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Date : 20000920


Dossier : IMM-1256-99


E N T R E :


     MURTAZA OZDEMIR

     demandeur

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE HENEGHAN


[1]          M. Murtaza Ozdemir (le demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire d'une décision qu'a rendue un agent de révision des revendications refusées (ARRR), R. Klagsburn, en date du 24 janvier 1999. Par cette décision, M. Ozdemir a été jugé ne pas être un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC).

[2]          Le demandeur est un citoyen turc et, plus particulièrement, il est un Kurde de la Turquie, adepte de la religion Alevi.

[3]          Le demandeur est arrivé au Canada le 1er décembre 1995 et a présenté une demande d'admission en tant que réfugié au sens de la Convention. À la suite d'une audience, la Section du statut de réfugié (la SSR) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Cette conclusion s'appuyait sur la crédibilité du demandeur en ce qui concerne son allégation relative à une crainte de persécution dans son pays de nationalité.

[4]          Le demandeur a par la suite recherché le bénéfice d'un examen relatif aux revendications refusées conformément à l'article 11.4 du Règlement sur l'immigration de 1978. Cet examen visait à déterminer si le demandeur serait exposé à un risque au sens de la définition d'un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), savoir s'il serait exposé, en tout lieu de son pays d'origine, à un risque objectivement identifiable que des sanctions excessives soient exercées contre lui ou qu'un traitement inhumain lui soit infligé, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant.

[5]          L'avocat du demandeur a soumis des observations écrites pour le compte de son client à l'ARRR le 14 avril 1997 et le 7 mai 1997. Les observations comprenaient des éléments de preuve qui ne pouvaient être obtenus antérieurement et qui n'avaient pas été soumis à la SSR. Ces nouveaux éléments de preuve comportaient des éléments de preuve documentaire relatifs à des questions sur le demandeur que la police aurait, selon les allégations, posées à l'épouse de celui-ci en Turquie, ainsi que des extraits tirés de certains journaux turcs. Ces documents ont été soumis pour établir que les autorités policières en Turquie s'intéressaient toujours aux allées et venues et aux activités du demandeur.

[6]          L'ARRR a rendu une décision écrite le 24 février 1999 dans laquelle il est parvenu à la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Je ne vois aucune possibilité raisonnable que le demandeur soit exposé à un risque s'il est renvoyé en Turquie. Le demandeur n'est pas un DNRSRC.

[7]          Le demandeur soutient que la décision de l'ARRR est erronée. Le demandeur a soulevé plusieurs questions lors de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire. L'avocat du demandeur a exposé ces questions exactement comme suit dans le mémoire des faits et du droit du demandeur :

     1.      L'agent d'immigration a-t-il omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents qui lui ont été régulièrement soumis?
     2.      Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en tenant compte d'une preuve documentaire pertinente à l'appui de sa décision sans donner au demandeur la possibilité d'y répondre?
     3.      Quelle est la norme de contrôle applicable?
     4.      L'agent d'immigration a-t-il rendu sa décision sans tenir compte de l'ensemble de la preuve?
     5.      La décision était-elle raisonnable compte tenu de la preuve soumise au tribunal?
     6.      La conduite de l'agent a-t-elle porté atteinte aux principes de l'équité dans la présente affaire?
     7.      Quelles sont les exigences relatives aux principes de justice fondamentale ou naturelle en l'espèce?

[8]          Je note que, bien que plusieurs questions aient été soulevées par le demandeur, beaucoup d'entre elles sont des variations autour de trois questions, à savoir le processus qu'a suivi l'ARRR, la façon dont l'ARRR a traité la preuve documentaire soumise par le demandeur et le fait que l'ARRR se soit fondé sur une preuve documentaire sans donner au demandeur la possibilité d'y répondre.

[9]          Je me propose de traiter du dernier point en premier. Le demandeur prétend qu'on aurait dû lui donner la possibilité de commenter les rapports du Department of State, dont a tenu compte l'ARRR pour parvenir à sa conclusion.

[10]          À mon avis, cet argument n'est pas bien fondé, compte tenu de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 45 Imm. L.R. (2d) 131.

[11]          Dans l'arrêt Mancia, précité, la Cour d'appel fédérale a conclu que lorsque l'ARRR s'appuie sur des documents disponibles émanant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays, qui ne sont devenus accessibles qu'après le dépôt par le demandeur de ses observations, l'équité exige que l'ARRR divulgue les documents en question lorsque ceux-ci sont inédits et importants et font état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d'avoir une incidence sur la décision.

[12]          Rien dans le dossier en l'espèce ne montrait que les documents invoqués par l'ARRR, relativement à la situation en Turquie, comprenaient des renseignements inédits et importants. La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Dervishi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 236 N.R. 375 (C.A.F.), a suivi le raisonnement adopté dans l'arrêt Mancia, précité.

[13]          Je passe maintenant à l'examen des questions soulevées relativement à l'équité du processus qu'a suivi l'ARRR et à la façon dont il a traité la preuve documentaire soumise par le demandeur. Un examen de ces questions exige un examen de la norme de contrôle applicable à une décision d'un ARRR.

[14]          Dans la décision Sokhan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 958, IMM-3067-96, le juge Joyal a émis le commentaire suivant en ce qui concerne la norme de contrôle applicable :

Le contrôle judiciaire des décisions relatives aux revendications rejetées est soumis à une norme très stricte. La décision de l'agent de révision qui fait d'un individu un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada ne conférant pas à cet individu un droit, mais un statut spécial ou un privilège, la justice répugne à toucher à cette décision discrétionnaire à moins qu'il n'y ait abus du pouvoir discrétionnaire. Dans Moskvitchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [Voir Note 3 ci-dessous], il a été jugé que la décision discrétionnaire sur la question de savoir si une personne fait partie ou non d'une certaine catégorie ne se prête au
contrôle judiciaire que si l'autorité concernée a exercé son pouvoir en la matière à des fins détournées, sur la base de considérations étrangères à l'affaire, de mauvaise foi, ou de façon manifestement déraisonnable. À la lumière de cette norme rigoureuse, il appert que les circonstances du cas présent ne justifient pas l'intervention de la Cour. Rien n'indique que l'agent de révision ait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon illégale. Il appert qu'il a soigneusement examiné les preuves produites.
Note 3 : (21 décembre 1995), IMM-70-95 (C.F. 1re inst.); voir aussi Gharib c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995) 30 Imm. L.R. (2d) 291, 99 F.T.R. 208.


[15]          Il s'agit de la norme au regard de laquelle la décision de l'ARRR en l'espèce doit être examinée. Il ressort de mon examen de cette décision que l'ARRR n'a commis aucune erreur susceptible de révision.

[16]          Son rôle consistait à effectuer une évaluation du risque auquel serait exposé le demandeur s'il était renvoyé en Turquie. L'ARRR a mentionné les sources qu'il a consultées pour parvenir à sa décision, notamment la décision de la SSR. Il a noté que la SSR avait jugé que le demandeur n'était pas suffisamment crédible. En outre, l'ARRR a conclu que le demandeur n'avait pas établi un rapport vraisemblable entre sa situation personnelle et la situation du pays pour appuyer la conclusion selon laquelle il serait exposé à un risque, au sens de la définition de DNRSRC, s'il était renvoyé en Turquie. L'ARRR a noté que, parmi les sources qu'il avait consultées, il y avait les observations des avocats et la preuve documentaire qui y était jointe. Dans le cadre de son analyse du risque, l'ARRR a fait le commentaire suivant en ce qui concerne les observations en question :

[TRADUCTION] Les observations soumises ne répondent pas d'une manière satisfaisante aux réserves exprimées et aux questions soulevées par le tribunal de la SSR. Indépendamment de la question de la crédibilité, je ne suis pas d'avis que le demandeur serait exposé à un risque s'il était renvoyé en Turquie.


[17]          Je ne vois aucune erreur dans cette déclaration de l'ARRR. Je cite à nouveau à cet égard les propos du juge Joyal dans la décision Sokhan, précitée, au paragraphe 21 :

... L'agent de révision est fondé à se référer aux preuves et témoignages et aux conclusions de la section du statut pour mieux définir la valeur probante à accorder aux assertions du requérant. C'est sur cette base qu'il juge, et c'est ce qu'il est appelé à faire de par ses fonctions.


[18]          J'adopte également cette démarche. En l'absence d'une preuve selon laquelle l'ARRR s'est mal instruit du droit ou a tenu compte de questions non pertinentes, ou d'une preuve de toute autre erreur susceptible de révision, j'estime que rien ne justifie l'intervention de la Cour à l'égard de la décision qu'a rendue l'ARRR en l'espèce.

     O R D O N N A N C E

[19]          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]          À l'issue de l'audience, l'avocat du demandeur a soumis une question à certifier que j'ai reformulée comme suit :


L'ARRR devrait-il être tenu de commenter des documents propres à l'affaire dont il est saisi ou au demandeur lorsqu'il rend sa décision?

                            

                                 « E. Heneghan »
                             ___________________________
                                     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 20 septembre 2000


Traduction certifiée conforme


Julie Boulanger, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-1256-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Murtaza Ozdemir c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ont.)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 29 mars 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :              Le 20 septembre 2000

ONT COMPARU :

M. Lorne Waldman                          POUR LE DEMANDEUR
M. Ian Hicks                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                  POUR LE DEMANDEUR
M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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