Date : 19980610
Dossier : T-2841-96
AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,
L.R.C. (1985), ch. C-29,
ET un appel interjeté de la décision
d'un juge de la citoyenneté,
ET
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
appelant,
CHI HUNG PAUL CHEUNG,
intimé.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE NADON
[1] Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté. Le ministre interjette appel de la décision en date du 25 octobre 1996 par laquelle le juge de la citoyenneté W.A. Borosa a accueilli la demande de citoyenneté présentée par l'intimé.
[2] Dans le présent appel, il y a à trancher seulement la question de savoir si l'intimé a satisfait aux conditions de résidence posées par l'alinéa 5(1)c) de la Loi lorsqu'il a demandé la citoyenneté le 29 février 1996.
[3] L'alinéa 5(1)c) de la Loi prévoit qu'une personne doit, dans les quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté au Canada, avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout.
[4] L'intimé, citoyen britannique de Hong Kong, a reçu le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement le 28 septembre 1992 lorsqu'il est arrivé au Canada avec sa femme et ses trois enfants. Au cours des trois années qui ont précédé sa demande de citoyenneté, l'intimé a passé seulement 366 jours au Canada. Il lui manque donc 729 jours dont la plupart ont été passés à Hong Kong. Entre le 28 septembre 1992 et le 29 février 1996, l'intimé s'est trouvé à l'extérieur du pays pendant 883 jours.
[5] L'alinéa 5(1)c) de la Loi précise qu'une personne doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout antérieurement à sa demande de citoyenneté. Comme le concept de "résidence" n'est pas défini au paragraphe 2(1) de la Loi , d'importants débats se sont déroulés devant la Cour. Dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, le juge Thurlow (tel était son titre) a décidé que la présence physique au Canada ne s'imposait pas toujours pour établir la résidence au sens de la Loi. À la page 214, il s'est exprimé en ces termes :
Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y habiter. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] "essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question". |
[6] Il ressort des remarques du juge Thurlow qu'avant que les jours d'absence puissent être examinés aux fins des conditions de résidence posées par la Loi, cette personne doit avoir établi son chez-soi dans ce pays avant de partir. En l'espèce, il ne fait pas de doute, à mon avis, que l'intimé n'a jamais établi son chez-soi au Canada avant de partir pour faire de nombreux voyages à Hong Kong. Il découle de la preuve que l'intimé a simplement installé sa famille au Canada pour retourner ensuite à Hong Kong afin d'y continuer ses activités commerciales. L'intimé n'ayant jamais établi son chez-soi au Canada, il ne saurait, à mon avis profiter des jours physiquement passés à l'extérieur du Canada pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.
[7] Interpréter autrement l'alinéa 5(1)c) de la Loi constituerait une reformulation de cet alinéa, ce que le Parlement ne m'autorise pas à faire. Je suis entièrement d'accord avec les commentaires faits par le juge Pinard dans Affaire intéressant Chow, 6 janvier 1997, T-2629-95, où il tient les propos
suivants :
Suivant une certaine jurisprudence, il n'est pas nécessaire que la personne qui demande la citoyenneté canadienne soit physiquement présente au Canada pendant toute la durée des 1 095 jours, lorsqu'il existe des circonstances spéciales ou exceptionnelles. J'estime toutefois que des absences du Canada trop longues, bien que temporaires, au cours de cette période de temps minimale, comme c'est le cas en l'espèce, vont à l'encontre de l'objectif visé par les conditions de résidence prévues par la Loi. D'ailleurs, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant une des quatre années qui précèdent immédiatement la date de sa demande de citoyenneté. |
[8] Je n'ai pas à pousser plus loin mon analyse puisqu'il est clair que l'intimé ne satisfait pas aux conditions de résidence posées par la Loi. Pour ces motifs, le présent appel sera accueilli.
[9] Il y a à trancher une dernière question. Le 5 juin 1998, le ministre a déposé un avis de requête demandant à la Cour de rendre une ordonnance de procédure concernant l'application des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles de 1998) au présent appel. La ministre a introduit cette requête du fait de la récente décision rendue le 25 mai 1998 dans l'affaire MCI c. Fai Alex Chan, T-2842-96. Dans l'affaire Chan, le juge Rothstein a rendu l'ordonnance de procédure suivante :
[TRADUCTION] Le présent appel en matière de citoyenneté ayant été déposé à la Cour avant l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998), l'appel devrait se dérouler sous forme de procès de novo. La partie 5 des Règles de la Cour fédérale (1998) s'applique aux appels déposés à la Cour après l'entrée en vigueur des nouvelles Règles. |
Le ministre n'est pas d'accord avec l'ordonnance rendue par le juge Rothstein, et il soutient qu'en raison de la règle 501(1) des Règles de 1998, le présent appel doit être régi par les Règles de 1998. Donc, selon le ministre, l'audition du présent appel ne relève plus de l'ancienne règle 912, qui prévoyait qu'un appel interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté prendrait la forme d'une nouvelle audition. Les parties pouvaient donc produire devant la Cour de nouveaux éléments de preuve. Les appels fondés sur le paragraphe 14(5) de la Loi relèvent de la partie 5 des Règles de 1998. Un appel interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté prendra maintenant la forme d'une demande fondée sur le dossier dont est saisi le juge de la citoyenneté.
[10] À la fin de l'audition, j'ai fait savoir aux avocats que l'appel serait accueilli et que, en conséquence, je ne trancherais pas la question de procédure. J'ai indiqué aux avocats que ma décision d'accueillir l'appel ne portait pas sur l'application des anciennes ou nouvelles Règles de pratique. Je suis convaincu que le juge de la citoyenneté ne disposait pas de la preuve lui permettant de conclure, comme il l'a fait, que l'intimé satisfaisait aux conditions de résidence posées par la Loi.
Marc Nadon
Juge
Toronto (Ontario)
Le 10 juin 1998
Traduction certifiée conforme
Tan, Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
No DU GREFFE : T-2841-96 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : |
AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,L.R.C. (1985), ch. C-29, |
ET un appel interjeté de la décision |
d'un juge de la citoyenneté, |
ET |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, |
appelant,
CHI HUNG PAUL CHEUNG, |
intimé.
DATE DE L'AUDIENCE : Le 9 juin 1998 |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : le juge Nadon
EN DATE DU 10 juin 1998 |
ONT COMPARU :
Leena Jaakkimainen pour l'appelant |
Max Chaudhary pour l'intimé |
Peter K. Large amicus curiae |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour l'appelant
Chaudhary Law Offices
255, chemin Duncan Mill
Pièce 812
North York (Ontario)
M3B 3H9 pour l'intimé
Peter K. Large
610-372, rue Bay
Toronto (Ontario)
M5H 2W9 amicus curiae
COUR FÉDÉRALE DU CANADA |
Date : 19980610 |
Dossier : T-2841-96 |
Entre |
AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,L.R.C. (1985), ch. C-29, |
ET un appel interjeté de la décision |
d'un juge de la citoyenneté, |
ET |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, |
appelant, |
CHI HUNG PAUL CHEUNG, |
intimé. |
MOTIFS DU JUGEMENT |