Date : 19990330
Dossier : IMM-4014-98
ENTRE :
LATHAROOBY RAJADURAI,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
Dossier : IMM-4402-98
ENTRE :
ITHAYAROOBY RAJADURAI,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE REED
[1] Les présents motifs se rapportent aux affaires IMM-4014-98 et IMM-4402-98. Dans ces deux affaires, l'avocate représentant le ministre a présenté une requête qui met en cause l'interprétation qu'il convient de donner du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Cette disposition exempte les décisions des agents des visas de la nécessité d'une autorisation de la Cour préalablement à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire1 :
82.1 (2) Subsection (1) does not apply with respect to a decision of a visa officer on an application under section 9, 10, or 77 or to any other matter arising thereunder with respect to an application to a visa officer. [Underlining added.]
82.1 (2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux décisions prises par l'agent des visas dans le cadre des articles 9, 10 ou 77 ni aux questions soulevées par toute demande qui lui est faite dans ce cadre. [Non souligné dans l'original.]
[2] La question litigieuse est l'interprétation qu'il convient de donner des mots " aux décisions prises par l'agent des visas " (" a decision of a visa officer ") et " aux questions soulevées par toute demande qui lui est faite dans ce cadre " (" any other matter arising thereunder "). La question se pose parce que c'est l'agent des visas qui délivre ou refuse de délivrer un visa dans le cadre d'une demande déposée en vertu de l'article 9 de la Loi, mais cette décision peut, dans certaines circonstances, reposer sur une décision prise par quelqu'un d'autre. En l'espèce, ce sont les décisions par lesquelles le délégué du ministre a refusé d'admettre les requérantes pour des raisons d'ordre humanitaire qui sont en cause.
[3] Les requérantes sont deux soeurs qui vivent au Sri Lanka et qui ont présenté des demandes de résidence permanente dans la catégorie des parents aidés. Des arguments ont été invoqués en leur nom, dont celui voulant que même si elles n'ont pas obtenu suffisamment de points d'appréciation pour se voir reconnaître le statut d'immigrant reçu, elles devraient obtenir le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire.
[4] L'article 9 de la Loi dispose :
9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée. |
(1.1) La personne qui demande un visa pour elle-même peut également en demander un pour chacune des personnes à charge qui l'accompagnent. |
(1.2) La personne qui demande un visa de visiteur doit convaincre l'agent des visas qu'elle n'est pas un immigrant. |
(2) Le cas du demandeur de visa d'immigrant est apprécié par l'agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge semblent répondre aux critères de l'établissement. |
(2.1) Le cas du demandeur de visa de visiteur est apprécié par l'agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge qui l'accompagne semblent répondre aux critères de l'autorisation de séjour. |
(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements. |
(4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements. |
(5) L'agent des visas ne peut refuser de délivrer un visa à la personne qui a présenté la demande prévue au paragraphe (1) et aux personnes à sa charge parce que la personne, ou l'une des personnes à sa charge, appartient à la catégorie non admissible visée à l'alinéa 19(1)k) qu'avec l'approbation écrite du ministre et du solliciteur général. [Non souligné dans l'original.] |
[5] La décision d'accorder le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire est prise par le ministre ou le délégué du ministre en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration et de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-102. Ces dispositions sont ainsi libellées :
114.(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou faciliter l'admission de toute autre manière. |
et
2.1 Le ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière. [Non souligné dans l'original.] |
[6] Si le délégué du ministre décide d'accorder l'admission à une personne pour des raisons d'ordre humanitaire, il en informe l'agent des visas, qui délivre le visa en vertu du paragraphe 9(4).
[7] La lettre de refus en date du 13 avril 1998 qui a été envoyée à Latharooby Rajadurai est signée par l'agent des visas Alain Gingras. Cette lettre informe la requérante que sa demande a été rejetée parce qu'elle n'a pas obtenu suffisamment de points pour que sa demande de droit d'établissement soit prise en considération et parce qu'il n'existe pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour lui accorder le droit d'établissement. L'agent des visas précise dans sa lettre que cette dernière décision a été prise par le délégué du ministre, Charles Godfrey, gestionnaire du programme d'immigration.
[8] La lettre de refus en date du 19 mai 1998 qui a été envoyée à Ithayarooby Rajadurai comporte deux parties. La partie dans laquelle la requérante apprend que le droit d'établissement ne peut lui être accordé parce qu'elle n'a pas obtenu suffisamment de points d'appréciation est signée par l'agent des visas qui a mené l'entrevue, Patrice Nectoux. La deuxième partie, dans laquelle il est précisé qu'il n'existe pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour lui accorder le droit d'établissement, est signée par Charles Godfrey.
[9] Cette différence dans la présentation des deux lettres de décision donne du poids à l'argument de l'avocate des requérantes selon lequel la décision par laquelle un agent des visas délivre ou refuse de délivrer un visa dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 9 était, jusqu'à tout récemment, considérée comme une seule décision, qu'elle contienne ou non le règlement d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. L'ancienne façon de procéder, qui consistait à traiter la décisions comme une seule décision, est évidente dans l'affaire Conté (infra). L'avocate des requérantes prétend que la nouvelle approche, qui consiste à traiter la réponse comme deux décisions, l'une exigeant une autorisation et l'autre n'en exigeant aucune, est procédurale, difficilement applicable et abstraite2. L'exception prévue au paragraphe 82.1(2) a été ajoutée notamment parce que le délai de quinze jours accordé pour présenter une demande était peu réaliste lorsqu'il s'agissait d'une décision prise par un agent des visas à l'étranger3.
[10] L'avocate de l'intimé invoque quatre décisions au soutien du point de vue qu'elle défend : Sajjan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 39 Imm. L.R. (2d) 56 (C.A.F.), Conté c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 116 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), Fawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1680 (17 novembre 1998), et Cheng c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (25 octobre 1998) IMM-4313-98 (C.F. 1re inst.).
[11] Certaines de ces décisions ne se rapportent pas à une demande fondée sur l'article 9. L'affaire Sajjan concerne une décision rendue par la Section d'appel de l'immigration dans le cadre d'un appel formé à l'encontre de la décision d'un agent des visas en vertu du paragraphe 77(1). La Cour a conclu qu'une décision rendue par la Section d'appel n'était pas une décision prise par un agent des visas : " Une décision rendue par la Section d'appel est une décision prise par un décideur différent de l'agent des visas et, par conséquent, ne relève pas de l'exception. " La Cour a également statué que cette décision n'étais pas visée par les derniers mots employés au paragraphe 82.1(2), c'est-à-dire, dans le contexte de l'article 77, les mots " aux questions soulevées par toute demande qui lui est faite dans ce cadre ". En revanche, la Cour a déclaré qu'il faut donner effet à ces mots et qu'ils s'appliquaient clairement :
aux situations où un agent des visas a omis de prendre une décision et qu'une demande par voie de mandamus est envisagée. Il y a d'autres questions liées aux décisions prises en vertu de ces trois articles, telles que les décisions sur la procédure, les décisions des agents des visas contre lesquelles on ne peut pas interjeter appel devant la Section d'appel, etc., qui peuvent être comprises aussi par ces mots. [Non souligné dans l'original.] |
[12] Dans l'affaire Conté, le demandeur s'était vu refuser un permis ministériel de rentrée au Canada en vertu de l'article 37 de la Loi. Il a été statué que cette décision devait faire l'objet d'une autorisation en vertu du paragraphe 82.1(2) puisque l'exception ne s'appliquait qu'aux décisions prises en vertu des articles 9, 10 et 77. Une décision similaire a été rendue dans l'affaire Ching c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1997), 137 F.T.R. 313, relativement à une demande présentée en vertu de l'article 37.
[13] Dans l'affaire Fawaz, le juge Evans a été saisi de la demande de contrôle judiciaire d'une décision prise par le ministre en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B). Il a statué qu'il n'était pas dans l'intérêt national d'admettre le requérant au Canada. Le juge Evans a conclu qu'une autorisation était requise pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il a déclaré : " Je dois conclure que le paragraphe 81.1(2) [...] s'applique seulement aux décisions prises par des agents des visas et non par le ministre ou par quelqu'un d'autre, à l'occasion d'une demande fondée sur les articles 9, 10 ou 77 de la Loi ou relativement à cette demande. "
[14] Dans l'affaire Cheng, dont les faits seraient pratiquement identiques à ceux de l'espèce, le juge Denault a déclaré :
[traduction] On n'a pas convaincu la Cour, au début de l'instance, que la décision prise par le gestionnaire de programme en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration est celle d'un agent des visas ainsi qu'il est prévu dans la disposition relative à la dispense d'autorisation prévue au paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration. La demande ne peut donc être présentée que sur autorisation accordée par un juge de la Cour [...] |
[15] La version française du paragraphe 82.1(2) est plus précise que la version anglaise en ce qu'elle exprime l'idée que les décisions de l'agent des visas qui sont visées par l'exception prévue au paragraphe 82.1(1) sont celles qu'il prend par lui-même et non celles qu'il prend sur l'ordre de quelqu'un d'autre. Malgré tout, la question que soulève l'avocate des requérantes est importante, surtout compte tenu de la pratique antérieure du Ministère et du contexte dans lequel le paragraphe 82.1(2) a été incorporé dans la Loi. Il existe une question de portée générale, et l'intimé ayant indiqué qu'il ne consentira pas à une autorisation, c'est peut-être déterminant quant à l'issue des demandes des requérantes.
[16] Pour les motifs qui précèdent, les requêtes de l'intimé seront accueillies et les demandes seront rejetées parce que l'autorisation voulue n'a pas été obtenue. Ainsi que je l'ai indiqué, je serais disposée à certifier une question en vue du dépôt d'un appel en l'espèce. L'avocate de l'intimé a proposé une question et l'avocate des requérantes a donné son consentement au " sens " de la question proposée. En voici le libellé :
[traduction] La décision prise dans le cadre d'une demande de résidence permanente présentée à l'étranger, par un gestionnaire de programme comme le délégué du ministre, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration ou de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration, et portant qu'il n'existe pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour justifier un examen spécial est-elle visée par les dispositions relatives à l'obtention d'une autorisation qui sont prévues au paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration? |
" B. Reed "
Juge
TORONTO (ONTARIO)
Le 30 mars 1999
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Noms des avocats et avocats inscrits au dossier
NUMÉRO DU GREFFE : IMM-4014-98 et IMM-4402-98
INTITULÉ : LATHAROOBY RAJADURAI |
- et - |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
- et -
ITHAYAROOBY RAJADURAI |
- et - |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
DATE DE L'AUDIENCE : LE JEUDI 11 MARS 1999 |
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Reed le mardi 30 mars 1999
COMPARUTIONS : Barbara Jackman
Pour les requérantes |
Marissa Bielski |
Pour l'intimé |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Jackman, Waldman & Associates
Avocats |
281, av. Eglinton est |
Toronto (Ontario) |
M4P 1L3 |
Pour les requérantes |
Morris Rosenberg |
Sous-procureur général du Canada |
Pour l'intimé |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19990330
Dossier : IMM-4014-98
Entre :
LATHAROOBY RAJADURAI,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
Dossier : IMM-4402-98
Entre :
ITHAYAROOBY RAJADURAI,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
__________________82.1 (1) An application for judicial review under the Federal Court Act with respect to any decision or order made, or any matter arising, under this Act or the rules or regulations thereunder may be commenced only with leave of a judge of the Federal Court - Trial Division. | 82.1 (1) La présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application " règlements ou règles " se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale. |
2 Cette approche suppose en outre la présentation de deux demandes distinctes conformément à la règle 302 des Règles de la Cour fédérale, sauf ordonnance contraire de la Cour, même si la lettre reçue par l'intéressé ne contient qu'une date et est signée par une seule personne, soit l'agent des visas.
3 La ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Barbara MacDougall, a présenté l'exception prévue au paragraphe 82.1(2) (Débats de la Chambre des communes, 3 juin 1988, à la p. 16097) en réponse aux commentaires faits et aux modifications proposées dans le rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles :
Le Comité a entendu un certain nombre de témoins qui estiment que s'il a pour objet d'instituer un nouveau processus de détermination du statut de réfugié, le projet de loi influera toutefois aussi sur la révision par la Cour fédérale de certaines questions d'immigration qui n'ont pas trait au statut de réfugié. Leurs préoccupations découlent de la disposition du projet de loi exigeant que l'introduction d'une instance aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale soit autorisée. La demande d'autorisation devrait être déposée dans les 15 jours suivant la date où le demandeur est avisé de la décision.
En l'état actuel de la loi, aucune autorisation n'est requise et il n'y a pas de délai pour la présentation d'une demande de révision judiciaire conformément à l'article 18. Des témoins ont souligné que le fait d'imposer un délai rendrait difficiles, voire impossibles, les négociations avec les agents des visas à l'étranger et un grand nombre de demandes de pure forme seraient probablement présentées simplement pour que soit préservé le droit qu'ont les requérants de contester une décision. Ils ont aussi fait remarquer que dans ces types d'affaires, aucun abus de quelque nature n'a été décelé et qu'il était donc inutile de prévoir une disposition exigeant l'obtention d'une autorisation pour introduire une instance, disposition qui aurait pour effet d'entraver l'accès aux tribunaux. Le Comité recommande la suppression de ces exigences au 9e amendement. [Vingtième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, deuxième session, trente-troisième législature, 11 mai 1988.]