Date : 20021210
Dossier : T-815-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1285
ENTRE :
LIFEGEAR, INC.
et PRIDE INTERNATIONAL INC.
demanderesses
- et -
URUS INDUSTRIAL CORPORATION
défenderesse
(rendus à l'audience, à Toronto (Ontario),
le 6 décembre 2002)
[1] La demanderesse présente une requête afin d'obtenir un jugement sommaire relativement à une partie substantielle de sa demande et le rejet de la demande reconventionnelle de la défenderesse.
[2] Il s'agit d'une action pour contrefaçon de marque de commerce. La demanderesse est propriétaire de deux marques déposées au Canada, l'une étant la composante principale de sa dénomination sociale « Lifegear » , et l'autre le mot « Saturne » .
[3] La demanderesse a conclu avec la défenderesse une entente de distribution au Canada d'un équipement sportif, soit l'appareil d'entraînement elliptique Saturne. La défenderesse devait être le seul distributeur de cet appareil au Canada. Il existe entre les parties, du moins si l'on en croit les documents dont j'ai été saisi relativement à cette requête, un véritable litige quant à savoir si l'une ou l'autre, ou peut-être même les deux, ont manqué à leurs obligations contractuelles et si l'entente a été dûment résiliée ou non par la demanderesse.
[4] La défenderesse a vendu et continuerait de vendre au Canada des appareils d'entraînement elliptique qui n'ont pas été fabriqués par la demanderesse et qui portent la marque de commerce « Saturne » . Ce fait n'est pas contesté, mais reconnu par la défenderesse. Bien que la demanderesse fonde sa demande sur les alinéas 7b) et c) de la Loi sur les marques de commerce, ainsi que sur l'article 19, et même si elle allègue la contrefaçon des marques « Lifegear » et « Saturne » , je ne suis saisi d'aucune preuve concernant l'achalandage, la réputation, la confusion ou même l'existence de marques de commerce non déposées lui appartenant et, dans ces circonstances, il m'est impossible de rendre un jugement sommaire pour les allégations fondées sur l'article 7. La demanderesse n'a pas non plus produit une preuve de la violation, par la défenderesse, de sa marque « Lifegear » , de sorte qu'un jugement sommaire ne peut pas non plus être accordé quant à cette partie de la demande.
[5] Il en va cependant autrement de la marque déposée « Saturne » et de l'allégation fondée sur l'article 19. Je le répète, la défenderesse reconnaît l'emploi de la marque « Saturne » en liaison avec la vente et la distribution au Canada de marchandises qui n'ont été ni fabriquées ni fournies par la demanderesse. Elle invoque principalement en défense, si je comprends bien, l'apparence de droit. Elle soutient que l'entente de distribution lui confère un droit de propriété sur la marque « Saturne » déposée au Canada. Je peux seulement dire que, à mon sens, ce n'est manifestement pas le cas. Il est bien établi en droit que le distributeur, du seul fait qu'il se voit confier la distribution d'un produit, n'acquiert aucun droit de propriété sur les marques de commerce des marchandises dont il assure la distribution. Ces marques continuent d'appartenir à leur propriétaire, qui est en général le fabricant.
[6] En outre, bien qu'il soit évidemment possible qu'un accord de distribution confère au distributeur un droit de propriété sur les marques de commerce du fabricant, il est parfaitement clair que ce n'est pas le cas en l'espèce. L'entente ne renferme tout simplement pas de clause susceptible d'être interprétée en ce sens.
[7] La défenderesse fait valoir à titre subsidiaire que la demanderesse a consenti à l'emploi de sa marque déposée « Saturne » . Selon moi, la preuve y afférente, qui est très ténue, ne soulève même pas une question litigieuse. Si la demanderesse a consenti à quoi que ce soit lorsque les rapports entre les parties ont commencé à se détériorer, et je ne tire aucune conclusion à cet égard, ce n'était pas à l'emploi par la défenderesse de sa marque « Saturne » déposée au Canada. Cela étant, la demande reconventionnelle, qui s'appuie sur les atteintes alléguées de la demanderesse aux droits de la défenderesse sur la marque « Saturne » , devra être rejetée dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire.
[8] La défenderesse conteste également une partie de la réparation demandée dans le cadre de la présente requête, savoir le prononcé d'une injonction. Elle fait valoir à juste titre que le dossier ne renferme aucune preuve que la demanderesse a subi un préjudice irréparable à cause des violations de sa marque de commerce. Or, l'existence d'un préjudice irréparable ne constitue une exigence qu'aux fins d'une demande d'injonction interlocutoire. Elle n'a rien à voir avec la demande d'injonction permanente. Le titulaire d'un droit compromis ou violé par autrui peut obtenir une injonction pour mettre fin à la violation ou l'empêcher.
[9] Dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, l'injonction demandée est par définition finale, permanente. Le jugement sommaire constitue par définition un jugement définitif quant à la totalité ou à une partie de la demande. L'absence de preuve d'un préjudice irréparable n'a tout simplement rien à voir avec la question que je dois maintenant trancher.
[10] Je dois également mentionner un autre argument invoqué en défense pendant la plaidoirie et qui, selon moi, n'a absolument aucun fondement, soit que la demanderesse a fait preuve de négligence ou d'atermoiement. La preuve n'étaye tout simplement pas cette allégation. Elle révèle que la demanderesse a découvert au tout début de 2001 que la défenderesse contrefaisait sa marque de commerce déposée, l'action ayant été intentée quelques mois plus tard.
[11] La demanderesse a donc droit à un jugement sommaire déclarant qu'elle est le propriétaire de la marque « Saturne » déposée au Canada et que la défenderesse a contrefait cette marque. Elle a également droit à une injonction, libellée de la manière habituelle et interdisant à la défenderesse et à ses dirigeants et employés de contrefaire sa marque. Elle a également droit à l'ordonnance de remise habituelle.
[12] La demanderesse exhorte également notre Cour à rendre une ordonnance de renvoi concernant la question des dommages-intérêts. Mais comme je l'ai indiqué à l'audience, il ne me paraît pas du tout clair, même s'il y a eu contrefaçon, qu'une question de fait ne se pose nécessairement qu'en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts. Je ne tire aucune conclusion dans un sens ou dans l'autre, mais la preuve dont je suis saisi paraît révéler, tout d'abord, que la demanderesse n'a pas fait et ne fait pas d'effort pour exploiter sa marque de commerce au Canada et que la défenderesse a presque renoncé à vendre l'appareil d'entraînement elliptique revêtant la marque de commerce « Saturne » , qui, selon elle, ne serait pas un produit très commercialisable. Comme je l'ai dit, je refuse de me prononcer, mais une question litigieuse semble opposer les parties, non seulement en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts, mais également en ce qui a trait au droit à des dommages-intérêts. Je ne rendrai donc aucune ordonnance de renvoi et me contenterai simplement de renvoyer la question des dommages-intérêts et des autres réparations au juge chargé de l'instruction.
[13] Jugement sommaire sera donc rendu en faveur de la demanderesse conformément à ce que j'ai indiqué. La demanderesse a demandé l'adjudication de dépens procureur-client. Selon moi, elle n'a eu gain de cause que partiellement et je ne crois pas que l'affaire se prête à l'adjudication de tels dépens. Mais il y a plus. Il me paraît s'agir d'un cas où un règlement devrait intervenir. Je crois que les parties devraient recourir aux services du protonotaire Lafrenière, le principal responsable du dossier, et qu'il serait vain qu'elles s'acharnent à poursuivre ce qui, selon moi, constitue un débat plutôt stérile. La demanderesse peut toutefois obtenir la taxation de ses dépens suivant la colonne III.
[14] La demanderesse rédigera un projet d'ordonnance conforme aux présents motifs suivant la règle 394 des Règles de la Cour fédérale (1998), le communiquera à l'avocat de la défenderesse, puis présentera une requête pour jugement en application de la règle 369.
JAMES K. HUGESSEN
Juge
Ottawa (Ontario)
10 décembre 2002
Traduction certifiée conforme
Claire Vallée, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : T-815-01
INTITULÉ DE LA CAUSE : Lifegear Inc. et al. c. Urus Industrial Corporation
DATE DE L'AUDIENCE : 6 décembre 2002
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : le juge Hugessen
ONT COMPARU : Me James Buchan
Me Dave Deonarine
Pour les demanderesses
Me Brian Belmont
Pour la défenderesse
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.
Avocats
Commerce Court West
Bureau 4900
Toronto (Ontario)
M5L 1J3
Pour les demanderesses
Belmont, Fine & Associates
Avocats
1120 Finch Avenue West
Bureau 601
Toronto (Ontario)
M3J 3H7
Pour la défenderesse