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Date : 20050106

Dossier : IMM-179-04

Référence : 2005 CF 7

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                   CATHERINE EFUNDEM AKO

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Mme Catherine Ako a demandé l'asile au Canada après avoir fui le Cameroun, son pays natal, en 2001. Elle affirme qu'un culte secret dont son père a été grand prêtre voulait qu'elle subisse une mutilation génitale et que son sang soit utilisé pour un sacrifice rituel.


[2]                Mme Ako a présenté sa demande à un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui ne l'a pas jugée plausible. La Commission a donné trois motifs pour expliquer sa conclusion. Mme Ako prétend que la Commission a commis une erreur à l'égard de ces trois motifs et me demande d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience. Je conviens que la conclusion de la Commission était fondée sur des erreurs de fait. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Question en litige

La décision de la Commission était-elle étayée par la preuve?

II. Analyse

[3]                Je ne peux infirmer la décision de la Commission que si j'estime qu'elle est manifestement déraisonnable, en ce sens qu'elle n'est pas du tout étayée par la preuve.

[4]                La Commission a donné trois motifs pour expliquer sa conclusion selon laquelle la version des événements de Mme Ako n'était pas plausible. D'abord, la Commission a trouvé étrange que Mme Ako ne semblât pas savoir grand-chose du culte que son père pratiquait. La Commission a rappelé, par exemple, qu'après avoir dit dans son témoignage que la mutilation génitale n'avait rien à voir avec le culte, Mme Ako a déclaré que les adeptes du culte voulaient qu'elle subisse cette mutilation afin d'utiliser son sang à des fins de rituel.


[5]                Dans son témoignage devant la Commission, Mme Ako a déclaré que l'excision des jeunes filles était une pratique courante dans son village. Cette pratique n'avait pas de lien direct avec le culte. Elle a dit aussi qu'elle savait que le culte utilisait le sang de la fille du grand prêtre lors de rituels, mais qu'elle ne savait pas exactement à quelle fin. Elle a ajouté qu'elle savait que, selon la tradition, le sang utilisé lors des rituels devait provenir d'une excision.

[6]                À mon avis, la Commission s'est appuyée sur une contradiction contenue dans le témoignage de Mme Ako qui n'apparaît pas au dossier.

[7]                Le deuxième motif invoqué par la Commission pour ne pas croire Mme Ako a trait à son profil personnel. Mme Ako a fait des études universitaires. Elle a vécu et travaillé à Douala, une grande métropole, pendant deux ans. La Commission a dit que « [c]ompte tenu de ce profil, le tribunal ne peut pas croire à son histoire et qu'elle ait cherché refuge jusqu'au Canada pour échapper à quelques villageois s'adonnant à un culte secret » .

[8]                La Commission ne semble pas cependant avoir tenu compte de tous les faits décrits par Mme Ako. Celle-ci a dit qu'elle avait été incapable de se trouver un emploi à Douala après ses études et de subvenir à ses besoins. Elle a pensé qu'il était sage de retourner dans son village pour y démarrer une petite entreprise. De plus, sa soeur, qui vivait dans ce village et qui s'occupait de sa fille de neuf ans, était très malade. Dans ces circonstances, Mme Ako estimait qu'elle devait retourner dans son village. Les problèmes avec le culte n'ont commencé que deux ans plus tard, lorsque son père est devenu grand prêtre. Mme Ako avait le sentiment qu'elle ne serait en sécurité nulle part au Cameroun.


[9]                La Commission pouvait certainement considérer que le récit de Mme Ako n'était pas plausible, mais, avant de tirer cette conclusion, elle devait tenir compte de tous les faits que celle-ci a relatés et des raisons qu'elle a données pour expliquer sa conduite. Or, la Commission ne l'a pas fait.

[10]            Le troisième motif pour lequel la Commission avait des doutes au sujet de la demande de Mme Ako découle d'un décalage contenu dans son témoignage au sujet de la date de son départ du Cameroun. La Commission a rappelé que Mme Ako a dit avoir quitté son village le 8 octobre 2001 et s'être cachée pendant trois jours dans un village voisin. Elle est ensuite demeurée avec un groupe de religieuses pendant 10 jours. Le jour suivant, elle est allée à Douala et a pris en vol international. Ainsi, Mme Ako aurait quitté le Cameroun le 22 ou le 23 octobre. Or, elle a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'elle a quitté ce pays le 10 novembre. Il y avait donc un décalage de 18 ou de 19 jours entre les deux dates.

[11]            Dans son témoignage devant la Commission, Mme Ako a déclaré qu'elle a quitté son village non pas le 8, mais le 15 octobre, ce qui laissait encore un décalage de 11 ou de 12 jours. La Commission pouvait tirer une conclusion défavorable de ce décalage. Il s'agissait toutefois d'une erreur mineure qui ne pouvait pas, en soi, justifier l'absence totale de crédibilité attribuée à Mme Ako par la Commission, en particulier dans un cas où celle-ci a elle-même commis une erreur ayant presque la même importance.


[12]            L'avocat du défendeur soutenait que, même si je concluais que la Commission a commis une erreur dans ses motifs justifiant le rejet de la demande de Mme Ako, je ne devais pas intervenir. Il a laissé entendre que le témoignage de Mme Ako contenait d'autres contradictions et incohérences qui n'ont pas été relevées par la Commission et qui montraient qu'on ne pouvait y ajouter foi. Je n'ai pas permis à l'avocat de porter à mon attention ces prétendues irrégularités. À mon avis, la décision et les motifs de la Commission doivent se justifier par eux-mêmes. Le défendeur ne peut pas invoquer d'autres motifs, qui n'ont pas été reconnus par la Commission, pour justifier les conclusions de celle-ci. La décision de la Commission ne peut reposer sur des motifs dont elle n'a même pas fait mention.

[13]            Dans le cas de Mme Ako, la Commission a donné seulement trois motifs pour justifier le rejet de la demande et a commis une erreur relativement à au moins deux d'entre eux. Dans ces circonstances, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Aucune partie n'a proposé de question de portée générale à des fins de certification, et aucune ne sera formulée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.          que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et ordonne la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission;

2.          qu'aucune question de portée générale n'est formulée.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »                   

                                                                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-179-04

INTITULÉ :                                                                CATHERINE EFUNDEM AKO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 25 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 6 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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