IMM-2803-95
Ottawa (Ontario), le vendredi 10 janvier 1997.
En présence de: Monsieur le juge Allan Lutfy.
Entre:
SUKHRAJ SINGH,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
ORDONNANCE
VU la demande de contrôle judiciaire entendue le 24 octobre 1996 à Toronto;
ET VU qu'aucune question n'est proposée aux fins d'une certification;
IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ QUE:
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Allan Lutfy
_______________________________
Juge
Traduction certifiée conforme: _______________________________
Jacques Deschênes
IMM-2803-95
Entre:
SUKHRAJ SINGH,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE LUTFY
Le requérant demande le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (le Tribunal) selon laquelle il n'a pas réussi à établir objectivement qu'il craint avec raison d'être persécuté s'il doit retourner au Pendjab, en Inde. Selon le Tribunal, les conditions actuelles des droits de la personne en Inde, bien qu'elles soient loin d'être idéales, ne justifient pas le requérant de craindre d'être persécuté du fait de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social. Le Tribunal a rendu sa décision le 21 septembre 1995, quelque trois ans après les événements qui ont poussé le requérant à fuir l'Inde.
Le requérant est sikh et appuie les buts poursuivis par le mouvement de séparation du Kalistan. En décembre 1991, le frère du requérant a été arrêté par la police du Pendjab pour sa participation aux activités des militants sikhs. Le requérant croit que la mort de son frère, survenue le 15 décembre 1991, a été provoquée par les coups portés par les policiers.
En avril 1992, le requérant a été forcé par des militants sikhs de leur fournir le gîte chez lui. À la suite de cet incident, la police a commencé à le harceler. En août et en octobre 1992, le requérant a été arrêté, interrogé et torturé par la police du Pendjab. À chaque fois, il a été détenu environ six jours. La police possède sa photographie et ses empreintes digitales. L'une des personnes arrêtées en même temps que le requérant, en octobre 1992, a été tuée alors qu'elle tentait, à ce qui a été dit, de s'échapper. Le requérant a affirmé à la police n'avoir avec les militants sikhs aucun lien volontaire.
De façon générale, le Tribunal a accepté le témoignage du requérant. Ni sa crédibilité ni l'élément subjectif de sa crainte de persécution ne sont contestés. L'avocat du requérant qualifie d'erreur de droit le fait que le Tribunal, ayant considéré le requérant crédible, ait conclu néanmoins que sa libération de détention [TRADUCTION] «[...] donne à entendre que la police ne le considérait pas comme un militant». À mon avis, cette conclusion n'est ni déraisonnable ni incompatible avec les accusations initiales portées par la police ayant trait au militantisme sikh et avec le refus de l'appelant de reconnaître sa participation à de telles activités.
De façon similaire, il était loisible au Tribunal de conclure que le requérant était crédible, tout en remettant en question l'élément objectif de sa crainte de persécution. Le Tribunal s'est appuyé sur une preuve documentaire pour conclure que la situation en Inde, y compris au Pendjab, avait changé depuis 1995, et que, par conséquent, la crainte du requérant d'être persécuté à son retour au pays n'avait pas de fondement objectif.
Le Tribunal a reconnu les meurtres de militants sikhs commis au hasard, de 1991 à 1993, mais s'est appuyé sur les rapports annuels sur les pays, le rapport de 1994 en particulier, pour conclure que tant le militantisme sikh que la réaction de la police qu'il a provoquée avaient en grande partie cessé.
La preuve documentaire n'est pas sans équivoque. Elle rapporte, par exemple, que quatre militants pendjabis ont été tués au cours des six derniers mois de 1994, en comparaison de plus de 583 en 1993. Toutefois, le même document confirme la continuation de la violation des droits de la personne en Inde en dépit des garanties constitutionnelles et légales. Le requérant s'appuie en particulier sur l'exposé que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reçu en août 1994 du professeur Paul Brass, qui, tout en notant qu'il avait confiance que la situation s'améliorerait, faisait remarquer que le poste de directeur général de la police était toujours détenu par la même personne. Il prédisait que la situation, qui s'était améliorée, mais sans plus, resterait probablement ce qu'elle était jusqu'au milieu de 1997.
L'étendue de l'examen qu'un tribunal doit faire concernant un changement de situation ou l'évaluation de la situation ayant cours dans le pays que le demandeur du statut de réfugié a fui est définie par le juge Hugessen dans l'arrêt Yusuf v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1995), 179 N.R. 11, à la page 12:
Nous ajouterions que la question du «changement de situation» risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun «critère» juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme «important», «réel» et «durable» n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi: le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de la Commission, nous n'interviendrons pas.
Le Tribunal, à mon avis, a reçu une preuve suffisante pour y appuyer sa décision concernant le changement de situation en Inde. Le dossier comporte aussi des éléments de preuve contraire sur la même question, y compris des lettres de la famille du requérant l'avertissant de ne pas retourner en Inde. Cependant, il n'appartient pas à la Cour de déterminer si une conclusion différente pouvait être tirée de l'analyse de cette même preuve. À mon avis, il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la façon dont le Tribunal en est venu à sa décision.
Ni le Tribunal dans sa décision ni le requérant dans les observations qu'il a présentées à la Cour n'ont traité du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2. Comme l'a dit le juge Hugessen dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, à la page 748: «Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels».
Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Allan Lutfy
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Juge
Ottawa (Ontario),
le 10 janvier 1997.
Traduction certifiée conforme: _______________________________
Jacques Deschênes
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE:IMM-2803-95
INTITULÉ DE LA CAUSE:SUKHRAJ SINGH c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE:Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE:le 24 octobre 1996
MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR:le juge Lutfy
DATE:le 10 janvier 1997
ONT COMPARU:
M. Mangesh DuggalPOUR LE REQUÉRANT
M. David TyndalePOUR L'INTIMÉ
PROCUREURS AU DOSSIER:
M. Mangesh DuggalPOUR LE REQUÉRANT
Toronto (Ontario)
M. George ThomsonPOUR L'INTIMÉ
Sous-procureur général
du Canada