Date : 20050704
Dossier : IMM-5400-04
Référence : 2005 CF 936
ENTRE :
JIN HUI SU
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PHELAN
[1] M. Su prétendait craindre d'être persécuté en Chine du fait de son appartenance à la religion Tian Dao. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et de la protection des réfugiés (le tribunal) a rejeté sa demande d'asile.
[2] Le tribunal a jugé que le demandeur n'était pas crédible parce qu'il a inféré que le demandeur pratiquait sa religion ouvertement, ce qui contredisait les éléments de preuve documentaires suivant lesquels ceux qui pratiquaient une religion comme le Tian Dao devaient le faire en secret pour éviter d'être découverts par la police. Une des questions cruciales est celle de savoir si le tribunal pouvait légitimement tirer une telle inférence.
[3] Le tribunal a également accordé beaucoup d'importance à un rapport de Human Rights Watch suivant lequel son consultant n'avait pas eu connaissance que les adeptes du Tian Dao avaient fait l'objet de mauvais traitements - un fait qui, selon ce consultant, aurait certainement été porté à son attention. Le problème que pose la valeur accordée par le tribunal à ce rapport est qu'il a été rédigé environ un mois avant les faits relatés par le demandeur.
RAPPEL DES FAITS
[4] Le demandeur a expliqué que la religion Tian Dao lui avait été présentée en 1998 par un ancien camarade de classe, chez qui il s'était par la suite rendu régulièrement pour participer à des rencontres. Il a été en mesure de participer à ces rencontres sans incident jusqu'au 17 octobre 2001, date où le Bureau chinois de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente au domicile de son camarade de classe.
[5] Le demandeur avait quitté les lieux avant la descente du BSP, mais sa mère lui a par la suite appris que le BSP s'était présenté chez lui pour l'arrêter en raison de son appartenance à [TRADUCTION] « une organisation religieuse néfaste » . Il s'est caché jusqu'à son départ pour le Canada.
[6] Sa crainte de persécution repose sur le fait que le BSP est toujours à sa recherche et que les autres fidèles qui ont été arrêtés lors de la descente sont encore en prison.
[7] Le tribunal a signalé qu'il ressortait de la preuve documentaire que les autorités chinoises avaient entrepris une intense campagne contre le Tian Dao après qu'il fut interdit et déclaré illégal. Ce mouvement fait également l'objet d'une intense campagne de propagande qui s'ajoute à l'arrestation et à la persécution de ses dirigeants. Le tribunal a conclu que si des adeptes du Tian Dao faisaient l'objet de telles mesures dans une province, les membres du Tian Dao de tout le territoire chinois subiraient le même traitement partout en Chine.
[8] Le tribunal a jugé que le récit du demandeur au sujet de la descente n'était pas crédible parce qu'aucun organisme de défense des droits de la personne n'en avait fait état. Le tribunal a pris acte du rapport d'Amnistie internationale de mars 2002 dans lequel aucun incident récent de torture ou de mauvais traitement des membres du Tian Dao n'avait été signalé. Le tribunal a ensuite renforcé cette conclusion en citant le rapport du 21 septembre 2001 de Human Rights Watch qui allait dans le même sens mais qui employait des termes un peu plus fermes. La descente du BSP se serait produite le 17 octobre 2001.
LA DÉCISION
[9] Comme le débat dans le présent contrôle judiciaire porte sur des inférences qui ont été tirées et des conclusions qui ont été formulées au sujet de la crédibilité, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur a satisfait à cette norme de contrôle.
[10] En toute déférence pour le tribunal, la conclusion que le demandeur pratiquait ouvertement sa religion ne peut être logiquement rattachée aux éléments de preuve précis suivant lesquels les offices religieux avaient lieu au domicile d'un membre, et ce, d'autant plus que le tribunal a reconnu que les membres du Tian Dao font l'objet de mauvais traitements de la part des autorités chinoises et qu'ils doivent se cacher pour pratiquer leur religion. L'inférence tirée par le tribunal n'est pas appuyée par l'ensemble de la preuve.
[11] Le fait que le tribunal se soit fondé sur un rapport antérieur à la descente soulève également des interrogations. On ne sait pas avec certitude si le tribunal a considéré cet élément de preuve comme un élément d'information général ou si ce rapport a joué un rôle important dans la conclusion qu'il a tirée au sujet de la crédibilité. Cette incertitude justifie le contrôle de cette décision. En effet, sans certitude sur ce point, il était manifestement déraisonnable de la part du tribunal de se fonder sur ce rapport pour tirer de telles conclusions au sujet de la crédibilité.
[12] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
[13] Il n'y a pas de question à certifier.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5400-04
INTITULÉ : JIN HUI SU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 26 MAI 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 4 JUILLET 2005
COMPARUTIONS :
Nadine Tobin POUR LE DEMANDEUR
Bernard Assan POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lewis et associés POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Dossier : IMM-5400-04
Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
JIN HUI SU
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision du tribunal soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué de la Commission de l'immigration et de la protection des réfugiés.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.