Date : 20030327
Dossier : T-660-02
Référence : 2003 CFPI 370
Ottawa (Ontario), le 27 mars 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN. A. O'KEEFE
ENTRE :
ASTRAZENECA CANADA INC.
demanderesse
- et -
APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL INDUSTRIES LTD.
et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
intimés
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit en l'espèce d'une requête présentée par l'intimée Apotex Inc. (Apotex) afin d'obtenir une ordonnance annulant l'ordonnance rendue à l'audience par le protonotaire Lafrenière le 21 octobre 2002 et délivrée le 24 octobre 2002.
[2] La procédure sous-jacente en l'espèce est une demande qu'a présentée la demanderesse, AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca), conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement).
[3] Au soutien de sa demande, la demanderesse a produit des éléments de preuve le 22 mai 2002. En réponse, Apotex a présenté le témoignage de M. Bernard Sherman, le 24 juin 2002. Le délai imparti pour effectuer le contre-interrogatoire sur son affidavit a pris fin le 13 juillet 2002.
[4] M. Sherman a été contre-interrogé sur son affidavit le 9 juillet 2002.
[5] Par voie d'une requête datée du 2 août 2002, AstraZeneca a demandé des réponses aux questions auxquelles M. Sherman n'avait pas répondu lors de son contre-interrogatoire. La demanderesse a également sollicité la prorogation du délai accordé pour terminer le contre-interrogatoire.
[6] Le protonotaire Lafrenière a entendu la requête le 21 octobre 2002. Il a prorogé le délai accordé pour terminer le contre-interrogatoire; son ordonnance prévoyait ce qui suit :
[Traduction]
1. Il est ordonné à M. Sherman de répondre aux questions 55, 110 et 111 contenues à l'annexe A de l'avis de requête en date du 2 août 2002 et de fournir une réponse à l'engagement donné à la question 141.
2. Tout autre contre-interrogatoire de M. Sherman devra être terminé dans les deux semaines suivant la réception des réponses d'Apotex aux questions 55, 110, 111 et 141.
3. Le reste de l'échéancier devra se dérouler conformément aux délais prescrits par les Règles de la Cour fédérale (1998).
4. Les dépens de la présente requête suivront l'issue de la cause.
[7] Question en litige
Le protonotaire a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle?
[8] Norme de contrôle
Les règles de droit que suit notre Cour lorsqu'elle doit statuer sur le appels interjetés de décisions discrétionnaires d'un protonotaire ont été énoncées par le juge MacGuigan dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), aux pages 462 et 463 :
Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans c. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,
b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.
Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.
Et aux pages 464 et 465 :
Dans Canada c. « Jala Godavari » (Le) (1991), 40 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.), notre Cour, dans une observation incidente, a énoncé la règle contraire, en mettant l'accent sur la nécessité pour le juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire par instruction de novo, par contraste avec la vue qui avait cours à l'époque à la Section de première instance, savoir qu'il ne fallait pas toucher à la décision discrétionnaire du protonotaire sauf dans le cas d'erreur de droit. Il ne faut pas, à mon avis, interpréter l'arrêt Jala Godavari comme signifiant que la décision discrétionnaire du protonotaire ne doit jamais être respectée, mais qu'elle est subordonnée à l'appréciation discrétionnaire d'un juge si la question visée a une influence déterminante sur l'issue de la cause principale. (L'erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d'intervention du juge, et ne prête pas à controverse.)
La question se pose donc de savoir quel genre d'ordonnance interlocutoire est en cause en l'espèce. L'appelante engage la Cour à suivre le précédent Stoicevski, mais n'a pas été en mesure d'expliquer que la décision du protonotaire en l'espèce ne portât pas sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Les conclusions de lord Wright comme du juge Lacourcière, J.C.A., soulignent le contraste entre « les questions de procédure courantes » (lord Wright) et « la modification sans importance des actes de procédure » (le juge Lacourcière, J.C.A.). [non mis en italique dans le texte] d'une part, et les questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause principale, c'est-à-dire sa solution, de l'autre.
La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).
[9] En l'espèce, comme le protonotaire a statué qu'il faut répondre aux questions parce qu'elles sont pertinentes, sa décision doit être correcte étant donné que la pertinence est une question de droit (voir Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1988] A.C.F. no 1025 (QL) (1re inst.). Pour ce qui est de la décision du protonotaire de proroger le délai accordé pour terminer le contre-interrogatoire, cette décision n'a pas une influence déterminante sur l'issue de la cause principale et c'est pourquoi je dois déterminer si elle était entachée d'une erreur flagrante, c'est-à-dire que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.
[10] Dans son ordonnance, le protonotaire Lafrenière a tout d'abord décidé d'ordonner à M. Sherman de répondre aux questions 55, 110 et 111 contenues à l'annexe A de l'avis de requête et de fournir une réponse à l'engagement donné à la question 141. Le présent appel ne concerne que les questions 55, 110 et 111.
[11] La question 55 est formulée de la manière suivante :
[Traduction] Pourrions-nous aussi vous demander de produire une copie de votre monographie concernant les comprimés d'Apo-Oméprazole dont il est question dans l'avis d'allégation?
Les motifs pour lesquels le protonotaire a permis cette question sont les suivants :
[Traduction]
b) La question 55 est pertinente pour déterminer si l'allégation de non-contrefaçon est fondée. Même si aucune preuve par affidavit n'a été produite au soutien de la demande, il ressort de la lecture de la transcription du contre-interrogatoire de M. Sherman que les renseignements contenus dans la monographie de produit peuvent aider la demanderesse à établir que les comprimés d'Apotex contiennent un sel de sodium. Apotex ne peut pas refuser de produire le document pour le simple motif qu'elle a fourni les détails de sa formulation. La demanderesse n'a pas à accepter simplement la preuve produite et elle a absolument le droit de poser d'autres questions.
J'estime que la conclusion du protonotaire était justifiée. Il est possible d'apaiser les inquiétudes d'Apotex au sujet de la confidentialité en prenant des mesures pour assurer que le document soit gardé confidentiel une fois produit.
[12] La question 110 est formulée de la manière suivante :
[Traduction] Pourriez-vous vous informer et nous dire si Apotex a une autre affaire - vous avez parlé de céfuroxime - si Apotex a une autre affaire en cours, un autre médicament au sujet duquel il y a eu audience sur le fond alors qu'elle n'avait pas d'autre présentation de drogue nouvelle en instance ? l'objet de cette audience sur le fond?
Le motif pour lequel le protonotaire a permis qu'une réponse soit donnée à cette question était le suivant :
[Traduction] La question 110 concerne la crédibilité de M. Sherman relativement à une affirmation importante et est donc pertinente. La demanderesse a le droit de vérifier la réponse de M. Sherman à la question 96, c'est-à-dire que la demande antérieure a été retirée parce qu'elle était prématurée, en demandant si Apotex a déjà adopté une position contraire. Si les circonstances dans lesquelles Apotex peut s'être retirée parce qu'il était prématuré d'agir diffèrent considérablement de celles en l'espèce, M. Sherman peut l'indiquer.
Je suis d'accord avec la conclusion du protonotaire en ce qui a trait à la question 110. AstraZeneca a le droit de mettre à l'épreuve la crédibilité de M. Sherman. Le protonotaire a eu raison.
[13] La question 111 est formulée de la manière suivante :
[Traduction] Si on revient aux difficultés qu'aurait eues Apotex, j'aimerais vous demander de produire les documents qui indiquent quand et comment ces prétendues difficultés ont été surmontées.
Le motif pour lequel le protonotaire a permis qu'une réponse soit donnée à cette question était le suivant :
[Traduction] La question 111 est pertinente quant à la question de l'abus de procédure. La demanderesse a le droit de vérifier si les problèmes de formulation dont parle M. Sherman dans son affidavit constituaient un motif légitime de retirer l'allégation. Il est tout à fait pertinent de demander quand et comment Apotex a pu surmonter par la suite ses difficultés et présenter la nouvelle allégation.
J'ai examiné le dossier et je suis d'accord avec le protonotaire. Il est pertinent de demander quels étaient les problèmes de formulation, et quand et comment ils ont été réglés, pour déterminer si le dépôt d'un nouvel avis d'allégation constitue un abus de procédure. La conclusion du protonotaire était correcte.
[14] La protonotaire a aussi ordonné que tout contre-interrogatoire de M. Sherman devait être terminé dans les deux semaines suivant la réception des réponses d'Apotex aux questions 55, 110, 111 et 141. Apotex a prétendu que le protonotaire avait commis des erreurs de droit et avait mal apprécié les faits en prorogeant le délai accordé pour terminer le contre-interrogatoire. L'interrogatoire de M. Sherman a pris fin le 9 juillet 2002 et AstraZeneca a été informée de la position d'Apotex sur les questions non réglées lors du contre-interrogatoire le 26 juillet 2002 (cela ne concernait pas le refus de répondre aux questions en litige). AstraZeneca a présenté le 2 août 2002 sa requête visant à obtenir une ordonnance prévoyant qu'une réponse devait être fournie aux questions. Dans le préambule de son ordonnance, le protonotaire a dit, au paragraphe 4 :
[Traduction]
ET APRÈS avoir lu le dossier de la requête déposée au nom de la demanderesse et d'Apotex, et après avoir entendu les observations orales des avocats le 21 octobre 2002;
ET ÉTANT convaincu que la demanderesse a fait preuve de diligence en présentant sa requête et que les intimés n'ont pas été lésés par le court délai écoulé;
Je ne suis pas convaincu qu'il était clair que le protonotaire avait eu tort de proroger le délai du contre-interrogatoire une fois les réponses fournies aux questions en litige. Je ne suis pas non plus convaincu, d'après les faits de l'espèce, que le délai qui s'est écoulé entre le 9 juillet 2002 et le 2 août 2002 permet de conclure qu'AstraZeneca n'a pas agi avec diligence.
[15] L'appel interjeté de la décision du protonotaire est rejeté.
[16] Les dépens suivront l'issue de la cause.
ORDONNANCE
[17] LA COUR ORDONNE :
1. L'appel (requête) d'Apotex est rejeté.
2. Les dépens suivront l'issue de la cause.
« John A. O'Keefe »
J.C.F.C.
Ottawa (Ontario)
27 mars 2003
Traduction certifiée conforme :
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-660-02
INTITULÉ : ASTRAZENECA CANADA INC.
- et -
APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL
INDUSTRIES LTD. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le lundi 18 novembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : le juge O'Keefe
DATE DES MOTIFS : 27 mars 2002
COMPARUTIONS :
M. Gunars A. Gaikis
Mme D. Lancombe
POUR LA DEMANDERESSE
Mme Julie Perrin
POUR L'INTIMÉE,
Apotex Inc.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar
Pièce 1500, boîte postale 11
438, University Avenue
Toronto (Ontario)
M5G 2K8
POUR LA DEMANDERESSE
Goodmans LLP
Pièce 2400
250, Yonge Street
Toronto (Ontario)
M5B 2M6
POUR L'INTIMÉE