Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040608

Dossier : T-371-03

Référence : 2004 CF 818

Toronto (Ontario), le 8 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                    FOURNIER PHARMA INC & LABORATOIRES FOURNIER S.A.

                                                                                                                              demanderesses

                                                                            et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ & CIPHER PHARMACEUTICALS LIMITED

                                                                                                                                       défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour statue sur l'appel d'une ordonnance prononcée par le protonotaire Lafrenière le 12 mai 2004. Voici, en résumé, les faits à l'origine de la décision du protonotaire Lafrenière.

[2]                La défenderesse, Cipher Pharmaceutical (Cipher), a signifié un avis d'allégation daté du 16 janvier 2003 à la demanderesse, les Laboratoires Fournier S.A. (Fournier). Dans son avis d'allégation, Cipher affirmait que la fabrication, l'utilisation et la vente de ses capsules ne contrefaisaient pas le brevet canadien no 2219475, qui appartient à Fournier. Cipher précisait que son procédé et sa formulation des capsules étaient précisés dans le brevet américain no 5545628.


[3]                Fournier a introduit la présente demande en vertu du Règlement sur les avis de conformité le 5 mars 2003. Elle cherchait à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Cipher pour ses capsules.

[4]                Le 27 mars 2003, Cipher a communiqué à Fournier une copie de ses dossiers de lots indiquant la formulation et le procédé de fabrication de ses capsules et une copie de la monographie proposée de son produit (les documents de Cipher). Les documents de Cipher faisaient partie de la présentation abrégée de drogue nouvelle de Cipher (la PADN) qui avait été déposée devant le ministre de la Santé au soutien de sa demande d'avis de conformité pour ses capsules. À l'époque, Fournier n'a pas réclamé d'autres parties de la PADN de Cipher ou d'échantillons des capsules de Cipher.

[5]                Le 12 mai 2003, Fournier a déposé et signifié ses éléments de preuve sur le fond de sa demande d'ordonnance d'interdiction, à savoir les affidavits de MM. H. Goldberg et Graham Jobson.

[6]                Le 26 juin 2003, Cipher a déposé et signifié ses éléments de preuve sur le fond en vue de contester la demande d'ordonnance d'interdiction de Fournier, à savoir les affidavits de MM. I. W. French et Rhodes.

[7]                Le 19 août 2003, la Cour a accordé à Fournier l'occasion de déposer en réponse l'affidavit de M. Goldberg, qui a été déposé le 27 août 2003 et dont la portée devait être limitée.

[8]                L'avocat de Fournier a procédé le 13 novembre 2003 au contre-interrogatoire du représentant de la société Cipher, M. French. Fournier n'a pas réclamé à M. French d'échantillons des capsules de Cipher.

[9]                L'avocat de Fournier a procédé, les 25 et 26 novembre 2003, au contre-interrogatoire de l'expert qui a souscrit un affidavit pour Cipher, M. Rhodes. Au cours du contre-interrogatoire, il est ressorti que M. Rhodes avait, en rapport avec le procès en cours aux États-Unis, obtenu deux capsules de Cipher et procédé à des essais organoleptiques (tests faisant appel aux cinq sens de l'être humain, y compris l'odorat) de deux comprimés en question.

[10]            L'avocat de Fournier a exigé que M. Rhodes produise les échantillons des capsules de Cipher qui se trouvaient en sa possession. L'avocate de Cipher, Me Shonagh McVean, a demandé à réfléchir avant de donner suite à la demande.

[11]            Par lettre datée du 8 janvier 2004, Me McVean a refusé la demande de production d'échantillons de Fournier en invoquant les raisons suivantes :

- ces échantillons avaient été obtenus pour le procès engagé aux États-Unis, longtemps après que M. Rhodes eut souscrit son affidavit dans la présente instance;


- Cipher ne se fondait pas sur l'examen des échantillons effectué par M. Rhodes pour ce procès;

- ces capsules n'ont fait l'objet d'aucun autre test qu'une inspection visuelle;

- Fournier n'a pas demandé les échantillons dans son avis d'allégation, et Fournier n'a pas présenté de requête en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement sur les avis de conformité en vue d'obtenir la production des échantillons.

[12]            Fournier n'avait pas auparavant réclamé la production des capsules de Cipher et Fournier n'a jamais déposé de requête visant à obtenir la production de la PDN de Cipher pour déterminer si des échantillons avaient été communiqués au ministre.

[13]            Fournier a présenté une requête en production des échantillons mentionnés par M. Goldberg le 31 mars 2004 devant le protonotaire Lafrenière.

[14]            Dans sa requête Fournier demandait le prononcé d'une ordonnance :

Enjoignant à l'expert de Cipher, M. Rhodes, de se présenter de nouveau pour être contre-interrogé au sujet de son affidavit souscrit le 26 juin 2003 et de produire des échantillons du produit en fénofibrate fabriqué par Cipher;

Permettant à Fournier de procéder à des essais sur les échantillons dont la production est réclamée et, à titre subsidiaire,


Permettant à Fournier de produire des éléments de preuve complémentaires au sujet des résultats des essais effectués sur un produit en fénofibrate différent en vertu de l'article 312 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles);

À titre subsidiaire, une ordonnance prorogeant au 11 juin 2004 le délai imparti pour produire le dossier de Fournier.

[15]            Dans son ordonnance du 12 mai 2004, le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête, essentiellement pour deux raisons : i) la pertinence - Cipher ne se fondait pas sur l'examen de ces échantillons par M. Rhodes; ii) retard inexcusable de Fournier à demander ces échantillons; (le protonotaire a renvoyé à ses motifs dans les dossiers T-1878-02 et T-766-03).

Analyse

[16]            La norme de contrôle applicable en cas d'appel d'une ordonnance d'un protonotaire est bien connue. Dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., (2003), 315 N.R. 175, reformulant le critère posé dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, (1993), 149 N.R. 273, le juge Décary dit ce qui suit, au paragraphe 19 :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal;

b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[17]            En l'espèce, je ne vois pas en quoi la production des échantillons en litige peut être utile à la cause de Fournier. Les échantillons en litige se rapportent à un autre procès, qui se déroule aux États-Unis, et non à l'instance qui a été introduite devant notre Cour. Aucune mention des échantillons n'est faite dans les actes de procédure de Fournier et de Cipher. M. Rhodes ne fait aucune mention d'échantillons, y compris des échantillons en litige, dans son affidavit. M. Rhodes n'a pas examiné les échantillons pour les besoins de la présente instance. L'examen des échantillons a consisté en un essai organoleptique, qui est défini comme un test faisant appel aux cinq sens de l'être humain, y compris l'odorat. En d'autres termes, les échantillons n'ont pas été analysés en vue d'en connaître la composition chimique ou les caractéristiques. Et, finalement, Cipher ne se fonde pas sur l'examen que M. Rhodes a fait des échantillons pour la présente instance.

[18]            Comme ils ne sont pas pertinents, ces échantillons ne peuvent, logiquement, être considérés comme déterminants pour la présente instance. Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., précité, au paragraphe 97, le juge MacGuigan définit les questions déterminantes comme celles qui ont « une influence déterminante sur l'issue de la cause principale, c'est-à-dire sa solution » . Or, les échantillons en litige dans la présente affaire ne répondent pas àcette définition.

[19]            L'avocat de Fournier se fonde sur la décision que j'ai rendue dans l'affaire A.B. Hassle c. Apotex, [2004] C.F. 762. Or, on peut aisément établir une distinction entre cette décision et la présente affaire pour les raisons suivantes :

- Le juge Kelen avait bien précisé dans sa décision antérieure, publiée à [2002] CFPI 931, que l'analyse des échantillons constituerait la preuve la meilleure et probablement la plus concluante;

- Dès le début de la nouvelle instance, il était évident que les éléments de preuve relatifs aux analyses joueraient un rôle déterminant dans ce procès;

- AstraZeneca avait dès le début réclamé les échantillons;

- Dans son affidavit, le principal expert scientifique d'Apotex avait parlé de l'analyse des échantillons;

- Il s'était écoulé un délai inexcusable de huit mois avant que Apotex ne produise les échantillons, retardant d'autant la possibilité pour AstraZeneca de procéder à des analyses.

[20]            Vu ces faits, je conclus que le protonotaire Lafrenière a commis une erreur en ne tenant pas compte des intérêts de la Cour et en ne s'assurant pas que les éléments de preuve les meilleurs et probablement les plus concluants soient soumis à la Cour au lieu d'être écartés par suite des manoeuvres dilatoires des parties. Aucun de ces facteurs n'a joué en l'espèce. Les échantillons ne sont tout simplement pas utiles pour le présent procès et le protonotaire Lafrenière a eu raison de rejeter la requête pour ce motif.

[21]            Comme les échantillons n'étaient pas utiles pour le procès, autrement dit comme ils n'étaient pas déterminants, il n'est pas nécessaire que j'aborde la question du retard indu soulevée par Fournier. Je m'empresse toutefois d'ajouter - sans me prononcer sur le bien-fondé de la question -, que je n'ai rien décelé dans les actes de procédure ou les observations qui m'amènerait à douter du bien-fondé de la décision du protonotaire Lafrenière sur ce point.

[22]            En conséquence, l'appel est rejeté.

LA COUR ORDONNE :

1.         L'appel de l'ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 12 mai 2004 est rejeté.

2.         Les défendeurs ont droit aux dépens de la présente requête.

                                                                                 

                          « K. von Finckenstein »                                                                                              

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-371-03

INTITULÉ :                            FOURNIER PHARMA INC & LABORATOIRES FOURNIER

S.A.                                                     

                                                                                                                                demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ & CIPHER PHARMACEUTICALS LIMITED

                                                                                                                                         défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 7 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :           LE 8 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

David M. Reive                                     POUR LA DEMANDERESSE

Denis Sloan

Shonagh Mcvean                                   POUR LES DÉFENDEURS

Joseph Briante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Dimock Stratton Clarizio s.r.l.    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Gilbert's s.r.l.                                         POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)


                               COUR FÉDÉRALE

                                          Date : 20040608

                                                  Dossier : T-371-03

ENTRE :

FOURNIER PHARMA INC & LABORATOIRES FOURNIER S.A.

                                                                  demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ & CIPHER PHARMACEUTICALS LIMITED

                                                                           défendeurs

                                                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                              


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.