Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 13 avril 2005 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a conclu que le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés. La Commission a ensuite analysé la demande d'asile afin de déterminer si l'exclusion s'appliquait au demandeur; elle a conclu que, si le demandeur était inclus dans la définition de réfugié au sens de la Convention, sa version des faits n'était pas crédible.
[2] Le demandeur, Kennedy Lofty Kanya, est Nigérian. Il était étudiant dans une université du Nigéria. Il prétend craindre d'être persécuté par la Black Axe Confraternity ou Confrérie de la hache noire (la Confrérie), une secte étudiante active dans son université.
[3] Le demandeur affirme qu'il a été initié de force en tant que membre de la secte le 16 mai 2003. Il prétend qu'il était un membre actif de l'Association des étudiants et qu'il protestait contre les agissements de la secte sur le campus.
[4] Le demandeur soutient qu'après avoir été initié de force, il a été amené, par la ruse, à participer à deux incidents qui ont eu lieu à l'université d'État Ebony. Lors du premier incident, un étudiant a été agressé et tué dans une résidence universitaire. Lors du deuxième incident, le chef d'une secte rivale de la Confrérie a été décapité et une note a été attachée au corps décapité. Ces meurtres ont provoqué une crise importante entre la Confrérie et une autre secte appelée les Vikings.
[5] Le demandeur prétend que, peu après les meurtres, il a manifesté contre les activités de la Confrérie en tant que représentant de l'Association des étudiants. Il affirme avoir été blessé au cours d'une manifestation quand il a été frappé à la taille avec un morceau de bois. Le demandeur soutient qu'il est la cible des Vikings puisqu'il a été forcé de participer aux événements organisés par la Confrérie et qu'il est la cible de la Confrérie parce qu'il a pris part à la manifestation (en tant que membre de l'Association des étudiants).
[6] Le demandeur allègue avoir « annulé » son adhésion à la Confrérie et s'être caché parce qu'il craignait pour sa vie. Il prétend que, par suite d'un vol dans sa résidence, toute la preuve se rapportant à son adhésion forcée et aux meurtres a disparu et qu'on a modifié les données contenues dans son ordinateur.
[7] Le demandeur soutient que les membres de la Confrérie le recherchaient et que, craignant pour sa vie, il est venu au Canada le 2 septembre 2003. Il a voyagé en utilisant un faux passeport et a demandé l'asile à son arrivée.
[8] La Commission a tenu deux audiences, le 11 mai 2004 et le 24 février 2005, et elle a rendu une décision défavorable le 13 avril 2005.
[9] Les deux audiences avaient pour objet d'évaluer la possibilité d'exclure le demandeur de la définition de réfugié au sens de la Convention, en vertu de l'alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés. L'alinéa 1Fb) prévoit ce qui suit :
Article 1
[...]
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
[...]
b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'être admises comme réfugiés;
[10] La première audience a été tenue pour déterminer s'il fallait envisager l'exclusion et la deuxième audience a été tenue environ neuf mois plus tard, ce qui a laissé du temps au demandeur pour préparer une défense concernant la question de l'exclusion.
[11] Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fb), puisqu'il était membre de la Confrérie de la hache noire et qu'il avait été présent à deux meurtres. La Commission a jugé que la version des faits du demandeur au sujet de son initiation forcée dans la secte n'était pas crédible et elle a conclu qu'il était exclu en vertu de l'alinéa 1Fb) parce qu'il avait commis des crimes graves de droit commun en dehors du Canada.
[12] La Commission a également analysé si le demandeur était inclus dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Elle a conclu que le demandeur n'avait soumis aucune preuve crédible pouvant étayer sa demande d'asile et qu'il n'était donc pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.
[13] La décision de la Commission qui concerne aussi bien l'inclusion que l'exclusion est longue et détaillée. La Commission a fondé sa décision sur l'invraisemblance de la version des faits du demandeur et sur les contradictions et les omissions qu'elle a relevées. Les contradictions concernent les notes prises au point d'entrée ainsi que le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur et les deux audiences relatives à sa demande d'asile.
[14] La Commission a conclu que le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fb) de la Convention. Subsidiairement, elle a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger parce que la preuve qu'il avait présentée n'était pas crédible.
[15] Le demandeur soulève trois questions, à savoir si :
a. les règles de l'équité procédurale ont été respectées lors de la première audience;
b. la Commission a rendu sa décision de façon abusive et arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait;
c. la Commission a conclu à tort que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada.
[16] Le demandeur prétend que, lors de la première audience, la Commission a violé les règles de l'équité procédurale puisque si elle prévoit examiner la question de l'exclusion, elle doit en aviser le ministre et lui transmettre les renseignements pertinents. Le demandeur prétend que la Commission a soulevé la question de l'exclusion lors de la première audience sans en aviser le ministre ou sans avoir donné un avis suffisant au demandeur ou aux avocats.
[17] Le défendeur répond que la Commission n'a soulevé formellement la question de l'exclusion que vers la fin de la première audience et qu'à ce moment-là, le demandeur avait bénéficié d'un délai d'environ neuf mois pour préparer l'audience portant sur l'exclusion.
[18] L'article pertinent des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, est l'article 23 qui prévoit :
23. (1) Si elle croit, avant l'audience, qu'il y a une possibilité que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés s'appliquent à la demande d'asile, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.
Avis au ministre pendant l'audience d'une exclusion possible
(2) Si elle croit, au cours de l'audience, qu'il y a une possibilité que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés s'appliquent à la demande d'asile et qu'elle estime que la participation du ministre peut contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.
[19] La première audience avait pour objet de déterminer si l'alinéa 1Fb) pouvait s'appliquer au demandeur de sorte que le paragraphe 23(2) des Règles est la disposition pertinente. En l'espèce, la Commission a avisé le demandeur, vers la fin de la première audience, que l'exclusion était une possibilité; elle a dit ce qui suit, à la page 181 du dossier du demandeur :
[traduction] Monsieur, je soulève maintenant de façon formelle la question de l'alinéa 1Fb) qui est la clause d'exclusion visant les personnes soupçonnées d'avoir commis, elles-mêmes ou avec des complices, des crimes graves de droit commun à l'étranger.
[20] J'estime que l'argument du demandeur concernant le manque d'équité procédurale est convaincant. La portée de la première audience a été restrictive comme s'il s'agissait, dès le début, d'une audience portant sur l'alinéa 1Fb). Voici ce qui a été dit au début de la première audience :
[traduction]
Q. Pour ma part, si je comprends bien, la présente affaire soulève surtout des questions d'identité, de crédibilité et de possibilité de refuge intérieur. Et aussi, je ne comprends pas très bien, mais d'après l'exposé circonstancié, il pourrait s'agir d'une question d'exclusion en vertu de 1Fb).
R. Si madame la présidente pense, au cours de l'audience, que cette question est une possibilité, je demanderais d'en être avisé le plus vite que possible pour que je puisse [...]
Q. Je suis [...]
R. [...] pour que je puisse demander un ajournement afin de préparer mon client relativement à cette question, parce qu'il n'y a eu aucune autre discussion avec lui que la conversation très brève avec madame la présidente un peu plus tôt [...]
Q. Bien, je vais vous laisser un peu de temps pour discuter, je ne sais pas si un ajournement va être nécessaire. Nous allons voir. Comme je l'ai dit, l'exposé circonstancié est tellement peu clair et tellement embrouillé, il est rédigé de manière si confuse qu'il est très difficile de savoir ce qui est vraiment arrivé au demandeur.
R. Je voudrais que ma position soit très claire sur cette question, madame la présidente, si effectivement il y a, à quelque moment que ce soit, une possibilité que l'on se penche sur la question de l'exclusion, je demanderai un ajournement afin de préparer adéquatement mon client relativement à cette question qui n'a encore jamais été soulevée devant nous avant aujourd'hui.
Q. D'accord, nous allons voir. D'accord, donc si cela ne vous dérange pas, maître, je commencerai ma série de questions.
R. Je vous en prie.
[21] En vertu du paragraphe 23(1) des Règles, la Commission a l'obligation d'aviser le ministre s'il existe une « possibilité » que l'alinéa 1Fb) s'applique à un demandeur d'asile. La Commission a clairement précisé, au début de l'audience, qu'il y avait une « possibilité » que l'alinéa 1Fb) s'applique au demandeur. Il aurait fallu ajourner l'audience dès le début, aviser le ministre et accorder du temps au demandeur pour qu'il prépare la question de l'exclusion.
[22] Au lieu d'ajourner la première audience, la Commission a décidé d'entendre toute l'affaire, violant ainsi les règles de l'équité procédurale en vertu du paragraphe 23(1) des Règles. De plus, dans le but d'appuyer son objectif qui était d'invoquer l'exclusion en vertu de l'alinéa 1Fb), le ministre a produit la transcription de la première audience. Un examen superficiel du témoignage et de la transcription révèle de façon assez évidente que la présidente, en embrouillant toute la procédure, a jeté la confusion dans l'esprit du demandeur. Il y a tellement de passages « inaudibles » qu'il est très difficile d'être bien informé des circonstances entourant les activités du demandeur en l'espèce. La Commission aurait dû ajourner l'audience et donner au demandeur et à son avocat l'occasion de se préparer pour l'audience concernant l'alinéa 1Fb).
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est accueille et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2778-05
INTITULÉ : KENNEDY LOFTY KANYA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 6 DÉCEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU
DATE DES MOTIFS : LE 9 DÉCEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Joseph W. Allen/Pia Zambelli POUR LE DEMANDEUR
Daniel Latulippe POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Joseph W. Allen POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)