Date : 20040520
Dossier : IMM-2298-03
Référence : 2004 CF 708
ENTRE :
Adjabane ABDOULAYE BECHIR,
DEMANDEUR;
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION,
DÉFENDEUR.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 27 février 2003, statuant que le demandeur n'est ni un « réfugié » au sens de la Convention ni une « personne à protéger » suivant les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.
[2] Adjabane Abdoulaye Bechir (le demandeur) est un citoyen de la République du Tchad qui allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de son appartenance à la tribu Ouaddai et parce qu'il est perçu comme étant associé au Front national du Tchad rénové. Le demandeur allègue également craindre pour sa vie.
[3] La CISR, jugeant le demandeur non crédible, a conclu qu'il n'était ni un « réfugié » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » :
La demande d'asile de monsieur Abdoulaye Bechir est truffée d'invraisemblances, de contradictions et d'omissions. Il s'agit de toute évidence d'une histoire fabriquée de toutes pièces dont le but est de tromper le tribunal, afin d'obtenir la résidence permanente au Canada, sans passer par le processus de l'immigration.
Le demandeur est un immigrant déguisé [renvoi omis]. Des démarches comme la sienne contribuent à miner la crédibilité de la CISR. Le tribunal n'accorde pas de valeur probante aux documents soumis par le demandeur du fait de son manque de crédibilité [renvoi omis].
[4] Ma révision du dossier confirme qu'effectivement les invraisemblances, contradictions et omissions auxquelles réfère la CISR sont généralement supportées par la preuve. Il n'appartient donc pas à cette Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle faite par ce tribunal spécialisé dont les inférences ne me paraissent pas déraisonnables (voir Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Il est vrai que dans sa décision la CISR n'analyse pas expressément les documents soumis par le demandeur, plus particulièrement le certificat de sa mise en liberté et le certificat du décès de son oncle. Il importe toutefois de rappeler qu'il existe une présomption à l'effet que toute la preuve a été considérée par ce tribunal qui n'est pas tenu de toute la mentionner dans ses motifs (Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)). De plus, dans l'arrêt Rahaman c. Canada (M.C.I.), [2002] 3 C.F. 537, la Cour d'appel fédérale a exprimé ce qui suit :
[29] Cependant, comme le juge MacGuigan l'a reconnu dans l'arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu'il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n'y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s'appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.
[5] Dans l'arrêt Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, auquel réfère la Cour d'appel dans l'extrait ci-dessus, le juge MacGuigan, pour la même Cour, s'était exprimé ainsi :
Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même . . ., la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.
[. . .]
. . . À mon avis, le premier palier d'audience a ainsi incorporé dans la preuve aussi bien les inférences que les faits. Il n'avait pas à prendre la position qu'il a prise à l'égard des inférences, mais puisqu'il a choisi de les intégrer à la preuve aussi bien que les faits, je suis incapable de dire qu'il a commis une erreur en ce faisant, de sorte qu'à son avis, il n'existait aucun élément crédible ou digne de foi sur lequel le second palier d'audience aurait pu se fonder pour tirer une conclusion favorable au demandeur de statut.
[6] En ce qui a trait à la conclusion d'absence de minimum de fondement tirée par le tribunal, je suis d'avis, vu le nombre et l'importance des invraisemblances, contradictions et omissions relevées par la CISR et l'absence de crainte subjective du demandeur en résultant, qu'il n'était pas nécessaire d'analyser expressément les documents déposés par le demandeur, documents qui, en eux-mêmes, n'ont que très peu de valeur probante au soutien de la revendication de ce dernier.
[7] Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 20 mai 2004
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2298-03
INTITULÉ : Adjabane ABDOULAYE BECHIR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 21 avril 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 20 mai 2004
COMPARUTIONS :
Me Ella Lokrou POUR LE DEMANDEUR
Me Andrea Shakini POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ella Lokrou POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)