Date : 20041129
Dossier : IMM-8624-03
Référence : 2004 CF 1676
Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
AUNG KYAW MIN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Aung Kyaw Min a fui le Myanmar parce qu'il craignait d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile qu'il avait présentée au Canada parce qu'il n'était pas convaincu que M. Min avait prouvé son identité. M. Min a témoigné qu'il s'était procuré un passeport ainsi qu'une carte d'enregistrement nationale sous un nouveau nom pour pouvoir quitter le Myanmar. Cependant, son témoignage et ses exposés écrits étaient incohérents à plusieurs égards. Au bout du compte, la Commission n'a tout simplement pas ajouté foi à son récit, et a conclu qu'il n'avait pas prouvé son identité.
[2] M. Min soutient que la Commission a eu tort de rejeter ses explications des incohérences relevées dans son témoignage. De plus, il fait valoir que la Commission aurait dû tenir compte d'un rapport d'un psychologue dans lequel ce dernier avait conclu que M. Min souffrait du syndrome de stress post-traumatique et allait avoir beaucoup de difficulté à témoigner lors de l'audience devant la Commission. La Commission n'a pas mentionné ce rapport dans son analyse de la crédibilité de M. Min. M. Min m'a demandé d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission.
[3] À mon avis, étant donné les circonstances de la présente affaire, la Commission était tenue, à tout le moins, de prendre en considération le rapport du psychologue. Pour ce motif, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
I. Question en litige
[4] La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en considération le rapport du psychologue?
II. Analyse
[5] La Commission n'est pas tenue de faire allusion à tous les documents dont elle dispose. Toutefois, plus le document est important, plus l'obligation de la Commission de le mentionner expressément est contraignante : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL). Dans la mesure où elle tire des conclusions quant à la crédibilité fondées sur des éléments à l'égard desquels ils sont pertinents, la Commission doit tenir compte de rapports médicaux et de rapports de psychologues : Bernardine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1187, [2002] A.C.F. no 1590 (C.F. 1re inst.) (QL).
[6] Par exemple, avant de tirer une inférence défavorable du comportement d'un demandeur, la Commission doit prendre en considération l'avis d'un spécialiste qui peut aider à expliquer le comportement en question : Sanghera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 87 (C.F. 1re inst.) (QL). Par ailleurs, si la Commission estime que l'avis du psychologue n'explique pas le témoignage du demandeur, il lui est loisible de lui accorder un poids minime, voire nul : Dekunle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1112, [2003] A.C.F. no 1403 (QL).
[7] Le psychologue qui a évalué M. Min a conclu que celui-ci avait du mal à se concentrer et souffrait de problèmes de mémoire. Il avait parfois de la difficulté à comprendre les questions. Il [traduction] _ ne supporterait pas d'être interrogé à l'audience _ parce qu'il avait des flashbacks et était saisi par un stress extrême lorsqu'on l'interrogeait.
[8] La Commission a écarté le témoignage de M. Min parce qu'il avait donné des versions incompatibles de la façon dont il s'était procuré ses pièces d'identité. Elle a jugé que certaines de ses explications étaient invraisemblables, surtout étant donné son niveau d'instruction. Dans l'ensemble, elle a conclu que le témoignage de M. Min _ dépasse les limites de la crédibilité _ et qu'on _ ne peut aucunement lui faire confiance _. De plus, elle a qualifié M. Min de _ manipulateur _ et a dit qu'il essayait de _ tromper _ le tribunal.
[9] La Commission a de toute évidence évalué de façon très négative le témoignage de M. Min. Cependant, étant donné la teneur du rapport du psychologue, la Commission devait à tout le moins se demander si les éléments mentionnés dans ce rapport expliquaient, en tout ou en partie, les anomalies relevées dans le témoignage de M. Min. En fait, la Commission n'a pas du tout fait mention du rapport, et ce, malgré que l'évaluation du psychologue occupait une place importante dans les observations écrites que M. Min lui avait soumises.
[10] Compte tenu de ces circonstances, je dois accueillir la demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. Les parties n'ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n'est énoncée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission aux fins d'une nouvelle audition;
3. Aucune question de portée générale n'est énoncée.
_ James W. O'Reilly _
Juge
Traduction certifiée conforme
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8624-03
INTITULÉ : AUNG KYAW MIN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO
DATE DE L'AUDIENCE : LE 23 NOVEMBRE 2004
MOTIFS DU JUGEMENT ET
JUGEMENT : LE JUGE O'REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 29 NOVEMBRE 2004
COMPARUTIONS:
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Neeta Logsetty POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Michael Crane POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)