle avait le pouvoir de trancher l'appel du demandeur. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à cette détermination est celle de la décision correcte : Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982.

[27]            Sur des questions de nature factuelle, il est bien établi que cette Cour accorde une grande déférence à la Section d'appel. D'ailleurs, l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, prévoit que de telles déterminations ne seront infirmées que si elles constituent une conclusion de fait erronée, si elles sont tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.


18.1 Motifs

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1 Grounds of review

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;



[28]            Le demandeur soutient que l'article 197 ne permet aucune analyse des circonstances entourant le bris de condition. L'individu ne respectant pas une condition est automatiquement responsable et n'a aucunement la chance de faire valoir une explication. Il ne peut pas démontrer l'absence de mens rea : R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606. Selon le demandeur, en l'espèce, la Section d'appel n'a pas effectué l'analyse des circonstances entourant le bris. Les motifs de la décision contestée ne laissent aucunement transparaître que les explications du demandeur ont été considérées.

[29]            Le demandeur avance que la Section d'appel a erré en refusant d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 174 de la LIPR. Le demandeur soutient que le rôle de la Section d'appel ne se limite pas à constater le bris et à se départir du dossier. La Section d'appel doit plutôt procéder à l'analyse des circonstances propres à chaque dossier et utiliser son pouvoir discrétionnaire : Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] CF 1524. Elle est d'ailleurs tenue d'exercer ce pouvoir discrétionnaire en cohérence avec les objectifs de la LIPR.

[30]            Le demandeur souligne enfin qu'il s'était vu accorder un sursis pour des raisons d'ordre humanitaire. Le Ministre n'avait d'ailleurs pas jugé bon de soumettre le dossier du demandeur pour obtenir un avis de dangerosité. La situation n'a pas changé.

[31]            Selon le défendeur, aucune disposition de la LIPR ne permet à la Section d'appel, une fois qu'elle a constaté le bris d'une condition, de relever un appelant de son défaut. La Section d'appel avait donc raison, selon le défendeur, de s'estimer liée par les dispositions impératives qui ne lui confèrent aucune discrétion.


[32]            Puisque l'appel du demandeur a été déposé avant l'entrée en vigueur de la LIPR, il devrait, en vertu de l'article 192, être poursuivi sous le régime de la Loi sur l'immigration. Cependant, le demandeur a obtenu un sursis de la mesure de renvoi et il a brisé une condition dont ce sursis est assorti. Ces circonstances font entrer en jeu l'article 197 de la LIPR. Les dispositions de cet article prévoient que le demandeur est assujetti à la restriction du droit d'appel énoncée à l'article 64.

[33]            En l'espèce, le demandeur est effectivement assujetti à l'application de l'article 64 et ne peut interjeter appel de la mesure d'expulsion. Compte tenu du fait qu'il a été condamné à des peines d'emprisonnement de plus de six mois, le demandeur était considéré une personne inadmissible en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration et, par opération de l'alinéa 320(5)a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, il est aujourd'hui considéré inadmissible pour cause de grande criminalité en vertu du paragraphe 36(1) de la LIPR.

[34]            Je ne peux retenir l'argument du demandeur que l'article 197 ne permet aucune analyse des circonstances entourant le bris de condition et qu'en l'espèce le demandeur n'ait pu faire valoir une explication. L'article 197 n'empêche pas la Section d'appel de considérer toutes explications raisonnables se rapportant au bris de condition. À mon avis, la Section d'appel a l'obligation de considérer les excuses apportées par le demandeur afin d'expliquer son défaut, ce qu'elle a fait en l'espèce. La Section d'appel a expressément considéré l'explication apportée par le demandeur afin d'expliquer son défaut et l'a jugée non suffisante. Conséquemment, je suis d'avis que les principes de justice naturelle ont été respectés en l'espèce.


[35]            La Section d'appel a déterminé que les faits indiquaient une certaine négligence de la part du demandeur et que ce dernier n'avait pas démontré que son défaut de respecter une condition rattachée à son sursis était dû à des circonstances hors de son contrôle.

Le tribunal va maintenant traiter de l'argument contenu au paragraphe 16 de la réponse de l'avocat [du demandeur]. Le tribunal est également d'avis que cet argument ne peut être valablement retenu. En effet, la preuve démontre clairement que [le demandeur] a fait preuve de négligence en ne se présentant pas au CIC tel qu'il devait le faire. Cette négligence est suffisante, au yeux du tribunal, pour lui permettre de conclure que [le demandeur] a enfreint la condition numéro 1 de l'ordonnance de sursis.

La pièce R-2, à laquelle le tribunal a déjà référé, de même que le témoignage [du demandeur] confirment le fait que cette condition a été enfreinte. Le tribunal note également que deux mois après la date où il devait se présenter, [le demandeur] ne s'était toujours pas présenté au CIC. Le tribunal a également noté l'admission [du demandeur], lors de l'audience, quant au non-respect de cette condition. Les explications offertes par celui-ci sont insuffisantes pour justifier le non-respect de cette condition.

Au surplus, la preuve démontre que le demandeur savait que tout défaut de sa part de respecter les conditions du sursis entraînerait la levée du sursis de la mesure d'expulsion. À la lumière de l'ensemble de la preuve, je ne peux conclure que le rejet de l'explication du demandeur par la Section d'appel est une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

[36]            La Commission a jugé que le défaut n'a pas été adéquatement expliqué par le demandeur, a constaté le défaut et a conclu que l'article 64 de la LIPR s'appliquait, lui dérobant la compétence pour trancher l'appel. La Section d'appel, à mon avis, s'est bien dirigée en droit. Il n'y a conséquemment pas matière à intervention.


[37]            Malgré la conclusion à laquelle j'en viens sur la première question en litige, il demeure tout de même que le demandeur argumente que l'article 197 contrevient aux droits fondamentaux garantis par l'article 7 de la Charte. Je dois donc considérer cette seconde question en litige.

2)         L'article 197 de la LIPR est-il inconstitutionnel en ce qu'il serait contraire à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Mesures législatives

[38]            L'article 7 de la Charte dispose :


7. Vie, liberté et sécurité

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Life, liberty and security of person

Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


[39]            Il est de jurisprudence constante que le fardeau juridique d'établir qu'il y a une violation de la Charte incombe au requérant, en l'espèce le demandeur : R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771.

[40]            Le demandeur fait valoir en l'espèce que l'article 7 est violé par les dispositions de l'article 197 de la LIPR. La Cour suprême du Canada a élaboré l'analyse à effectuer afin de déterminer si nous sommes en présence d'une violation de l'article 7 dans l'arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, analyse qu'elle a raffinée dans R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417 :

1)         déterminer s'il y a privation réelle ou imminente de la vie, la liberté, la sécurité de la personne ou une combinaison de ces trois droits;

2)         identifier et qualifier le ou les principes de justice fondamentale pertinents;


3)         déterminer si la privation s'est produite conformément aux principes pertinents.

[41]            Toujours selon la Cour suprême dans White, supra, l'atteinte à l'article 7 de la Charte sera établie quand la privation de la vie, la liberté ou la sécurité de la personne « s'est produite ou est sur le point de se produire d'une manière non conforme aux principes de la justice fondamentale. »

[42]            Advenant qu'une violation de l'article 7 soit établie, elle peut tout de même être justifée en vertu de l'article 1 de la Charte. Cette disposition se lit comme suit :


1. Droits et libertés au Canada

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

1. Rights and freedoms in Canada

The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.


[43]            Le test à appliquer pour déterminer si une violation d'un droit garanti par la Charte est justifiée est établi dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Pour répondre aux critères fondamentaux de l'article 1, il faut :

1)         démontrer l'existence d'un objectif suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit traduisant des préoccupations du législateur urgentes et réelles;

2)         que les moyens employés pour atteindre cet objectif soient raisonnables

a)         les mesures doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni irrationnelles;

b)         les moyens employés portent le moins possible atteinte aux droits et libertés;


c)         il y a une proportionnalité entre les effets des mesures employées et l'objectif reconnu comme suffisamment important.

[44]            Le demandeur avance les arguments suivants :

-           l'article 197 de la LIPR contrevient aux principes de justice fondamentale en ce qu'il confère à la LIPR une portée excessive puisque les moyens législatifs ne sont pas nécessaires pour atteindre l'objectif visé : R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761;

-           la restriction créée par l'article 197 est déraisonnable et injustifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique : Oakes, supra;

-           il n'est pas urgent de renvoyer les individus ayant obtenu un sursis d'exécution d'une mesure de renvoi « en faisant prévaloir des éléments de fait de nature humanitaire et justifiant leur maintien au Canada » ;

-           l'article 197 de la LIPR est arbitraire en ce qu'il ne permet pas de vérifier le contexte du bris et il est impossible de présenter une défense puisque son application est automatique;

-           l'effet préjudiciable de l'article 197 sur le demandeur est trop important pour que la mesure de renvoi soit justifiée par les objectifs qu'elle doit servir.


[45]            Ayant considéré l'entièreté du dossier en l'espèce, je suis d'avis que la question litigieuse en l'espèce met en cause la validité constitutionnelle d'une disposition législative concernant l'appel à la Section d'appel. Cette question est à distinguer de la question de la validité de la mesure de renvoi prise à l'égard du demandeur. Celui-ci a d'ailleurs admis, lors de l'audience devant la Section d'appel, que cette mesure est valide en droit.

[46]            La faiblesse majeure dans l'argumentation du demandeur est le fait qu'il attaque la question de justice fondamentale sans préalablement démontrer comment un ou plusieurs des droits garantis par l'article 7 sont engagés en l'espèce. En ce qui a trait à l'argument du demandeur que l'article 7 a une portée excessive, je souligne les propos de la Cour suprême dans l'arrêt Heywood, supra, à la page 764, qui dénotent que la notion de portée excessive est apparentée au principe de justice fondamentale :

L'analyse de la portée excessive porte sur les moyens choisis par l'État par rapport à l'objet qu'il vise. Le tribunal doit se demander si les moyens choisis sont nécessaires pour atteindre l'objectif de l'État. Si, dans un but légitime, l'État utilise des moyens excessifs pour atteindre cet objectif, il y aura violation des principes de justice fondamentale parce que les droits de la personne auront été restreints sans motif. Lorsqu'une loi a une portée excessive, il s'ensuit qu'elle est arbitraire ou disproportionnée dans certaines de ses applications.

[47]            À ce titre, je m'estime lié par la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48. Cette affaire portait sur l'application des articles 196 et 64 de la LIPR. L'article 196, tel qu'exposé précédemment, prévoit qu'il est mis fin à l'appel devant la Section d'appel si la personne est visée par la restriction du droit d'appel prévue à l'article 64, à moins que la personne fasse l'objet d'un sursis au titre de la Loi sur l'immigration.


[48]            La majorité de la Cour d'appel, dans cette affaire, a déterminé que l'article 196 de la LIPR ne compromet pas les droits prévus à l'article 7 de la Charte. Elle a jugé que le fait d'assujettir, en vertu des articles 196 et 64 de la LIPR, une personne dont l'appel est pendant devant la Section d'appel, aux mêmes restrictions que celles dont l'appel a été logé après l'entrée en vigueur de la LIPR ne va pas à l'encontre des principes de justice fondamentale. La majorité de la Cour d'appel note d'ailleurs que l'interprétation qu'elle effectue de l'article 196 est renforcée par l'article 197.

[49]            Même en supposant que les droits garantis par l'article 197 de la LIPR soient engagés en l'espèce, cette disposition législative ne viole pas les principes de justice fondamentale. Tel que le souligne le défendeur, aucune raison n'existe empêchant l'application du raisonnement étayé dans l'affaire Medovarski, supra, au présent dossier. Non seulement les principes de justice naturelle ont été respectés en l'espèce, tel que précédemment conclu, les principes de justice fondamentale ne sont pas compromis en l'espèce par l'article 197 de la LIPR.

[50]            Je suis d'accord avec le défendeur qui argument que, s'il n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale de mettre fin à l'appel d'une personne assujettie à une mesure de renvoi parce qu'elle a commis un crime grave et qui ne faisait pas l'objet d'un sursis au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR (article 196), à plus forte raison il n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale de mettre fin à l'appel de cette même personne, dans la mesure où, faisant l'objet d'un sursis, elle profite d'un régime d'exception mais n'a pas su en respecter les conditions (article 197).


[51]            J'accepte l'argument du défendeur voulant que, même dans le cadre d'une société démocratique, on ne peut se prévaloir d'un droit d'appel dans tous les cas : Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863. Ce droit est créé par le législateur qui peut tout aussi bien l'abolir. La Cour d'appel se prononce d'ailleurs sur cette question dans Medovarski, supra, en se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.

En l'absence d'une disposition dans la Constitution qui accorde le droit d'en appeler d'une mesure de renvoi, je ne suis pas convaincu que le fait d'appliquer l'article 196 à Mme Medovarski constitue une violation de l'article 7. [...] Encore une fois, comme je l'ai déjà dit, personne ne peut avoir une attente légitime que des droits accordés par le législateur en matière de procédure ne soient jamais supprimés.

[52]            De plus, en dépit de l'application des articles 197 et 64 de la LIPR, le demandeur n'est pas privé de tout recours. Il lui est possible de présenter une demande de dispense fondée sur des motifs d'ordre humanitaire en vertu de l'article 25. Il est également sujet au principe de non-refoulement prévu au paragraphe 115(1) de la LIPR, c'est-à-dire, qu'il ne sera pas renvoyé à son pays d'origine s'il existe un risque qu'il y soit persécuté, torturé ou assujetti à un traitement ou une peine cruels ou inusités.

[53]            En ce qui a trait à l'argument du demandeur voulant que l'article 197 l'empêche de démontrer l'absence de mens rea, ou d'intention coupable de briser une des condition du sursis, je tiens à souligner que nous sommes en l'espèce dans le cadre d'un contrôle judiciaire d'une décision en matière d'immigration et non de droit criminel. La norme de la preuve est celle de la prépondérance des probabilités et le fardeau repose sur le demandeur d'établir que les faits en cause ne constituent pas un bris de condition, sans quoi l'article 197 et, par conséquent l'article 64, s'appliqueront.


[54]            En somme, je conclus que le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau d'établir la violation de l'article 7 de la Charte. Bien que je reconnaisse le caractère sérieux de la question soulevée en l'espèce, je suis d'avis que preuve n'a pas été faite d'une violation de l'article 7 de la Charte. Il est par conséquent inutile de procéder à la détermination sous l'article premier de la Charte.

CONCLUSION

[55]            À la lumière des motifs exposés précédemment, et en raison de ma conclusion négative sur les questions en litige soulevées en l'espèce, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[56]            Les parties auront 14 jours de la réception de ces motifs pour signifier et déposer une question pour certification. Par la suite, les parties auront 5 jours pour signifier et déposer leur réplique.

[57]            Après considération des soumissions, une ordonnance sera émise rejetant la demande de contrôle judiciaire et disposera de la question à certifier.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                     Juge                     

Ottawa (Ontario)

le 10 juin 2005


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6655-04

INTITULÉ :                                        Manuel Chuquin Avalos c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 24 mai 2005

MOTIFS de l'ordonnance : L'honorable Edmond P. Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 10 juin 2005

COMPARUTIONS:

Me Pierre Tabah                                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Me François Joyal                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Pierre Tabah                                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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