Date : 20041115
Dossier : IMM-4553-04
Référence : 2004 CF 1587
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
SUTHARSAN KANDIAHPILLAI
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 21 avril 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger.
LES FAITS
Genèse de l'instance
[2] Le demandeur est un citoyen de 29 ans du Sri Lanka. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses origines ethniques, des opinions politiques qui lui sont imputées et de son appartenance à un groupe social, à savoir les Tamouls de sexe masculin du Nord du Sri Lanka.
[3] Le demandeur est arrivé au Canada le 11 janvier 2003 et il a immédiatement présenté une demande d'asile.
[4] À l'appui de sa demande d'asile, le demandeur a formulé les allégations suivantes dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). En 1994, le groupe radical les Tigres de libération de l'Éelam tamoul (LTTE) l'ont approché pour lui demander d'adhérer à leur organisation. Le demandeur craignait d'être sévèrement puni s'il n'aidait pas les LTTE d'une manière ou d'une autre. Il a donc effectué des tâches administratives pour le groupe jusqu'à la fin de 1995. En mai 1996, l'armée sri-lankaise (l'armée) s'est emparée de Varany, la ville natale du demandeur, dans le Nord du Sri Lanka et de la région avoisinante qui était jusqu'alors aux mains des LTTE. Les LTTE ont toutefois continué à lancer des attaques contre l'armée et la population civile. Le demandeur explique qu'il a été détenu et interrogé par l'armée à de nombreuses reprises parce qu'il était soupçonné d'être un partisan des LTTE. En octobre 1998, l'armée a arrêté le demandeur et l'a remis en liberté à la condition qu'il se présente chaque jour à ses bureaux. En décembre 1998, le demandeur a déménagé à Vavuniya où il est demeuré pendant presque trois ans. En juillet 2001, il a quitté Vavuniya parce que l'armée arrêtait de jeunes Tamouls qu'elle soupçonnait d'aider les LTTE. Le demandeur explique qu'il est ensuite parti s'installer à Colombo où il a été hébergé par un agent qui a fait le nécessaire pour qu'il puisse venir au Canada. Il a quitté Colombo pour le Canada en décembre 2002.
[5] Compte tenu de ce qui précède, le demandeur affirme qu'il craint d'être persécuté tant par les LTTE que par l'armée s'il devait retourner au Sri Lanka.
La décision
[6] La Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur au motif qu'il n'était pas crédible. Elle a estimé qu'il existait de graves incohérences au sujet du lieu de résidence du demandeur au cours des années précédant son arrivée au Canada et qu'en conséquence, son témoignage n'était pas digne de foi.
QUESTIONS EN LITIGE
[7] La présente demande soulève deux questions :
1. La Commission a-t-elle commis une erreur en utilisant des éléments de preuve recueillis à l'entrevue réalisée au point d'entrée pour mettre en doute crédibilité du demandeur après avoir dit qu'elle n'en tiendrait pas compte?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des risques que courait le demandeur en tant que jeune Tamoul provenant du Nord du Sri Lanka après avoir accepté son identité?
ANALYSE
Première question
La Commission a-t-elle commis une erreur en utilisant des éléments de preuve recueillis lors de l'entrevue réalisée au point d'entrée pour mettre en doute la crédibilité du demandeur après avoir dit qu'elle n'en tiendrait pas compte?
[8] La Commission a estimé que l'incohérence la plus importante qu'elle avait relevée dans le témoignage du demandeur concernait son lieu de résidence au Sri Lanka. Plus précisément, elle n'était pas convaincue que le demandeur avait quitté Varany au moment où il affirmait l'avoir fait ou même qu'il avait déjà vécu à Colombo. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission s'est fondée en partie sur une contradiction relevée dans les renseignements communiqués par le demandeur au point d'entrée. La Commission a signalé que, dans le formulaire d'entrée qu'il a rempli le 12 janvier 2003, le demandeur avait indiqué qu'il avait vécu à Varany jusqu'en décembre 2002, alors qu'il avait dit à un agent d'immigration le 11 janvier 2003, qu'il avait quitté Varany pour Vavuniya après 1998.
[9] Habituellement, la Commission aurait le droit de tenir compte d'une contradiction comme celle-ci pour apprécier la crédibilité du demandeur. Toutefois, en l'espèce, le demandeur a admis devant la Commission qu'il avait menti à l'agent d'immigration au point d'entrée au sujet de l'aide apportée aux LTTE parce qu'il avait peur et que l'agent qui l'avait aidé à venir au Canada l'avait conseillé en ce sens. La Commission a accepté les raisons avancées par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait menti au point d'entrée et elle a précisé qu'elle ne ferait « aucune comparaison entre l'interrogatoire du demandeur par l'agent d'immigration, sa déclaration manuscrite et le contenu de son exposé circonstancié » . La Commission a expliqué qu'elle se fonderait sur le FPR et sur le témoignage que le demandeur avait donné à l'audience pour rendre sa décision étant donné que le demandeur affirmait que ces renseignements étaient véridiques.
[10] À mon avis, comme la Commission avait accepté les raisons avancées par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait menti à l'agent d'immigration au point d'entrée et ayant explicitement déclaré qu'elle ne ferait aucune comparaison avec les déclarations faites à l'agent d'immigration, il n'était pas loisible à la Commission de se servir des éléments de preuve recueillis à cette entrevue au sujet des LTTE pour mettre la crédibilité du demandeur en doute. Je suis convaincu que la Commission ne s'est pas appuyée sur la preuve recueillie au point d'entrée au sujet des LTTE. La Commission a effectivement mentionné des éléments de preuve au sujet du lieu de résidence, qui ne sont pas les éléments de preuve au sujet desquels le demandeur avait admis avoir menti.
[11] En conséquence, la Commission n'a commis aucune erreur justifiant notre intervention au sujet des éléments de preuve recueillis au point d'entrée en ce qui concerne le lieu de résidence.
Seconde question
La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des risques que courait le demandeur en tant que jeune Tamoul provenant du Nord du Sri Lanka après avoir accepté son identité?
[12] La Commission a conclu, aux pages 4 et 5 de ses motifs, que les LTTE ne s'intéressaient pas au demandeur pour deux raisons :
(i) la dernière communication du demandeur avec les LTTE remontait à une dizaine d'années;
(ii) « les LTTE ne se sont jamais occupés de lui lorsqu'il était plus jeune et qu'il avait le profil de ces gens en qui les LTTE étaient intéressés » .
À la lecture de ce passage, je constate que la Commission a bel et bien évalué les risques que courait le demandeur en tant que Tamoul provenant du Nord et qu'elle a conclu que les LTTE ne s'intéressaient pas à lui. Autrement dit, la Commission a conclu que le demandeur ne courait aucun des risques prévus aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La Commission a implicitement conclu que le demandeur n'était plus jeune et qu'il ne répondait plus au profil visé.
Crédibilité
[13] La demande d'asile du demandeur a été rejetée pour manque de crédibilité. Le récit du demandeur était incohérent et confus. La Commission n'a pas cru les dires du demandeur sur son lieu de résidence au Sri Lanka au cours des dix dernières années, en supposant qu'il ait effectivement résidé au Sri Lanka.
[14] Pour ces motifs, le demandeur n'a pas démontré que la décision était entachée d'une erreur justifiant l'intervention de la Cour.
[15] Aucune des deux parties n'a proposé de question à certifier.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Michael A. Kelen »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4553-04
INTITULÉ : SUTHARSAN KANDIAHPILLAI c. MCI
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 9 NOVEMBRE 2004
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE LUNDI 15 NOVEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Micheal Crane
POUR LE DEMANDEUR
Stephen Jarvis
POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane
166, rue Pearl, bureau 100
Toronto (Ontario)
M5H 1L3
POUR LE DEMANDEUR
MINISTÈRE DE LA JUSTICE
130, rue King Ouest, bureau 3400
Case postale 36
Toronto (Ontario)
M5X 1K6
POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041115
Dossier : IMM-4553-04
ENTRE :
SUTHARSAN KANDIAHPILLAI
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE