Dossier : IMM-1203-02
Référence neutre : 2003 CFPI 15
Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY
ENTRE :
BAO YING QIU
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). La décision a été rendue par un tribunal composé d'un seul commissaire de la SAI, Eric Whist (le commissaire). Par sa décision, la SAI a rejeté l'appel présenté par la demanderesse à l'égard de la conclusion tirée par une commission d'enquête selon laquelle la demanderesse ne pouvait pas être admise au Canada en raison de fausses déclarations faites dans sa demande d'immigration au Canada.
LA QUESTION EN LITIGE
[2] La question qui m'est soumise est celle de savoir si le commissaire a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable ou a commis une erreur de droit lorsqu'il a rendu sa décision.
[3] Je réponds à la question par la négative et je rejette la présente demande pour les motifs ci-après énoncés.
LES FAITS
[4] La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine (Chine). Sa fille, Yu Yu Qin, a parrainé la demande d'immigration au Canada présentée par la demanderesse. Elle a soumis une demande de résidence permanente au nom de sa mère, la demanderesse, au bureau de Buffalo, dans l'État de New York. Dans la demande, il est mentionné que la demanderesse est veuve. Le visa d'immigrant délivré par le défendeur en décembre 1999 mentionne que la demanderesse était veuve à ce moment.
[5] La demanderesse est arrivée au Canada le 24 juillet 2000 à l'aéroport international de Vancouver. À son arrivée, la demanderesse a été interrogée par l'agente d'immigration Mme Marlena Majbaum (AI). Il est à noter que la demanderesse ne parle qu'un dialecte particulier, soit celui de la province de Fujian. Elle ne parle pas anglais ni aucune des deux langues les plus répandues en Chine, soit le cantonais et le mandarin. En outre, la demanderesse prétend être analphabète. Bien que les services d'un interprète aient pu être obtenus pour l'interrogatoire de la demanderesse à son arrivée au Canada et lors des autres instances mentionnées ci-après, il a parfois été difficile d'interroger la demanderesse et de la comprendre.
[6] Au cours de l'interrogatoire tenu à son arrivée, la demanderesse a déclaré que son époux était vivant. Cette déclaration contredisait l'information relative à son état matrimonial contenue sur son visa. Un agent du défendeur a donc préparé un rapport suivant le paragraphe 20(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi). Ce paragraphe prévoit qu'un rapport doit être préparé afin que soit signalé le cas de personnes qui ne peuvent être admises :
20. (1) L'agent d'immigration qui, après interrogatoire, estime que le fait d'admettre ou de laisser entrer l'intéressé au Canada contreviendrait ou pourrait contrevenir à la présente loi ou à ses règlements peut le retenir ou prendre une mesure à cet effet. Il est tenu : |
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20. (1) Where an immigration officer is of the opinion that it would or may be contrary to this Act or the regulations to grant admission to a person examined by the officer or otherwise let that person come into Canada, the officer may detain or make an order to detain that person and shall |
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a) soit, sous réserve du paragraphe (2), de signaler son cas dans un rapport écrit, à un agent principal; |
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(a) subject to subsection (2), report that person in writing to a senior immigration officer; or |
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b) soit de l'autoriser à quitter le Canada sans délai. |
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(b) allow that person to leave Canada forthwith.
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Le paragraphe 20(2) ne s'applique pas en l'espèce étant donné que la demanderesse n'est pas entrée au Canada en provenance des États-Unis.
[7] Le rapport, préparé le jour de l'arrivée de la demanderesse au Canada, concluait que la demanderesse faisait partie d'une catégorie de personnes qui ne peuvent pas être admises au Canada. Un des motifs de cette conclusion touchait l'époux de la demanderesse qui était considéré comme une personne à charge qui n'accompagnait pas la demanderesse. La demanderesse n'a pas établi si son époux remplissait les conditions prévues à la Loi ou au Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement). Une des conditions à remplir était l'examen médical que l'époux de la demanderesse aurait eu à subir.
[8] L'autre principal facteur motivant la préparation d'un rapport était le fait que le visa d'immigrant de la demanderesse (un visa IMM-1000) mentionnait qu'elle était veuve. La demanderesse n'a révélé l'existence de son époux à aucun agent des visas canadien. Toutefois, elle a admis à l'AI que son époux était encore vivant et que, immédiatement avant qu'elle quitte la province de Fujian en Chine, elle vivait dans sa maison avec son époux qui était le seul homme qu'elle ait épousé.
[9] À la suite du rapport, l'affaire a été transmise à une commission d'enquête qui était présidée par une arbitre, Mme S. Gratton. La commission d'enquête a tenu des audiences le 24 novembre 2000, le 1er février 2001 et le 19 avril 2001. Le 14 mai 2001, l'arbitre a pris une mesure d'exclusion à l'égard de la demanderesse. La mesure d'exclusion était fondée sur l'alinéa 19(2)d) de la Loi :
(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui : |
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(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes: |
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[...] |
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[...] |
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d) soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire. |
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(d) persons who cannot or do not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of this Act or the regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations. |
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[10] L'article 12 du Règlement a été précisément invoqué comme un article que la demanderesse ne respectait pas :
12. Un immigrant à qui un visa a été délivré et qui se présente pour examen devant un agent d'immigration à un point d'entrée, conformément au paragraphe 12(1) de la Loi, doit |
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12. An immigrant who has been issued a visa and who appears before an immigration officer at a port of entry for examination pursuant to subsection 12(1) of the Act is required |
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a) si son état matrimonial a changé depuis la délivrance du visa, ou |
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(a) if his marital status has changed since the visa was issued to him, or |
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b) si des faits influant sur la délivrance du visa ont changé depuis que le visa a été délivré ou n'ont pas été révélés au moment où le visa a été délivré, établir |
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(b) if any other facts relevant to the issuance of the visa have changed since the visa was issued to him or were not disclosed at the time of issue thereof, to establish that at the time of the examination |
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c) que lui-même et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, dans le cas où un visa a été délivré à l'immigrant conformément au paragraphe 6(1), à l'article 9 ou aux paragraphes 10(1) ou (1.1) ou 11(3) ou (4), |
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(c) the immigrant and the immigrant's dependants, whether accompanying dependants or not, where a visa was issued to the immigrant pursuant to subsection 6(1), section 9 or subsection 10(1) or (1.1) or 11(3) or (4), or |
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d) que lui-même et les personnes à sa charge qui l'accompagnent, dans tout autre cas, |
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(d) the immigrant and the immigrant's accompanying dependants, in any other case, |
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satisfont, au moment de l'examen, aux exigences de la Loi et du présent règlement ainsi qu'à celles du Règlement sur les catégories d'immigrants précisées pour des motifs d'ordre humanitaire, y compris les exigences relatives à la délivrance du visa. |
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meet the requirements of the Act, these Regulations and the Humanitarian Designated Classes Regulations, including the requirements for the issuance of the visa. |
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[11] La demanderesse a interjeté auprès de la SAI un appel de la conclusion tirée par la commission d'enquête. Le commissaire a entendu la demanderesse le 11 janvier 2002. Il a rendu sa décision le 14 janvier 2002. Par sa décision, le commissaire a rejeté l'appel de la demanderesse et a permis que la mesure d'exclusion soit maintenue.
LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE
[12] La principale question de l'appel à la SAI était la question de savoir s'il existait des raisons d'ordre humanitaire qui appuieraient la prétention selon laquelle la demanderesse ne devrait pas être renvoyée du Canada. La demanderesse n'a pas contesté la validité sur le plan juridique de la mesure d'exclusion qui a ainsi été jugée bien fondée en droit. La principale question lors de l'appel était par conséquent l'applicabilité de l'alinéa 70(3)b) :
(3) Les moyens que peuvent invoquer les appelants visés au paragraphe (2) sont les suivants : |
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(3) An appeal to the Appeal Division under subsection (2) may be based on either or both of the following grounds: |
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a) question de droit, de fait ou mixte; |
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(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and |
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b) le fait que, pour des raisons d'ordre humanitaire, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada. |
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(b) on the ground that, having regard to the existence of compassionate or humanitarian considerations, the person should not be removed from Canada. |
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[13] Le commissaire a fait remarquer que la demanderesse avait déclaré à la commission d'enquête que son époux était décédé le 24 mars 1998. Elle a présenté un acte de décès qui mentionnait le nom de son époux et la date du 24 mars 1998 comme date de décès. Elle a fourni un affidavit signé par son fils. Dans l'affidavit, le fils de la demanderesse affirmait que son père était décédé le 24 mars 1998.
[14] Toutefois, l'époux de la demanderesse n'est pas décédé le 24 mars 1998. Un représentant du défendeur a procédé à une enquête au cours de laquelle un agent responsable a rencontré l'époux de la demanderesse en décembre 2000. Cet agent responsable a fait une déclaration à cet égard et une mesure d'exclusion a été prise.
[15] Le commissaire a affirmé que les fausses déclarations de la demanderesse à l'égard de son époux étaient importantes parce qu'elles privaient le défendeur de la possibilité d'établir si l'époux de la demanderesse était admissible au Canada en tant que personne à charge qui accompagne ou non la demanderesse. Un examen médical de l'époux de la demanderesse aurait été une des conditions à remplir.
[16] À l'audience de la SAI, la demanderesse a témoigné qu'elle et son époux ne s'entendaient pas sur la question de savoir s'ils devaient venir au Canada. À la suite de disputes entre eux, elle était embarrassée et troublée et elle a décidé de dire que son époux était décédé. La fille de la demanderesse a témoigné que sa mère lui avait dit qu'elle déclarerait aux autorités d'immigration canadiennes que son époux était décédé. La demanderesse a dit à sa fille qu'elle devrait faire des déclarations à cet égard lorsqu'elle compléterait les documents en son nom, y compris la demande de résidence permanente.
[17] Le tribunal a conclu que la demanderesse avait fait des efforts soutenus pour cacher le fait qu'elle était mariée. Elle a fait de fausses déclarations quant à son état matrimonial dans sa demande de résidence permanente et devant la commission d'enquête et elle a fourni un acte de décès frauduleux pour appuyer ses prétentions. La raison probable de toutes ces actions, selon le commissaire, était qu'elle savait que l'état de santé lamentable de son époux compromettrait probablement les chances que sa demande de résidence permanente soit acceptée.
[18] Le commissaire a déclaré qu'il voyait d'un mauvais oeil cette façon de procéder et a accordé peu d'importance aux excuses exprimées par la demanderesse lors de l'audience. La SAI ne trouvait pas important que la fille de la demanderesse soit l'instigatrice des efforts faits pour faire de fausses déclarations relativement à l'état matrimonial de la demanderesse, cette dernière ayant participé personnellement et consciemment à la tromperie.
[19] L'époux de la demanderesse est décédé le 10 septembre 2001. Une preuve de son décès a été présentée à l'audience et a été acceptée par le commissaire. Le commissaire a établi que bien que le décès de l'époux de la demanderesse fasse tomber la barrière de son inadmissibilité, sa situation n'en était pas une qui justifiait qu'une mesure spéciale soit octroyée. La tentative délibérée de se soustraire aux exigences des autorités d'immigration canadiennes était un facteur qui avait une grande importance dans la décision du commissaire de ne pas exercer son pouvoir d'octroyer une mesure spéciale fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.
[20] Au départ, la Cour a refusé d'entendre la demande présentée par la demanderesse en mars 2002 parce qu'elle avait été présentée après le délai normalement prévu pour le dépôt de telles demandes. Cependant, la question du retard a été tranchée par M. le protonotaire Lafrenière le 8 mai 2002. Le protonotaire a rendu une ordonnance accueillant la demande présentée par la demanderesse dans le but de déposer un dossier complémentaire de demande afin de remplir les conditions de dépôt de dossiers. Mme le juge Dawson a accordé l'autorisation de présenter la présente demande de contrôle judiciaire par une ordonnance datée du 9 octobre 2002.
LES OBSERVATIONS DES PARTIES
Demanderesse
[21] Le commissaire a tiré une conclusion de fait déraisonnable. Les documents dans lesquels l'état matrimonial de la demanderesse était faussement établi ont été soumis sans sa participation ou sans qu'elle en ait eu connaissance. Elle n'était pas au courant de ces documents jusqu'à ce qu'elle arrive au Canada en juillet 2000. Les réponses aux questions qui ont été posées à la demanderesse à son arrivée au Canada démontrent qu'elle ne savait pas ce que contenaient les documents. Ses déclarations selon lesquelles elle était mariée et son mari était vivant démontrent qu'elle était incapable de faire les fausses déclarations qui lui sont attribuées. Le commissaire ne pouvait par conséquent pas conclure que la demanderesse avait intentionnellement trompé les autorités canadiennes et qu'elle avait fait des efforts soutenus pour les tromper.
[22] De façon subsidiaire, le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a refusé d'octroyer une mesure spéciale à la demanderesse compte tenu de ses circonstances difficiles. La demanderesse est une veuve âgée non instruite et elle n'a pas de famille qui vit encore en Chine. Le fait de la renvoyer en Chine en attendant la décision qui serait rendue à la suite d'une nouvelle demande serait [TRADUCTION] « une punition exagérée » (dossier de demande complémentaire, à la page 39) pour une fausse déclaration dont elle n'était pas à l'origine l'instigatrice. Le commissaire a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a refusé d'exercer son pouvoir d'octroyer une mesure fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.
[23] Dans une affaire similaire, la décision Cabalfin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 235 (1re inst.), M. le juge Joyal (alors juge à la Section de première instance) a annulé une décision selon laquelle il n'existait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour que le droit d'établissement soit accordé aux demandeurs qui étaient entrés au Canada au moyen d'un stratagème et avaient fait une fausse déclaration. Le fait de refuser l'octroi d'une mesure spéciale à un demandeur qui a fait de fausses déclarations constitue une entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire parce que cela établit des limites restreintes à l'exercice du pouvoir discrétionnaire.
[24] La seule définition de l'expression « raisons d'ordre humanitaire » donnée par une cour d'archives est celle énoncée dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1970] D.S.A.I. no 1 (QL). Le critère établi dans cette décision de la SAI semble n'avoir jamais été utilisé. Le tribunal a plutôt erronément appliqué la décision Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] D.S.A.I. no 600, dossier TA98-00716, (QL). L'affaire précédemment mentionnée traitait des dispositions relatives au seuil de faible revenu et ne s'applique pas en l'espèce.
[25] Le critère approprié à l'égard de raisons d'ordre humanitaire aurait permis que soit tirée une conclusion selon laquelle une mesure spéciale devait être octroyée à la demanderesse. Le regroupement familial est l'un des principes prépondérants de la Loi. De façon plus importante, la question à l'égard de laquelle les fausses déclarations avaient été faites n'existe plus étant donné que l'époux de la demanderesse est décédé en septembre 2001. La présence de la demanderesse au Canada profite à sa famille, dont les membres sont citoyens canadiens, et n'est pas préjudiciable au défendeur ou au gouvernement canadien de façon générale.
[26] La mesure d'exclusion n'a rien à voir avec les mensonges de la demanderesse.
Défendeur
[27] La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions de la SAI est la décision manifestement déraisonnable, dénotant que les cours de justice doivent faire preuve de beaucoup de retenue envers la SAI. Une cour de justice n'interviendra pas à l'égard de l'exercice par la SAI du pouvoir discrétionnaire prévu par la loi dans la mesure où ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et sans que des facteurs extérieurs ou non pertinents aient été pris en compte.
[28] La SAI n'a pas commis une « erreur importante quant aux faits » lorsqu'elle a conclu que la demanderesse était au courant des efforts faits dans le but de tromper les autorités d'immigration à l'égard de son état matrimonial. La preuve, y compris le témoignage de la demanderesse elle-même, appuie la conclusion de la SAI. La demanderesse conteste essentiellement l'importance accordée par la SAI à la preuve. La Cour ne peut pas substituer son appréciation de la preuve à celle de la SAI. En outre, la Cour doit confirmer l'exercice du pouvoir discrétionnaire fait par le ministre dans le cadre d'une demande d'octroi de mesure spéciale fondée sur des raisons d'ordre humanitaire même si elle aurait conclu autrement.
[29] La décision Cabalfin, précitée, à laquelle la demanderesse renvoie, ne s'applique pas en l'espèce. Dans la décision Cabalfin, l'agent d'immigration a omis d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui conférait la Loi. Il croyait, de façon erronée, qu'il devait refuser d'examiner la demande des demanderesses qui lui était soumise, omettant de ce fait de prendre en compte d'autres facteurs liés aux raisons d'ordre humanitaire et commettant une erreur touchant la compétence. En l'espèce, la SAI a mentionné de façon appropriée le fait que la demanderesse avait fait de fausses déclarations.
[30] La demanderesse fait une erreur quant au critère qui doit être appliqué. Une définition de l'expression « raisons d'ordre humanitaire » utilisée par un tribunal, l'entité qui a précédé la SAI actuelle, ne constitue pas le critère qui permet à la Cour d'intervenir à l'égard d'une décision rendue en application d'un pouvoir discrétionnaire. Les cours de justice ne sont pas habilitées à apprécier à nouveau la preuve soumise à la SAI. Les prétentions de la demanderesse, si elles étaient acceptées dans leur entièreté, auraient comme résultat que le pouvoir discrétionnaire accordé par le Parlement à la SAI suivant la loi perdrait tous ses effets.
[31] Les motifs énoncés par la SAI sont appropriés et rationnels. L'intervention de la Cour à l'égard du pouvoir discrétionnaire de la SAI priverait cette dernière d'un pouvoir que le Parlement lui a exclusivement réservé.
ANALYSE
Conclusions de fait
[32] La norme de la décision manifestement déraisonnable doit être appliquée au contrôle par la Cour des décisions de la SAI. De nombreuses décisions de la Section de première instance et de la Section d'appel de la Cour fédérale ont conforté cette norme de contrôle. Notamment, dans l'arrêt Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2001 CAF 127, [2001] A.C.F. no 662 (QL), la Cour a tranché l'affaire en renvoyant à plusieurs décisions de la Section de première instance qui appuient sa position selon laquelle elle fera preuve de grande retenue envers la SAI lors du contrôle judiciaire de ses décisions.
[33] La demanderesse conteste devant la Cour la conclusion selon laquelle elle était au courant des fausses déclarations faites dans le but de tromper les autorités à l'égard de son état matrimonial. Le commissaire de la SAI a déclaré qu'il était d'avis que la demanderesse avait consciemment participé à la tromperie même si un grand nombre des démarches effectuées dans le but de fournir des renseignements erronés au défendeur peuvent avoir été planifiées par la fille de la demanderesse.
[34] Le contenu du dossier certifié fourni par la SAI appuie les conclusions du commissaire. Lors de l'audience de la commission d'enquête (24 novembre 2000, à la page 31), la demanderesse a répondu à la question qui lui a été posée relativement au moment du décès de son époux en affirmant qu'il était décédé le 24 mars 1998. Un acte de décès, fondé sur une déclaration assermentée par un fils de la demanderesse affirmant que l'époux de la demanderesse était décédé le 24 mars 1998, était aussi au dossier. En outre, lorsque des représentants du défendeur se sont rendus chez l'époux de la demanderesse en Chine en 2000, ils ont constaté qu'il était vivant et capable de converser avec eux avec facilité. Lorsque le fils de la demanderesse est entré dans la maison au cours de la visite des représentants, il a essayé, sans y parvenir, de convaincre les agents du défendeur que l'époux de la demanderesse avait de graves problèmes d'audition et qu'il ne pouvait pas leur parler.
[35] Les diverses tentatives de tromperie contenues au dossier ont convaincu la Cour que la conclusion du commissaire était plutôt raisonnable. La Cour a daigné insinuer qu'une conclusion selon laquelle la demanderesse n'a pas participé à la tromperie aurait été jugée déraisonnable. La demanderesse n'est peut-être pas l'instigatrice du plan qui consistait à cacher des faits aux autorités canadiennes et peut ne pas avoir été au courant, au moment de son arrivée au Canada, des efforts faits pour tromper les autorités. Cependant, sa connaissance des efforts faits pour tromper les autorités et sa participation à ces efforts sont devenues manifestes lorsqu'elle a fait des déclarations à la commission d'enquête et lorsqu'elle a admis devant la SAI qu'elle n'avait pas dit toute la vérité au cours du traitement de sa demande. Sur ce fondement, les conclusions de fait tirées par le commissaire étaient raisonnables au point que la Cour ne devrait pas intervenir.
[36] Quant à la mesure d'exclusion, la transcription révèle ce qui suit, à la page 133 du dossier du tribunal :
[TRADUCTION]
COMMISSAIRE : D'accord. Discutons.
Peut-être qu'il serait utile de commencer par... Maître, allez-vous contester la validité sur le plan juridique de la mesure d'exclusion?
AVOCAT : Non. [Non souligné dans l'original]
La demanderesse ne peut pas par conséquent maintenant prétendre que la mesure d'exclusion était illégale parce qu'elle était fondée sur un article de la Loi qui n'était pas applicable. Il n'y avait pas de prétention à cet égard dans le mémoire des faits et du droit déposé par la demanderesse et j'adopte la position de M. le juge Décary dans l'arrêt Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. 902, au paragraphe 4, (C.A.F.) (QL), dossier A-110-98.
[37] La Cour n'a pas à mettre en doute les décisions du commissaire à l'égard de l'importance accordée aux divers facteurs qu'il devait prendre en compte. Dans l'arrêt Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm L.R. (2d) 35 (C.A.F.), M. le juge McGuigan J. (alors juge à la Cour d'appel) a énoncé de façon succincte la règle applicable à l'égard de l'importance accordée à la preuve par la SAI (alors connue sous le nom de Commission d'appel de l'immigration):
C'est à la Commission qu'il appartient de décider de la valeur probante qu'il y a lieu d'accorder à la preuve et cette décision n'est pas susceptible de révision par cette Cour.
[38] Le commissaire a conclu que la demanderesse était au courant des efforts soutenus faits dans le but de tromper le défendeur, et qu'elle avait participé à ces efforts, et a apprécié sa conclusion par rapport à l'inconvénient que la demanderesse subirait si elle retournait en Chine pour présenter une nouvelle demande d'établissement au Canada. Le commissaire a tiré une conclusion motivée selon laquelle une mesure spéciale fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ne devrait pas être octroyée compte tenu des facteurs précédemment énumérés.
[39] La présente affaire ne peut pas être comparée avec la décision Cabalfin, dans laquelle l'agent d'immigration avait omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire parce qu'il croyait qu'il devait refuser une demande compte tenu des circonstances qui lui étaient soumises. Le commissaire en l'espèce savait qu'il avait un pouvoir discrétionnaire lui permettant d'octroyer une mesure spéciale fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et il a choisi de ne pas exercer ce pouvoir après qu'il eut apprécié les faits dont il disposait au dossier. On ne peut pas par conséquent dire qu'il a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.
[40] La Section d'appel de la Cour fédérale a réitéré dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125, la position selon laquelle l'appréciation des facteurs pertinents à l'égard de l'examen des circonstances humanitaires touchant un immigrant relève du défendeur ou de son représentant. M. le juge Décary a déclaré qu'il n'appartient pas aux cours de justice d'examiner à nouveau l'importance accordée par le ministre à certains facteurs et que le ministre, lorsqu'il décide que l'intérêt public a préséance sur des facteurs d'ordre humanitaire, est justifié de refuser l'octroi d'une mesure spéciale. La Cour partage l'opinion du juge Décary et conclut que le commissaire a rendu une décision raisonnable relevant de sa compétence lorsqu'il a refusé d'octroyer à la demanderesse une mesure spéciale fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.
Application du droit
[41] Contrairement aux prétentions de la demanderesse, le commissaire n'avait pas, lorsqu'il a rendu sa décision, l'obligation d'appliquer la décision Chirwa, précitée. Le concept de raisons d'ordre humanitaire a été fréquemment examiné par les tribunaux depuis que la Section d'appel de l'immigration a rendu sa décision. L'exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministre et l'appréciation des raisons d'ordre humanitaire ont été examinés en profondeur par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Cet arrêt a été suivi par d'autres arrêts qui ont amélioré notre compréhension générale des questions précédemment exposées.
[42] L'arrêt Baker, précité, a été suivi par l'arrêt de la Cour suprême du Canada Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CSC 1, [2002] A.C.S. no 3 (QL). Les arrêts Baker et Suresh, précités, ont été traités dans l'arrêt Legault, précité. Il appert, selon ce que l'on peut glaner d'une lecture de synthèse de ces arrêts, que la position de la Cour à l'égard de raisons d'ordre humanitaire et de l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministre s'articule autour de la retenue logique. Lorsqu'une décision transgresse la limite d'une décision manifestement déraisonnable d'une façon telle qu'elle touche à la logique, la Cour n'hésitera pas à intervenir. Cependant, la grande majorité des affaires traitées ne transgresseront pas cette limite. Il ne serait par conséquent pas utile, aux fins du plan d'ensemble en matière d'immigration au Canada, que la Cour intervienne si elle n'a pas un fondement solide pour le faire. Par conséquent, la Cour n'interviendra pas dans des affaires dans lesquelles, comme celle en l'espèce, la contestation s'articule essentiellement autour de l'importance accordée à divers facteurs.
[43] La demanderesse a prétendu que le regroupement familial est un principe prépondérant de la Loi et aurait dû être pris en compte comme un facteur lui étant favorable afin qu'une mesure spéciale lui soit octroyée. Comme de nombreux autres facteurs dont le commissaire disposait, cette prétention est toutefois essentiellement une contestation de l'importance accordée par le commissaire à un facteur particulier. Compte tenu de la jurisprudence et d'autres facteurs précédemment examinés, l'importance accordée par le commissaire à l'objectif de regroupement familial prévu dans la Loi par rapport aux autres facteurs qui lui étaient soumis n'est pas une question pour laquelle la Cour interviendra.
[44] Pour les motifs énoncés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[45] Les parties ont eu la possibilité de soumettre aux fins de la certification une question grave de portée générale, mais ne l'ont pas fait. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.
2. Aucune question n'est certifiée.
« Michel Beaudry »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-1203-02
INTITULÉ : BAO YING QIU
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 7 JANVIER 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BEAUDRY
DATE DES MOTIFS : LE VENDREDI 10 JANVIER 2003
COMPARUTIONS :
Mary Lam POUR LA DEMANDERESSE
Stephen Gold POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mary Lam POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030110
Dossier : IMM-1203-02
ENTRE :
BAO YING QIU
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE