Date : 20030428
Dossier : IMM-1762-02
Référence : 2003 CFPI 526
OTTAWA (ONTARIO), le 28 avril 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL
ENTRE :
DANEY SOK EK
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour le contrôle judiciaire de la décision de l'agent de Citoyenneté et Immigration (l'agent d'immigration) datée du 28 mars 2002 et communiquée à Daney Sok Ek (la demanderesse) le 8 avril 2002, dans laquelle l'agent d'immigration a décidé que les raisons d'ordre humanitaire (CH) invoquées par la demanderesse ne justifiaient pas l'approbation d'une exemption en rapport avec l'exigence du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. La demanderesse vise à obtenir une ordonnance annulant la décision ainsi qu'une ordonnance renvoyant l'affaire pour qu'une nouvelle décision soit prise par un autre agent d'immigration.
Le contexte
[2] La demanderesse est née le 5 février 1989 à Phnom Phen, au Cambodge. Elle est une citoyenne du Cambodge qui, le 20 août 1998, est arrivée au Canada avec sa mère en passant par les États-Unis et qui a formulé une revendication du statut de réfugié au point d'entrée à Peace Bridge. Après leur arrivée, elles ont habité chez son oncle maternel à Toronto.
[3] Le 6 novembre 1998, il y a eu désistement de la revendication du statut de réfugié formulée par la demanderesse et sa mère en raison de l'omission de déposer le Formulaire de renseignements personnels dans les délais.
[4] La demanderesse allègue que sa mère est retournée seule au Cambodge en 1999, craignant d'être un fardeau financier pour son frère et s'inquiétant au sujet du bien-être de sa famille dans son pays. Elle a demandé à son frère de Toronto de prendre soin de la demanderesse.
[5] Quelques temps après que la mère de la demanderesse eut quitté le Canada, l'oncle et la tante de la demanderesse ont décidé qu'ils tenteraient d'adopter la demanderesse. Le père et la mère de la demanderesse y ont tous les deux consenti et ont fourni les consentements écrits nécessaires, lesquels ont été joints à la demande d'adoption.
[6] L'oncle et la tante ont présenté deux demandes distinctes, mais la Cour supérieure a décidé, dans les deux cas, que l'adoption n'était pas nécessaire et a plutôt accordé la garde.
[7] Le 19 janvier 2001, la demanderesse a présenté une demande CH au Centre de traitement des demandes (CTD) à Vegreville, en Alberta. Le CTD lui a confirmé qu'il avait reçu sa demande de résidence permanente et qu'il l'avait transmise au Centre d'immigration Canada (CIC) à Woodbridge. La demanderesse a reçu une lettre du CIC, datée du 18 février 2002, lui mentionnant que toute mise à jour ou renseignement additionnel devant être pris en compte lors de l'examen de la demande devait être soumis dans les 30 jours.
[8] Le 8 avril 2002, la demanderesse a reçu une lettre du CIC de Scarborough déclarant qu'on ne lui accorderait pas d'exemption relativement à l'exigence selon laquelle il faut obtenir un visa avant de venir au Canada.
La décision de l'agent d'immigration
[9] Dans les motifs de sa décision, l'agent d'immigration déclare ce qui suit :
[traduction]
L'oncle et sa femme ont pris soin de la demanderesse et en ont obtenu la garde en juillet 2000. Le 22 janvier 2001, la demanderesse a présenté de l'intérieur du Canada une demande CH de résidence permanente accompagnée d'une demande de parrainage de la part de son oncle. La demanderesse n'a pas le droit d'être parrainée par son oncle du fait qu'elle n'est pas une personne à charge ni une orpheline. Aucun élément de preuve des liens avec l'oncle n'a été présenté, aucun recensement de famille, aucun certificat de naissance ni passeport pour la demanderesse.
La demanderesse a fréquenté l'école au Canada sans permis de séjour pour étudiant. La demanderesse affirme qu'elle ferait face à une grande détresse et à beaucoup de difficultés si elle était forcée de quitter le Canada du fait qu'elle a un foyer stable et heureux ici, ce qu'elle n'aura pas au Cambodge en raison de l'instabilité politique qui y sévit.
Je note qu'aucun élément de preuve n'a été présenté pour corroborer la date de départ de la demanderesse du Cambodge, la durée de son séjour aux États-Unis et son statut là-bas. Aucune explication n'a été fournie quant à savoir pourquoi, si elles craignaient pour leur sécurité, la demanderesse et sa mère n'ont pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis lorsqu'elles ont fui le Cambodge. Aucune date n'a été fournie au sujet de la date à laquelle la mère de la demanderesse a quitté le Canada pour retourner dans sa famille au Cambodge.
La demanderesse vit au Canada depuis 1998 et, à mon avis, le fait d'être séparée de ses parents ainsi que de ses frères et soeurs qui demeurent toujours au Cambodge représente des difficultés inhabituelles et injustifiées. J'ai tenu compte du fait que la demanderesse vivait dans un foyer stable avec son oncle, mais l'intérêt supérieur de l'enfant en l'espèce est de retourner avec ses parents et ses frères et soeurs. Sa présence au Canada prive la demanderesse des liens parentaux et affectifs auxquels tout enfant a droit. La demanderesse a le droit de grandir avec ses parents et ses frères et soeurs et d'être chérie par leur amour et leurs soins.
Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, j'en suis venu à la conclusion que l'intérêt supérieur de l'enfant est de quitter le Canada, de retourner au Cambodge et d'y vivre avec ses parents et sa famille. Aucune exemption n'est accordée relativement à l'exigence du paragraphe (9)1. La demande est rejetée
Arguments
Les observations de la demanderesse
Le défaut de tenir compte des éléments de preuve ou la mauvaise interprétation de ces éléments de preuve
[10] La demanderesse soutient que le défendeur a tiré une conclusion de fait erronée en ne tenant pas compte de l'ensemble des éléments de preuve. L'agent d'immigration a déclaré qu'il n'y avait aucune preuve des liens entre la demanderesse et son oncle et que la demanderesse n'avait pas produit de certificat de naissance. La demanderesse avait joint à sa demande des copies de son certificat de naissance de même que des copies des affidavits de son oncle et de sa tante produits aux fins de l'adoption, lesquels attestent leurs liens avec la demanderesse. Lors de l'audition devant moi de la présente affaire, l'avocat du défendeur a reconnu que la preuve par affidavit établissait les liens entre la demanderesse et son oncle.
[11] La demanderesse soutient qu'il s'agit d'une affaire dans laquelle l'intérêt supérieur de l'enfant devrait être pris en compte malgré qu'il ne s'agisse pas d'un enfant né au Canada (Koud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1237). Il y a plusieurs facteurs importants dont l'agent d'immigration n'a pas tenu compte dans l'examen de l'intérêt supérieur de l'enfant en l'espèce, notamment ses liens avec la famille de son oncle, l'ordonnance de garde, les difficultés auxquelles elle ferait face si elle devait retourner au Cambodge, son lien avec le Canada ainsi que l'absence de quelque élément de preuve que ce soit au sujet de la nature de ses liens avec ses parents biologiques.
La norme de contrôle
[12] La demanderesse soutient que la norme de contrôle appropriée pour les décisions discrétionnaires dans les cas où des raisons d'ordre humanitaire sont invoquées est la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). La décision déraisonnable est la décision qui n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.
L'intérêt supérieur de l'enfant
[13] Lorsque l'exercice du pouvoir discrétionnaire par les agents a un impact sur l'intérêt supérieur de l'enfant, la Cour suprême a réitéré que les décisions peuvent être déraisonnables si elles entrent en contradiction avec les valeurs d'ordre humanitaire. Quand l'agent a fait une analyse déficiente de l'intérêt supérieur de l'enfant, le décideur n'a pas raisonnablement le droit de rejeter la demande (Reis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 431; Jack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1189; Navaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1870). L'agent d'immigration doit démontrer qu'il a été « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant dans le dossier (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1687; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 457). La demanderesse soutient que l'agent n'a pas pris entièrement en considération ses intérêts comme enfant. Parmi les facteurs cruciaux qui n'ont pas été examinés, il y a ses souhaits, ses liens au Canada et son degré d'établissement depuis 1998, le lien affectif qu'elle entretient avec son oncle et sa tante, qui sont ses gardiens, et leurs enfants ainsi que la question de savoir si elle a maintenu des liens avec ses parents biologiques. La demanderesse n'a pas non plus eu l'occasion, au cours d'une entrevue personnelle et avant que la décision ne soit prise, de dissiper les réserves que l'agent avait.
L'équité procédurale
[14] L'équité procédurale s'applique aux décisions CH (Baker, précité). Il a été décidé dans l'arrêt Baker, précité, qu'aucune audience n'était requise, mais la crédibilité n'était pas en cause. Lorsqu'une grave question de crédibilité est en jeu, les principes de justice fondamentale exigent la tenue d'une audience (Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177. La demanderesse soutient qu'en l'espèce, des questions de crédibilité ont été soulevées par les mentions répétées dans la décision de l'agent quant au manque de preuve relativement à certains faits. La plupart de ces faits ont trait à des sujets qui se rapportaient à la mère de la demanderesse et non à la demanderesse, elle-même, et ils n'auraient pas dû affecter sa crédibilité de manière défavorable. La demanderesse soutient subsidiairement que, étant donné le sérieux du dossier et les questions relatives à la crédibilité, la demanderesse aurait dû avoir l'occasion, lors d'une entrevue, de dissiper les réserves de l'agent d'immigration concernant toute question de crédibilité. Le fait de ne pas avoir reçu la demanderesse en entrevue va à l'encontre de l'équité procédurale.
Les observations du défendeur
[15] Le défendeur soutient que la décision d'accueillir ou non une demande CH est hautement discrétionnaire et pour que la contestation d'une telle décision réussisse lors d'un contrôle judiciaire, le demandeur doit démontrer que le décideur a commis une erreur de droit, qu'il s'est appuyé sur un principe faux ou inapproprié ou qu'il a agi de mauvaise foi (Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1508; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 741).
[16] L'agent d'immigration a non seulement conclu que la demanderesse ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles ou indues si elle devait quitter le Canada, mais que de demeurer au Canada, séparée de sa famille, constituait en soi une difficulté injuste.
[17] Le défendeur soutient que l'agent d'immigration a tenu compte de tous les éléments de preuve. Il a simplement émis des commentaires concernant le manque de documents fournis par la demanderesse à l'appui de sa demande. Les aspects pour lesquels la demanderesse prétend que des éléments de preuve n'ont pas été pris en compte n'étaient pas en cause dans la présente affaire de telle manière que le certificat de naissance n'est pas pertinent.
[18] En raison du fait que l'enfant en question est la demanderesse, l'impact de la décision sur l'enfant constitue le point le plus important en l'espèce. L'agent d'immigration a bel et bien tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant.
[19] Les observations de la demanderesse en ce qui a trait au manquement à l'équité procédurale ne sont pas justifiées.
[20] Le simple fait de ne pas accepter une décision défavorable n'est pas suffisant pour prétendre qu'il y a une erreur de droit susceptible de révision.
Les questions en litige
[21] Les questions en litige sont les suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle appropriée?
2. Est-ce que l'intérêt supérieur de l'enfant a été examiné de manière adéquate?
3. Est-ce que le principe d'équité procédurale a été respecté en l'espèce?
Analyse
Le cadre légal :
[22] Les dispositions légales sont les suivantes :
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 :
9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée. |
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9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry. |
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114(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière. |
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114(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations. |
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La norme de contrôle
[23] La Cour doit d'abord déterminer quelle norme de contrôle est applicable en l'espèce.
[24] La question de la norme de contrôle pour les décisions CH a été examinée à fond par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité. Après s'être servie de l'approche pragmatique et fonctionnelle énoncée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, Mme le juge L'Heureux-Dubé a déclaré au paragraphe 62 que :
Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[25] La norme de la décision raisonnable simpliciter a été décrite par M. le juge Iacobucci dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56 :
Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.
[26] Cela ne signifie toutefois pas que la Cour devrait entreprendre de soupeser à nouveau les éléments de preuve présentés dans le dossier (Legault, précité).
Est-ce que l'agent d'immigration a tenu compte de manière adéquate de l'intérêt supérieur de l'enfant en l'espèce?
[27] Le concept d'intérêt supérieur de l'enfant a été énoncé pour la première fois par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité. Mme le juge L'Heureux-Dubé a abordé l'intérêt supérieur de l'enfant au paragraphe 75 de ses motifs. Elle a écrit :
La question certifiée demande s'il faut considérer l'intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l'examen du cas d'un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.
Elle a conclu au paragraphe 73 :
Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l'attention particulière à prêter à l'enfance sont des valeurs importantes à considérer pour interpréter de façon raisonnable les raisons d'ordre humanitaire qui guident l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Je conclus qu'étant donné que les motifs de la décision n'indiquent pas qu'elle a été rendue d'une manière réceptive, attentive ou sensible à l'intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit être infirmée.
[28] La décision Koud, précitée, établit que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant s'applique également aux enfants qui ne sont pas citoyens canadiens et l'avocat du défendeur a admis cela lors de l'audience.
[29] Dans l'arrêt Legault, précité, la Cour d'appel fédérale a statué au paragraphe 13 :
La simple mention des enfants ne suffit pas. L'intérêt des enfants est un facteur qui doit être examiné avec soin et soupesé avec d'autres facteurs.
[30] Dans la décision Koud, précitée, M. le juge Lemieux a en résumé établi quels types de dossiers méritent que la Cour intervienne et il a fait référence, au paragraphe 15, aux situations où l'agent d'immigration « prend en considération l'intérêt de l'enfant mais d'une manière insuffisante ou défectueuse » .
[31] En l'espèce, étant donné que la demanderesse est une enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant est directement en cause. En ce qui a trait à l'intérêt supérieur de l'enfant, l'agent d'immigration a déclaré :
[traduction] La demanderesse vit au Canada depuis 1998 et, à mon avis, le fait d'être séparée de ses parents ainsi que de ses frères et soeurs qui demeurent toujours au Cambodge représente des difficultés inhabituelles et injustifiées. J'ai tenu compte du fait que la demanderesse vivait dans un foyer stable avec son oncle, mais l'intérêt supérieur de l'enfant en l'espèce est de retourner avec ses parents et ses frères et soeurs. Sa présence au Canada prive la demanderesse des liens parentaux et affectifs auxquels tout enfant a droit. La demanderesse a le droit de grandir avec ses parents et ses frères et soeurs et d'être chérie par leur amour et leurs soins.
Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, j'en suis venu à la conclusion que l'intérêt supérieur de l'enfant est de quitter le Canada, de retourner au Cambodge et d'y vivre avec ses parents et sa famille. [...]
[32] Le défendeur soutient que ce passage démontre que l'agent d'immigration a tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, parce que l'agent a conclu non seulement que la demanderesse ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles ou indues si elle devait quitter le Canada, mais que de demeurer au Canada, séparée de sa famille, constituait une difficulté injuste pour la demanderesse.
[33] Il ne ressort toutefois pas de l'examen des motifs de la décision que l'intérêt supérieur de l'enfant ait été pris en compte correctement, comme l'exige la jurisprudence. En fait, les motifs révèlent plutôt que l'agent a à peine analysé les difficultés auxquelles ferait face comme enfant la demanderesse si elle était obligée de quitter le Canada. L'agent n'a pas abordé la question de l'adaptation qu'elle pourrait avoir à vivre après avoir été éloignée du Cambodge pendant si longtemps et il n'a fait que passer rapidement sur la question de son établissement au Canada et de ses souhaits. Il n'a pas vraiment pris en compte sa scolarité ni le lien qu'elle avait avec sa tante, son oncle et ses cousins qui, selon ce qui ressort de la preuve, constituent actuellement sa famille. L'agent mentionne simplement le souhait de la demanderesse de demeurer ici, sans analyser les difficultés auxquelles elle fera face si ce n'est pas le cas. Bien que l'importance de ses liens biologiques puisse certes jouer en faveur du fait qu'elle rejoigne sa famille, l'omission de la part de l'agent d'analyser les éléments de preuve auxquels il avait accès et les difficultés auxquelles la demanderesse ferait face si elle était renvoyée du Canada est déraisonnable et constitue une erreur. Contrairement à ce que prétend le défendeur, l'agent n'a pas été « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant dans la présente affaire.
Conclusion
[34] Je suis également d'accord avec la demanderesse que l'agent n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve ou les a mal interprétés, qu'il a fait des inférences déraisonnables et qu'il a donné des motifs qui étaient sans rapport véritable avec les éléments de preuve qui lui avaient été présentés et ce, à un point tel que cela est également susceptible de révision. Ayant conclu, toutefois, que l'intérêt supérieur de l'enfant n'a pas été pris en compte de la façon dont la jurisprudence l'exige, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de donner des détails à propos de ces autres erreurs. De même, il n'est pas nécessaire d'examiner les prétentions de la demanderesse concernant un manquement à l'équité procédurale dans la présente affaire.
ORDONNANCE
LA COUR PAR LES PRÉSENTES ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 28 mars 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour que celui-ci rende une nouvelle décision.
2. Aucune question n'est certifiée.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-1762-02
INTITULÉ : DANEY SOK EK c. MCI
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 mars 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
MOTIFS DE L'ORDONANCE: Le juge James Russell
DATE DES MOTIFS : Le 28 avril 2003
COMPARUTIONS : Clara Ho
Pour la demanderesse
Tamrat Gebeyehu
Pour le défendeur
AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER :
Clara Ho
Avocate
Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic
180, rue Dundas O., bureau 1701
Toronto (Ontario)
M5G 1Z8
Pour la demanderesse
Tamrat Gebeyehu
Ministère de la Justice
130, rue King O., bureau 3400, casier 36
Toronto (Ontario)
M5X 1K6
Pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date :20030428
Dossier : IMM-1762-02
ENTRE :
DANEY SOK EK
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE